Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 18 février 2008

Le Cinéma de Dario Argento 4 : INFERNO


















INFERNO



A New-York, Rose se plonge dans la lecture de l'ouvrage ancien d'un alchimiste : "Les Trois Mères".
Elle y découvre qu'un trio de sorcières règne sur le monde et manipule les hommes.
Son immeuble abriterait peut-être l'une d'elles !







Ce point de départ semble faire écho au film précédent de Dario Argento : "Suspiria".
Fribourg s'y faisait le repaire de "la Mère des Soupirs", voici donc New-York et Rome et la suite de "La trilogie des Trois Mères".



Une suite sans liens directs cependant.
On ne retrouve ici aucun des personnages de "Suspiria" si ce n'est l'actrice Alida Valli, sorcière-maître de ballet dans le premier opus, devenue la concierge grimaçante d'un immeuble maléfique dans ce deuxième film.
Cet emploi n'est certainement pas hasardeux ni sans rapport mais il ne sera ni exploité ni évoqué d'aucune manière.


Pareillement, le chauffeur de taxi qui conduisait Suzy Banner à la Tanz-Academie est le même que celui qui, ici, véhicule une jeune femme jusqu'à la bibliothèque romaine, domaine de la Mère des larmes.


En fait, nous le verrons, plus qu'une suite, "Inferno" se pose comme une sorte de décalque, une relecture plus abstraite et plus extrême de "Suspiria".
Et si "Suspiria" était un conte, "Inferno" se présente davantage comme un collage surréaliste, un lent poème macabre, un rêve ou plutôt un cauchemard.


On a souvent entendu de cette oeuvre qu'elle était incompréhensible, décousue, dépourvue de trame. Argento lui-même, a parlé d'une multiplicité d'énigmes et d'intrigues.
Je l'ai toujours trouvée, pour ma part, tout à fait cohérente.
Une fois admis le postulat de l'existence des sorcières et de leur emprise sur le monde (ce qui était déjà , après tout, le fondement de "Suspiria"), on s'immerge sans peine dans le film (comme s'immerge d'ailleurs littéralement l'une de ses héroînes).




Bien sûr, beaucoup de choses peuvent désarçonner le spectateur.
A commencer par le fait qu'il n'y a pas, à proprement parler, de héros (le personnage que l'on suit au départ mourra avant la fin de la première moitié du métrage. Mais ceci, d'autres l'avaient déjà expérimenté (voir Hitchcock et "Psychose" par exemple)).

Le découpage, à priori non linéaire, est plutôt basé sur des rapports de cause à effêt, sur une certaine dicchotomie visuelle et le phénomène du "relais".
A cela s'ajoute une lenteur, un allongement presque hypnotique des séquences et des situations qui confère à l'oeuvre un aspect angoissant et presque élégiaque. Une angoisse que le manque de dialogues et l'omniprésence d'une musique belle et funèbre ne peuvent que renforcer encore !



Et finalement ce qui déstabilise, c'est que l'étrangeté a désormais pris possession de tout !
Dans "Suspiria", elle était jugulée et ne jaillissait que par à-coups ;
Ici, plus de place pour la moindre humanité, plus de place pour la moindre pseudo-enquête ; la quête, justement, n'est qu'ésotérique et le monde uniquement parsemé de signes et assujeti aux caprices de forces qui nous dépassent.

Esthétiquement, le film est magnifique.
Une beauté très "fabriquée", à l'artificialité surlignée ; un côté kitsch et clinquant à la fois, très marqué "esthétique-pub des années 80" mais en même temps si cohérent, si élégant et vénèneux !
Tout est barbouillé de couleurs, de rouge et de bleu, de mauve, de rose, de jaune...
D'ailleurs, à l'inverse de cette soit-disant incohérence qu'on lui a souvent prêtée, je dirais qu'"Inferno" est l'une des oeuvres les plus abouties et les plus logiques et réussies de son auteur.




Tout va, ici, dans le même sens ;
Il y a une harmonie indéniable dans chacun des choix effectués par Argento ; Que ce soit au niveau de la musique de Keith Emerson (et ses variations autour du "Va Pensiero" du Nabuccho de Verdi ), au niveau des éclairages et des lumières, des couleurs, des décors, des personnages.... Tout se fait écho et se marie à merveille.


Manque d'explications et de dialogues ? Platitude, nullité de l'interprétation ? Illogisme des situations ? Violence gratuite et complaisance dans " le morbide" ? Couleurs et éclairages abusifs et outranciers ?
Tout cela fait et nourrit "Inferno".
Le film déroule doucement sa suite de tableaux "empoisonnés" et il regorge de scènes mémorables et totalement magiques.


La plus célèbre et peut-être la plus belle : la longue séquence du début (fameuses premières scènes des films de Dario Argento !).



Rose a terminé la lecture d'un livre ancien qui l'a déstabilisée. Elle écrit à son frère à Rome pour lui confier ses soupçons concernant la demeure où elle loge.



Elle sort, poste sa lettre et rend une courte visite à l'antiquaire voisin, celui qui lui a vendu l'ouvrage responsable de ses inquiétudes et de ses questionnements ( "Il semblerait que j'habite chez une sorcière !" (en ceci, "Inferno" débute là où "Suspiria" s'achevait ). L'antiquaire mystérieux la congédie assez rapidement ( en feignant de minimiser ses soupçons mais en lui donnant tout de même la véritable "clé" du film : "Nos vies sont régies par les morts")).

Mais la curiosité de Rose est trop forte ;
Attirée par la cave (où se trouve, selon le livre, l'une des "clés" du secret des Trois Mères ) elle y descend dans des rougeoiements du plus bel effet.
L'atmosphère onirique va creshendo : escaliers, suite de pièces à l'abandon et encombrées, des chats partout, un escalier encore et l'ombre qui enveloppe la jeune femme au fur et à mesure de sa progression la forçant à s'éclairer de son briquet ;





Clapotis d'une eau qui coule et se déverse ;
Rose suit cette eau qui ruisselle et parvient finalement devant un grand trou dans le sol que l'eau vient remplir.
En se penchant, elle y perd bêtement son trousseau de clés.


Essayant vainement de le rattrapper, la jeune fille finit par plonger dans la cavité qui révèle un appartement autrefois somptueux et complètement immergé (comme un immense et étrange aquarium, richement meublé, où elle aurait pénètré par un trou du plafond !).



Le temps de rechercher et de récupérer ses clés (et d'entrevoir un portrait de la sorcière-maîtresse des lieux), voici Rose environnée de cadavres en putréfaction !
Elle tente de crier, de s'échapper, se cogne au plafond, piétine les chairs corrompues des charognes ...
Elle s'extirpe tout de même finalement sans dommages de cet antre atroce.



Parallèlement, le spectateur a pu comprendre qu'elle avait été suivie et il a pu voir une main gantée de noir s'emparer du briquet de la jeune femme oublié au bord du trou.
Néanmoins, Rose regagne le hall de son immeuble saine et sauve !

Le soin extrême prêté à tous les paramètres : à chaque élément de décor, chaque cadrage, aux éclairages, aux couleurs saturées : rouges, roses, bleus, à la piste sonore, aux détails étranges ou déstabilisants, font de cet instant une scène réellement envoutante !













( à suivre ...)

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