Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 13 avril 2013

Masks / Suspiria, Argento, le Giallo : influences et descendance 3
























Après bien des auditions et des échecs, Stella, une jeune apprentie comédienne, intègre l'école de théatre Mateusz Gdula.
Elle découvre très vite le passé trouble de l'établissement dont l'enseignement autrefois extrême et sectaire défraya la chronique dans les années 70.
Mateusz Gdula est mort désormais et ne subsiste des horreurs passées qu'une aile désaffectée de l'école dans laquelle  nul n'a le droit d'entrer.
Pourtant surviennent des évènements étranges, le meurtre sauvage d'une élève, la disparition d'une autre ... tandis qu'une rumeur de plus en plus fondée sur la perpétuation d'une mystérieuse "Méthode Gdula" achève d'intriguer sérieusement Stella.
Et, finalement choisie pour suivre l'apprentissage hors norme de la Méthode, Stella s'y abandonne corps et âme, fouillant sans limites les tréfonds de sa psyché afin d'obtenir l'assise et le talent qui lui manquaient et découvrant du même coup les terrifiants secrets de l'école ...





L'affiche et ce titre lui-même : "Masks" s'avèrent finalement bien trompeurs car ce film ne ressemble en rien à une énième production horrifique lambda : il s'agit en fait d'un giallo pur et dur comme il ne nous avait pas été donné de voir depuis bien longtemps !
Passé un prologue court et plutôt réussi, le générique écarlate et sa mélodie lancinante nous propulsent tout de go 40 ans en arrière ! On croirait visionner un inédit exhumé de Sergio Martino ! Bonheur !








Puis le film commence et c'est Dario Argento et "Suspiria" qui s'impriment durant 20 minutes comme l'évidente référence ... La dernière partie évoquera pour sa part l' "Inferno" du même Argento ... Entre tous ces renvois plus qu'explicites, le réalisateur réussit tout de même à bâtir sa propre histoire et à élaborer quelque chose de personnel et d'inédit.
Bien sûr, la décalque voulue du début surprend pour sa gemellité quasi parfaite avec le must fluorescent du grand Dario : l'école de théatre remplace la Tanz Akadémie, la rencontre avec la première victime puis son meurtre gratiné modernisent fidèlement leurs modèles de "Suspiria" ... je m'amuserai au jeu détaillé des emprunts un peu plus loin.

















Il va sans dire qu'Andreas Marschall connait parfaitement les oeuvres d'Argento et qu'il les apprécie visiblement beaucoup ...
L'inspiration, le style, la musique, la cruauté graphique, les couleurs, les gimmicks ... tout y est ou presque, d'une manière certes plus dépouillée, plus appauvrie (le réalisateur, obligé d'autoproduire le film,  n'a bénéficié que d'un budget dérisoire au regard duquel le résultat s'affirme encore plus bluffant pour son indéniable qualité !)








Un vrai giallo donc ; ni un hommage ni une variation ou une mise en abyme ("Amer"), un giallo que l'on croirait presque de la grande époque si n'apparaissaient ça et là quelques signes des technologies de notre temps (ordinateur, téléphones portables ...) d'ailleurs souvent utilisés de manière habile et servant le suspens ou l'horreur de certaines séquences.








Et là encore rien ne manque : ni le tueur sadique et insaisissable, les couloirs inquiétants, les rideaux rouges opératiques, les lames aiguisées et  les meurtres épouvantables (mention ++ à un auto-égorgement à la paire de ciseau et à cette bouche hurlante plusieurs fois  traversée par la pointe d'un fleuret ...) ni les traumatismes, les ritournelles goblinesques, les gros plans significatifs, les ruptures de rythme maitrisées ou ce gout des fétiches et des atmosphères oniriques ...




















Récapitulons donc :  l'histoire débute comme un remake de "Suspiria", biffurque par "Inferno" ... pour s'achever sur "Les Vampires" de Bava et Fredda ... mais le réalisateur y insère de plus le thème du groupe occulte, déviant et sectaire qui forgeait déjà les bases de "Tears of Kali", son film précédent.
Le groupe et la méthode Taylor-Ericksson se voient ici remplacés par ceux de l'inquiétant Mateusz Gdula (prononcer "Guédoula").
On sent Andreas Marschall très inspiré (interessé ? concerné ?) par toutes ces idées et ces images de vogue pseudo New Age (toutes ces méthodes de retour sur soi, le rebirth ...), d'embrigadement sectaire, par ces figures de gourous et de visionnaires cinglés, de personnalités en souffrance, en recherche et en quête de sens (communauté baba aux thérapies tragiques dans l'Inde de "Tears of  Kali", groupe d'exploration extrême du réel et du "vrai" dans la création artistique ici ...)
Le trait (la charge ?) s'avère aussi appuyé, cliché et grotesque qu'atrocement photogénique.
La critique est certes grossière et dépourvue de nuances (et d'approfondissements) mais l'idée et les images fonctionnent ( ici les extraits glauquissimes d'un documentaire portant sur la fameuse "Méthode Gdula" où le granuleux de l'image, le montage saccadé et brutal et la bande-son pourrie ponctuée de hurlements ajoutent encore à l'horreur confuse du spectacle, des visages apathiques, extatiques ou convulsés et des expérimentations et des orgies sinistres et sanglantes ...) 
















   

Comme le faisait "Suspiria", "Masks" raconte finalement un parcours, une initiation, la métamorphose d'une jeune femme et sa découverte d'elle-même ( voir les "obligatoires" gros plans sur les papillons d'un mobile en clin d'oeil pictural et symbolique !)
Le personnage de Stella  est tout d'abord dépeint comme celui d'une jeune blondasse insignifiante dépourvue de profondeur et de talent (sa beauté saine et pulpeuse, son manque d'expérience et de recul et son apparente fragilité font qu'elle peine à être considérée et prise au sérieux). On perçoit en même temps derrière la naîveté et l'aspect influençable de la jeune femme, de la ténacité, un côté volontaire et du répondant (elle désire coûte que coûte devenir actrice, elle répond du tac au tac au garçon qui la nargue et au professeur aigri qui dénigre ses ambitions artistiques et en vient même aux mains avec une élève qui la persécute ...)










Bien évidemment, tout comme Suzy dans "Suspiria", sa personnalité  sans réel relief, son émotivité, sa solitude (elle est orpheline) et sa curiosité serviront l'intrigue et c'est par le regard, les impressions et les découvertes de cette héroïne que se construira l'histoire.
Manipulée malgré elle, Stella va succomber au charme maléfique de l'école, va tomber amoureuse de sa  camarade la plus énigmatique (elle en arrivera à rejeter son petit ami !) et  va explorer douloureusement sa mémoire et revivre un passé traumatique qu'elle occultait ... pour obtenir ce qu'elle désirait plus que tout : le talent et la reconnaissance. 
A cette découverte de soi correspond en parralèle celle du secret de l'école jusqu'à une ultime et violente confrontation finale aussi étonnante que logique !

















Bien sûr, on peut reprocher au réalisateur de brasser trop de thèmes et de références sans toujours les justifier ni les exploiter vraiment ( pèle-mèle et au risque de me répéter : les rouages et le "cahier des charges" du giallo, un peu de thriller, des emprunts aux mythes d'une épouvante finalement traditionnelle,  un questionnement sur le processus artistique, la condition de comédien ou la quête de notoriété, la conspiration, la manipulation et l'embrigadement dans des dérives sectaires, l'immortalité, un ancrage réaliste (et temporel (les années 70 puis 2010...)) et un traitement et des renversements purement fantastiques ...) 

Ces masques du titre fournissent  un exemple assez éloquent de cette manière, possiblement discutable, d'ouvrir des pistes qui ne mèneront pas à grand chose, de lancer des idées qui resteront imprécises.
Des masques, il y en a bien (cette séquence dans laquelle les élèves doivent s'en affubler et se laisser habiter par leur influence ; cette jeune femme masquée dans la discothèque ; le masque blanc du bras droit de Mateusz Gdula ou le visage crayeux et grimaçant de sa "créature" ;  cette allusion d'un témoin qui aurait aperçu une silhouette masquée lors du premier meurtre ...)  jusque dans les décors où la caméra en saisit ponctuellement, posés, pendus, inhabités et inquiétants ...
C'est certainement davantage pour leur portée symbolique qu'Andreas Marshall a finalement choisi de les mettre en avant (le titre de l'oeuvre et tous les rappels que je viens de souligner) d'une façon si inattendue et "incomplète" : masques d'une intrigue riche en révélations, en secrets, en surprises, masques des personnages qui ne s'avèrent evidemment pas toujours tels qu'on le supposait, masque séduisant et là aussi trompeur d'une fausse copie d'un chef d'oeuvre de l'horreur (Suspiria), masques de l'acteur, du comédien qui doit endosser d'autres personnalités, masques de notre "moi social", de la représentation de nous même que nous renvoyons aux autres (Stella apprendra ici à se démasquer, à mettre à nu le plus profond de son subconscient), masques de la mort (et des morts)...

























La peinture du milieu artistique et de l'apprentissage du métier de comédien s'avère  évidemment   plutôt schématique, gorgée de clichés et parfois assez ridicule (intransigeance et suffisance méprisante des professeurs, jalousie, rivalités,  mépris  et vanité assez globale des élèves, cours souvent indigents ou grotesques, méthodes  d'enseignement un brin datées  (dans le style action-theater ...) ...) et n'est pas forcément mise en relief par le jeu souvent approximatif des acteurs.
Pour l'anecdote, Marschall, contraint de jongler avec des impératifs budgétaires lui laissant une marge de manoeuvre limitée, a  ici investi les locaux d'une véritable école de théatre  pendant les vacances et enrôlé certains de ses apprentis comédiens ... Le résultat n'en gagne pas pour autant en impact ni en réalisme mais n'oublions pas que nous nous trouvons dans une fiction horrifique et puis, comme chez Argento d'ailleurs, les fautes de gout et le manque de justesse ne déservent pas l'équilibre de l'ensemble,  tout au contraire.
Le Giallo n'est-il pas l'univers du fantasme, de l'excès et de l'exacerbation du cliché ?

Dans "Suspiria" les élèves de l'école de danse affectaient les réactions, le caractère et le QI de fillettes de 10 ans, dans "Masks", plus brutaux, nombrilistes et sexués, les comédiens en herbe font songer à des adolescents.
Les professeurs,  pour leur part, renvoient dans les deux oeuvres ce  même mélange d'autorité et  de  mystère, une énigmatique et inquiétante manière de conjuguer compréhension et cruauté et de souffler le chaud et le froid sans réelle transition ...

















Réinterprétation fantastique et exagérée à l'extrême des méthodes d'enseignement théatrales les plus excessives, l'intrigante Méthode Gdula est d'abord définie comme une sorte de thérapie de choc prétendant extraire l'essence la plus véritable de celui qui accepte de s'y soumettre : à grand renfort d'isolement, de fragilisation, de drogue, de soumission et de sadisme elle met à nu tous les secrets et les traumas de sa victime, énonçant que le jeu (du comédien) c'est sa vie même, qu'il doit passer par le renoncement, l'affrontement, la torture, le marquage (ces lames entaillant les dos et les poitrines des jeunes inconscientes, ces ecchymoses rougeâtres ...) et finalement par une mise en scène de sa re-naissance pour enfin prétendre briller !
Un jeu éminament dangereux et dévastateur !
Tout cela nous renvoie bien sûr (à moindre échelle il va sans dire !) aux techniques quasi terroristes exercées par certains réalisateurs ou metteurs en scène connus ou aux excès médiatisés de certains comédiens dans l'apprentissage de leurs rôles mais fait surtout songer aux méthodes d'asservissement, d'intimidation et de manipulation utilisées dans l'armée ou l'espionnage auprès de prisonniers ou d'otages ...

Stella se soumet donc et accepte le prix à payer, ingurgitant des breuvages drogués qui la confrontent au souvenir d'une mère alcoolique et violente, acceptant les coups et les humiliations, donnant de sa sueur, de son intimité, de son innocence et de son sang, se retrouvant même enfermée dans un sac et pendue par les pieds ... et le résultat dépasse ses espérances : sur scène, elle irradie et éclipse tous ses partenaires ... 

Vampirisée, gouroutisée, "addict" et métamorphosée, elle ne doit son ultime réaction et remise en cause de la méthode qu'à l'intervention inattendue de son petit ami inquiet. Elle le repousse violemment mais en même temps commence à prendre conscience de  l'instrumentalisation dont elle est est l'objet .
La voie est libre pour que se manifeste sa volonté de mettre un terme à cet apprentissage trop destructeur, pour son évasion de l'aile désaffectée dans laquelle avaient lieu sa réclusion, les épreuves et les sinistres cérémonials et pour la révélation de la réalité beaucoup plus surprenante de la Méthode Gdula !





















Car ce que cache véritablement l'école et cette méthode offerte comme une récompense honorifique aux jeunes élues n'est bien entendu rien d'autre que la mort !
Les victimes de la Méthode Gdula servent la folie et la survie d'un groupe occulte et sanguinaire qui n'est pas mort à la fin des années 70 (pas plus que son odieux fondateur) comme le prétendait  la rumeur, mais qui continue, terré et insidieux, à assouvir ses besoins déviants, à se nourrir de la jeunesse, de la vie et des secrets enfouis de ses proies, à boire leur lumière, leur énergie et leur sang.
Sans révèler dans le détail les événements qui se précipitent au final, on peut tout de même lacher que Stella dans sa tentative d'évasion se retrouve en fin de compte face à Gdula lui-même et qu'elle découvre toute la manipulation dont elle a été l'innocente victime.
Le fin mot de l'histoire tenant dans le vampirisme et une immortalité maléfique contre laquelle on ne peut rien !










C'est donc en fin de compte de vampirisme que nous parlait depuis le début cet étrange et envoutant giallo !
Un vampirisme tout d'abord psychologique (la manipulation, l'influence, le conditionnement ...) amoureux ( le personnage de Cécile, l'élève étrange et envoutante, l'instrument malheureux du gang Gdula, qui introduit l'idée de la méthode et séduit (vampe) complètement Stella), artistique (la caution pédagogique : l'enseignement théatral ; l'art qui doit se nourrir de la vie ! cette beauté et ces mises en scène époustouflantes de la mort), voire (psycho)thérapeuthique ( se nourrir de l'esprit, des peurs et de l'inconscient de ses victimes, fouiller avec elles les tréfonds de leur esprit ...), un vampirisme enfin effectif et réel (l'atroce machine à boire le sang, l'immortalité ?)





















Les sorcières de "Suspiria" trouvent donc ici leur pendant fantastique : même confrèrie maléfique avec à sa tête une entité démoniaque (Mateusz Gdula versus Helena Markos ( deux noms aux consonnances slaves - deux êtres invisibles (jusqu'aux révélations finales) et pourtant constamment cités, sentis, présents dès le départ ... le vampire (et son double féminin et surnaturel) contre la reine des sorcières !)









Mais continuons donc avec ces parallèles flagrants entre les deux oeuvres :
Lors de son arrivée à l'école, Stella est spectatrice de la fuite affolée d'une jeune femme (tout comme Suzy surprenait celle de Pat Hingle), les deux histoires se déroulent dans des écoles dédiées à l'enseignement artistique (danse chez Argento, théatre ici), le meurtre inaugural adopte les mêmes éléments (la présence d'une collocataire qui tente de calmer l'affolée, l'utilisation subtile des décors, des couleurs et de la lumière et cette montée progressive dans l'angoisse et l'horreur, l'aspect mystérieux et presque surnaturel du tueur, ces yeux maléfiques grands ouverts dans l'obscurité, et finalement la mort des deux jeunes femmes...)



















Mêmes groupes de marâtres autoritaires et inquiétantes (les professeurs),  mêmes étranges souffles et râles ponctuant parfois la bande-son, jusqu' au choix d'un thème musical identiquement lancinant et hypnotique. Ces cadrages (emblématiques !) sur des souliers féminins marchant vers l'inconnu, cette lumière éblouissante qui vient agresser l'héroïne ( celle d'un spot dans Masks, celle d'un objet magique astiqué dans Suspiria), des asticots dans un peigne ou ici dans de vieilles brosses à dents, le vin ou l'eau ... : ces liquides drogués et absorbés (parfois de force !) 















Cette porte mystérieuse débouchant sur le repaire du Mal (ici moins dissimulée que chez Argento mais cependant interdite et close), ce même mélange de l'horreur et d'une certaine "féérie", le même soin dans l'élaboration des mises à mort souvent graphiques, spectaculaires et cruelles...










 

Et, en argentophile revendiqué, Marschall se permet des clins d'oeil plus ou moins appuyés à d'autres films de son génial inspirateur :
Ainsi cette répétition des conduits d'aération, la description de cette école vaste et labyrinthique et notamment de sa partie "cachée", les gros plans sur ces portes (dé)verrouillées, ce vieillard en fauteuil roulant ou même cette personnification grimaçante et quasi expressionniste de la Mort ... renvoient sans équivoque à Inferno.





















Les théatres rouges rappellent les premières minutes des "Frissons de l'angoisse", l'aspirateur passé sur le tapis ravive un moment surprenant du "Sang des innocents" (tout comme la silhouette aperçue par Stella à l'une des fenêtres du batiment désaffecté), la lame qui traverse la porte cite un passage de "L'oiseau au plumage de cristal", la boite à couture renversée et l'énorme paire de ciseaux sont pour "Phenomena", le mobile-papillons renvoie à "Trauma" quant au meurtre du journaliste (cette bouche hurlante sâlement pourfendue !) il cultive le souvenir d'une scène choc d' "Opéra" ...
Ma liste semblera certainement longue et fastidieuse (j'ai d'ailleurs certainement oublié des tas d'autres ressemblances !) mais je ne pouvais vraiment m'en empêcher ! 
















Et puis on ne songe pas uniquement à Dario Argento (même s'il s'avoue la référence revendiquée par Marschall lui-même) - L'esthétique, les idées et la mise en scène ravivent parfois par bribes les souvenirs de l'expressionnisme allemand ou même de l'horreur japonaise (les gros plans intrigants sur cet oeil et cette silhouette noire, les apparitions flash et spectrales ...) et  le générique minimaliste et néanmoins très chouette repompe Bava et Sergio Martino (revoir ceux d'"Eyeball" ou d'"Une hache pour la lune de miel" par exemple ... ) dans un enchainement très BD !

Bien !
Lourd de toutes ces références réjouissantes,  "Masks" risque tout de même par ma faute de vous décevoir au final ("C'était ça le style Bava ou Argento !!?")
Effectivement, son format et sa photographie n'égalent jamais réellement ceux des oeuvres qu'il recycle. Certains spectateurs lui reprocheront sans doute un look trop plat et presque télévisuel, avançant qu'il ne suffit pas de balancer trois éclairages barriolés, quelques cadrages ostentatoires ni de jouer avec des rideaux pourpres et de vieilles bâches en plastoc pour faire du Giallo-like ..!
A ces réfractaires, je rappelerai les écueils rencontrés par le réalisateur dans la conception de son film et le manque réel de moyens mis à sa disposition, et puis je conseillerai de revisionner les oeuvres et les styles au sein desquels Marschall a puisé si habilement (si ! si !) : superbes souvent, parfois bancales et imparfaites également !

Car c'est justement par son côté " fait avec les moyens du bord" que "Masks" emporte totalement la mise.
Ce couloir n'est pas suffisament interminable ? Ce décor est réutilisé vingt fois ? Ce batiment manque de cachet et de mystère ? Les fringues des acteurs sont décidément trop moches (revival années 80 !) et leur (anti) jeu empêche toute vélléité d'intéret et d'adhésion ? Faux !
A mon avis, tout fonctionne parfaitement bien, tout au contraire !
Andreas Marschall ne s'avère pas que cinéphile mais surtout un metteur en scène doué et très pro. !
Beaucoup de ses images séduisent l'oeil, le mariage des couleurs (combinaisons marquées entre le bleu et le rouge, le vert et l'orangé ...) certes volontairement assourdies et ténébreuses, se révèle très réussi ; même constation pour l'utilisation maligne  des gros plans figeant les regards, une goutte de sueur, des objets ou des détails, un souffle maléfique sur une nuque ou une mèche de cheveu, un gant noir qui s'avance ou la pointe d'une lame ...





















Les décors sont sublimés et grâce à l'emploi habile de l'éclairage et des accessoires, leur manque potentiel de richesse plastique (nous ne nous trouvons pas dans les halls d'immeubles ou les salles de bain ou de danse barriolés ou art déco de "Suspiria" !) est complètement oublié, le réalisateur réussissant à les rendre tour à tour angoissants ou fantastiques ...


















Et Giallo oblige, nous renouons avec bonheur avec cette focalisation sur l'oeil, la vision, comme mécanisme essentiel de la perception et de la quête ( vision réelle ou fantasmée, visions conjointes ou dissociées  du personnage, du spectateur ou du cinéaste, spectacle (du film lui-même ou des spectacles qu'il nous propose (sur la scène des théatres, sur l'écran d'un ordinateur, dans les rêves ou les mémoires de ses protagonistes ; spectacles attendus et forcément grandiloquents des crimes ...), photographies , reflet des miroirs, simulacres et supercheries, vérité et mensonge ... )
Le but ultime étant une fois encore de voir à tout prix ( voir ce qui se cache derrière cette porte, voir qui tue et pourquoi, voir au fond des autres (cet atelier au cours duquel les élèves doivent lire dans leur partenaire et le percer à jour), voir au fond de soi ...)



































A noter aussi l'utilisation mesurée et efficace d'une bande-son et d'un score musical contribuant pour une bonne part à l'efficacité de l'oeuvre : bruitages évocateurs, échos, fondus ou coupures brutales - ce thème rappelant aussi bien ceux, mémorables,  de "Suspiria" que de "La Queue du scorpion" ou des "Frissons de l'angoisse" (signé Sebastian Levermann du groupe Orden Organ)

un remix très (trop ?)long,  pour vous faire une idée ...

le thème principal : et d'autres moments encore ...  

 Parce que l'ouie participe bien sûr également à l'entreprise de manipulation (du spectateur, oui,  mais également des protagonistes de l'histoire) et aux jeux d'illusion et aux surprises réservés par l'intrigue (les enregistrements du journaliste -  les sonneries d'un portable tantôt malheureusement ignorées tantôt bien malvenues! -  des appels à l'aide trompeurs -  une conversation derrière un rideau, tout ce qu'il y a de plus factice (en fait, un enregistrement sur bande magnétique !) - le souvenir d'une chanson qui ravive un traumatisme - l'écho répercuté de talons au loin - ces conversations filtrées par les conduits d'aération ...)














Et puis qui dit Giallo sous-entend violence, perversité, crimes et sexualité.
On tue donc ici à coup de fleuret, de ciseaux, de poignard ou au moyen d'une surprenante pompe sanguine .... Les corps se retrouvent pendus par les pieds comme avant l'équarissage, enfermés dans des sacs de toile qui les font ressembler à des cocons. Les lames jaillissent, griffent amoureusement le cuir d'une veste, transpercent gorges, oreilles, bouches et têtes.
Le gore n'est pas vraiment de mise sauf peut-être pour le premier meurtre, et  le réalisateur mise davantage sur un montage habile, les décors et les éclairages que sur la débauche sanglante.
Cela ne nuit en rien à l'efficacité des séquences de mise à mort globalement très percutantes.





















L'érotisme, pour sa part, s'avère léger et  suggestif  ( les inmanquables baisers et rêves saphiques, la nudité photogénique et pudique de l'héroïne, le coït un peu hors de propos du petit copain avec la garce de service ...) mais la plastique malléable et lumineuse de l'actrice principale et la manière parfois très juste  adoptée par Marschall pour filmer les corps, la chair et figurer l'émoi, la géne, un état ou une sensation contribue totalement à une certaine sensualité.   


















Ne crions pas au miracle !
"Masks" se révèle bel et bien une très bonne surprise et non plus un hommage mais un vrai (et un très bon) giallo (les prix d'ailleurs remportés par le film peuvent en témoigner également ... (?)).
Andreas Marschall a su saisir l'essence et la mécanique du genre et l'amateur replongera grâce à lui  avec délice  dans le mélange d'horreur, de mystère, de beauté et de sophistication qu'il affectionnait tant.
A souligner de surcroit, que cette entreprise exprime constament  une modestie, un volontarisme et un amour du cinéma aussi indéniables que sympathiques.
Et comme je l'ai dit et démontré, rien ne manque ni ne pèche (de l'enfermement progressif dans un univers clos et évidement trouble, des coups de lames photogéniques, des énigmes et des chausse-trappes aux personnages symboles et à l'intrigue prétexte à une nouvelle expérience d'envoutement collectif ...)
Car, après tout, qu'est-ce qu'un bon giallo si ce n'est cela : un voyage sensoriel, une dégénération, une réinterprétation  fantasque et perverse des codes et des clichés malaxés du thriller et du fantastique ?
En tout cela, le film réussit haut la main ce que d'autres n'avaient fait ces temps derniers qu'effleurer ou singer.

Malgré tout, malgré son histoire qui prend l'heureuse initiative de feindre le plagiat pour mieux surprendre ensuite, "Masks" peine cependant à dépasser ses trop illustres références et à voler réellement de ses propres ailes !
Plus que l'intrigue elle-même, trop dispersée et comme bouffée par un trop plein d'envies et d'influences, c'est l'atmosphère et les équilibrages réussis de la mise en scène qui crééent véritablement l'engouement.
On a effectivement l'impression que le cinéaste, trop excité par son désir de faire (et de se faire) plaisir, a quelque peu négligé un scénario finalement  lache, quelque peu brouillon et presque convenu !
On est quand même bien loin des manipulations et de l'intelligence retors d'un must tel que "Les Frissons de l'angoisse" par exemple !
C'est donc en cela que "Masks" ne réussit jamais à dépasser le statut d'un bon film de genre :
Giallo ? Indéniablement ! Mais finalement sans plus d'enjeux que celui de la distraction et de la confirmation du come-back assumé, talentueux et jouissif d'un genre que l'on aurait pu croire enterré (ce qui n'est tout de même pas si mal !).

Le connaisseur ne sera pas vraiment dupe !
Pour le novice, "Masks" devrait être l'occasion de redécouvrir les perles vénéneuses de l'age d'or giallesque.
A ceux là, je conseille de visionner sans réserve le film de Marschall mais surtout de courir voir toutes les autres oeuvres mentionnées au cours de mon article. 
Quoiqu'il en soit et malgré ses imperfections et son humilité (plus que respectable !), le film mérite bien des éloges : de la belle ouvrage !