Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 25 février 2008

Inferno ( fin)


INFERNO

(fin)





INFERNO


L'Ecrit, son pouvoir, sa mémoire et sa divulgation sont omniprésents.


Voir ces lettres et surtout ce livre que l'on recherche, achète, parcourt, vole, subtilise ou égare, comme un "témoin"que l'on se passerait inlassablement.



Etudes de musique ou écriture de poésie ; plaque commémorative sur la façade d'une batisse; bibliothèque comme une église infernale où l'on se perd ; mot révélateur ("Mater") gravé d'un ongle pointu sur une serviette en cuir ; parchemin délivrant un message caché sous le plancher d'un appartement ou inscriptions latines peintes sur un portrait dissimulé au fond d'une pièce aquarium...; l'Ecrit véhicule et transmet les clés qui pourraient nous faire comprendre l'énigme du monde dans lequel nous vivons (et surtout mourrons !)








Cette quête nécessite la mobilisation de tous les sens :
L'Ouie :






Ces voix sans corps sussurant votre nom ; ces chuchotements, ces ricanements venant d'on ne sait où (d'ombres derrière une porte; d'autres dans les recoins d'un vestibule...) ; Rose et Elise, sa voisine, qui ont l'habitude de communiquer d'un appartement à l'autre par le réseau étonnant de conduits et de tuyaux qui relie et parcourt tout l'immeuble comme un réseau veineux ; cet immeuble où l'on est justement toujours entendu, écouté ; le vieil alchimiste, esclave des sorcières, qui ne peut parler qu'en branchant un micro à sa gorge; et tous ces cas de figure où les protagonistes ne peuvent entendre ou être entendus (Rose "hurlant" en vain dans sa prison aquatique ; Mark ne pouvant comprendre les paroles murmurées par la belle sorcière dans l'amphithéatre où est "dissequé" le " Nabbucho" de Verdi ; le jeu inquiétant entre bruit et silence lors de la séquence de la panne électrique dans le logement de Sara ...




L'odorat :

cette odeur désagréable et tenace (tour à tour décrite comme pestilentielle puis douce-amère) qui est sensée flotter aux alentours des domaines des sorcières et la référence (une clé toujours ! ) qui en est faite dans le livre des Trois Mères.)


La Vue :

Gros plans sur les regards "lisant" de Rose et de Sara ; regard félin et phosphorescent ou encore totalement caché des sorcières et de leurs créatures (ou incarnations) maléfiques (l'homme dans les sous-sols de la bibliothèque et le "boucher" de Central park n'ont pas de visage) ; déchiffrage du livre écrit en latin ; lecture des images et des tableaux (la représentation de l'immeuble encadrée dans l'appartement de Rose (et rappelée dans le livre) ; la vision incomplète du portrait de la Mater Tenebrarum dans la cave...) ; les yeux réellement exorbités du majordome d'Elise (il a vraisemblablement payé de sa vie (et de sa vue !) sa découverte involontaire du secret) .


Enfin, le Toucher :

On se pique ; on se coupe ; on est aggripé, trainé, griffé, renversé ...; on se heurte à des portes closes ; on déchire des murs de soie ; on ouvre ou tire des rideaux trop lourds ...



Tout le film joue sur les contraires et les assemble :
La vue et l'aveuglement ; L'Audition et son empêchement ; le vacarme et le silence ; la lune et son éclipse ; l'Eau et le Feu ; le Haut et le Bas ;



Une relecture de la chaine alimentaire : ici, ce sont les animaux qui se nourrissent des hommes (les chats et les rats (ordinairement eux aussi opposés) ;


Le moderne et le classique (voir les variations "alternatives" et climatiques de Keith Emerson autour de Verdi ("Nabuccho") ou de la musique liturgique (chorus "Mater Tenebrarum" du final )) ; l'éternelle réactualisation des mythes et des légendes ....

La conotation à un ésotérisme ancestral évoquée par le personnage de l'alchimiste Varelli, répercutée par cette omnipotence des secrets et des énigmes à résoudre, trouve une nouvelle résonnance dans l'importance et la répétition des chiffres et des symboles.






A commencer par le chiffre 3 ( 3 clés, 3 maisons, 3 villes, 3 "Mères", 3 personnages principaux (Rose, Mark et Sara) qui se passent le "témoin" (une lettre et ses fragments) pour parvenir à l'explication et à la résolution du mystère...).



Il est amusant de relever que, dès le départ, lorsque Rose prend connaissance du livre et des trois énigmes (ou "clés") et qu'aussitôt le générique passé, on la voit écrire sa lettre ( le lien ) à son frère, une lettre qui retranscrit ses soupçons et qui le met en garde (Rose vit vraisemblablement dans l'une des 3 villes, l'une des 3 maisons de l'une des 3 Mères), elle lui raconte ces 3 mystèrieuses clés (la première consistant en cette odeur spécifique marquant le territoire de chacune des sorcières; la seconde, le fait que dans la cave de chaque demeure de ces 3 Mères est dissimulée leur représentation; la troisième étant "cachée sous la semelle de vos chaussures"...); et comme Rose évoque ces 3 clés symboliques, Dario Argento nous désigne en gros plan les trois clés (bien réelles, celles-ci) attachées au porte-clés de la jeune femme (preuve que la solution (irrémédiable) de toutes ces devinettes alambiquées est d'ors et déjà en sa possession : cette mort qu'elle trouvera seulement plus vite parce qu'elle l'a recherchée ! )

Ainsi le chiffre 49 également, souligné à chaque fois par la caméra détaillant les façades des demeures respectives des sorcières (l'immeuble Newyorkais et la bibliothèque Romaine) ; en faisant appel à la numérologie, ce chiffre équivaut en réduction au chiffre 13 (porte-malheur par excellence pour les superstitieux !) puis au chiffre 4 (lié à la Maison, la Famille, le Groupe, le Pouvoir...)



Semblablement on peut noter toute une dichotomie du "féminin" (l'Eau, la Lune, la (re)Naissance, la filiation, la famille, le lien, les Mères, les maisons...) associée aux multiples figurations de l'empreinte, de la Marque, de la diffusion et de la propagation (de la connaissance ? du Mal ?) : l'Eau (pluie, lac, égouts, "trou" dans la cave, fontaine, mer et vagues...) ; le Verre (miroirs, fenêtres, ouvertures, vitrages, éclats, poignées de portes, vitraux fluorescents, transparences ...) ; l'Impression, le motif, la Marque (sur un tissu, un livre, une façade, une saccoche, dans la chair (mains, visage...), dans un esprit...).

Ce qui est dit et raconté se retrouve pleinement soutenu et explicité par le "vocabulaire visuel" du réalisateur ; Harmonie parfaite !

De ce fait, de par l'irréprochable correspondance de tous les composants de son oeuvre, Dario Argento réussit plus que jamais à retranscrire l'Insondable.


Dans " Inferno", le Surnaturel, le sensitif, l'onirisme et l'Occulte parviennent à "prendre corps", à acquérir une réalité plus prégnante et plus vraie que la Réalité elle-même !


"Inferno" nous rappelle brillament ces états indistincts et "flottants" de l' Etre et de la conscience alors que, par exemple, on émerge à peine et trop brutalement d'un rêve ou d'un cauchemard trop vif ; ces moments où l'on ne sait plus du tout faire la part des choses , où l'esprit n'a pas encore réajusté ses repères ; ces instants fébriles et peut-être essentiels où l'incertitude et le doute, mèlés à la matérialité, à la réalité du rêve, nous submergent.