Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 16 mars 2008

PHENOMENA 2 : Alice au pays des sérial-killers





PHENOMENA (2)


L'Enfance, c'est, ici, l'innocence.
Une innocence davantage explicitée comme une croyance et une perméabilité envers tous les "possibles" du monde (les choses et les insectes parlent etc...), comme une période privilègiée où le côté merveilleux et irrationnel de l'existence est non seulement accepté (Jenifer affirme avec candeur qu'elle "aime" les insectes : sa manière à elle de normaliser leurs rapports) mais également vécu (voir les crises de somnambulisme de l'adolescente qui la mènent directement auprès de l'assassin) et qui n'a rien de commun avec la mièvrerie, la docilité ou la fragilité (Jenifer et Sophie sont capables de rebellion, de mensonge et de transgression des interdits (Sophie fume en cachette et elle retrouve secrètement son petit ami ; on raille les professeurs et on leur tient tête ...). Jenifer n'a rien d'une jeune fille étherée ou complexée. Elle se montre, au contraire, tétue, entière, peu influençable et très saine d'esprit.)


Les adultes, de leur côté, sont représentés soit comme des êtres bornés, fermés, cruels et sévères (la directrice, les médecins et les infirmières...), égoïstes et indifférents (les parents de Jenifer...) vils et dégoutants (l'agent immobilier) ou aveugles, laborieux, impuissants (et donc éliminés : Shapiro, l'impressario du père ; la Police...) pour finir à la fois victimes et bourreaux ( Mrs Bruckner ; les malades violeurs de l'asile...)

Seul McGreggor, l'entomologiste solitaire est traité positivement ;
Mais, le fait qu'il soit handicappé (il est cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident de voiture), immigré écossais (il n'est pas issu de "ce" monde) et en quelque sorte marginal (sa solitude, sa passion des insectes, son ouverture sur le Paranormal ; sa "compagne" est une femmelle chimpanzé...), tout cela justifie cette exception.

Il mourra d'ailleurs pour cette singularité, pour son anticonformisme.


Etre enfant, adolescent, c'est être en danger.
Etre adulte, c'est souffrir et peut-être surtout parce que l'on a perdu son innocence. Souffrir et le faire payer aux autres.

Dans "Phenomena", le conte flirte avec Lewis Carroll sauf que le terrier d'Alice mène directement à une fosse remplie de cadavres en putréfaction. Le monstre a besoin de conserver auprès de lui les restes de ses victimes.

La longue séquence qui abouti à la chute de Jenifer dans ce bassin grouillant de vers et d'immondices reste mémorable.
La jeune fille finissant par "tomber" malgré elle dans la gueule du loup, ne va effectivement pas cesser de tomber, de traverser des niveaux ; ceux des décors symbolisant tout en même temps ceux de l'esprit dérangé de la responsable :
En surface, une maison imposante au bord d'un lac ; On pénètre dans un intérieur agréable et plutôt cossu, mais il y a des asticots sur la savonnette et dans les serviettes de toilette et un manequin désarticulé à la place de l'enfant devant la télévision.

Et puis soudain, fenêtres et portes sont condamnées par des rideaux de fer et Jenifer assommée et enfermée (sa posture, alors, revoyant à l'image de la poupée qu'elle avait prise pour le fils de Mrs Bruckner, signifie à la fois sa "parenté" avec celui-ci mais aussi le fait qu'elle est désormais le "jouet" de son hôte (tout comme l'est l'enfant monstrueux)).

Et, lorsque revenue à elle, Jenifer réussit à s'introduire dans une pièce condamnée, dans l'espoir de pouvoir utiliser le téléphone, c'est finalement pour devoir se glisser par un grand trou dans le sol, ramper dans un long terrier et pour atterrir dans le charnier sous les rires hystériques d'une Mrs Bruckner démoniaque.

Ce parcours et cette maison ayant retracé et figuré l'image complexe de cette femme brisée : lisse, policée, secourable, en apparence, mais en fait, blessée au plus profond,traumatisée, folle à lier et nécrophile.

Après le bain qui l'a souillée (et peut-être contaminée), Jenifer va apprendre la cruauté en dévoilant à l'enfant-monstre ce qu'il y a "de l'autre côté du miroir" (elle lui révèle son image terrifiante et misérable).
Puis, après un second bain faussement purificateur dans les eaux du lac, elle va même devoir le tuer (le monstre est tout d'abord dévoré par les mouches-amies puis par les flammes d'un incendie).

Lorsqu'elle émerge lentement du lac, Jenifer n'est plus tout à fait la même.
Elle a d'ailleurs symboliquement tué la part sauvage (et mauvaise ?) d'elle-même (le monstre) ; elle en a terminé avec l'Enfance en utilisant (une dernière fois ?) ses pouvoirs psychiques et les insectes pour anéantir son pendant monstrueux. (Quand elle sera, immédiatement après, à nouveau menacée (par Mrs Bruckner), les mouches ne se manifesteront pas ; C'est la guenon, symbole de l'entomologiste et d'une animalité moins hermétique, toute proche de l'être humain, qui interviendra alors.)

Jenifer est désormais devenue adulte et femme .
Jean-Baptiste Thoret évoque, à juste titre dans son essai*, la Naissance de Vénus lorsqu'on voit la jeune fille sortir de l'eau et regagner la rive.

Leur fonction étant renouvelée, la "relève" engagée et l'Age adulte franchi, les représentants de la parentalité peuvent maintenant disparaître : Tour à tour, Shapiro, l'impressario, décapité par Mrs Bruckner puis Mrs Bruckner elle-même, sous le rasoir vengeur de la femelle chimpanzé.

Sous ses dehors fantasques, schématiques et redondants, la fable s'avère beaucoup moins simpliste qu'il n'y paraîtrait et même carrément cruelle.

Le thème de la décomposition parcourt tout le film.


Décomposition des corps juvéniles soigneusement cachés sous les planchers des maisons pimpantes.
Décomposition d'un monde, apparement lisse, beau et austère (paysages buccoliques de la Suisse (mais constamment battus par le "Foehn", vent qui rend fou); Pension "Richard Wagner" majestueuse et classieuse (mais dont les annexes sont désaffectées et presque en ruine)) , un monde qui abandonne, enferme, interne et massacre ses enfants.

Décomposition de la famille (ici, toujours absente, monoparentale, déséquilibrée et aliénante ...).
Décomposition de l'esprit (Mrs Bruckner, son fils taré et manipulé, l'hopital psychiatrique, le formatage de la société (on cache, on rejette ou diabolise ; on cherche à se débarrasser de ce qui gène, de celui qui est différent)).

Décomposition effective et corruption de la chair (et Dario Argento nous gratifie de gros plans corsés sur cette tête, cette main coupées, ces fragments de corps rongés par la vermine, soulignant bien la réalité triviale, irrémédiable et universelle de la mort).


Cette mouche, " Le Grand Sarcophage" qui se nourrit exclusivement de cadavres.




Car les mouches et leurs larves sont non seulement les figures d'une thématique mais plus exactement des actrices, et même les véritables héroïnes de "Phenomena".


En effêt, ce sont toujours elles qui révèlent, interviennent, enquêtent et solutionnent.

(*"Dario Argento, Magicien de la peur" - Editions des Cahiers du Cinéma)
( a suivre ...)