Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 29 novembre 2009

Poupées atroces 4 : Dolls



DOLLS







Judy part en vacances avec son père et son atroce belle-mère.
Inexplicablement, la famille perd son chemin tandis qu'un orage aussi soudain que violent les immobilise. Pour parachever le tout, la voiture s'embourbe et il n'est plus question de redémarrer !
Un manoir isolé apparaît comme seul et idéal refuge ; ses occupants, un couple d'étranges retraités, recueille finalement les malheureux. Gabriel, le vieux propriétaire, ne tarde pas à révèler son extraordinaire passion : il est fabricant de poupées ; et l'inquiétante demeure en regorge !
Bientôt rejoints par d'autres égarés, un automobiliste et deux jeunes auto-stoppeuses, tous ignorent qu'ils sont finalement tombés dans un lieu réellement hors du commun.
En effêt, les jouets s'avèrent rapidement vivants et les poupées ne supportent pas les travers de l'âme humaine : les mesquineries, la malhonneteté, le matérialisme et la brutalité des hommes ne peuvent demeurer impunis !
Ainsi, les adultes, pratiquement tous vils et coupables, afficheront immanquablement leur bassesse et ne tarderont pas à connaître le jugement aussi cruel que définitif des jouets infernaux ...




Après le Grand guignol désopilant et l'hommage trash à Lovecraft de "Réanimator", Stuart Gordon revisite le conte à sa manière.
Effectivement, "Dolls" combine à priori les leitmotivs les plus courants du merveilleux enfantin : l'enfant héro, les jouets vivants, Punch et Judy, la méchante marâtre, la maison-refuge, magie et transformations ... Et, bien que résolument destinée à un public adulte et riche en images choc, l'oeuvre demeure malgré tout foncièrement fidèle à ce registre.


Bien sûr, avec Gordon et la production de Richard Band et de Brian Yuzna, le résultat ne pouvait qu'être décalé et outrancier, mais, là encore, les excès, finalement canalisés, s'inscrivent complètement dans un contexte ouvertement naïf et fantastique surligné par l'argument simpliste, l'action resserrée temporellement sur une unique nuit et par les réjouissants effêts d'animation de ces fameuses poupées ravivant illico les souvenirs du cinéma "de papa" et de Ray Harryhausen ...
Un conte, donc ; noir et grotesque juste ce qu'il faut.

Et, sans s'avèrer un chef-d'oeuvre cinématographique (ce dont le réalisateur se contrefiche) "Dolls" se révèle au final une belle réussite.





La trame finalement très classique joue sur les motifs conjugués de la maison-piège et de l'innocence (enfantine) opposée à la veulerie des adultes ; évidemment, c'est la foi en la part merveilleuse et surnaturelle du monde qui triomphera !
Rien de foncièrement neuf , mais le réalisateur joue volontairement la carte d'un manicchéisme ici totalement approprié.
Ses personnages ridicules ne suscitent qu'antipathie ou agacement : le père de Judy continuellement pittoyable et injuste, la belle-mère (idéalement incarnée par Carolyn Purdy-Gordon, l'épouse du cinéaste) sans coeur et détestable, les deux auto-stoppeuses vulgaires, mesquines et ingrates ...


Ce couple d'octogénaires ouvertement intrigant et en fin de compte machiavélique ...



Même les "héros" (Judy et Ralph) énervent passablement : on a bien souvent envie de tirer les couettes de la gamine et il est fort dommage que les poupées ne lui bouclent jamais son clapet, quant à son compagnon, énième variation autour de la figure du gros nounours au coeur tendre, il manque copieusement de charisme et d'humour.


Le happy-end ne rachète même pas ces "fautes de gout" ! Ralph et Judy, finalement persuadés que tout n'était qu'un rêve, acceptent les explications et les mensonges abracabrants du couple de vieillards et repartent sains et saufs (en n'oubliant pas de promettre de revenir !) Les "méchants" ont idéalement disparu sans que cela les interpelle le moins du monde, et Judy va jusqu'à sous-entendre que Ralph (qui la ramène chez sa mère) ne manquera pas de plaire à celle-ci (il deviendra inévitablement son beau-père !) Là encore, les raccourcis et l'anti-réalisme du conte sont-ils égrennés jusqu'au bout !


Mais, après tout, ces figures peu passionnantes ne servent que de prétexte ; le titre à lui seul annonçait la couleur et la finalité du projet : ce sont les poupées qui comptent ; et comme le sort ultime des personnages, révèlé in-fine, était de devenir poupées à leur tour, il semble après coups presque logique qu'ils n'aient affiché jusque là que les comportements et les poses sans nuance de leur nature finale de marionnette ...


Les êtres assument sans le savoir tout le grotesque d'une humanité dépourvue d'âme et uniquement dévolue à des pulsions aussi viles que désordonnées et ce sont désormais les poupées qui représentent toutes les valeurs qu'ils baffouent sans vergogne, la justice, la fraternité, l'entraide ...

Au fur et à mesure du film et des événements, les protagonistes arborent de plus en plus concrètement tout l'artifice de leur (in)humanité : ainsi, Isabel, la punkette voleuse devient une poupée géante et muette qui perd ses yeux de verre ;

Le père de Judy se transforme en polichinelle et tous terminent en modèles réduits, alignés sur le bord d'une cheminée ! Inversement, lorsque les poupées vengeresses sont tuées, il arrive que leur visage fracassé révèle des tissus et des squelettes secoués des spasmes de leur agonie : sous la cellulose et la porcelaine frémit une vie bien réelle !



Les poupées parlent (Punch), sautent, mordent, attaquent, frappent, tranchent, trainent ..., agissant sans relâche (même en "pièces détachées", tels ces bras de plastique remplissant une corbeille dans l'atelier de Gabriel qui s'agitent sous les yeux médusés de Ralph et de Judy) , alors que les protagonistes s'avèrent constamment immobilisés (panne de voiture, chambres, lits et sommeil (de mort !) ...)



Les séquences attendues dans lesquelles interviennent les jouets jouent la carte de la progression : lors du meurtre de la voleuse les poupées ne sont pas encore montrées en mouvement, on les voit seulement massées de plus en plus nombreuses sur le linteau d'une cheminée, menaçantes ; une boite à musique sinistre à l'intérieur de laquelle un squelette danse à la place d'une ballerine et sans cesse mystérieusement remise en marche, rythme leurs apparitions puis leur disparition. Lorsque Isabel sera entravée et sa tête écrasée contre un mur, on entendra seulement les ricanements de ses petits agresseurs.





C'est pendant les deux scènes assez proches du grenier que les poupées seront véritablement révèlées dans toute leur joyeuse et atroce réalité.





La scène du meurtre de la seconde autostoppeuse puis celle de Rosemary, la belle-mère, surprise dans son lit, géniales toutes deux, amènent au réjouissant jugement de Ralph (les poupées tout d'abord rendues vindicatives par l'agressivité de celui-ci acceptent de réviser leur opinion) ...





Par contre, si le duel final entre le père de Judy et un polichinelle plus que déterminé conserve le même ton mi-merveilleux mi-horrifique plein d'humour noir, sa chute et la transformation punitive de ce père en poupée peine à éviter les maladresses.



Pas si grave en regard de tout le reste et même si on aurait aimé en (a)voir encore davantage !

Le film avance le motif du rêve à plusieurs reprises : Dès le début, lorsque Rosemary arrache sa peluche à l'enfant et qu'elle la jette dans les fourrés, et que Judy imagine que le jouet se transforme en un ours géant rapidement monstrueux et vindicatif qui zigouille allègrement ses parents ; les visions et les sentiments (réels et avèrés) de Judy dès qu'elle a pénètré dans le manoir (ces petites silhouettes entraperçues, ces rires et ces chuchotis qu'elle perçoit sans cesse ...) sont systématiquement méprisés par les adultes et mis sur le compte du tempérament imaginatif et rêveur de la petite fille ; Gabriel et sa femme persuadent Ralph et Judy que ce qu'ils pensent avoir vu et vécu (la révolte des poupées, leurs crimes, l'irruption puis le châtiment du père ...) n'étaient que cauchemard.



Et, rétrospectivement, quand bien même le réalisateur ne choisit-il pas vraisemblablement cette option, on pourrait n'envisager toute l'histoire que par le prisme du regard et des attentes de l'héroïne enfantine, concevoir que tout ceci n'était finalement qu'un rêve dans lequel les seuls amis et appuis d'une fillette (les jouets) intervenaient pour remodeler son univers selon ses désirs (un nouveau père beaucoup plus compréhensif et proche d'elle (Ralph) et plus de belle-mère).

Ainsi tout se déroule finalement comme lors de la séquence inaugurale de la peluche monstrueuse et vengeresse : les jouets punissent ceux qui ont trompé ou maltraité Judy et ses amis (au nombre desquels on peut compter les vieillards, l'ours en peluche, Punch et les poupées ...) et épargnent celui qu'elle s'est choisi comme père de substitution.


Le conte d'Hansel et Gretel lu par la fillette s'avérait prémonitoire : les personnages perdent leur chemin, aterrissent dans la maison d'un couple de "sorciers" dont les sucreries alléchantes se voient dorénavant remplacées par des ribambelles de jouets ... ; mais, comme, une fois de plus, tout a été réinterprété du point de vue de l'enfant, ce n'est plus elle la victime, mais désormais ses parents indignes !


La cécité de ces adultes qui ne croient plus au merveilleux, qui lui préfèrent un matérialisme aussi trivial qu'appuyé (le père, probablement interessé, s'est remarié avec une mégère richissime ; cette marâtre habituée au luxe ne cesse de fustiger l'inconfort et la vétusté du manoir ; les auto-stoppeuses affichent rapidement leur vénalité et ne songent qu'à cambrioler leurs hôtes ...), cet aveuglement forcené qui refuse l'évidence (en dépis des événements de plus en plus inexplicables, le père de Judy, borné, persiste à nier et à gronder les "élucubrations" de sa fille ...), cette incapacité, cette obstination à ne pas voir (ce que les "innocents" perçoivent immédiatement) se trouve encore soulignée par la récurrence des motifs liés à l'oeil et à la vue (ou à leur empèchement) : amas d'yeux de verre, orbites creuses d'Isabel, oeil exorbité du cadavre de Rosemary, regard blanc et vitreux du père transformé en marionnette, apparitions/disparitions de traces sanglantes ou de rangs de poupées ...

Et, tout du long, les adultes stupides et fermés ignorent ce que la gamine saisit dès le départ : la présence vivante et sensible de tous ces petits êtres fantastiques, de tous ces jouets animés. Pareillement, ils ne remarquent jamais le détail primordial (ou alors bien trop tard !) : le père ne voit pas cette tache sanglante qui s'étend sur le drap blanc recouvrant la dépouille de Rosemary (qu'il pense endormie !) ; l'affreuse belle-mère, cernée par les poupées, croit les éviter en prenant son élan pour sauter par dessus elles ; elle n'a auparavant ni calculé ni même vu la fenêtre devant laquelle l'attendaient les jouets : dans sa précipitation elle la traverse et va s'écraser en contrebas. Les pupilles artificielles des poupées inquiétantes roulent, clignent et surveillent constamment ; rien ne leur échappe ! Alors que celles des hommes, malvoyantes, ne tardent pas à se figer tour à tour dans un sommeil de mort !


Hasard amusant, Hilary, l'altière et énigmatique vieille hôtesse est interprétée par Hilary Mason dont on se rappelle la composition d'aveugle médium dans le déroutant "Ne vous retournez pas" de Nicolas Roegg.



Bien que limité budgétairement, le film arbore un look assez soigné ;

Les cadrages sont réfléchis, les décors judicieusement exploités, et l'ensemble, bien qu'irrémédiablement (et sympathiquement !) bricolé et labellisé "série B" (l'intrigue légère et fantasque, l'humour noir, le mélange des genres, l'interprétation outrée voire approximative, les personnages archétypaux et dépourvus de nuances, le look très Madonna (période "Recherche Susan désespérément") des deux auto-stoppeuses, le côté forcément limité et répétitif du décorum, la durée très courte du métrage ...), tout ceci fait que "Dolls" échappe de justesse à l'étiquetage "téléfilm trashy" de bon nombre des productions du trio créateur (Gordon/Yuzna/Band) ; leurs poupées justicières chouettement animées et mises en scène alliées au propos quasi féérique (et aux relents presque nostalgiques et en tous les cas naïfs) du projet forcent la cohérence, l'attrait et l'adhésion.


Richard Band exploitera d'ailleurs le filon (jusqu'à saturation !) avec la série interminable des "Puppet Master" (Guy Rolfe qui interprète ici l'étrange Gabriel, le fabricant de poupées, incarnera d'ailleurs un rôle similaire dans ces ersatz à venir) ...


Joyeux, rapide, léger et véritablement plein de magie, "Dolls" compte réellement au nombre des réussites incontestables de son réalisateur. Sorti la même année que "From Beyond", nouvelle incursion virulente dans l'univers de Lovecraft (une débauche hystérique et hallucinante de hurlements et de latex sur laquelle je reviendrai sans nul doute !), le film s'avère peut-être l'un des plus équilibrés et des plus maitrisés de son auteur. Les amateurs de gore et de délires nécrophiliques, les accros aux saillies politiquement incorrectes de l'auteur , à son sens génial du mauvais gout et de l'humour cracra, ne trouveront peut-être pas ici leur compte ... Quoi qu'il en soit, et malgré un final raté (et pour le coups vraiment trop gentillet !) "Dolls" mériterait de figurer au programme des soirées télévisées de fêtes de fin d'année : une relecture acide et soignée des contes de notre enfance ; l'introduction parfaite pour les plus jeunes à la découverte du cinéma fantastique et horrifique.