Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mardi 17 juin 2008

Michele Soavi 3 : La Secte



LA SECTE


Dans les années 70, un groupe de hippies est décimé par une secte satanique.
20 ans plus tard, en Allemagne, des meurtres et des suicides inexpliqués frappent à nouveau.
Myriam, une jeune institutrice, recueille un énigmatique vieil homme qu'elle a manqué écraser avec sa voiture.
Curieusement, le vieillard a l'air de connaître sa maison ; il insémine la jeune femme avec un insecte pendant son sommeil et exhume une pièce cachée et l'entrée d'un puit étrange au fond de la cave avant de mourir brutalement.
Les événements bizarres ne vont pas cesser pour autant, bien au contraire !
L'eau semble contaminée, une sorte de suaire se colle au visage des gens et les pousse au crime ou au suicide, jusqu'au lapin de Myriam qui parait lui aussi ensorcelé ...
La réalité éclate lors d'une nuit de pleine lune : la secte compte bon nombre d'adeptes dans les parages, leur cérémonie sanglante marque la résurrection de l'étrange vieillard, leur leader ; Myriam a été désignée comme celle qui sera engrossée par le Malin et qui donnera naissance à l'Elu.
Effectivement, l'insecte a pondu des larves dans le corps de la jeune femme, dévorées par une créature mi-homme mi-oiseau qui vient la posséder. Le puit de la cave peut alors se faire le lieu de l'accouchement de Myriam.
Résolue à contrecarrer les plans de la secte démoniaque, l'héroïne s'immole finalement avec son nouveau-né.
Lorsque les pompiers interviennent, Myriam est indemne ... Son fils l'a sauvée.


Prolongement étonnant et cauchemardesque de "Sanctuaire", "La Secte" exagère et détourne les motifs, les thèmes et les tics du film précédent pour aboutir à une oeuvre inclassable où la maitrise picturale et créatrice sert une intrigue dévolue à l'Etrange.
Les références digèrées à Argento et à Fulci parsèment un monde de symboles ; les obsessions mystiques et macabres se personnalisent encore pour s'allier en un lent et singulier récit.

Voyage onirique et bleuté, trip somnambulique, "La Secte" affine les qualités et les travers du cinéma de Soavi : un univers absolument spécifique, des images et des idées aussi troublantes qu'inédites ..., mais toujours également cette gravité, cette sécheresse de ton, cette raideur un brin ridicule et un schématisme des figures, une platitude des interprétations qui sapperaient presque la cohérence du projet !
L'harmonie et l'aboutissement auraient été complets si l'oeuvre avait revendiqué le rêve et l'abstraction narrative jusqu'au mutisme total d'une absence de paroles et de dialogues.

Quoiqu'il en soit et bien qu'imparfait et inégal, "La Secte" s'avère aussi désarçonnant et possiblement désagréable et ennuyeux que réellement gonflé et finalement passionnant !
A mon avis, l'alchimie, la "méthode" Soavi, trouve ici son expression la plus fidèle et la plus réussie.
Bien entendu, pour adhérer au projet, il faut en accepter les vides, les creux, les répétitions et les incohérences ...

Trait d'union immédiatement décelable avec "Sanctuaire", le film précédent, la religion imprègne l'oeuvre constamment.
Ici encore, c'est davantage un détournement, une dimension païenne, satanique, archaïque et barbare qui en est proposée.

Les mises à mort et les situations sont plus que jamais ritualisées et conditionnées par des forces ancestrales et occultes.
Et l'Occulte, justement, s'inscrit une fois de plus comme une réalité, partie intrinsèque du monde distribuée dans les représentations soulignées des éléments (l'eau, le feu ...), des animaux, des figures géométriques redondantes (le cercle), des couleurs et des objets magiques.

Et le corps, plus encore que l'esprit, se fait l'hote, le lieu, le médium de cette religion "autre".
Prédestinée puis insidieusement préparée à ce qui l'attend (rien moins qu'un accouplement et une naissance "sataniques"), Myriam hégerge sans le savoir, dans sa gorge, la nourriture de l'homme-oiseau qui viendra l'engrosser, tout comme sa maison abrite le puit maléfique où elle accouchera (qui n'est autre qu'une porte de l'Enfer !)
Et la peau brulante des visages sacrifiés finit arrachée par un jeu cruel de clés-hameçons, redonnant vie, chaleur et incarnation à ce qui paraissait mort.
Le corps, possédé, marqué (les tatouages et les peintures corporelles des hippies, les scarifications sur les poignets des adeptes ...), fouillé, malmené, ce corps dans lequel on introduit des choses (un insecte antique, des liquides (les gouttes du vieil homme, l'eau corrompue ...), des pointes, des lames ...) et duquel on en extirpe d'autres (un coeur, des larves, un enfant ...), continuellement baigné et conservé dans une eau dépourvue de pureté, comme dans un second liquide ammiotique, attend des renaissances et des réveils toujours possibles.



Après Bava et Argento (ici, à nouveau producteur), Michele Soavi propose sa réinterprétation des figures classiques de l'horreur dans des cauchemards complexes et déroutants où le spectre du giallo, l'Au-delà, l'onirisme et l'Apocalypse s'entrecroisent sans cesse en leitmotivs fascinants.


Le réalisateur connait ses classiques et la rhétorique du genre.
Le monde et la réalité sont forcément trompeurs, multiples et changeants et leurs transformations progressives s'alignent sur celles des personnages, des (anti)héros qui s'y agitent.
Les facettes, les strates, les niveaux se révèlent peu à peu ; chaque oeuvre et chaque histoire se faisant une sorte de parcours initiatique.
La surface plane des images cinématographiques s'acharne à explorer, à décrire, un univers infini de profondeurs (ici, celles d'une maison, d'une cave, d'un puit ancestral ; les profondeurs des corps (la caméra qui entre dans les narines de Myriam ...) ; les profondeurs des sommeils (de mort ?), celles du subconscient (les rêves) ...
La caméra scrute , pénètre et fouille les moindres lieux jusque dans leurs canalisations.

Et comme cet oeil de l'objectif coulant, glissant, s'insinuant au plus profond des choses, l'Eau et les liquides s'avèrent une fois encore omniprésents.



Le générique se découpe d'entrée sur les images de l'eau rougeâtre d'un lac ou d'une rivière ; un peu plus loin, le sang d'une victime vient tacher de rouge la blancheur d'une flaque de lait ; les protagonistes boivent régulièrement, mouillent leurs yeux de curieux sérums ... ; l'eau potable s'avère corrompue par des amibes bleutées ;



Les corps, vivants ou inanimés, flottent constamment dans des baignoires, des bassins, des ruisseaux, des égouts ... ; la caméra souligne les aquariums et les boules de verre remplies d'eau neigeuse qui décorent les intérieurs. Les caves recèlent des puits antiques ; les cercueils, eux-même, s'avèrent des caissons à l'intérieur desquels les débris humains sont conservés dans des liquides répugnants ; et la naissance aquatique de l'Elu, ne peut évidemment se dérouler qu'au fond du puit maléfique ...


Les brasiers du début et du final, les figures aériennes (éoliennes, pendentifs caballistiques, mobiles et colliers de plumes et d'argent qui enchâssent les arbres, les jardins et les bords de rivières ... ; le démon-oiseau, le canari de Moebius, la "cigogne" et l'aigle de la fin ...) et ces pitons rocheux, ces terres crevassées, l'humus des sous-bois ..., achèvent la célébration conjuguée et perpétuelle des forces élémentaires et d'une Nature dominant et régissant tout.

Ce que rejoint la présence constante et symbolique du monde animal.
Dès la première séquence, un serpent, tout droit sorti d'un jardin d'Eden dévasté, sourd entre les duvets ; les insectes dessinés sur les poitrines (papillon), sur les cahiers d'écoliers ou sur les murs d'un bureau (les dessins de madame Henry), introduits dans les corps, grouillant dans les lits, réactualisent une figuration diabolique immémoriale ("Le seigneur des mouches").


Le lapin blanc de Myriam, tout d'abord représenté immobile et pareil aux bibelots et jouets à son effigie collectionnés par l'héroïne, s'avère une version maléfique et toujours inquiétante du lapin d'Alice au pays des merveilles (une scène, aussi drôle que dérangeante, le montre occupé à zapper les programmes télévisés, s'arrêtant sur le canal qui diffuse le show d'un magicien (Soavi, lui-même !) qui fait sortir l'un de ses congénères de son chapeau ...) ;

Myriam fait dessiner des animaux à ses élèves qui arborent tous à la sortie de l'école des masques de papier maché aux allures de bêtes étranges et effrayantes ...
Les oiseaux, particulièrement, sont partout (plumes éparses, volantes ou tressées en pendentifs décoratifs ; canari ; vêtement de plumes de Moebius lors de la "messe noire" et de sa résurrection ; échassier au long bec qui se faufile sous la chemise de nuit de l'héroïne et déchire sa gorge avec son bec dans un rêve prémonitoire ; démon-oiseau qui vient lui faire l'amour et qui dévore les larves qui enflent son cou ; présence finale, supérieure et bienvaillante (?) du fils de Myriam sous l'aspect d'un rapace ....)
Hommes, "dieux" et animaux communiquent et s'unissent sans cesse et indiscutablement.

Et, comme les images récurentes du cercle et de la spirale (une éolienne tourbillonante, une grille en colimaçon, les cadrans des horloges et des pendules, le puit, la cave-crypte circulaire, la lune, les miroirs ...), le cercle rituel des adeptes rappelle les cercles familiaux et leurs multiples variations (groupe et familles des hippies ; famille de l'homme qui arrache le coeur d'une victime ; famille Henry ; famille de Frank, le jeune médecin ; classe de Myriam ...)


L'héroïne est orpheline à dessein : son destin la consacre à rejoindre la secte et à fonder la famille originelle d'un ordre nouveau ! Ses désirs de construction, de couple et de maternité seront exhaucés au-delà de ses espérances !


Tout a été prévu et mis en place, préparé depuis des lustres ; et le choix, la vie, la maison ... jusqu'au travail de Myriam, tout a été manigancé et installé pour le but ultime.
Une conspiration, donc, et la chute d'un ordre, d'un règne, pour l'avènement d'un autre !
Le soleil se couche, les croix sont arrachées, la lune elle-même s'éclipse ...

Soavi concocte des variations inédites sur cette trame rebattue.
Plusieurs séquences demeurent mémorables.
L'intrusion de Moebius dans la chambre de l'héroïne ; cet insecte qu'il lui inoccule et le rêve (prémonitoire) qui s'en suit :
Myriam cueille un bouquet dans un vaste champs de coquelicots ; des vagissements de nouveau-né l'alertent. Suivant les cris (et son lapin blanc) la jeune femme traverse un sous-bois avant de déboucher devant un arbre rutilant des éclats de pendentifs étranges ; un jeune homme nu est attaché en croix sur son tronc ; dans sa tentative pour le délivrer, Myriam se retrouve entravée à son tour, couchée dans l'herbe et offerte, abandonnée, à l'étreinte d'une chose qui vient ramper sous sa chemise de nuit comme à l'intérieur d'un conduit interminable et qui se révèle un oiseau qui lui picore et arrache méchament la gorge de son long bec ...
Belle et épouvantable, la scène s'avère une réussite.


Plus loin, une expédition éprouvante dans la morgue d'un hopital évoque conjointement le Dario Argento d' "Inferno" (la clé perdue dans l'eau, les cadavres ...) et le Lucio Fulci de "Frayeurs" (le côté nécrophile) ...


Le rituel des adeptes de la fameuse secte, réunis pour l'ultime célébration, se révèle, lui aussi, de toute beauté : cette femme sacrifiée dont le visage percé de hameçons est arraché d'un tour de main au son des incantations, sous les reflets de la pleine lune repercutés par des miroirs ...


Et la révélation finale :
Myriam, droguée, se réveille enfermée dans l'étrange salle de cérémonie au fond de sa cave ; l'oiseau (de son rêve : une grue, une cigogne ... ?) jaillit du puit ouvert ; comme il s'avance sur elle, son ombre devient celle d'un homme nu qui ne tarde pas à venir l'étreindre ; comme dans son cauchemard, Myriam, tout d'abord offerte et consentante, ouvre les yeux pour découvrir avec horreur l'oiseau qui perce et fouille de son long bec la poche de larves qui grossissait son cou ...


Plus délibérément fantastique et onirique que sanglante, l'oeuvre joue des cadrages déstabilisants, de la caméra subjective (notamment lors de la description du réseau incroyable des conduites d'eau de la maison, reliant la cave et le puit (le coeur) à tout le reste ... (nouveau rappel d' "Inferno" !)), des effêts de lumière, des ombres et des motifs.

Aux ocres, aux verts, au rouge et au blanc prédominants se subtilise peu à peu un bleu nocturne et irréel dont la déclinaison en palette nimbe et gagne bientôt tous les lieux et toutes les images ...



L'air est sans cesse figuré par des mouvements systématiques, des balancements et des flottements de particules, de feuilles, de pétales, de poussières ou de duvets ...

Les silhouettes se découpent régulièrement derrière des fenêtres, des vitrages, des ombres et des reflets ...


Les visages disparaissent, s'engloutissent sous l'eau (bleutée là encore) d'un bain ou d'un d'un puit, sous des serviettes, sous des masques (parfois atroces comme celui du visage arraché, "greffé" sur celui de Moebius), sous ce suaire diabolique (semblable à un masque lui aussi) ...



Soavi réussit à nous surprendre constamment, les événements s'enchainant comme des énigmes cruelles sans que nous sachions où il veut nous mener ...

Et les obsessions et les motifs phares se précisent dans cette troisième oeuvre :
L'image de ces croix qui tombent (déjà dans "Sanctuaire" et à nouveau dans les productions suivantes ("Dellamorte Dellamore" et "Arrivederci amore ciao"), le satanisme, les portes et les passages réouverts sur l'Enfer, le réveil des morts ("Sanctuaire" et "Dellamorte ..."), les hommes-oiseaux (Moebius ramené à la vie lors du rituel tout comme le démon-cigogne se font des rappels implicites du psychopathe de "Bloody Bird"), ces clés (réelles ou encore plus symboliques) recherchées, tenues, manipulées, qui ouvrent et ferment des serrures (dans toutes les oeuvres), ces demeures et ces lieux clos, piègés et corrompus (un théatre ("Bloody Bird"), une cathédrale ("Sanctuaire"), une maison isolée (ici), un cimetière et une petite ville littéralement coupée du monde ("Dellamorte ..."), une boite de nuit et un appartement ("Arrivederci ...") ...


Méprisé, raillé et globalement mal reçu à sa sortie, "la Secte" demeure un film incompris autant que mésestimé.
Dommage ! Sa distribution sur le marché de la VHS et du DVD via des jaquettes et des retitrages raccoleurs ("La Fille de Satan" pour la version U.S) n'aura pas davantage joué en sa faveur.
L'oeuvre mériterait réellement d'être réhabilitée, ne serait-ce que pour son envoutante étrangeté, sa personnalité indéniable et l'harmonie déroutante de sa mise en scène.
Michele Soavi recevra enfin la consécration et les honneurs de la critique pour sa réalisation suivante, le cynique et juvénile "Dellamorte dellamore".

Comme le dit l'adage "Mieux vaut tard que jamais ..."