Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 22 mars 2010

Deliziosi Gialli 14 : Torso / I Corpi presentano tracce di violenza carnale



TORSO






Pérouse. Des étudiantes sont massacrées par un mystérieux maniaque.
Celui-ci les poignarde sauvagement après les avoir étranglées au moyen d'un foulard.
Jane et ses amies constatent avec une angoisse grandissante que le tueur sévit au sein de leur cercle.
Qui peut bien dissimuler ses pulsions monstrueuses ?
Un professeur ou un étudiant ?
Stefano, le petit-ami torturé et violent de l'une des filles ?
Ce vendeur ambulant veule et libidineux ?
Cet oncle énigmatique et faussement protecteur ? Ou ce jeune et séduisant docteur étrangement toujours dans les parages ?
La perspective d'un séjour à la campagne dans la villa de l'une des jeunes filles allège momentanément l'atmosphère plus qu'inquiétante.
Ce que les demoiselles ignorent c'est que le psychopathe sera également du voyage et que les vacances auront pour la plupart d'entre elles un gout définitif de mort violente !






Martino for ever !
Ce "Torso" bien nommé au vu du nombre, jusque là insurpassé, de ses exibitions mammaires, sonnera la fin de la période giallesque (certainement la meilleure !) de son réalisateur.
L'adieu au genre n'arbore cependant rien d'élégiaque !
Bien au contraire, le Giallo martinien exacerbe ici ses penchants les plus extrêmes, proposant un conte noir à l'intrigue-prétexte dans lequel le sexe et la violence décomplexés ouvrent une voie royale au slasher amerloque.
En fait de bouquet final, "Torso" s'affirme comme une sorte de fulgurant exercice de style !

L'oeuvre est scindée en deux parties nettement distinctes (que l'on pourrait par exemple simplement baptiser "L'université"



et "La villa" )



La première, bien fichue mais quelque peu routinière (pour les connaisseurs), joue la carte habituelle du serial-killer, réservant ça et là quelques surprises (dont une séquence de meurtre splendide sur laquelle je reviendrai ...)
C'est sympa, léger (un peu trop !) et en même temps ouvertement schématique et démonstratif (plus que jamais, la suspicion est soulignée à grand renfort de gros plans signifiants, d'effêts téléphonés (et parfois téléphoniques !), de mimiques grossières et de tronches délibérément louches !) ; ça se suit sans déplaisir mais avec plus d'ironie distante que de réelle curiosité ...


C'est de cette manière que Sergio Martino nous bluffe, nous emmenant là où il veut, nous installant dans une sorte de ronron convenu et sympatoche, pour mieux nous surprendre ensuite !
Car cette première partie, toute rebondissante qu'elle était, ne servait surtout qu'à amener la seconde et son aboutissement : un véritable bijou de cinéma-bis, un long morceau d'anthologie ; un huit-clos génial, horrifique, pétrifiant et plein d'un humour noir décapant !

Si on hésite de prime abord à reconnaitre totalement la patte du réalisateur des sinueux et plutôt sophistiqués "L'Etrange vice de Mrs Wardh" et "Tutti i colori del buio", la maestria éclatante (et d'autant plus percutante qu'elle ne se révèle pleinement que sur le tard et dans une appréhension globale de l'oeuvre) et la modernité de cet opus ne manquent pas de nous réjouir !
Une nouvelle fois, Martino prouve indiscutablement son sens aigu et infaillible de la mise en scène.





L'intrigue ne se résume finalement qu'à la plus convenue des ossatures (un tueur, des victimes et une pléthore de suspects).
C'est dans l'exploitation des conventions les plus archétypales que le cinéaste choisit de travailler le détail, le suspens et l'horreur, avançant ou dilatant le temps, explorant toutes les ressources de ses situations, jouant sur la mise en danger constante de ses personnages et sur d'habiles retournements, et ne reculant devant aucun poncif, aucun excès ni aucun risque de surenchère !

L'exemple emblématique, tel une véritable leçon de mise en scène :
Une jeune femme se réveille dans la villa isolée où elle a rejoint ses amies ; elle ignore encore que celles-ci ont été salement zigouillées par un maniaque.
Elle souffre d'une belle entorse à la cheville ; elle dormait à l'étage, assommée par les médicaments, quand le massacre a eu lieu !
De son côté, le tueur ne sait pas qu'il a laissé une survivante !
La fille appelle, descend finalement, et tombe sur les cadavres de ses copines.


Sur ces entrefaites, la porte s'ouvre et le killer arrive (il était vraisemblablement sorti chercher de quoi se débarrasser des dépouilles) ; elle a juste le temps de se dissimuler derrière une porte.
De là, elle le voit découper tranquillement les corps avec une scie : horreur et larmes forcément muettes et retenues (un beau moment de terreur !)
Le malade ne cesse de faire des allées et venues (il remplit un sac des morceaux humains, va tout jeter dans une citerne située aux alentours de la propriété, puis revient pour continuer son lent et atroce équarissage).


A chaque sortie, il ne manque pas de fermer à clé derrière lui (on n'est jamais trop prudent !)
Pendant ses absences, la rescapée tente par tous les moyens d'attirer l'attention des habitants du village niché en contrebas.
Inévitablement, elle finira par trahir sa présence ... qui sera cependant à chaque fois heureusement démentie : Elle fait du bruit à l'étage ? Le tueur croit finalement que c'est cette fenêtre restée ouverte qui claque ... Elle perd ses pantoufles dans l'escalier ? L'homme hésite un instant (S'est-il rendu compte qu'elles n'y étaient pas auparavant ? Va-t-il pénètrer dans la chambre, ouvrir cette porte derrière laquelle elle retient sa respiration ? ...) avant de jeter les souliers dans la salle de bain.
Evidemment, les faux espoirs se verront inmanquablement démantelés (Le téléphone, bien entendu, coupé ; l'irruption inattendue de plusieurs visiteurs (le livreur, le garagiste) ; un pêcheur aperçu par la fenêtre que la jeune femme pourrait appeler à la rescousse ; le départ (définitif ?) du cinglé une fois son horrible "nettoyage" accompli, jusqu'à ce que ...)



Sergio Martino maintient une angoisse, une pression et un suspens sidérants, jouant sur l'ingéniosité et la ténacité de son héroïne, sur l'anonymat et la folie terrifiante de son psychopathe, sur les détails corrosifs ou judicieux (le meurtrier qui pense à rentrer le lait et les livraisons laissées sur la pas de la porte afin de ne pas aiguiser l'attention ; l'héroïne qui a la bonne idée de dissimuler sa présence dans la chambre qu'elle occupait en cachant toutes les traces de son passage (ses vêtements, ses affaires, le lit fait (dont elle s'empresse donc de retirer les draps)) et en se dissimulant elle-même dans la grande armoire ... ; le coups de la clé, laissée dans la serrure à l'extérieur, qu'elle va s'ingénier à récuperer ...)
Au final, le tueur apprend inopinément que la villa abritait 4 filles (alors qu'il n'en a éliminé que 3 !) et la situation s'inverse : si, au départ, il ignorait la présence de cette dernière, dorénavant, c'est elle, prisonnière mais bien décidée à trouver une idée pour se tirer de cette nouvelle embuche (elle est enfermée dans la chambre (et il y a des barreaux aux fenêtres !)), elle, qui ne sait pas (qu'il sait !) qu'il est à nouveau là à attendre silencieusement qu'elle sorte ...

La confrontation de Jane et du tueur retombera pourtant dans des refrains plus coutumiers ;
Et le réalisateur passera très vite sur le côté "résolutif" (l'identité dévoilée de l'assassin et l'explication de ses pulsions barbares (encore une fois l'inévitable trauma et des relents de chantage ... !)


Il n'empêche, le bougre nous a régalé d'un grand moment de cinoche !
Le final expédié accentue le sentiment que Martino se fiche un peu de son histoire ; malgré tout, "Torso" mérite à n'en pas douter son étiquette de film-culte.

Et, après tout, ne faisons pas la fine bouche, l'oeuvre regorge de moments forts et savoureux (quand bien même on mettrait à part le segment pré-cité) et elle capitalise tous les ingrédients d'un bon Giallo : du sexe, du sang, des crimes à l'arme blanche, des suspects plus qu'il n'en faut, des poupées et des objets "fétiches" (des foulards, des mules roses, une scie et un poignard, des miroirs et des peintures ...), des traumatismes remontant à l'enfance, des maitres chanteurs et des jolies nénettes ...


En dépit de ses mécanismes joyeusement creux et clichetonesques, le film réussit à innover et à surprendre.
Tout d'abord par la jeunesse de ses héros et victimes (certes, pas toujours complètement crédible quand les acteurs supposés incarner des étudiants à peine sortis de l'adolescence n'affichent guère moins que la trentaine (Suzy Kendall, par exemple !) ; mais, après tout, qu'importe !)


Délaissant les bourgeoises névrosées, les play-boys sans scrupules, les héritières paumées ou les aristos pervers, Sergio Martino, finaud, préfigure ici la "viande" juvénile et crétine qui ne cessera plus désormais d'alimenter les pulsions meurtrières des incarnations modernes du croquemitaine et les variations successives de la production horrifique (Vendredi 13, Halloween, Les Griffes de la nuit, Scream ... jusqu'aux récents Hostel(s))
Les "héros" rajeunissent lorsque le cinéma de genre touche (et vise) dorénavant un public de teen-agers.
Le cinéma évolue, en effêt, le public change, se développe, se segmente, et les canons, l'inspiration comme la charge identificatoire (et tout le marketing, la publicité et le merchandising qui collent au train du moindre naveton) vont affiner et déplacer leurs cibles ...

Deuxième surprise : le "relooking" du criminel.
Exit, les imperméables et les longs manteaux, les chapeaux ou les combinaisons noires, les silhouettes stylisées et androgynes ; adieu, ces créatures élégantes et perverses, presque surnaturelles, du Giallo de papa ...
Le tueur dissimule désormais son identité derrière une espèce de cagoule crasseuse ; il porte des pattes d'eph., un foulard voyant et des gants de coureur automobile ...
Ici encore, le cinéaste devient précurseur : l'industrie cinématographique puisera dans son modéle les références qui érigeront les nouveaux monstres américains au rang de superstars (Jason, Michael Myers ...)


Enfin, à l'instar du Mario Bava de "La Baie sanglante", Sergio Martino tourne ici le dos à la poésie morbide, aux élans fantastiques ou gothiques tout comme au roman-photo acide de ses débuts, radicalisant son trait et adoptant une crudité beaucoup plus directe !
La sexualité, plus explicite, affirme sans détours toute son emprise et son importance.
Perpétuellement en rut, les protagonistes ne songent guère qu'à s'envoyer en l'air :
Une scène d'amour dans une voiture prélude au premiers meurtres ;


Un squat hippie où tout le monde danse à moitié nu, où l'on copule et se tripatouille mollassonnement en tirant sur des pétards, introduit l'éxécution de la seconde étudiante ;


Le marchand de foulards transpire fort en zyeutant les cuisses charnues des donzelles et feuillette, mine de rien, des revues pornographiques ; l'oncle de Daniela joue pareillement les voyeurs, apercevant sa jolie nièce en sortie de bain ; le trouble Stefano, salement éconduit, cherche une consolation illusoire auprès d'une professionnelle (qui lui propose même des gadjets et des films suédois !) ; l'arrivée des jeunes filles dans le village déchaine les fantasmes et la fascination des mâles locaux ;


Tandis que deux d'entre elles s'adonnent à leurs étreintes saphiques, un cordonnier simplet joue les mateurs ;


Les filles, isolées dans leur demeure batie au sommet d'un escarpement, ne cessent (innocemment ?) de s'exhiber, de se bronzer, de se baigner, toujours dans le plus simple appareil, pendant que les villageois salivent ;


Lors de la conclusion, le psychopathe exprime toutes ses névroses et son impuissance, expliquant aussi le chantage sexuel par le biais duquel ces fausses ingénues (et véritables garces !) avaient cru pouvoir impunément abuser de lui (ramenant à l'énigme du générique du début, d'ors et déjà très érotique : Deux jeunes femmes (en fait, les deux premières victimes) et un homme mystérieux (le malade lui-même) occupés à faire l'amour (tandis qu'un larron (ou une complice) prenait subrepticement des clichés)) ...


Martino dénude et dépoitraille systématiquement ses actrices ; le psychopathe, de même, prend bien soin de palper les nibards encore chauds des malheureuses qu'il vient d'étrangler avant de les posséder à grands coups de couteaux phalliques ...


Pareillement, la violence et la barbarie s'épanchent bien plus frontalement que de coutume : égorgements, étranglements, écrasements, yeux crevés, corps démembrés et travaillés à la scie, éventrations ...


Rien de vraiment hard ni de réellement dérangeant (le film date tout de même de 1974 !(Ah !l'amateurisme jouissif des effêts spéciaux !)), mais le ton se fait nettement plus rogue et l'inspiration plus gore ...
Superbement montée, la séquence du découpage méthodique des corps enfonce brillamment le clou ; Martino suggère beaucoup plus qu'il ne montre , mais réussit justement totalement son coups. Malsain et inoubliable !
Plus que la première scène de meurtre (très chouette et atmosphérique au demeurant, mais, somme toute, peu originale), c'est la deuxième qui marquera également la mémoire :
Carol a suivi deux jeunes motards dans un squat. Les garçons espéraient visiblement profiter de la lascivité et de l'ivresse ambiante mais la jeune femme se soustrait brusquement à leurs caresses trop entreprenantes.


Un peu groggy (elle a vraisemblablement trop abusé du hasch. !), elle quitte les lieux et part à pieds, errant au radar dans un no man's land de champs détrempés.
Elle débouche dans un grand bois marécageux.
L'ambiance devient carrément onirique : la brume dense et ce décor évoquant un bayou glauque de Louisiane, la torpeur et l'égarement du personnage, l'angoisse diffuse et prenante ..., crééent une atmosphère toute fantastique.
Une silhouette ne tarde pas à se dessiner au loin, dans le brouillard ; immobile, menaçante, immédiatement identifiable.
Le tueur avance sans se presser ; la fille a peur mais l'ivresse et la fatigue désamorcent ses capacités réelles de réaction et de fuite. L'homme à la cagoule est là ! Carol glisse, se relève, tombe à nouveau ...
L'eau et la boue l'empêchent de courir.


Le psychopathe dénoue son foulard écarlate et entreprend d'étrangler sa victime ; elle se débat ; il la noie dans le marais, la retourne ensuite, tend ses doigts gantés vers les yeux encore éclairés de la fille (un insert ravive le souvenir d'une main semblablement tendue sur les yeux de verre d'une poupée) et il enfonce ses doigts dans ses orbites.


Ensuite, il écarte la chemise du cadavre , essuie ses seins macculés de boue, brandit son couteau ...
Le sang coule le long du bras inerte et vient se mèler à l'eau ...
Superbe !


Globalement, "Torso" propose un certain assèchement, un durcissement de la tonalité.
Martino délimite une trame volontairement simpliste et conventionnelle, dédaigne même une intrigue policière qui feindra de s'ébaucher pour ne plus du tout être évoquée par la suite, au profit de sa seule mise en scène.


Réduisant le genre à son squelette, n'en soulignant uniquement que les bases symboliques, il le débarrasse de toutes les scories, les digressions et les atours habituels pour mieux le réinterpréter.
Le côté artificiel et grotesque des rouages giallesques semble plus que jamais mis en évidence et l'entreprise exacerbe toute sa théatralité et sa vacuité potentiellement stupide ...
Pourtant, c'est cette superficialité même, l'aspect définitivement programmé, décérébré et brutal, et ce manque délibéré de nuance, de logique et de psychologie qui finissent par surprendre et par séduire.
Ne compte plus que l'effêt et la manière (inédite ?) de retravailler les conventions du genre.
A ce niveau, le choix des décors et des atmosphères se révèle souvent judicieux :
Places, patios, édifices anciens et remarquables et ruelles tortueuses et photogéniques de Pérouse ; cours et vestiges déserts et ténébreux ; verticales monumentales et inquiétantes des arches d'un grand pont autoroutier sous lequel, à la nuit, s'ébauchent de singulières rencontres ; appartement bourgeois et cossu ou hangard désaffecté, repaire de babas cool ; marais boisés, brumeux et cauchemardesques ou bords de rivière ensoleillés ; villages typiques et ancestraux et maison de maitre ...


Tout affecte une "joliesse", un charme, un cachet "couleur locale", illusoirement rassurants.
Dès que l'ombre et la nuit tombent, les rues se vident, la nature se fait hostile et les façades que l'on croyait pimpantes n'arborent plus que leur vétusté un peu crasse ... ; on se réfugie dans des ateliers, des hangards ou des dépendances brunâtres et sinistres au sein desquels la mort frappe inéluctablement !


Le mécanisme brut des situations s'assortit d'une exagération constante (grosso modo, tous les personnages masculins sont très louches et la plupart des filles vicieuses et vénales ... !)
Les portraits, les prétextes s'avèrent souvent lourdingues (le taciturne et violent Stefano ; les villageois hâbleurs, décervelés, machos et obsédés ; les nénettes allumeuses et manipulatrices ; l'origine peu convaincante du trauma et de la dérive psychologique du tueur ; cette histoire de confusion entre un foulard rouge sur fond noir et celui du meurtrier, noir sur fond rouge (à moins que ce ne soit le contraire !) ...) ; certaines scènes et détails maladroits prêtent même à sourire (le squat hippie, les cadrages au ras des fesses d'une jeune femme ; ce pare-brise de voiture absurdement sâle sur lequel a été tracé au doigt un message (à croire que la propriétaire du véhicule ne l'avait pas utilisé depuis des lustres ou venait de traverser une pluie de cendres volcaniques !!!) ; le meurtre mal fichu du marchand de foulards (un mannequin criant d'artificialité dont la tête écrasée à coups de pare-choc ne fait vraiment frémir personne (d'autant que le raccord suivant sur l'acteur véritable ne colle pas du tout avec la soit-disant brutalité de l'attaque !)) ; le flash-back traumatique dans lequel un enfant meurt (et où, là encore, l'utilisation d'une poupée balancée d'une façon éhontément irréaliste sappe complètement l'effêt de terreur escompté !)...)


Bien des approximations et des fautes de gout, donc ..., colorant d'un humour involontaire le sérieux, l'angoisse ou l'horreur à priori instaurés.
Malgré ces réserves (finalement excusables en regard des budgets et des conditions de tournage de ces "petits" films), "Torso" conserve un charme et une "personnalité" indéniables.

Et si les couleurs et l'ornementation se révèlent moins immédiatement tappe à l'oeil, le montage affuté (les inserts réguliers des flash-backs intrigants, les ellipses parfois surprenantes et malignes (les meurtres de la villa ne seront pas montrés ...)), les effêts toujours aussi appuyés de la caméra et la beauté et la singularité de certains plans dénotent encore une fois le sympathique (et "paresseux") talent du réalisateur.


En effêt, excès de modestie ou flegme abusif, on a l'impression (devant cette oeuvre peut-être plus encore que devant les précédentes !) que Sergio Martino se satisfait parfois de trop de simplicité et d'automatismes, là où il avait prouvé qu'il était pourtant capable d'une inventivité et d'une maestria soufflantes !
Ne pas se prendre trop au sérieux reste une qualité, pourtant ce "Torso", bien qu'assez délectable, s'avère finalement inégal et un peu brouillon.
On se dit, peut-être à tort, que le réalisateur un peu flemmard ne va pas jusqu'au bout de ses partis pris, qu'il s'autocensure quelque peu, se bride et se complait dans une vision et une exploitation distancées et jamais réellement sérieuses de son art.
Il est vrai que Martino reste toujours essentiellement fidèle aux principes sensitifs, référentiels et ludiques d'un cinéma de genre qui se refuse, au fond, ici, à des expérimentations réelles, à une mise en danger, à une inovation trop profonde et un intellectualisme visiblement hors de propos. C'est ce qui fait sa force et sa vigueur communicative, mais c'est aussi ce qui fait ses limites !


Et s'il a montré sa capacité rafraichissante à investir le Giallo en le traitant à chaque fois sous un angle nouveau, il n'en demeure pas moins continuellement prisonnier d'un respect trop humble du système.
Spectaculaire, distrayant, vif et créatif, "Torso" s'avoue trop délimité et dépourvu de vrais enjeux.
On pourra me rétorquer que la critique est valable pour la majeure partie de la production bis ..., ce qui est vrai ...
Je ne cherchais peut-être qu'à dire que Sergio Martino aurait certainement pu autrement dynamiter un cinéma dont il n'a finalement jamais cherché qu'à se faire le facétieux artisan.
La générosité, la beauté efficace et directe, l'immédiateté constantes de ses oeuvres n'auront cependant pas échappé aux vrais amoureux du 7e art ni à tous ceux qui, consciemment ou non, s'en sont régulièrement inspiré.

A l'intérieur de ses savoureuses conventions (et malgré ses (amusantes) imperfections) "Torso" (comme, d'ailleurs, les gialli précédents) affiche en fin de compte une cohérence et une liberté de ton assez subtiles :
Sous ses dehors macchos et érotomanes, l'oeuvre réserve comme à l'accoutumée la part la plus riche et la plus importante à ses personnages féminins.
Fortes, réactives, solidaires, gonflées et conscientes de leurs atouts, les héroïnes ont beau faire constamment les frais de leur éminent pouvoir, elles n'en demeurent pas moins toujours plus entières et complexes que leurs congénères masculins !
Elles traumatisent, elles manipulent, elles s'affirment et combattent, là où les hommes restent définitivement prisonniers de leurs conditionnements.
Sans aller jusqu'à dire que Martino est féministe, on ne peut cependant nier son amour et son admiration indéniables des femmes.



Et les motifs et les détails convoqués dénotent toujours une construction beaucoup plus réfléchie qu'il n'y paraissait, des symboliques ou des rappels plus ou moins flagrants :
Les foulards (et leurs multiples usages), la chute (celle, initiale, de l'evenement traumatisant, celles de Jane dans l'escalier ...) et conjointement le jeu continu sur le haut et le bas (la répétition des escaliers ; les étages des habitations et des appartements ; cette propriété (bourgeoise) surplombant le village (rural et modeste) ...), l'enfermement (psychologique,névrotique ou "réel" (toutes ces variations bluffantes autour de la réclusion de Jane dans la villa (et sa promiscuité avec le psychopathe)) ...), l'eau (fontaine, bain, rivière, citerne, marécages ...), le regard (yeux enfoncés des poupées, yeux crevés des victimes, visions subjectives des différents protagonistes, cagoule du tueur (ne faisant plus resortir que la bouche et les yeux), photos compromettantes, voyeurisme récurent, suspicion mutuelle, témoins continuels (Daniela qui a vu l'assassin sans s'en rendre compte ...), études d'Histoire de l'Art, peintures ...), les automobiles (utilitaires, accidentées, révélatrices, meurtrières, "baisodromes" ...)



La distribution choisit la "nouveauté", marquant une rupture avec les films antérieurs : aux presque obligatoires et trop emblématiques George Hilton et Edwige Fenech, Martino préfère ici la blonde et argentesque Lucy Kendall ("L'Oiseau au plumage de cristal"), Luc Merenda, star montante du polar transalpin, et les sensuelles et photogéniques Carla Brait ("The Case of the bloody iris") et Tina Aumont ...



De la même façon, la musique se distingue ; elle est cette fois signée Guido et Maurizio De Angelis.
Moins percutante et subtile que celles que Bruno Nicolai ou Nora Orlandi avaient naguère concoctées pour les oeuvres précédentes, la B.O se révèle efficace et démonstrative avec ce côté brut et "folklorique", faussement primesautier, qui colle bien à l'inspiration.
On pensera fugitivement aux Goblins de "Suspiria".



Dernier Giallo martinien, "Torso" épure et radicalise sans ambages les principales préoccupations de son réalisateur, soulignant effrontément toutes ses qualités et son potentiel ... comme ses travers !
Plus outrageusement sensationnaliste, plus ouvertement et rageusement expressif, ce film-manifeste feint une modernisation (aussi illusoire qu'ironique !) de ses inspirations, frôlant souvent la caricature et une sorte d'abstraction un peu vaine, pour déboucher finalement sur un hommage quasiment hitchcockien au cinéma de genre ...
Plus que jamais manipulateur et virtuose, Sergio Martino confirme en beauté (et à la hussarde !) son enthousiasme, sa roublardise et son attachement à un art avant tout généreux, direct et populaire.