Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 24 février 2008

Inferno (2) : L'Enfer et ses merveilles


INFERNO (suite)


Un peu plus loin dans le film, Rose mourra finalement dans une autre grande scène :
Là encore, elle cherche à joindre son frère, au téléphone ; leur conversation est coupée ;
Rose entend alors des chuchotements et elle entrevoit des ombres derrière l'une des portes vitrées de son appartement : on tente de pénètrer chez elle !

La jeune fille prend peur et s'enfuit .
Avant de sortir, elle se blesse la main à la poignée de verre de la porte d'entrée.
Elle emprunte un escalier de secours et se retrouve dans le labyrinthe inquiétant de la maison-sorcière : escaliers en spirale, couloirs qui succèdent à d'autres, noyés d'ombres ou de lueurs jaunâtres, bleues ou rouges, battus de voilages, d'oiseaux, de pluie qui suinte ...


Des yeux de chat menaçants et fixes se sont allumés auparavant dans l'ombre d'une grande silhouette venant à sa rencontre ( frissons garantis ! ).
Et la fuite se fait traque, une traque angoissante dont le (les?) "chasseur(s)" sont d'autant plus effrayants et imprévisibles qu'ils sont indéterminés.









Pour finir, Rose se réfugie dans une sorte de laboratoire totalement détruit (un mélange d'atelier de taxidermiste et d'appartement abandonné et infernal) :

Partout, des flaques de couleur, des dépouilles d'animaux empaillés, des plafonds explosés, de vieux meubles entassés et dégoutants de pluie, les découpes géométriques de fenêtres et de portes comme un décor abstrait ; le tout flashé par l'orage .

Argento, là encore, prend tout son temps, dilate exagèrément le temps et l'espace, exploite au maximum tous les recoins de ses décors-gigogne jusqu'à en faire perdre tous repères.
Il abuse des effêts, même les plus rebattus pour finalement frapper au moment où l'on ne s'y attendait plus : Rose est saisie par deux horribles mains griffues, surgies des ténèbres, maintenue dans l'embrasure d'une fenêtre et ( laborieusement ) décapitée par son carreau tranchant.




"Inferno" ne consiste, après tout, qu'en une suite de morceaux d'anthologie dont le fil conducteur est le fameux livre des Trois Mères : toutes les personnes entrant en sa possession trouvent la mort dans des circonstances à la fois terribles et superbes.



La peur et la mort ont rarement été ainsi célèbrées.
D'ailleurs la Mort, thème de prédilection du cinéaste et source inépuisable de son inspiration, sujet et situation pour lequel il battit dans chaque film de nouvelles expérimentations et des mises en scène tantôt "merveilleuses", tordues, baroques, tantôt sèches et graphiques, souvent inattendues (et attendues par les inconditionnels), la Mort, ici, devient en quelque sorte l'héroïne.
Comme l'écrit Jean-Baptiste Thoret dans l'essai remarquable qu'il a consacré au réalisateur, "Inferno" est le film-manifeste de Dario Argento.

Toutes les influences dont il se réclame, toutes celles qu'on lui a attribué, se retrouvent dans cette oeuvre passionnante.
Pèle-mèle :
Edgar Alan Poe, le conte, l'ésotérisme, la psychanalyse, le Giallo, Mario Bava (qui participa au film pour certains trucages ), Fritz Lang et l'Expressionisme, la musique et l'Opéra, l'Art et la Peinture, Bunuel, le Surréalisme et l'écriture automatique, les énigmes, les illusions d'optique et les trompe-l'oeil, Antonioni et Hitchcock, le Grand-Guignol et la Littérature et l'imagerie "gothique"....


Les points communs avec "Suspiria" (sa "préquelle") se révèlent innombrables mais, plus qu'un développement ou une suite linéaire, "Inferno" s'affirme, je l'ai dit, comme une relecture, un étirement parallèle et finalement différent de l'oeuvre originelle.
Les similitudes se décèlent ; y compris dans le déroulement et la structure même de nombreuses scènes :
Dans "Inferno", la mort de Rose renvoie à celle de la Sara de "Suspiria" (même "introduction" (la victime aperçoit des ombres derrière sa porte et se sauve; le(s) meurtrier(s) pénètre dans la pièce...)) mais fait également écho à la mort de Pat Ingle (les mains qui surgissent de la nuit, derrière la fenêtre).


Le cheminement de Mark jusqu'à l'antre de la Mort correspond à celui de Suzy jusqu'au repaire des sorcières (mêmes "motifs" du passage-secret et du "fil d'Ariane" (les pas dans "Suspiria", les marques sanglantes dans "Inferno")) et le Final, lui-même, est pratiquement identique (le héro/l'héroïne provoque la destruction et l'incendie de la demeure maudite ; les films s'achèvent sur les images de leur sortie de l'édifice en flammes).


C'est comme si le réalisateur voulait nous remémorer l'essentiel à ses yeux ; non pas la trame d'une histoire ((un épisode) que l'on aurait raté et qui ne nous serait pas familière, mais plutôt les symboles et les " clés" (là encore) qui pourraient nous permettre d'avoir une compréhension plus globale de son oeuvre).
Cela part du " chromo" (la pleine lune derrière une fenêtre, les gouttières d'où la pluie et l'eau ruisselle ; ces mêmes déambulations interminables dans les méandres de demeures tentaculaires ; cette même insistance sur les handicaps des personnages secondaires (le domestique monstrueux et muet et le pianiste aveugle dans "Suspiria", l'antiquaire boiteux et l'alchimiste (muet, lui aussi) cloué dans son fauteuil-roulant ici ; l'école de danse contre les études de musique ...)







Pour continuer dans des illustrations et des figures plus personnelles et intrigantes (cette viande, hachée et dissimulée dans les cuisines ; ces cloisons de soie, de draps, déchirées par l'agonie d'une victime ("Inferno") ou se faisant l'écran derrière lequel ronfle la sorcière ("Suspiria") ;










Ces murs et ces conduits "vivants" des demeures, parcourus par les ondes de respirations démoniaques ;
l'image abrupte de cette jeune femme pendue et secouée de ses derniers spasmes ramenant évidemment à la pendaison de Pat au début de "Suspiria" ;
ces briquets (celui de Rose ici; celui de Sara dans le premier film) dérobés (par crainte de l'incendie pourtant inéluctable ?) ;
ce chauffeur de taxi (le même acteur dans les deux oeuvres ) sorte de Charon moderne ; enfin, cette "insaisissabilité" d'un tueur toujours protéiforme).



Et comme dans "Suspiria", toujours, les références aux contes sont ici aussi légion ;



Ainsi, la clé perdue et ramassée dans l'appartement "aquatique" plein de cadavres au plus profond d'une cave et la curiosité punie évoquent "Barbe-Bleue".

Ainsi, les animaux qui aident et indiquent (chats, fourmis) ou qui dévorent et attaquent (rats et chats encore), figures récurentes de bon nombre de récits merveilleux.







Ainsi ces jeunes femmes qui se blessent les mains ou se piquent le doigt (Rose, Sara) avant d'être assassinées (et de tomber dans un sommeil de mort comme "La Belle au bois dormant").

Bien évidemment, toute l'imagerie liée à la sorcellerie et au roman gothique est aussi déclinée : chats noirs, pleine lune, feu et chaudrons (dans la superbe scène du sous-sol de la bibliothèque)...

Grimoires, possession, maison "hantée", souterrains, caves, greniers et passages secrets, reptiles et dragons (porte-clés reptilien de Rose, vision d'un lézard dévorant un papillon, reptiles empaillés, dragons en frise sur la façade de l'immeuble) ;



Mais Dario Argento réactualise les images et les mythes d'une manière contemporaine , mystérieuse et esthétisante.

( à suivre...)

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