Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

vendredi 28 janvier 2011

Deliziosi Gialli 18 : Death walks at midnight / La Morte accarezza a mezzanotte


DEATH WALKS AT MIDNIGHT




Valentina, jeune mannequin à succès, accepte de se faire le cobaye de l'expérimentation d'une toute nouvelle drogue, le HDS ; c'est son ami Gio, journaleux avide de scoops, qui a organisé l'évènement ...
Mais l'expérience a des répercutions inattendues. Tout d'abord déconnectée et hilare, la jeune femme se voit soudainement assaillie par la vision d'un meurtre épouvantable : un homme qui massacre une malheureuse au moyen d'un horrible poing de fer serti de piques !
Cerise sur le gateau, Gio n'a bien entendu pas respecté sa promesse quant à la conservation de l'anonymat de la vedette et le lendemain matin, les photos et le descriptif de l'expérience font la une de son journal à sensation !
Valentina est desservie par cette publicité tapageuse d'autant que le meurtrier de son hallucination s'avère on ne peut plus réel  et qu'elle semble désormais programmée comme sa prochaine victime ! 
Menacée et impliquée malgré elle dans des rencontres et des mésaventures dont la systématique absence de preuves la font passer pour une mythomane, l'héroine finit tout de même par convaincre la Police : Valentina n'a pas rêvé, l'assassinat dont elle a été témoin a effectivement été commis ... L'ennui, c'est que ce meurtre se serait produit six mois auparavant et que ni le tueur, désormais enfermé dans un asile, ni la victime ne correspondent à ceux que Valentina prétend avoir vu !
Le cauchemar ne fait que débuter ...






Une jeune femme complètement désinhibée par l'injection d'une drogue de synthèse commence à délirer joyeusement alors que son ami journaliste la mitraille et l'enregistre. Faux jeton, il a enfreint les règles de leur contrat et profité de l'état second de la belle pour retirer le masque qui devait proteger son identé (fameux modèle, Valentina est en effêt une habituée des tabloïds ...)
Se pressant en divaguant contre les baies vitrées de son appartement, le mannequin voit soudain tout autre chose : un homme inquiétant face à une jeune fille visiblement pétrifiée de peur.
Délire, hallucination, spectacle réel ou rémiscence ? On ignore totalement si l'on se trouve dans l'esprit confus ou dans la réalité du regard de l'involontaire "spectatrice" ...
Et la vision continue : l'homme brandit un curieux et horrible gant de fer, une sorte de poing américain moyen-ageux hérissé de pointes, et il en charcute méchamment le visage de sa victime ! Un sang vermillon comme de la gouache vient éclabousser les  lunettes du maniaque.
Valentina horrifiée se jette sur son lit, essayant en vain de chasser ces images abominables : l'expérience semble avoir tourné au pire bad-trip !













Troisième rendez-vous de Luciano Ercoli avec le giallo, ce "Death walks at midnight" (akka "La Morte accarezza a mezzanote", titre finalement passe-partout et davantage lié à une filiation volontaire avec le film précédent ("Death walks on high heels")), débute sur les chapeaux de roue et vraiment brillamment !
Comme souvent chez son réalisateur, l'introduction est vive et intrigante (le test "en live" d'une substance illicite par une starlette !) et elle amène immédiatement une sorte de sympathique convivialité avec les personnages.
Evidemment ceux-ci ne nous sont pas inconnus puisque le cinéaste a une nouvelle fois convoqué le "clan" désormais familier (Susan Scott, Simon Andreu, Claudie Lange, Carlo Gentili, Luciano Rossi ...)
A l'écriture, semblablement,  l'incontournable Ernesto Gastaldi s'empare d'un sujet du non moins emblématique Sergio Corbucci pour concocter ce fleuron du cinéma de genre !

Effectivement Ercoli surjoue, ici peut-être encore plus que de coutume, les codes et les processus du thriller ; et cela avec tout le talent et l'humour qu'on lui connaissait déjà : l'intrigue est savamment tarabiscotée, regorgeant de fausses pistes et de clins d'oeil, les personnages s'avèrent toujours aussi décalés et attachants ... et on a bien du mal à soupçonner ce que nous réservait un final riche en action et en rebondissements !




Et, une fois n'est pas coutume, la résolution du mystère s'avère plutôt plausible et nettement moins tirée par les cheveux que dans la majorité des gialli.
Point de trauma rebattu ni d'inconsistantes fantasmagories, ici tout se tient et les pièces embrouillées du puzzle s'assemblent finalement logiquement autour d'un sombre traffic de drogue.








Les puristes avanceront sans doute qu'Ercoli joue toujours bien davantage avec les codes du polar, que cette oeuvre, comme les deux précédentes, convoque bien trop d'humour et de légèreté, que l'on ne retrouve guère les éclats pervers, sadiques et quasi-fantastiques du véritable giallo, bref ...
Comme Sergio Martino, le cinéaste a su saisir l'essence avant tout populaire et fondamentalement peu sérieuse du genre, il dédramatise, désacralise les poses ailleurs mécaniques ... Et, c'est vrai, plus peut-être que l'angoisse (et l'horreur), l'humour se révèle constant !
A ce sujet, "Death walks at midnight" (ce titre lui-même ne sonne-t-il pas comme une boutade ?) exacerbe encore la ligne irrévérencieuse déjà esquissée dans les deux précédents films : on frôle constamment l'exagération, le too-much, le pastiche.
Le réalisateur parait avoir multiplié à dessein les personnages (au risque d'en réduire certains au statut de silhouette et de prétexte !), les péripéties tout comme les bavardages, les incongruités et les hasards téléphonés ...
Les protagonistes savoureusement typés révèlent des singularités presque systématiques (au top le tueur blond lanceur de couteaux au ricanement de hyène !) ; malicieusement dessinés à coups de gimmicks, d'accessoires emblématiques et référentiels (chevelure ou coiffure des femmes, grosses lunettes et look mi-"Un tueur dans la ville" mi-Michou de l'assassin, cigarettes de Gio, moto de Stefano, handicap du professeur, paleur zombiesque d'untel, sifflements récurents d'un autre ...) ils confortent l'esprit volontairement loufoque et acidulé du film.








Une sorte de folie douce imprègne le récit et jusqu'au final (pour le coups étonnament sérieux et logique !) tout semble frôler un joyeux n'importe quoi (à ce titre, les séquences enchainées de la visite d'un hopital psychiatrique où Valentina est agressée par les malades puis celle de la tentative de viol de son "sauveteur", les scènes avec les policiers ou celles de la boite de nuit (le "salon de l'after" dans lequel les clients affalés se pelotent et se passent des pétards !!!) jouent ouvertement la carte de la comédie.) 




  
Le jeu volontairement appuyé des  comédiens inscrit une connivence implicite avec le spectateur : tout cela n'est décidément pas sérieux !
Pourtant Ercoli manie ici encore les obligations et les rouages et les clichés du genre avec un respect et un brio indéniables :
Les mésaventures de l'héroîne s'enchainent à un rythme soutenu ; inévitablement elle se heurte constamment à l'incompréhension et au doute de son entourage et ne doit compter que sur sa ténacité et son propre courage ; les tueurs sont patibulaires, le sang écarlate (un cadavre écrasé, tombé d'un toit, arbore même une belle cervelle répandue !) ; "méchants" et "gentils" semblent pouvoir s'interchanger  suivant la recette éprouvée et les figures suspectes fourmillent tout comme les pistes qui ne mènent à rien ; la Police, quant à elle, parait évidemment s'ingénier à persister dans l'inefficacité et l'incompétence ...









Et la thématique "obligée" du regard, conjuguée sur tous les modes (direct, indirect, d'un point de vue narratif, plastique, cinématographique ...) et par le biais de multiples ficelles et via les supports et les accessoires les plus divers (flashs et fash-back, visions, gros plans, lunettes, photos, miroirs ...) célèbre impeccablement les aspects toujours spectaculaires, perceptifs et visuels de la machinerie giallesque.








Ercoli utilise plus que jamais les vitrages, les reflets et les cloisons pour une mise en scène qui joue constamment (et ici encore classiquement) sur la vue et la cécité, l'enfermement et l'ouverture ...










Professionnelle, rôdée, fluide et  décontractée, la direction du réalisateur s'avère encore une fois irréprochable.
Des détails à priori anodins confirment cependant toute la maitrise de ce qui semble ici toujours si lèger (les trois personnages féminins ont un prénom débutant par la même lettre (Valentina, Veruschka,Veronica) ; le motif du trou (dans les visages, les vitres, les portes ...) revient sans cesse, jusque dans les sculptures alvéolées réalisées par Stefano ... ;




Pareillement, aux répétitions  et aux parallélismes voulus (les séquences fonctionnent souvent par paires et comme "en miroir" (dans la boite de nuit, au commissariat, chez Stefano, dans un café, dans l'appartement en vis à vis ... etc ...)) vient s'ajouter une récurence du chiffre 2 (Valentina a 2 prétendants, Stefano a 2 enfants ; le duo des tueurs, les deux meurtres identiques, les deux amis musiciens,  les 2 filles confondues ...) ...)








Et comme de coutume chez Luciano Ercoli, la finition artistique, le soin porté aux couleurs (ici une gamme chromatique jouant continuellement sur les jaunes, les bruns et les ocres ) aux détails, à la musique (cette fois Gianni Ferrio) parachèvent l'allure et la réussite de l'ensemble.













Variation feuilletonnesque et latine d'un "Fenêtre sur cour"  déjanté, ce "Death walks at midnight" perfectionne et entérine encore la formule ercolienne : de l'action, du suspens, un zeste de violence et beaucoup  d'humour et de dérision.















Condensé de cinéma-bis haut de gamme, on y trouve pèle-mèle des poursuites et des tentatives de meurtre haletantes, un assassinat bien graphique, de la baston à l'ancienne (un long règlement de compte final sur les toits de Milan),  de chouettes décors de studio (l'immeuble et l'appartement de Valentina (on pense aux terrasses madrilènes de Pedro Almodovar)) et des extérieurs bien choisis (l'asile, le cimetière, la villa de Veruschka, le quartier de Stefano ...), un gant de fer meurtrier tout droit sorti de "6 femmes pour l'assassin", un cadavre de chat, des perruques très stylées, un gay stéréotypé, des jumeaux asiatiques, des aliènés à la libido menaçante et des trognes peu recommandables à gogo ...







Susan Scott laisse enfin tomber les rôles de séductrice ; sa Valentina au caractère bien trempé confirme ici toute sa vigueur et son talent pour la comédie.
Le couple désormais familier qu'elle forme avec l'amène Simon Andreu ne manque décidément pas de charisme !
Belle, blondie, échevelée et increvable, elle nous mène au pas de course dans cette folle et plaisante comédie giallesque.





Et si Ercoli l'avait copieusement déshabillée dans son précédent opus, ici plus le moindre téton à l'horizon !
L'atmosphère se fait plus volontiers rocambolesque  et aventureuse que glamour ; L'inspiration s'avère plus noire, plus urbaine ... 
Les couples sont défaits (celui que Valentina a autrefois formé avec le ténèbreux Stefano, celui de Veruschka et du professeur ...), lassés ou "autres" (le duo des tueurs ; celui de Valentina et Gio (certains détails peuvent laisser penser qu'ils se connaissent déjà intimement sans vivre l'un avec l'autre et se devoir rien ...)) et les rapprochements finalement très interessés n'ont plus rien de romantique.
Les personnages sont figés dans leur célibat, leur "solitude", une liberté qui rejoint les thèmes ébauchés de la drogue et de l'alcoolisme (sérieux penchant pour la bouteille de Stefano ; test et injection de la drogue hallucinogène en intro. ; échanges de joints dans l'arrière salle du club ; allure de junkie de Pepito ; révélation finale du traffic de came ...)
Un fond en somme plutôt sombre et corrosif que l'on ne perçoit pas au premier abord étant donnée l'ambiance ludique et volontairement peu sérieuse du mètrage ...

Comme d'habitude avec Ercoli (et d'une manière,ici,  peut-être même plus flagrante et plus aboutie encore) le décalage est roi.
L'oeuvre se fait une nouvelle fois l'habile célébration des clichés giallesques en même temps que leur distorsion, leur réinterprétation fantasque et finalement cocasse ! Le cinéaste excelle en la matière : détourner les conventions du genre tout en les respectant à la lettre.






Ainsi le tueur est désigné dès le départ (coupant cours, à priori, aux habituels et nébuleux mystères jouant sur son identification) ; de la même manière il se révèle aussi effrayant (mutique et impassible) que possiblement ridicule ; le sempiternel couple de héros n'en est pas vraiment un (et l'irruption de Stefano (le "deuxième homme") balaie et contrecarre les hypothèses romanesques) ; les bourreaux et les victimes ne tardent pas à se multiplier pour finalement parfois échanger carrément leurs rôles ...
Et bien qu'en toute décontraction, le réalisateur réussit  si parfaitement à mélanger l'essentiel et le supperflu, à nous assèner des informations contradictoires pour au final totalement "noyer le poisson", que l'on ne sait plus sur quel pied danser et que la solution nous cueille et nous surprend sans qu'on l'ait vue venir !

 Davantage encore que dans les deux gialli précédents Ercoli mixe avec brio les inspirations les plus opposées passant d'un meurtre sanglant à une scène de vaudeville, transformant une clinique psychiatrique en chateau de zombies priapiques, caricaturant parfois à l'excès certains traits et situations ou faisant apparaître au contraire des silhouettes intrigantes et presque fantômatiques, au point d'en sembler irréelles (les acteurs du meurtre initial, Pepito, Veruschka ...), réservant pour le hors-champ et un flash-back hâtif toute une galerie de personnages aussi essentiels que totalement indéfinis (les victimes des meurtres au gant de fer, le malheureux inculpé à tort ...)





La rupture de ton et l'ellipse maniées assez judicieusement ménagent l'intéret et la surprise.
Et si le rythme s'avère soutenu, il n'en demeure pas moins trompeur : Luciano Ercoli est roublard et manipulateur, il se plait à s'attarder sur des détails et à sublimer l'accessoire tandis que l'information cruciale passera en catimini, l'air de rien, au cours d'un dialogue ou d'un raccourci !

"Death walks at midnight" sublime et exagère donc les tics et le savoir-faire de son auteur, pour notre plus grand plaisir ...
L'artifice s'érige en principe et l'ironie y participe à coups de grands clin d'oeil.
Décomplexée, joyeuse, bricolée mais rutilante, modeste et cependant mémorable, cette BD pop et pimpante assied définitivement le talent et la réputation de son auteur  : le maitre incontesté du giallo narquois !