Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 9 mars 2008

La Terza Madre (fin)








LA TERZA MADRE (fin)




Comme d'habitude chez Argento, tout est tissé dans un jeu constant (et ici peu inspiré) d'oppositions : Bien/Mal ; lumière/ténèbres ; moderne/ancien ; foule/solitude ; vue/invisibilité ; haut/bas ; ordre/anarchie ; eau/feu ; ouverture/fermeture...


Le travail effectué au niveau des correspondances et de rappels thématiques constants et très conscients, rappelle cependant que l'oeuvre est bien telle que l'a désirée son réalisateur.
Avec Dario Argento, rien n'est jamais fait ni laissé au hasard.

Aux étranges mains de plâtre dressées sur une table dans une salle du musée d'Art antique correspondent immédiatement les mains gantées de blanc de Sara et de sa collègue puis celles, monstrueuses, qui surgissent de l'obscurité pour supplicier Gisèle ;



A la scène dans laquelle Sara, réfugiée chez Mickael, allume un feu de cheminée fait écho la séquence qui, plus loin et dans le même décor, la montrera contrainte de bruler vif celui qui n'est plus désormais qu'un mort-vivant ;

A l'image de Sara et Mickael nus dans leur lit répond l'étreinte du couple de lesbiennes ; Aux larmes de sang versées par la victime de la sorcière asiatique correspondent les larmes de Marta lappées par la cruelle "Mater" ; La bonne du Père Johanès portant sa petite fille se fait le reflet de Mickael allant coucher son fils, et la mort du nourrisson annonce celles des autres enfants ;


La tête écrasée de la japonaise évoque celle, réduite en bouillie, du Père Johanès ;




La douche réconfortante de Sara sera suivie par celle, immonde, des "viscères" de la maison maléfique (cette pluie de débris humains rejoignant l'image de Gisèle perdant ses boyaux) ;



Les lunettes de soleil arborées par Sara préfigurent son étrange examen occulaire ;


L'empalement de Marta suggère, en amont, l'empalement final de la Mère des Larmes ...



Et, dans cette oeuvre davantage que dans toute autre, l'auto-citation devient flagrante !
Si les points communs avec "Suspiria" et "Inferno" (essentiellement d'ordre thématique et narratif) s'avéraient attendus, on pourrait presque redistribuer chaque idée, chaque allusion, chaque indice à l'oeuvre qui lui revient puisée dans la filmographie du cinéaste.



De cette manière, le singe, cette lame téléscopique et le bain de cadavres rappellent "Phénomena" ;
la poursuite dans le train, le cimetière, l'exhumation du cercueil et le passage "dessin animé"(l'histoire d'Oscar de la Vallée) renvoient au "Sang des innocents" ;


"Le Syndrôme de Stendhal" pour Vitterbo, le Musée d'Art antique, les statues, la violence crue et les yeux crevés ;


"Les Frissons de l'angoisse" pour l'exploration de la demeure déserte ; "L'Oiseau au plumage de cristal" pour la scène de l'escalier ténèbreux de l'immeuble de Sara ; "Trauma" pour l'examen occulaire de De Witt qui évoque celui d'Aura par le Dr. Judd ; "Jenifer" pour l'enfant dévoré et "Pelts" pour le vêtement magique (tunique contre manteau de fourrure) ; "Le Fantôme de l'Opéra "pour ces catacombes ravivant le souvenir des souterrains de l'Opéra de Paris ....



"La Terza Madre" passerait presque pour une vaste (et vaine) opération de recyclage, mais, là encore, la nouvelle réorganisation des figures et des obsessions passées ne parvient pas à supplanter les références originales.


La citation tourne au catalogue et au système pour une version finalement assèchée et enlaidie des anciennes trouvailles !


Seule immédiate nouveauté dans la filmographie de l'italien : cette irruption de la Religion et de plusieurs personnages appartenant à l'Eglise.


Dario Argento souhaite-t-il flatter la mode résurgente de l'intrigue "mystique" et la désacralisation des dogmes chrétiens inaugurée à grand bruit par le "Da Vinci Code" ?


Toujours est-il que cette intervention du sacré et de la religiosité sappe totalement la dimension "merveilleuse" et profondément fantastique des deux premiers volets du triptique (dans "Suspiria" et "Inferno", le conte et l'abstraction ne se raccrochaient qu'à de fugaces allusions à une mythologie obscure, pour déboucher sur des notes quasi métaphysiques). Un comble pour un créateur aussi atypique que novateur et souvent contestataire, d'en arriver à emprunter des voies aussi balisées et presque conservatrices !


La musique est assez réussie quoique sans grande surprise.

Claudio Simonetti a concocté une partition un peu prétentieuse avec force choeurs et effêts, mais l'ensemble colle bien au sujet et retranscrit suffisament toute la grandiloquence et l'ampleur nécessaires (ce que l'on ne retrouve pas forcémment à l'image !) Mélangeant, à son habitude, classique et moderne, choral ténèbreux et musique quasi-techno, cordes et synthés, le compositeur se permet aussi de brefs et discrets rappels des tics et des ambiances musicales de "Suspiria" et "Inferno" (la découverte du Livre des Trois Mères , le voyage en taxi jusqu'au repaire des sorcières...)

En conclusion, à la vision de "La Terza Madre", le fan de Dario Argento ne peut pas réellement s'estimer satisfait. Non, les attentes (légitimes ?) ne sont pas comblées !
Bien entendu, on pouvait, par avance, deviner un contrepied ou tout du moins quelque chose de surprenant de la part d'un cinéaste viscéralement libre et quelque peu "retors" ; de là à imaginer une "finale" si foutraquement bricolée, apparemment approximative et décevante...



Quelque part, on en viendrait presque à rêver sa version personnelle, idéale et fantasmée de cet achèvement de la trilogie des Trois Mères : quelque resucée nostagique et barriolée des ex-programmations labyrinthiques et sensitives qui avaient fait naguère nos délices !

Car là où "Inferno" prolongeait intelligement et superbement l'opus initial , "La Terza Madre" semble se contenter de plaggier et de rabaisser le concept.
En même temps, l'oeuvre emporte malgré tout notre sympathie; des visions successives atténuent notre déception et le rapprochement systématique avec les références au profit de son anticonformisme gonflé et d'une identité "autre" absolument indéniables !


Là où le réalisateur nous a, une nouvelle fois, piègés, c'est en nous renvoyant dans la figure nos pulsions les plus réactionnaires et les plus "passéistes" : en dépit de nos attentes, son travail, son style et sa vision (y compris de lui-même et de l'industrie cinématographique) ont continuellement évolués. Ici, Dario Argento se moque ouvertement d'un cinéma de genre (qui a fait ce qu'il est !) en le singeant et le parodiant à l'excès.
Mais l'ironie n'est finalement pas si éloignée que cela de l'hommage !

Plus que tout, le cinéaste raille et fustige le politiquement-correct, les diktats qui érigent le bon gout et un certain savoir-faire en habitude, en procédé, en unique et pénible référence !
Après tout, qu'attendions-nous ?
Des sorcières ? Des meurtres ? Du sang ? Des réponses ?
Nous en avons plus qu'il n'en faut !
Car on ne peut définitivement pas nier la générosité et la "pureté" quasi-enfantine ni surtout la liberté de Ce cinéma !
Direct, énorme, atroce et faux, délirant, indigeste et hyperdivertissant, le nouveau joujou du maestro se révèle un superbe et jouissif pied de nez à l'establishment, brassant et surjouant les codes de "son" cinéma, utilisant les conventions et les clichés pour mieux les déconstruire et en révèler toute la sublime fatuité !
Vous avez dit raté ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo pour ton site "argentoesque"!

Pour ma part j'ai bien voire beaucoup apprécié le dernier opus très controversé de Dario,comme tu peux le constater sur mon blog...