JENIFER
(2)
Manger et être mangé.
Remplir un corps (frénétiquement, monstrueusement... ; mais, la barbarie de Jenifer n'est finalement que choquante ; la société de consommation nourrit, après tout, des excès et des "appétits" tout aussi délirants !) ; Remplir un rôle (rôle social : un métier, une famille ...;
Faire ce que l'on pense devoir faire : recueillir une malheureuse par exemple ...) ;
Combler des manques et des carences (affectifs, sexuels ...) pour les vider, les perdre ensuite ( corps ouverts, déchirés, vidés comme les animaux que l'on mange ; éclatement de la sphère sociale, marginalisation ...)
De toutes manières, on finira "mangé" tôt ou tard (par une vie pesante et peu épanouissante, par les vers...)
Le film est sans temps morts.
Il est construit sur le principe de l'escalade, de la surenchère, une montée dans le "toujours plus": les repas de plus en plus barbares de la monstresse symbolisant aussi sa dévoration (toute intérieure mais de plus en plus effective) de Frank avec, au final, le retour au point de départ :
Il est construit sur le principe de l'escalade, de la surenchère, une montée dans le "toujours plus": les repas de plus en plus barbares de la monstresse symbolisant aussi sa dévoration (toute intérieure mais de plus en plus effective) de Frank avec, au final, le retour au point de départ :
Excèdé, horrifié, le héro, dans un accès de colère et de lucidité, veut en finir avec celle qui l'a détruit ; il s'apprête à la tuer ... et meurt par l'intervention d'un nouveau "pigeon", tout comme il avait lui-même refroidi l'homme du début.
Retour à la case départ, symétrie parfaite et boucle refermée d'un destin tout tracé qui va recommencer et redérouler son implaccable et terrible logique !
Reflètés dans les lames des tranchoirs, les miroirs, les vitrines et dans les pupilles impénétrables de Jenifer, les hommes sont désesperément voués à perdre toute leur matérialité en croyant se perdre, justement, dans la possession physique du vampire.
Et Jenifer ?
Est-elle innocente ou coupable ?
A-t-elle conscience du mal qu'elle transmet, de la destruction qu'elle génère ?
Elle semble apparemment totalement soumise et inféodée à ses "sauveurs", mais, peut aussi se montrer très jalouse et possessive.
Elle paraît également s'investir et s'affirmer dans chaque nouvelle histoire et relation avec une totale indifférence du passé et sans aucun état d'ame.
Machiavélique, elle va même jusqu'à se venger de la simple présence d'une autre femme aux côtés de Frank (l'employeur de celui-ci) en tendant un piège au fils de cette "rivale" et en le choisissant comme repas !
Dans quelle mesure n'est-elle pas responsable de ses actes ?
Dans quelle mesure n'est-elle pas responsable de ses actes ?
De son côté, Frank ne cherche jamais à comprendre ou à domestiquer la bestialité de sa nouvelle compagne ; il semble même plutôt satisfait et indifférent de son asservissement et de sa dépendance. Dans une autre optique, un autre film, il aurait pu tenter une humanisation à "L'Enfant Sauvage", un apprentissage du langage et des règles en vigueur ...
Mais, en fait, il aime la bête pour sa sexualité débridée et pour le pouvoir illusoire de sa supériorité de "maître" et, même s'il rêve d'une Jenifer comme une reine de beauté au visage charmant, il lui préfère nettement l'énigme et la sauvagerie de sa version réelle !
Quand elle manifestera le pendant antropophage de ses perpétuelles chaleurs et qu'elle dévorera l'enfant des voisins, Frank sera confronté à la réalité beaucoup moins excitante de son nouvel animal de compagnie ! Il songera alors à s'en débarrasser lâchement (la livrer à un cirque plein de pauvres monstres humains !) comme on abandonne un chien sur une aire d'autoroute, pour finalement choisir la complicité, la culpabilité et la marge. Cauchemard surréaliste, "Jenifer" opte pour la frontalité, un environnement contemporain et familier où le Fantastique n'arrive pas par l'abus d'étrangetés, d'effêts de lumière, de décors élaborés ou d'illogisme et d'onirisme, mais par une intrigue ancrée dans le réel, incroyable et atroce comme peut l'être la vie et qui ne donne jamais aucune explication, seulement l'enchainement sordide des étapes d'une relation excessive et destructrice.
Argento marie les gris, les bleus, les verts à toute une gamme de bruns, de jaunes et d'ocres.
Il épure ses lignes et ses décors, joue sur les cadrages, les ombres et les reflets pour un résultat aussi atmosphèrique, dépouillé et lisible que totalement réussi.
Le style n'empiète jamais sur la narration mais la sert avec autant d'efficacité que d'élégance.
Au final, et bien qu'un ouvrage de commande et référencé à un "comics","Jenifer" s'avère très personnel et abolument représentatif de l'Argento nouveau !
Le style n'empiète jamais sur la narration mais la sert avec autant d'efficacité que d'élégance.
Au final, et bien qu'un ouvrage de commande et référencé à un "comics","Jenifer" s'avère très personnel et abolument représentatif de l'Argento nouveau !
Déjà instaurée par les deux précédents giallos ( "Le Sang des innocents" et "Card Player"), la veine rageuse, anticonformiste, mature et moins "poseuse" se confirme.
Dario Argento conserve son art de fabuliste mais d'une manière beaucoup plus crue, plus décomplexée ...
La Technique et l'Esthétique ont gagné en finesse ; l'intrigue est soutenue, guidée, construite et mise en valeur.
On imagine le réalisateur, toujours passionné, excité et goguenard, concoctant ses nouveaux cauchemards. Son talent indéniable pour la vignette marquante, son audace toujours vivace, sa fidélité à une vision sans concessions, tout à la fois grinçante et pleine d'humour noir, du monde et de l'humanité, prouvent qu'il est loin de l'essoufflement et de la panne d'inspiration !
Bravo maestro !