Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

jeudi 25 décembre 2008

Créatures 1 / Vampires : les Prédateurs















LES PREDATEURS



Séduisante et richissime bourgeoise new-yorkaise, Myriam Blaylock dissimule derrière sa respectabilité une nature vampirique et immortelle. Traversant les siècles, oisive et inchangée, la belle se heurte cependant régulièrement au même dilemme : voir ses compagnons successifs s'éteindre et l'abandonner. 
C'est désormais le tour de John, son partenaire depuis plus de 300 ans : il est soudainement frappé d'un vieillissement accéléré et inéluctable. Ni l'amour, ni le pouvoir de Myriam, ni les recherches scientifiques modernes ne peuvent contrecarrer le destin ! 
John, réduit à l'état d'un cadavre mort-vivant, rejoint bientôt les dépouilles de ses prédécesseurs dans le grenier de la grande demeure. 
Mais Myriam a déjà trouvé sa "remplaçante" : Sarah, une jeune généticienne, tombe effectivement dans ses filets. Séduite et initiée, la jeune femme boit le sang de Myriam qui la contamine ; elle ne tarde plus à découvrir les effets de sa nouvelle condition ... Vampirisée malgré elle, Sarah repousse la monstresse qui l'a choisie et piégée et tente de se suicider. Son geste réveille les spectres du grenier ; les cadavres zombifiés des anciennes amours surgissent, revanchards, et encerclent Myriam. Dans sa tentative de fuite, celle-ci est victime d'une chute fatale ; elle agonise et finit par tomber en poussière. 
A leur tour, ses restes seront désormais condamnés à hurler à jamais une mort éternelle tandis que Sarah perpétuera la malédiction du vampire ...



1983 : Frère de Ridley, Tony Scott se fait connaître en s'essayant à son tour à la réalisation cinématographique ; son ainé s'est déjà brillament illustré en la matière (à l'époque, "Alien" et "Blade Runner" ont déjà marqué le 7ème art !)
"Les Prédateurs" a la sincérité, la personnalité ... et les maladresses des premières oeuvres.




Hybride clinquant, chic et choc, totalement représentatif des années 80, le film, sorte de conte gothique bati sur une distribution aussi prestigieuse qu'alléchante (rien moins que Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon !) et sur une réputation sulfureuse quelque peu abusive (du sang, du sexe et des tripatouillages lesbiens ...! en fait, vraiment pas de quoi s'offusquer !), se révèle plutôt un exercice de style lent, mélancolique et poseur ...













Atypique, "Les Prédateurs" conjugue l'aspect et le savoir faire d'une grosse production (des acteurs réputés, une photographie et une direction artistique plus que lèchées, des effêts spéciaux et un argument de film d'horreur ...) à un traitement ouvertement anti-commercial : dépourvue d'action, l'oeuvre refuse en effêt un spectaculaire trop attendu tout comme les clichés du genre au profit d'une atmosphère délibérément onirique, hyper travaillée et très (trop ?) "arty" et d'une dimension davantage psychologique et "auteurisante".




Voilages, colombes, lumières tamisées, marbres, tentures, voilettes, violon et piano classiques supplantent donc ici les canines écumantes ou les ruissellements sanglants !
Car, si c'est bien de vampires qu'il est question, le mythe est totalement réintreprété, revu et corrigé, et finalement envisagé d'un oeil quasi existentialiste.

Rapidement plantée, l'habituelle chasse à l'homme mise en images efficaces dès le générique, se voit bien vite remplacée par des problématiques autrement plus inattendues, plus humaines et plus profondes : la perte de l'être cher et les affres de l'éternité ...
L'inquiétude et la fatalité de ces vampires là ne résident plus dans l'assouvissement obligé d'appétits monstrueux et antropophages ni dans une lutte rebattue entre le Mal et le Bien, mais dans la solitude et l'angoisse de l'immortalité.


Ainsi Myriam, créature originelle vieille de milliers d'années, est-elle sans cesse confrontée à la douleur et au mensonge : elle promet l'union et la vie éternelle à ses compagnons alors qu'ils sont voués à long terme à la décrépitude physique et à l'horreur d'une mort "vivante" : réduits à l'état de cadavres, les monstres immobilisés et conservés dans leurs caisses n'en demeurent pas moins conscients ...

La condition vampirique s'inscrit alors dans une nouvelle configuration nettement plus sordide : la mort pour l'éternité !

Et la faim de sang est en fin de compte dépassée par le besoin vital d'une présence, par la quète obligatoire d'un nouveau compagnon de solitude.

Seuls, évidemment différents et bien mélancoliques, les vampires de Tony Scott n'ont plus l'agressivité ni le mordant de leurs illustres ancêtres.
Ils n'utilisent d'ailleurs pas leurs dents pour pomper le sang à la gorge de leurs victimes mais de gracieux petits poignards antiques montés en pendentifs.



De la même manière, les clichés du folklore vampirique ne trouvent ici aucun écho !
Ni pieux, ni cimetières, pas de crypte ni de gousses d'ail, nulle crainte de la lumière et aucune absence de reflet ; nulle dimension démoniaque et païenne ...
Créatures "autres", témoins aristocratiques des temps passés, les monstres aborent l'élégance et l'oisiveté de richissimes rentiers trompant l'ennui de l'immortalité au creux d'une demeure tenant autant du musée et du labyrinthe que du mausolée ; ils jouent Bach et Schubert au salon avant de feindre l'échangisme dans des clubs new-wave dans les ténèbres desquels ils trouveront aisément de quoi épancher leur finalement si banale soif de sang.






Le choix éclairé des acteurs épouse complètement le dépoussièrage mythologique ; la blondeur et la beauté glaçante et vénéneuse du duo Deneuve-Bowie impose un glamour plus contemporain.
Icônes et d'ors et déjà monstres sacrés, les interprètes n'ont finalement qu'à paraitre, cintrés dans leurs atours de gravures de mode, qu'à sourire énigmatiquement et à fumer sagement de longues cigarettes pour crédibiliser l'argument fantasque et somme toute simpliste de cet étrange produit.
Le film pourrait presque être réduit à ceci : une longue et surprenante publicité d'1 heure 30 à la gloire de deux stars !
 



Et l'influence du clip et de la publicité s'avère effectivement flagrante.
Cette esthétique, typique des eighties, mélange tout à la fois beau et vulgaire de classique et de moderne, d'artifices et de gratuité, de stylisme, de design, de bon et de mauvais gout, maniériste et putassier, magnifique et ridicule ...
Ces tentures et ces voilages sans cesse parcourus de souffles, les jeux perpétuels des ombres en motifs ornementaux, les dosages complémentaires des coloris, l'agencement des décors et la complexité des éclairages, des cadrages ... un sens omniprésent de l'artifice confinant à l'excès, associé aux expérimentations du montage, à celles de la musique et des effêts sonores, à un érotisme soft et aux chocs parcimonieux (et plus ou moins réussis) d'une horreur "climatisée".
La mise en scène ostentatoire prime totalement sur une intrigue qui ne réussira pas à captiver.
Là où Ridley Scott parvenait à raconter de véritables histoires tout en nous en mettant plein la vue, son frère se laisse dépasser par les enjeux formels de sa création. Ses créatures douloureuses peinent à nous interpeller...







On ne peut cependant limiter "Les Prédateurs" à sa seule beauté un peu vaine.
Si l'oeuvre ne passionne pas, elle n'en demeure pas moins plus que respectable et curieusement fascinante.
Et les affèteries de la mise en scène servent, pour finir, le propos, bien davantage que l'obligatoire recours aux maquillages et aux effêts spéciaux.
Jusqu'à son final grotesque (et son cortège de momies clopinantes !), le film avait réussi à batir une atmosphère étouffante et funèbre qui magnifiait constamment la mort ; jusque là, Tony Scott pouvait s'ennorgueillir de sapper intrigament les clichés du film d'horreur et de vampire ...



Lent, sans pour autant sembler long, "Les Prédateurs" fait du temps l'un des thèmes centraux de sa trame.
Eternité mortifère et figée des créatures vampiriques, promesse non tenue d'un amour plus que jamais durable, temps compté de John qui se décrépit à toute allure, recherches de Sarah sur l'existence et le contrôle d'un "compteur interne" ...
D'une manière ou d'une autre, le leurre de l'immortalité préoccupe tous les protagonistes : Myriam doit "régulièrement" chercher de nouveaux compagnons pour meubler la vacuité de la vie éternelle ; John, rattrapé par la réalité de son (grand) age doit se résoudre à ne plus vivre que "dans la mort" ; Sarah recherche inlassablement le remède qui empêcherait le vieillissement et la corruptibilité de la chair ...

Et, ici plus que jamais, le vampire se fait littéralement un mort-vivant : la permanence d'une conscience au sein d'un corps qui n'est plus en état de répondre ...
Le vieillissement galopant de David Bowie se pose comme l'horreur la plus aboutie de l'oeuvre.
En une journée, et par la magie de maquillages saisissants, l'acteur passe de la physionomie d'un trentenaire à celle d'un misérable et terrifiant vieillard !
Tony Scott ne nous épargne rien : ni les cheveux partant par touffes, ni les tavelures et les rides, ni le voûtement pitoyable, ni même la méchanceté d'un faciès quasi méconnaissable ...
Au final, l'acteur arbore une grosse tête chauve, grimaçante, surmontant une silhouette chétive et racornie. Catherine Deneuve le soulève et s'en saisit comme elle le ferait d'une abominable poupée ; lorsqu'elle le dépose dans son cercueil, il s'est carrément uriné dessus ! ...



Enfants malades aux faciès de vieilles personnes ; chimpanzés, cobayes de laboratoire, agonisants et se décomposant en quelques minutes ....
 

La grande maladie de l'homme demeure le vieillissement ; le temps se pose comme la menace la plus fatidique.



En comparaison, dans l'atmosphère morne de la grande maison des Blaylock tout parait retiré de la vie, à jamais immobile, stérile, hors course, loin du temps qui file et de ses contingences.

 



Des flash-back maladroits singent la singularité de ces êtres qui ont impunément traversé les siècles : John et Myriam emperruqués au XVIIIème, Myriam en prêtresse égyptienne fouillant voracement la gorge d'un esclave noir ....







Et si John ne peut endiguer sa brutale décrépitude, la vie n'est pas finie pour autant !
Même réduit à l'état de macchabée il continuera à vivre pour toujours : les vampires ne connaissent aucun véritable repos ; la mort, la fin, n'est pas pour eux ...
L'héroïne vénéneuse, finalement victime de ses anciennes conquêtes et punie à son tour par les outrages retrouvés du temps, termine elle aussi comme une momie abominable, un squelette tombant en poussière . Ses hurlements aussi révoltés que stériles, assourdis par l'enfermement du cercueil où ont échoué ses débris, résonneront vainement tandis que Sarah prendra sa place.




La nuit et le néant du cercueil comme l'ultime chatiment de ces âmes damnées ... , une autre vision de l'enfer ...
Et, comme le reste, comme ces corps rattrapés par le temps, l'amour, lui aussi, vieillit et s'use.
"Pour toujours ?" questionne sans cesse un John inquiet à juste titre.
Myriam le rassure mollement sans trop y croire et avec fort peu de conviction : s'il vieillit soudainement c'est peut-être surtout parce qu'elle ne l'aime plus autant, plus suffisamment ... comme tous les autres avant lui ; ceux qu'elle avait semblablement séduit, chéri puis délaissé ...


L'attrait de la nouveauté la titille et prend donc le visage de Sarah, une belle chercheuse aperçue dans une émission de télévision.
Peut-être, davantage que le sang sur lequel cette doctoresse base ses recherches, pistant d'obscurs liens entre ses dégénérescences et les troubles liés au vieillissement, l'amour est-il définitivement la véritable clé de l'immortalité ?



La romance se révèle heureusement amère et décalée.
Myriam abandonne honteusement son (vieux) compagnon ; quelques larmes compatissantes pour accompagner l'enfermement du malheureux dans une caisse qui s'oubliera dans le grenier, et la voici d'ors et déjà toute excitée à l'idée d'avoir désormais le champ libre pour s'occuper sérieusement de celle qu'elle avait repérée et choisie. Sarah succombe logiquement, et les deux femmes passent rapidement à l'action : effeuillage, étreintes photogéniques et baisers tant trompeurs que voraces ...

Myriam attire, envoute puis initie ; c'est elle qui décide et qui mène, jetant son dévolu sur celui (ou celle) qu'elle juge digne de partager sa vie (et sa particularité) ... Finalement égoïste mais en même temps généreuse, elle contamine et transmet à sa nouvelle conquête l'éternité trompeuse de son sang.
 

Sous ses dehors faussement "romantiques", l'histoire trace en fait un portrait au vitriol du couple, de l'amour et des relations sentimentales. La love-story sanglante par-delà les siècles et le temps est jouée sur un mode atone et foncièrement dépassionné ! Myriam utilise les autres, ment et promet l'impossible ; lorsque John la lasse, il perd d'un coup l'illusoire jeunesse que l'amour préservait ... Sarah, manipulée, préfère finalement tenter le suicide plutôt que de devenir vampire et le nouvel "animal de compagnie" de celle qui l'a littéralement vampée. Le virus qui modifie son sang et sa nature la poussera à commettre l'impensable : elle dévorera son compagnon ! ...

Le couple s'exprime alors essentiellement comme le terrain privilégié de constants rapports de force : séduction, asujetissement, dépendance, apprentissage, dévoration ou trahison ...
La dimension fantasmatique et sexuelle du vampirisme s'avère d'autant plus exacerbée qu'elle concerne des êtres dépourvus d'affect. La séduction et l'attirance physique se font les armes imparables déployées par les créatures : drague en boite de nuit, prétextes échangistes, soirées chaudes et alcoolisées ... ;



Dès la première scène "Les Prédateurs" ciblent et attirent un couple de noctambules.
Myriam chevauche l'homme bêtement goguenard tandis que, dans la cuisine, la fille vulgaire s'offre à John. Baisers salivés, dépoitraillage, caresses ... et carnage !
Les vampires se repaissent à la gorge fendue de leurs proies.













Et dans cet univers où le corps n'est plus tant l'enjeu de la jouissance que celui de l'alimentation, le sexe se pose en leurre !
Après leur breakfast cannibale et l'incinération des dépouilles inutiles, Myriam et son compagnon partageront une douche "purificatrice" sous laquelle ils s'étreindront placidement. Ne mélangeons pas torchons et serviettes ; ces vampires ne s'accouplent réellement qu'entre eux !


Deneuve, belle, et plus glaçon et icône que jamais, abuse de son mystère, des toilettes et des poses.
 
La fameuse scène saphique s'amorce sur fonds d'allusions mélomanes et d'un chant aérien de Delibes (l'idéal et kitsch duo des fleurs de Lakmé !) ; Sarah renverse du xèrés sur sa poitrine, prélude tout indiqué pour son déshabillage ; les deux amantes s'embrassent, se retrouvent sur le baldaquin, s'aiment et se saignent gentiment.



Les baisers se révèlent constamment vénéneux : "baisers de Judas" de Myriam à John, baisers d'adieu, baisers humides (puis cannibales) amadouant les victimes, baisers mordants et contagieux qui inoculent le virus du vampirisme ... autant de variations revenant finalement au même : la dévoration (effective ou symbolique, réelle ou intérieure ...).
Tout bouffe : le temps, la vie (à deux), l'amour, la maladie (le vampirisme) ...) et nul n'échappe à la régle !



Le titre anglais : "The hunger" (la faim, les affamés ...) collait bien davantage à ce contexte ; la faim (de sang, de temps, d'amour ... ?), comme la fin, son homonyme, ne s'avouant ici jamais comblée, ni atteinte ni satisfaite ...

Les corps saignés, désincarnés, malades ou glacés tels ces statues et ces bustes antiques ornant la luxueuse demeure des Blaylock, beaux et figés comme eux, s'effriteront au final, tombant en poussière.
Le sang est bu, mélangé, répandu, contaminé ; il gicle et coule élégament. Mais les goules s'avèrent malgré tout pareilles à leurs victimes : exangues, froides et sans vie !
"Les Prédateurs" chassent, dévorent, attirent, aiment et séduisent ... tout cela sans émoi ni passion, plutôt tranquilement, méthodiquement, presque languissament.
 Les lits immenses palpitent de tous leurs voilages ; les créatures y sommeillent comme dans des cocons ; ces lits déterminants se font les écrins où tout se joue : la confortable (?) apathie de l'immortalité, des simulacres d'étreintes, la contamination ou l'incubation ... Ils ne sont, après tout, qu'un avant-gout de ces caisses et cercueils qui accueilleront la malédiction inéluctable de l'immobilité à l'infini, de ce "sommeil éveillé" pour l'éternité ...



Et le vampirisme se retrouve ici plus que jamais traité comme une affection : maladie, docteurs, chercheurs, hopital, examens ... , l'oeuvre décline toutes les conjugaisons de ce motif. Sensuellement transmissible, le virus modifie étrangement les données sanguines et les comportements des "élus".
Le "baptême" parait rude : Susan Sarandon, contaminée, ressemble à une camée hagarde et sa période d'incubation fait fortement songer aux crises de manque d'une héroïnomane ! (d'ailleurs son bras au creux duquel Myriam a bu voluptueusement, arbore non plus les sempiternelles traces de canines mais plutôt celles des shoots d'une drug-addict !...)
A l'aube des années Sida, "Les Prédateurs" jouait inconsciemment sur les thèmes dramatiques d'une épidémie on ne peut plus réelle : le sang, le sexe, la mort ...


Et la transmission, essentielle, joue les éternels recommencements ; les vampires se reproduisent par contamination.
Le générique de fin boucle la boucle : Sarandon, désormais monstresse et belle et glaciale à son tour, guette avec une tranquilité féline l'aube naissante depuis son balcon.
 Féministe, l'oeuvre évince systématiquement ses protagonistes masculins pour mieux remplacer une "reine" par une autre. La connaissance et le pouvoir, la suprématie, la supériorité ... sont évidemment féminines !
Déifiée, icônisée, déréalisée et pourtant éternelle, la femme se révèle plus belle, plus forte, plus essentielle que jamais.
Myriam étreint la dépouille moribonde de son compagnon comme une mère ; Sarah s'entoure pour finir d'une couvée d'adolescents ... : nourricière, fondatrice, première ; attentive et lointaine tout à la fois, la femme s'affirme comme l'origine, l'essence et la perpétuation des mystères originels.
Il ne demeurera au final des étranges "époux" Blaylock qu'une photographie de Myriam exhumée d'un amas de chenil.
 

Ecrans, télévisions, caméras de surveillance et appareils photo servent constamment la réactualisation et la contemporanéïté du propos.
Un cliché accidentellement pris pendant le meurtre d'une fillette, le film déroutant de l'agonie et de la décomposition accélérée d'un chimpanzé, les images de ces enfants affectés d'un virus qui les vieillit prématurément, la "rencontre" télévisuelle de Sarah ... : l'image est toujours, à plus ou moins long terme, synonyme de déclin et de mort ; elle fige, fixe, capture.
Et la réclusion et l'enfermement, symbolisées tout du long par la régularité des rectilignes qui emprisonnent constamment les personnages, s'imposent dès le début : le chanteur gothique qui ouvre le générique est représenté derrière une grille (d'ailleurs, les cloisons du club dans lequel il se produit, s'avèrent des grillages) ; le singe de laboratoire s'excite en parallèle derrière les parois de sa cage ... La vaste maison des Blaylock figure une forteresse ou un tombeau de luxe à l'intérieur duquel n'entre pas qui veut. L'ascenseur, le crématoire, les caisses, les malles du grenier ... tout évoque le cercueil et cet enfermement, finalement peu enviable, de l'immortalité. La permanence stylisée des voiles, des tissus, des rideaux et des tentures joue dans le même sens, enrobant, emprisonnant, étouffant continuellement tout et tout le monde dans une gangue aussi séduisante que fatale ...



Le piège se dessine en filigranne.
Piéges de l'amour et de la mort dont le vampirisme se fait la troublante et idéale métaphore. Pièges du temps et d'une immortalité finalement pas du tout enviable, d'une éternité d'horreur ! Leurres de la séduction, des promesses, des engagements ... : chants de sirènes ; le mensonge perpétuel vient constament parachever l'ensemble...
Chacun des protagonistes s'inscrit dans cette irrémédiabilité du traquenard ; tantôt piègeur, tantôt piègé, parfois l'un et l'autre à la fois ... Myriam "piège" John, puis Sarah pour se retrouver finalement elle-même dans la situation (prévisible) de l' "attrapeur attrapé" (Sarah se rebellera et contrecarrera ses vues, prenant sa place au final).
Conditionné (et donc là encore éminament piègé) par sa faim et sa nature terrifiantes, le vampire ne s'embarrase plus de sentiments !
Et les seconds rôles font semblablement les frais de ce qui s'avère un vénéneux (et curieusement tranquille) jeu de massacre : Alice, l'amie innocente, cette gamine voisine des Blaylock partageant leurs habitudes mélomanes, subira le pitoyable et insurmontable appétit d'un John "en fin de course" quasi-impotent ; à défaut d'avoir été son premier amant, le compagnon de Sarah ne pourra hélas plus s'ennorgueillir de l'avoir déflorée (vampiriquement vôtre ! : il sera (pour son malheur) sa "première fois". Epuisée de résister au manque entrainé par le refus de sa condition nouvelle, Sarah le saignera malgré elle !) ...
Tout ceci sans évoquer bien sûr les plus "ordinaires" (et habituelles) victimes de ces "Prédateurs"

.



Cette thématique ne recourt à nul suspens, nulle hystérie.
Fidèle à l'atmosphère générale élégante et funèbre, Tony Scott joue bien davantage sur les élipses, les creux, les symboles et une sorte de torpeur que sur les ressorts spectaculaires et programmés des figures qu'il convoque ; l' Epouvante ne rejoint ici que le Drame !
La mise en scène joue perpétuellement la claustrophobie, privilégiant essentiellement les intérieurs (de surcroit toujours bardés de portes closes, de stores, de grilles, d'écueils et d'écrans ...), ces intérieurs où l'on pénètre (parfois à son corps défendant, voir la manipulation hypnotique et subliminale (dans le genre transmission de pensée) dont Myriam use pour attirer Sarah !) et dont on ne ressortira pas (ou alors mordu, vampirisé et, là encore, piègé !)





Et le dehors, l'extérieur, ne sied pas à ces créatures finalement fragiles.

Le réalisateur le traduit presque toujours comme un danger (Sarah manque de se faire écraser par un camion), un milieu hostile (il pleut ; on est sous la coupe de la suspicion ou du mépris (passants, Police, personnel hospitalier ...)) ou le décor de l'échec et de la honte (cette belle scène dans laquelle John plus que vieillissant (et assoiffé) tente de soumettre un jeune "skateur " ; le garçon, vigoureux, se débat, se défend et lui échappe. John n'a plus qu'à s'enfuir !)


En dépit du présupposé (mensonger) qui feignait de célébrer l'éternité et l'immortalité des corps et des amours, rien n'est jamais durable, fiable ni intemporel.
Chaque chose, chaque être est évidemment voué au changement, au déclin, à l'extinction ...
La transformation se place dans ce contexte.
Nulle pupille dilatée et injectée de sang, nulle bouche déformée par le jaillissement d'un dentier aiguisé et agressif, nulle métamorphose ahurissante des vampires en chauve-souris ou en loup vindicatif ... : le vieillissement seul, et toute l'horreur de son injustice !
Là encore le cinéaste a opté pour le décalage et la tragédie : la transformation de John se révèle aussi atroce (et efficace (merci Dick Smith !)) que misérable ; plus que l'effroi, c'est bel et bien la compassion qui l'emporte alors.



Et recoupant le même thème, le scénario a l'habileté de bousculer les archétypes et de renverser les rôles : les monstres deviennent finalement proies, les victimes acquièrent le statut d'agresseur et succèdent à leurs "bourreaux"...
La tranquillité mortifère distillée par le rythme et l'atmosphère s'avère évidemment trompeuse.
Les protagonistes le savent intuitivement, et la suspicion et la vigilance se font constantes : on se guette, se jauge, s'observe continuellement.
Bien plus que les mots (les dialogues s'affirment plus que chiches !), c'est le regard qui prime. On scrute dans les miroirs, les reflets et les yeux de l'autre le changement, le virage, cette fin redoutée et inéluctable !


 

La chute est rude (et effective !)
Convoquée à grand renfort d'escaliers et de rambardes, elle appuie "physiquement" l'appel vertigineux des abîmes intérieurs : au final, John comme Myriam tomberont dans le vide (tous deux chutent plus ou moins spectaculairement) avant de gagner le trou noir de la mort éveillée.
La chute des corps vient souligner le naufrage des "héros".

Aussi construit, logique et réfléchi dans l'agencement et le traitement de ses thématiques que dans l'aspect purement esthétique de sa mise en scène, "Les Prédateurs" décline brillamment une belle palette chromatique de teintes contrastées et complémentaires (marine et rouge, mauve et vert ...) où prédominent et rutilent les bleus et les orangés.
Comme l'alternance de ses coloris extravertis chauds et froids, le travail lèché sur la photographie insiste tout du long sur l'ombre et la lumière, enluminant chaque scène d'intérieur d'effêts de toute beauté : murs et cloisons se font écrans striés, ajourés, découpés de motifs supplémentaires ; fenêtres, voilages et rideaux façonnent encore un peu plus le jeu continu sur la lumière et l'obscurité, le visible et le caché ...



De la même façon, la direction artistique continue dans la voie des oppositions en proposant des décors aussi réussis et photogéniques qu'ouvertement contraires : la demeure des "Prédateurs" affecte le luxe, le baroque et l'encombrement ; une profusion de rideaux, de tapis, de statues, de bouquets ... lui confèrent l'apparence d'un musée, d'un écrin, là où les autres environnements (l'hopital, l'appartement du début, celui de Sarah ...) optent pour l'épure, le design high-tech, la modernité et la stylisation.
 
.


La lenteur sourde du métrage joue pourtant très souvent d'un montage alterné et parfois choc et fulgurant (la scène d'ouverture, les flash-back ...), de coupures, de ruptures et d'inserts. Et, appuyés par la musique tantôt classique et mélancolique (Bach, Ravel, Schubert, Delibes ...), tantôt électronique, angoissante ou tonitruante, le découpage, le traitement et le rythme maintiennent une tension et un intêret constant. Décalé, différent, apprèté et artificiel, "Les Prédateurs" marque cependant de sa singularité le genre "vampirique". Bien sûr, les amateurs de sensations fortes, d'horreur ou de suspens n'y trouveront pas forcément leur compte ; bien sûr, la stylisation, la langueur et l'opacité de l'oeuvre, le manque de dialogues et d'action désarçonneront ou ennuieront certains. Pareillement, son propos davantage psychologique et sa métaphysique à deux sous, cette mélancolie constante et cette théâtralité pourront agacer.
N'empêche, le film marque et intrigue et il en reste toujours quelque chose en mémoire.
Malgré ses poses trop voyantes, ses mines vaporeuses et l'assèchement possiblement rébarbatif de sa tonalité, malgré le fait que ni l'histoire ni ses protagonistes abrupts et figés ne réussissent jamais vraiment à créer l'adhésion ni l'empathie, on ne peut nier la cohérence de ce produit foncièrement (et vainement ?) étrange : après tout, le nec plus ultra pour un film "de vampires" n'est-il pas de se révéler raide, glacé et pour tout dire exsangue ?

"Les Prédateurs" trompe son monde.
Son casting "3 étoiles", son argument fantastique, ses baisers lesbiens ... : tout mentait !
On se retrouve en fin de compte face à une oeuvre qui, bien que clinquante et ouvertement inscrite dans l'esthétique de son époque s'avère pratiquement anti-commerciale.
Faussement vénéneuse, plus fumeuse que véritablement innovante, curieusement creuse, dépressive et fermée, glacée comme le papier des magazines de mode qu'elle singe avec délectation, cette oeuvre hybride, inconfortablement assise à cheval entre le (faux) film de genre et le (présomptueux) film d'auteur, mérite malgré tout complètement le détour. Ne serait-ce que pour Deneuve à la fois idéale et plus glaciale et grotesque que jamais dans sa (non)composition de goule saphique égérie de Thierry Mugler, pour le nouveau "travestissement" (fort peu glamour, cette fois !) de David Bowie ou pour la toujours belle et fascinante Susan Sarandon ...
Allez ! laissez-vous tenter !