Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 28 février 2010

Deliziosi Gialli 11 : Femina ridens



FEMINA RIDENS






Le Docteur Sayer, séduisant et richissime directeur d'une fondation philanthropique, arbore toutes les marques de la respectabilité.
Il souffre pourtant d'une aversion viscérale à l'égard des représentantes du sexe féminin et passe ses week-ends à payer des prostituées pour qu'elles se prêtent à des rituels avillissants, tels de violents exutoires, dans lesquels ne s'expriment que sadisme et soumission.
Laché au dernier moment par l'une de ses partenaires habituelles, le Docteur en arrive à kidnapper l'une de ses employées.
Plus que jamais, il expérimentera à l'extrême avec celle-ci toute la panoplie déviante de ses jeux dangereux ...
Mais le bourreau finira cependant par succomber aux chaines et aux attachements qu'il méprisait et redoutait le plus !








Tenez vous le pour dit, ce film surprenant et injustement méconnu est un vrai régal !
Splendide, troublant, spirituel et inclassable, il emprunte les voies successives du Giallo, du huit-clos, du film érotique, de la romance, de la comédie et de la parabole, tour à tour intrigant, bavard, expérimental, en même temps grave et léger, sulfureux, gonflé, grotesque et subtil ...
C'est "Histoire d'O" à la galerie Maeght, le Marquis de Sade version psyché, une relecture subversive et barrée du roman-photo ...
Cerise sur le gateau, l'ensemble, continuellement étonnant et harmonieux, ne se dépare jamais d'un humour contagieux !
Son réalisateur, Piero Schivazappa a essentiellement oeuvré pour la télévision ; ce film, unique et détonnant, pouvait de toutes façons amplement suffir à l'éventuelle satisfaction de ses ambitions cinématographiques ...

Au niveau de sa distribution, le réalisateur a eu le nez fin :
Dagmar Lassander (L'Iguane à la langue de feu ; Un Hache pour la lune de miel ; Le Foto proibite di una signora per bene ...) plus belle et plus épanouie que jamais, trouve ici l'occasion de prouver qu'elle n'est pas seulement un joli minois ; Philippe Leroy (Cavani, Becker, Godard, Argento ..., une carrière aussi riche et joyeusement opportuniste que finalement peu connue du grand public) réussit à la perfection à déranger et à inquiéter tout en séduisant ...


Tous deux insufflent admirablement à leurs personnages la gamme contrastée (et pas toujours évidente) d'émotions imaginées par une intrigue jouant perpétuellement sur les archétypes, sur leur inversion et leur savant démantèlement.
A la fois bavard et "physique", futile et intello, le scénario, passablement casse-gueule, requérait un investissement total et un sens aigu de la mesure : les confrontations, les jeux pervers et les revirements incessants des personnages, cette histoire finalement un brin abracadabrante, trouvent toute leur dimension et leur légitimité grâce aux deux interprêtes également justes et très complémentaires.


Car l'entreprise s'avère en fin de compte toute métaphorique :
par delà leur histoire, Sayer et Maria incarnent surtout l'Homme et La Femme dans toutes leurs joyeuses différences.
Enumérant ainsi tous les poncifs, se faisant un moment profondément misogyne puis résolument féministe l'instant suivant, érotisant, humanisant et ridiculisant tour à tour l'un et l'autre des deux protagonistes, l'intrigue jongle avec les conventions, les fantasmes et les idées toutes faites.
Parfois un poil trop démonstrative et simpliste, l'oeuvre n'en demeure pas moins jubilatoire ; et le final (pas vraiment révolutionnaire mais sympathiquement logique) apporte la dernière touche à l'édifice, confirmant la dimension ludique et l'humour noir de ce qui s'avère à l'évidence une fable.

La trame peut se réduire à "rien" :
Un homme, profondément misogyne, croit cultiver sa haine des femmes par des jeux sadomasochistes les réduisant à l'état d'esclaves et d'objets ; faux tueur mais véritable "malade", il tombe malgré lui dans les filets de son alter-ego féminine (une "tombeuse" autrement plus virulente que lui-même !) et il en meurt !


L'habileté de "Femina ridens" tient dans l'imprévisibilité de son déroulement (même si, rétrospectivement, tout s'avère éminament logique) ; c'est ce traitement invoquant des registres toujours changeants et ironiques qui tient finalement en haleine.
Les rôles distribués à grands traits (celui du bourreau et celui de la victime, celui du maitre et celui de l'esclave, dominant et dominé, homme et femme ...) et conjugués sous les modes les plus divers (perversion, érotisme, fétichisme, bondage, voyeurisme, passion, romantisme ... et par le biais des mises en scène et des références les plus variées (Sade, la Bible, Nabokov, le roman-photo ...)) ne cesseront d'évoluer pour finalement s'intervertir.


Dès le départ, les personnages prennent position, s'expriment et agissent, allant même jusqu'à laisser entendre des drames et des horreurs (des meurtres, un suicide ...) ; tôt ou tard, tout sera résolument remis en cause, les prises de position compromises et oubliées, les apparences renvoyées à leur illusion ...







L'imprévisibilité et le mystère des personnages ménage son lot de surprises :
Cette séquence au cours de laquelle le bourreau contraint son esclave à faire l'amour avec une poupée à son effigie ;


Cet autre moment où, impérial, il lui ordonne d'oindre et de masser ses pieds ;


La danse plus que suggestive de Maria seulement vêtue d'une bande de gaze transparente ... ;


Cette mise en scène où Sayer la fait jouer une jeune pensionnaire, la caresse pendant qu'elle joue de l'harmonium ... mais finit par l'attacher brutalement à un billot, par lui couper sauvagement les cheveux ; l'issue dramatique de cette nouvelle humiliation ;


Le diaporama macabre et impressionnant projeté par le maniaque (des femmes nues et soumises (assassinées ?), figées dans des poses morbides, apparemment blessées, torturées à mort ...) ;


Cette séquence d'arrosage brutal (Maria malmenée au karcher !) immortalisée par une photographie triomphante (et cocasse !) ;


L'inversion comique des rapports de force : cette poursuite amoureuse où la belle se soustrait continuellement aux étreintes d'un Sayer de plus en plus excité et hagard ; cette fellation dans la voiture arrêtée à un passage à niveau tandis que le train passe, un train "musical" sur lequel le héro, béat, imagine un orchestre de donzelles jouant lascivement de la flute et de la trompette (!!!)... ; cette virée romantique (et toujours décalée !) dans un vieux chateau au bord de la mer ; la voiture-hors-bord à la James Bond ...


Je pourrais aisément continuer mon énumération tant chaque scène parvient à surprendre d'une façon ou d'une autre !

Le look outrancièrement pop et "arty" n'est pas étranger à la fascination exercée par cette oeuvre décidément à part.
Le soin extrême porté aux coloris, aux détails et aux décors, continuellement beaux et étonnants, dénote un raffinement certain et achève de singulariser les joutes perverses des deux protagonistes.
Une grosse moitié du film se déroule en huit-clos dans la déconcertante demeure du docteur, cette villa high-tech au design tout aussi épuré et évocateur que délirant, psychédélique ; une maison-fantasme, saturée de symboles, d'oeuvres d'art, de formes géométriques, aux espaces modulables presque indéfinis, pleine de caches et de mystères, dont les atmosphères perpétuellement changeantes paraissent épouser les humeurs, les rapports et l'évolution des deux personnages ...
Un huit-clos, donc, qui n'ennuie finalement jamais ! Par la grâce, l'humour et les audaces du scénario ; mais peut-être énormément aussi par les atouts formels de la mise en scène.
On n'oubliera pas de sitôt ce grand miroir sans tain constituant le mur d'un curieux salon seventies au motifs et aux décorations sidérants ni la permanence et la mobilité constante des cloisons de verre, de bois, de fer ..., la beauté et l'harmonie du moindre accessoire, cette piscine intérieure, l'épure toute scandinave de cette salle de bain (et de sport), les influences abstraites, japonisantes, futuristes ... des architectures et de l'ammeublement, cette insistance élégante de l'Art moderne qui confère à cette demeure incroyable l'aspect d'un musée contemporain ...


La maison-piège du docteur Sayer découvre progressivement toutes ses facettes contrastées, en même temps glaciale et cosy, spartiate et ultraconfortable, inquiétante et magnifique, tour à tour geole, folie de designer, espace de jeu, scène de théatre, bar lounge, cabinet des horreurs, sex shop, galerie d'art ou labyrinthe ...

Schivazappa exacerbe totalement son gout des formes et des architectures, et ceci dès le départ :


Le générique s'imprime sur les détails (alors encore incompréhensibles) d'une immense sculpture de Nikki de Saint-Phale.
Lui succèdent les splendeurs renaissance et baroques de la fondation de Sayer puis le bureau citadin de celui-ci dans lequel le mélange des genres annonce d'ors et déjà les surprises à venir (ces reproductions des vues microscopiques des virus des principales maladies épidémiques, grossies et encadrées comme des peintures abstraites ; cette collection de dagues anciennes ; un cheval de bois cotoyant le design hypermoderne de virines élaborées ...) ;



Cet appartement là encore sidérant, d'où la prostituée décommande le rendez-vous prévu (le lieu s'avère lui aussi superbe et spectaculaire : regorgeant de marbres, de matières et de miroirs, décoré d'objet et d'un mobilier convoquant les influences et les époques les plus diverses ...) ; l'intérieur psychédélique et immaculé du domicile tout aussi surprenant de Maria ...


Le luxe, le gout et la beauté priment continuellement avec une nonchalance et une ostentation forcément très réfléchies.
La fable s'épanouit dans un univers bourgeois, raffiné, presque irréel et possiblement vain ; mais cet univers se révèle finalement complètement "déréalisé", en dehors du monde et de la société, abstrait, comme les contes ne se nouaient après tout jamais qu'au sein de cours royales toutes symboliques !





(à suivre ...)