Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mercredi 13 février 2008

Le Cinéma de Dario Argento 2 : Le Fantôme de l'Opéra


LE FANTOME DE L'OPERA

Paris, 1877. L'Opéra devient le théatre de meurtres inexpliqués.
Au sein même de la "Grande maison", on soutient qu'un individu maléfique vivrait dans les cavernes et les eaux souterraines de l'Opéra.
Ce fantôme est bel et bien réel ; abandonné à la naissance , il a grandi parmi les rats.
Amoureux de Christine Daaé , une jeune cantatrice, il veut profiter de sa réputation et de son pouvoir pour la faire accéder à la reconnaissance et à la gloire.
A coups de chantage et d'actes criminels, le fantôme arrive à ses fins. Mais Christine , bien que sous son emprise , demeure partagée entre son attraction pour lui et l'amour inconditionnel de Raoul de Chagny.
Les secrets et la cachette du fantôme finissent bientôt par être débusqués et, à l'instar d'un chasseur de rats revanchard, la police et les hommes vont se lancer à sa poursuite. Avant d'être abattu comme un animal, le fantôme laissera Christine s'enfuir avec son rival, se sacrifiant pour elle et la délivrant de son influence.


Dario Argento murissait depuis longtemps le projet de cette adaptation du célèbre roman de Gaston Leroux.
Curieusement, le désir et la volonté du cinéaste ont finalement accouché de l'un de ses films les plus modestes, les plus classiques et retenus, apparemment le moins personnel .


Dans sa forme aussi bien plastique que scénaristique, "Le Fantôme de l'Opéra" rappelle la veine feuilletonesque d'un cinéma d'un autre age. En cela il correspond tout à fait au genre et à l'époque du roman dont il s'inspire, mais tout ceci a un côté "gazette du dimanche", un peu cheap, un peu théatre de boulevard, qui ne colle pas vraiment avec les flamboyances ou les expérimentations passées.

Bien sûr, on retrouve ici et là " l'Argento's touch", notamment lors de la traque et des meurtres d'un machiniste avide et de sa compagne, dans la belle scène où Christine se réveille dans l'antre du fantôme (où elle découvre les "jeux" un brin zoophiles de celui-ci avec les rats), ou encore quand Carlotta va se retrouver face au monstre dans la salle des costumes pleine de masques angoissants...



Des fulgurances donc ; mais l'ensemble paraît bien sage !
La reconstitution du XIXéme évite consciencieusement les extérieurs, cadre serré et manque réellement d'envergure.
Alors, pour pallier à cette carence en "spectaculaire", Argento va plutôt s'attacher aux détails, avec humour et justesse d'ailleurs (le petit monde des coulisses, des salons, l'envers du décor de l'Opéra de Paris se révèle riche d'anecdotes visuelles et de cocasserie).
La peinture est vivante, les personnages bien croqués, même si l'interprétation est parfois grimaçante et outrée et encore une fois un peu trop "Labiche".

En fait, on renoue ici quelque peu avec le Dario Argento des débuts, on se remémore les personnages secondaires des premiers gialli, les petits truands gouailleurs, les policiers ridicules, les commerçants typés.. qui apportaient souvent une note humoristique et insolite à une intrigue ténèbreuse.
Ici, nous croisons Degas croquant ses ballerines ou Gounod dirigeant son "Roméo et Juliette" et les moindres petits rôles ont une couleur et une singularité attachantes .




Pour l'adaptation, le réalisateur s'est adjoint les services de Gérard Brach (scénariste renommé de Polanski entre autres).

De grandes libertés ont été prises avec le matériau de base, le roman.
La plus grande infidèlité réside dans l'apparence du fantôme : Défiguré et monstrueux, il se dissimulait sous un masque ; ici, il devient plutôt beau et désirable bien qu'un peu hirsute et négligé (faut pas exagèrer tout de même!).


Sa monstruosité réside davantage dans sa différence, son animalité.
Car bien plus qu'un homme, le fantôme de Dario Argento s'avère un rat !
Il se terre dans les profondeurs, il a des besoins, des capacités et des pouvoirs que ne possède pas le commun des mortels, il mord et dévore pour se défendre ou secourir ses pairs (en l'occurence les rats (voir la scène où il déchiquète la gorge du régisseur pédophile pour sauver un "petit rat")), il possède un don de télépathie et, vraisemblablement, des sens hyperdéveloppés ...


Bref, le fantôme s'affirme ici comme beaucoup plus sauvage et en même temps plus pur que celui de Gaston Leroux (et de ses précédentes adaptations cinématographiques).
Il y a beaucoup de noblesse en lui et, contrairement à l'Erik du roman, il n'agit jamais par vengeance et n'instrumentalise pas Christine Daaé à des fins égoïstes.






En comparaison, les monstres véritables du film ce sont les hommes.
En cela, le cinéaste demeure fidèle à lui-même, l'humanité dans ses oeuvres se révèlant souvent veule, fausse et soumise aux sentiments les plus bas.


Dans "Le Fantôme...", hommes et femmes sont vicieux, voyeurs, menteurs, sans scrupules...
Ils agissent par intéret, par corruption ; Carlotta, l'énorme primadona, est décrite comme cupide, avide de gloire exclusive et d'argent ; les petits rats de l'Opéra deviennent les proies de vieillards libidineux ...


Seuls les trois personnages principaux échappent au massacre : Le Fantôme, Christine (qui demeure la personnalité la plus complexe et la plus nuancée du trio (peut-être également la plus "folle" (voir les héroïnes d'Argento : Betty, Anna, Jenifer, Aura...))) et Raoul, l'amoureux transi (et éconduit) dont le portrait manque de relief, un peu terne et falot ; mais qui semble partager avec le fantôme un sens certain de l'honneur, de la droiture et l'esprit de sacrifice.


Argento a curieusement gommé beaucoup des "morceaux de bravoure" du texte originel.
Ainsi, le "truc" de l'armoire/miroir, passage vers le monde souterrain, est-il quelque peu tronqué ; Ainsi, la grande scène du bal costumé a-t-elle carrément disparu ; de même que tout le final du roman situé dans le repaire piègé du Fantôme avec ses chambres de tortures délirantes .


Les séquences sur les toits de l'Opéra sont dépourvues de beauté et d'envergure et, pareillement, l'arrivée de Christine dans l'antre du monstre, l'orgue gothique et la confrontation ne dégagent que bien peu de mystère et de terreur (le Fantôme n'étant ni difforme ni masqué, la jeune femme n'a plus rien à découvrir (ou presque!)).


Ce qui intéresse peut-être le plus le réalisateur réside finalement dans le fait de filmer sa fille.
Après les personnages torturés de "Trauma" et "Le Syndrôme de Stendhal", il offre à Asia le rôle d'une Christine Daaé beaucoup plus "borderline" et, au final, plus intéressante que celle du roman.
Christine n'a effectivement rien d'une oie blanche et, même si, symboliquement, la bague-Méduse offerte par le Fantôme (et perdue lorsqu'il meurt) semblerait la lier magiquement à lui, la jeune fille ne perd jamais vraiment son libre arbitre.

Elle est partagée entre deux hommes, deux visions de l'amour : la première, charnelle, magnétique, animale, l'autre plus traditionnelle, romantique et fleur-bleue.
Christine possède la même pureté et la même animalité que le Fantôme et cette part "obscure" d'elle-même la fascine et l'effraie tout à la fois.


Là encore, la schizophrénie n'est pas loin.




En même temps, le Fantôme s'avère beaucoup plus "rat" qu'homme et elle, bien davantage une femme qu'un animal. Leur union essentiellement charnelle (et Dario Argento insiste bien sur ce point, beaucoup plus, d'ailleurs, que sur leur rapprochement par la musique et le chant) est vouée à l'échec.
Le Fantôme, ici, s'affirme comme très "sexué" : l'attrait irrésistible de la voix de Christine est rapidement remplacé et supplanté par celui de son corps ; le Fantôme la déflore sans tarder.
Un peu plus loin, il la prend par derrière (sous le regard voyeur et médusé du chasseur de rats) ; il a des jeux masturbatoires avec ses amis les rongeurs ; il mordille l'oreille de l'imposante Carlotta, la dépoitraille et la malmène...



( à suivre ...)

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