Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 19 décembre 2010

Deliziosi Gialli 17 : Death walks on high heels / La Morte cammina con i tachi alti




DEATH WALKS ON HIGH HEELS



Nicole Rochard, belle artiste de cabaret, affole les nuits parisiennes.
Convoquée par la Police, elle apprend que son père, un bandit de haut vol, vient d'être assassiné après son détournement de millions en diamants ...
Et les policiers ne sont pas les seuls à rechercher le précieux magot : un homme menaçant et masqué harcèle Nicole au téléphone  ; Persuadé de sa complicité, il finit par s'introduire chez elle, la brutalise et lui adresse un dernier ultimatum : ou elle avoue la cachette des diamants ou il la tuera !
Craignant pour sa vie et soupçonnant même son amant trop instable, la belle effeuilleuse profite des avances de Richard Matthews, un chirurgien occulaire anglais, fervent admirateur, pour quitter Paris et fuir les dangers qui la préoccupent.
Richard bichonne sa protégée qu'il installe dans un luxueux cottage en attendant la promulgation d'un divorce qu'il dit imminent.
Hélas, Nicole ignore à quel point elle est devenue malgré elle l'enjeu ou le témoin  de noirs intérets ...  

Second giallo de la trilogie ercolienne, "Death walks on high heels" exacerbe la méthode et l'inspiration de son réalisateur : dans ce deuxième volet, celui-ci affirme plus que jamais son gout de la comédie, du rythme et ... de son épouse, Susan Scott !
Effectivement, éclatante et extravertie, la belle actrice trouve ici un rôle à la mesure de ses charmes et de son tempérament. Elle assume avec brio tout le côté glamour et gentiment grivois de cette oeuvre sympathique.







Encore une fois et plus, même, que pour "La Foto proibite di una signora per bene", les puristes auront tout loisir de pinailler, arguant que l'on s'éloigne là décidément de l'esprit giallesque ...
D'accord, un tueur masqué, des lames et de jolies filles dévêtues ne suffisent pas à tromper le connaisseur, d'autant que les meurtres sont rares (au final, 3 uniquement, dont un seul réellement mis en scène et dignement référent au genre !)





D'accord aussi, on évolue bien davantage dans le polar ou plutôt la comédie policière (avec l'intervention savoureuse de l'inévitable duo de flics de Scotland-Yard !) ...


Quoi qu'il en soit (et d'ailleurs comme au sujet de certaines oeuvres de Sergio Martino ou consorts), le film convoque tellement de références (et par là même de références giallesques !) qu'il s'inscrit, à mon avis tout à fait, dans un genre qui s'avère, de toutes manières au final, beaucoup plus surprenant, libre et varié qu'on ne pouvait le penser.

Ce qui saute aux yeux, ici, c'est cette fluidité, cette efficacité ... le rythme travaillé d'une oeuvre qui exhale un plaisir, une légèreté, une sorte d'insouciance communicative.
Bien sûr, là encore, les fans de terreur et de suspens feront la fine bouche ... : on sourit  beaucoup plus qu'on ne tremble, c'est vrai ! Mais, l'enthousiasme des acteurs, celui d'une intrigue alambiquée qui ne recule devant aucun illogisme, aucun coup de théatre  ... entrainent inmanquablement l'adhésion.
Il n'y a rien à faire ..., le cinéma de Luciano Ercoli est aimable !



Gastaldi, une nouvelle fois requis pour le scénario, sert ici une version latine et décomplexée des recettes hitchcockiennes.
Switchs et biffurcations inattendues, changements de référents de l'intrigue, événements et personnages annexes réincorporés sans que nous les voyions venir... ; Même si les mauvais coucheurs avanceront un côté tiré par les cheveux ou téléphoné, "Death walks on high heels" se veut distrayant, agréable et soigné ... ce qu'il est assurément !




Ercoli sait à merveille marier les contraires, embellir et faire passer les idées et les considérations les plus triviales ou les plus ridicules ... ( A ce titre, les scènes de séduction entre Susan Scott et son protecteur (?) s'avèrent du nannan ! (de l'art de porter des cuissardes (et de ne garder rien qu'elles !) ou de manger du poisson !) Et puis nous avons tout de même droit  au crepissage stoïque, au vomis, d'un officier de police, à un travesti plutôt inattendu (à la poigne tout aussi surprenante !) et à une clientèle de pub anglais quelque peu décalée  ... Nous apprenons également qu'il ne faut   pas toujours faire confiance aux aveugles et que l'intervention d'un pécheur, vendeur de poissons, peut soudainement faire basculer un verdict ...






Le père de l'héroïne a l'air d'avoir le même age qu'elle, malgré son grimage approximatif et l'alcoolisme notoire de Michel (Simon Andreu), le héro au final, donne lieu à quelques incohérences ... ; Mais, après tout, qu'importe !)

Plus explicite et insistante que dans le film précédent, la thématique de l'oeil s'avère désormais évidente, giallesque par excellence, on le sait ... !
Des lentilles de contact bleues arborées par le tueur et utilisées à dessein pour jeter le discrédit sur un autre, de la profession idéale de Richard (il est chirurgien occulaire, ce qui nous vaut une intervention et une séquence emblématique !), à l'emploi presque systématique de jumelles, de longue vue, de caméra ou de paires de lunettes, à ce personnage d'aveugle, finalement beaucoup moins anodin qu'on ne pouvait le penser et au bandeau " de pirate" du père de Nicole, sans oublier ces gros plans  innombrables sur les regards désirés, menaçants ou voyeurs des personnages ... le regard est roi !














De la même façon, les virages de la trame scénaristique abracadabrante impliquent de vigoureux changements de référents et d'enjeux et une même scène cruciale se voit successivement conjuguée via les regards révèlés de ses différents interférants.







Plus subtiles encore, mais continuellement liées à la perception et à l'oeil, cette ressemblance voulue et troublante entre les deux principaux personnages féminins, Nicole et Vanessa (la maitresse et l'épouse) et cette récurence du travestissement ("costumes" de scène de Nicole (tour à tour "africanisée" ou "emperlée" lors de ses plutôt chouettes numéros de strip-tease), garde robe, coiffures et perruques variées et soulignées des actrices, panoplie trompeuse du meurtrier (passe-montagne et lentilles de contact), cécité feinte et exploitée d'un aveugle qui ne l'est plus ou travestissement littéral de l'inquiétant homme de main de Richard qui s'amuse vraisemblablement à se grimer en femme ...)
Efficacement, chaque protagoniste (ou presque) peut ici révèler plusieurs facettes, plusieurs visages, plusieurs réalités ...  La strip-teaseuse est fille de truand et elle sait jouer les putains comme les femmes du monde ; le chirurgien réputé fricote, en fait, avec la pègre ; la femme de notable manie le revolver ; l'amiral à la retraite s'avère voyeur et opportuniste ; l'amoureux est violent et imprévisible et il ne faut pas se fier aux regards de merlan frit d'un protecteur attentionné, en fait autrement interessé ... ; le clochard dissimule un passé plus aventureux et la Police feint l'inefficacité pour mieux laisser le champ libre à un enquêteur moins conventionnel ...  


Contrairement au film précédent, Ercoli multiplie ici les personnages, les sous-intrigues et les registres quitte à embrouiller et  à alourdir quelque peu son histoire.
On part sur un meurtre à bord d'un train et sur la recherche du butin d'un cambriolage ;


On poursuit dans le glamour émoustillant et le thriller (l'accorte strip-teaseuse menacée par un mystérieux personnage en quête des diamants volés ...) ;










On bifurque ensuite dans la romance gentiment épicée (Nicole fuit en Angleterre où elle convole illico avec son tout nouveau protecteur)





pour retomber dans le polar intrigant (l'héroïne se voit effectivement à nouveau menacée ; des intérets et des complications inédites se dessinent ...) jusqu'au coup de théatre (Nicole disparait (!?))






On s'attache ensuite, d'emprunts véritablement giallesques (une tueuse aux bottes noires, un meurtre au couteau, le voyeurisme et la suspicion au summum ...) en incises purement comiques (les flics de Scotland- Yard) à la résolution de cette disparition et à celles des crimes et des méfaits qui ne cessent plus de s'enchainer ...





La trame suit alors les enquêtes parallèles de la Police et celle de Michel, le boy-friend parisien que tout incrimine évidemment.







Au final, les diamants volés ressurgissent (on avait presque totalement oublié ce présupposé initial !) et le scénario relie tous les points dispersés de cette intrigue pour le moins rebondissante !




Si les situations, les figures et les archétypes s'avèrent familiers, ils sont remodelés et réinterprêtés avec beaucoup de conviction et d'ironie.
L'héroïne est sexy en diable tout en restant constamment belle et sophistiquée ; l'inspecteur Baxter et son jeune acolyte s'affirment aussi différents que complémentaires : le plus agé recadrant toujours patiemment les diagnostics trop hatifs de son associé ... ; le beau suspect a l'art et la manière de se fourrer continuellement dans le pétrin (il est affecté d'un sérieux penchant pour la bouteille et se trouve inévitablement toujours au mauvais endroit au mauvais moment !) ; l'homme de main patibulaire arbore (justement) une main de fer (?) gantée aux uppercuts redoutables (mais il apprécie aussi étonnament les perruques et les robes longues !) ... Et tous les personnages plus ou moins annexes (le loup de mer respectable, la bourgeoise irréprochable, le clochard mal-voyant ...) s'avèrent nettement trop concernés pour être vraiment honnêtes !






En fait, quoique l'on surfe donc en terrain familier, on doit reconnaitre pourtant ne jamais savoir où le réalisateur va nous emmener !
Les surprises, les doutes et les fausses pistes fonctionnent du tonnerre tout comme le "coup" imparable de la séquence revue à chaque fois sous différents angles (qui en modifient et développent la perception ... jusqu'à la solution finale).
Décidément habile et roublard, le réalisateur tisse un jeu parfait entre la célébration du regard (celui de ses personnages, celui de sa caméra) en tant que vecteur et instrument de l'intrigue comme de sa mise en scène et  entre le regard et la perception d'un spectateur finalement continuellement pris à parti.
Et donc, malgré sa durée (1h50), "Death walks on high heels" n'ennuie pas un instant.
Bien sûr, le final obligatoirement rocambolesque, résolutif et fédérateur insiste plus que jamais sur l'artificialité des mécanismes mis en branle, mais on n'attendait après tout pas autre chose !

Ercoli sait magnifier l'insignifiant.
Sa mise en scène a indéniablement de la gueule, du chien !
Et l'homme a l'art d'exprimer une sorte d'anticonformisme d'autant plus étonnant qu'il ne manie finalement que des clichés !
Je l'avais déjà exprimé dans l'article consacré à "La Foto proibite di una signora per bene", chez le cinéaste, le recyclage se fait un peu la marque de fabrique ; un recyclage haut de gamme et inventif de l'imag(inaire) cinématographique et du lieu commun (mais toujours dans ce que celui-ci a de plus appréciable et de plus positif !)
A la vision de ses films, on sent qu'Ercoli connait et aime profondément le cinéma de genre et qu'il met constamment tout en oeuvre pour le célébrer, le sublimer et pour contribuer (humblement mais avec une jubilation sensible) à lui donner ses lettres de noblesse (la photographie superbe, la direction artistique, les couleurs, la musique (ici, Stelvio Cipriani (et Edda del'Orso !!!)), le soin du moindre détail ... viennent toujours servir et completer une intrigue savoureusement référentielle et des acteurs energiques et stimulants.)










Le cinéma-bis se fait souvent le creuset expérimental dans lequel un cinéma d'auteur, nettement plus respectable et reconnu puise régulièrement idées et inspirations, un espace souvent fortement connoté mais finalement aussi un espace d'audace et de liberté : c'est le domaine possible de tous les excès, les outrances ou les fautes de gout ...
Certains de ses meilleurs artisans  ont réussi cette alchimie incroyable des contraires : l'union réussie du trivial et du superbe, du futile et de l'essentiel ...
Ercoli appartient, à mon sens, à cette catégorie.
Grivois, il n'hésite pas à s'attarder sur une petite culotte échouée sur un tapis, sur la "masturbation" suggestive d'une serviette chaude ou sur un cunnilingus avorté  ni  à exhiber perpétuellement la poitrine et le fessier de son actrice principale (et épouse) ; il fait vomir son héro sur un gendarme anglais,  affuble l'un de ses protagonistes les plus inquiétants d'une perruque rousse et d'une robe fourreau, zigouille en plein métrage l'un des personnages les plus importants, se permet les "trucs" à priori les plus éculés (effêts de surprises et hasards "hénaurmes") semblant, après tout, ne rien prendre au sérieux tout en jouant cependant continuellement (et irréprochablement) le jeu !








Et cela avec une telle décontraction, un style et un allant si bluffants que tout passe !
Le chic et le professionnalime associent ici totalement ce qui paraitrait vulgaire, rebattu ou débile ailleurs.
Tout ceci abouti en définitive à une oeuvre en même temps très respectueuse des canons en vigueur et totalement personnelle et décalée, presque singulière,  gorgée d'une indicible distanciation ... Ce qui génère ici encore une indéniable et subtile connivence avec le spectateur.




On l'aura compris, pour moi, on ne peut être totalement insensible (voire réfractaire) a tellement d'humour, de talent et de générosité. Sous ses dehors futiles et décontractés, le travail du cinéaste s'avère exemplaire, accompli et plein de finesse ...
Cerise sur le gateau, Luciano Ercoli révelera aussi une autre qualité non moins négligeable : celle de se surpasser à chaque nouvelle oeuvre (en tous les cas en ce qui concerne sa trilogie giallesque !)
Car, si " La Foto proibite di una signora per bene" charmait, si ce pétillant " Death walks on high heels" se déguste avec bonheur, le meilleur reste à venir avec la conclusion en forme de bouquet final de "Death walks at midnight" ...
A suivre, donc, et à (re) découvrir sans modération !