Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 28 avril 2008

Jenifer 2 : La faim du monde






JENIFER
(2)






Manger et être mangé.
Remplir un corps (frénétiquement, monstrueusement... ; mais, la barbarie de Jenifer n'est finalement que choquante ; la société de consommation nourrit, après tout, des excès et des "appétits" tout aussi délirants !) ; Remplir un rôle (rôle social : un métier, une famille ...;
Faire ce que l'on pense devoir faire : recueillir une malheureuse par exemple ...) ;

Combler des manques et des carences (affectifs, sexuels ...) pour les vider, les perdre ensuite ( corps ouverts, déchirés, vidés comme les animaux que l'on mange ; éclatement de la sphère sociale, marginalisation ...)


De toutes manières, on finira "mangé" tôt ou tard (par une vie pesante et peu épanouissante, par les vers...)

Le film est sans temps morts.
Il est construit sur le principe de l'escalade, de la surenchère, une montée dans le "toujours plus": les repas de plus en plus barbares de la monstresse symbolisant aussi sa dévoration (toute intérieure mais de plus en plus effective) de Frank avec, au final, le retour au point de départ :

Excèdé, horrifié, le héro, dans un accès de colère et de lucidité, veut en finir avec celle qui l'a détruit ; il s'apprête à la tuer ... et meurt par l'intervention d'un nouveau "pigeon", tout comme il avait lui-même refroidi l'homme du début.
Retour à la case départ, symétrie parfaite et boucle refermée d'un destin tout tracé qui va recommencer et redérouler son implaccable et terrible logique !


Reflètés dans les lames des tranchoirs, les miroirs, les vitrines et dans les pupilles impénétrables de Jenifer, les hommes sont désesperément voués à perdre toute leur matérialité en croyant se perdre, justement, dans la possession physique du vampire.


Et Jenifer ?
Est-elle innocente ou coupable ?
A-t-elle conscience du mal qu'elle transmet, de la destruction qu'elle génère ?


Elle semble apparemment totalement soumise et inféodée à ses "sauveurs", mais, peut aussi se montrer très jalouse et possessive.
Elle paraît également s'investir et s'affirmer dans chaque nouvelle histoire et relation avec une totale indifférence du passé et sans aucun état d'ame.
Machiavélique, elle va même jusqu'à se venger de la simple présence d'une autre femme aux côtés de Frank (l'employeur de celui-ci) en tendant un piège au fils de cette "rivale" et en le choisissant comme repas !
Dans quelle mesure n'est-elle pas responsable de ses actes ?












De son côté, Frank ne cherche jamais à comprendre ou à domestiquer la bestialité de sa nouvelle compagne ; il semble même plutôt satisfait et indifférent de son asservissement et de sa dépendance. Dans une autre optique, un autre film, il aurait pu tenter une humanisation à "L'Enfant Sauvage", un apprentissage du langage et des règles en vigueur ...

Mais, en fait, il aime la bête pour sa sexualité débridée et pour le pouvoir illusoire de sa supériorité de "maître" et, même s'il rêve d'une Jenifer comme une reine de beauté au visage charmant, il lui préfère nettement l'énigme et la sauvagerie de sa version réelle !
Quand elle manifestera le pendant antropophage de ses perpétuelles chaleurs et qu'elle dévorera l'enfant des voisins, Frank sera confronté à la réalité beaucoup moins excitante de son nouvel animal de compagnie ! Il songera alors à s'en débarrasser lâchement (la livrer à un cirque plein de pauvres monstres humains !) comme on abandonne un chien sur une aire d'autoroute, pour finalement choisir la complicité, la culpabilité et la marge.


Cauchemard surréaliste, "Jenifer" opte pour la frontalité, un environnement contemporain et familier où le Fantastique n'arrive pas par l'abus d'étrangetés, d'effêts de lumière, de décors élaborés ou d'illogisme et d'onirisme, mais par une intrigue ancrée dans le réel, incroyable et atroce comme peut l'être la vie et qui ne donne jamais aucune explication, seulement l'enchainement sordide des étapes d'une relation excessive et destructrice.

On n'oubliera pas de sitôt les images de l'ogresse fouillant les entrailles d'une petite fille, jouant avec les tripes d'un chat, machouillant les morceaux de la verge giclante d'un adolescent, celles de sa langue lèpreuse lèchant la main de son "maître" ou de leurs ébats rugissants dans l'habitacle étroit d'une voiture ou dans une chambre fauve dont les murs reflètent la pluie du dehors...

Argento marie les gris, les bleus, les verts à toute une gamme de bruns, de jaunes et d'ocres.

Il épure ses lignes et ses décors, joue sur les cadrages, les ombres et les reflets pour un résultat aussi atmosphèrique, dépouillé et lisible que totalement réussi.
Le style n'empiète jamais sur la narration mais la sert avec autant d'efficacité que d'élégance.

Au final, et bien qu'un ouvrage de commande et référencé à un "comics","Jenifer" s'avère très personnel et abolument représentatif de l'Argento nouveau !


Déjà instaurée par les deux précédents giallos ( "Le Sang des innocents" et "Card Player"), la veine rageuse, anticonformiste, mature et moins "poseuse" se confirme.
Dario Argento conserve son art de fabuliste mais d'une manière beaucoup plus crue, plus décomplexée ...
La Technique et l'Esthétique ont gagné en finesse ; l'intrigue est soutenue, guidée, construite et mise en valeur.

On imagine le réalisateur, toujours passionné, excité et goguenard, concoctant ses nouveaux cauchemards.
Son talent indéniable pour la vignette marquante, son audace toujours vivace, sa fidélité à une vision sans concessions, tout à la fois grinçante et pleine d'humour noir, du monde et de l'humanité, prouvent qu'il est loin de l'essoufflement et de la panne d'inspiration !
Bravo maestro !



Le Cinéma de Dario Argento 13 : JENIFER



JENIFER



Frank, un officier de police, est alerté par des hurlements ; il surprend un homme s'appretant à assassiner une jeune femme ligottée et sans défense.
Dans son intervention, Frank est obligé de tuer le malade qui meurt en prononçant ce mot : Jenifer.
Jenifer, c'est cette jeune femme au corps superbe mais au faciès incroyablement monstrueux, muette, sauvage, innocente et si seule ...
Frank, complètement impressionné et fasciné par cette créature, va rapidement la recueillir, succomber à ses assauts et ses appétits insatiables pour finalement se couper, petit à petit, du reste du monde.
Jenifer, femme-animal, bête de sexe et de mort, tout à la fois vampire et fantasme, et mangeuse d'homme dans tous les sens du terme, l'entrainera irrémédiablement dans une spirale destructrice qui se terminera comme elle avait commencé : très mal !



Contacté par le concept "Masters of Horror", une série de films d'horreur créés par Universal pour le compte d'une chaine cablée américaine et réalisés par les "pointures" du genre, Dario Argento rejoint, entre autres, John Carpenter, Joe Dante, Tobe Hooper, John Landis, Takashi Miike et Stuart Gordon pour une production aussi contraignante (les films durent environ une heure) que finalement très permissive (sang et sexe "à gogo").

Autrement dit, un nouveau challenge pour celui qui adore les défis, les expériences, et les opportunités de créer quelque chose d'inédit.
La série connaitra d'ailleurs un tel succès qu'une "deuxième fournée" sera immédiatement mise en chantier !


Argento s'attelle donc à la tâche et réalise "Jenifer", une adaptation d'une bande dessinée horrifique de Bruce Jones.


Le format court et le principe de liberté totale (ou presque !) permettent au cinéaste d'accoucher d'un brulot sulfureux et extrême ; en même temps impitoyablement prévisible, jusqu'auboutiste, imparable et jouissif !
Avec "Jenifer", c'est un Dario Argento plus carré et plus direct que jamais qui s'exprime, signifiant qu'il n'a rien perdu de son talent, de son sens de l'image-choc et de son inspiration.
L'épisode s'avèrera d'ailleurs l'un des segments les plus réussis de la série.

L'esthète morbide et classieux fait ici plutôt figure de vieil élève indiscipliné et quelque peu obsédé.
Glauque et assez choquant, "Jenifer" oublie l'enrobage artistique et les références picturales pour l'épure, des cadrages très BD et le soucis de l'effêt sans fioritures.
Le sexe, tellement figuré, suggèré ou absent des productions antérieures, se révèle ici l'un des principaux moteurs de l'intrigue et des images.
C'est comme si Argento se lachait complètement après des années de sevrage.
Exemptes du film original (mais totalement explicitées dans les bonus des éditions DVD), les images les plus crues (une fellation et une castration atroce (à coup de dents !)) prouvent bien l'euphorie et la "candeur" du réalisateur.

Aux assauts explicites de sa créature et aux scènes d'un érotisme malsain, le cinéaste ajoute des connotations sexuelles incessantes (Frank, déjà "piègé", qui tente de "prendre" brutalement sa femme ; l'hopital psy., ses voyeurs et ses infirmiers salaces ; le fils du "héro", rapidement plus interessé par le "chassis" de Jenifer que dégouté par son aspect ; les lycéens obsédés ; Jenifer dans la position sado-maso d'une sorte d'animal de compagnie dévastateur ; le sous-texte zoophile ...)


Le monde est obsédé par le sexe et Jenifer, dont l'animalité, pourtant rebutante, attise immédiatement les pulsions les plus inavouées, utilise son pouvoir pour en démontrer toute la trivialité !

Cette histoire, comme un fantasme macabre et glauque, au grotesque et aux excès totalement assumés.
A commencer par son héroïne au corps de rêve mais au visage incroyable et répugnant :
des yeux énormes et fixes, dépourvus d'iris, noirs et luisants ; un grand nez comme fondu, rattaché à une bouche complètement déformée, rongée, aux lèvres relevées, perpétuellement ouverte sur des dents énormes et pointues et sur une langue pustuleuse !
Une figure à jamais figée dans une grimace horrible et pathétique !
Jenifer dégoute, effraie et dérange.
D'autant qu'elle demeure une énigme : on n'apprendra rien d'elle, ni de son passé, de son origine, ni de la raison de cette apparence et de cette bestialité.


Car Jenifer, victimisée au départ, se révèle bien vite une bête sauvage, un être organique aux appétits sans limites.

Manger ou être mangé, tel est le principe qui traverse tout le film : la faim.
La faim de nouveauté, de sexe, d'abandon ...
La faim jamais rassasiée de Jenifer (qui va commencer par s'attaquer au chat pour continuer par la petite fille des voisins et pour finir, dans l'escalade, par des hommes !)


Le film s'ouvre d'ailleurs sur l'image de deux officiers de Police en train de prendre leur pause-repas en bordure d'un fleuve ; les nouilles sautées et rougeâtres, englouties à la va-vite, comme un motif avant-coureur des tripes et de la "barbaque" sanguinolentes où l'héroïne plantera ses crocs et tout son visage ...


La description d'un mode d'alimentation très "fast-food" ou d'un repas familial glacial et basique, va trancher avec la représentation spectaculaire des appétits cannibales et charnels de la fille-monstre (la chair dénudée et exhultante ou dépiautée, étripée, fouillée ; les corps comme de la viande dont on se repait puis dont on entasse les restes dans le réfrigérateur (voir le sort réservé au directeur d'un cirque !))

Jenifer est un trou, un gouffre insatiable qu'il faut combler sans cesse ; l'abime se creusant autour de Frank correspondant aux orifices perpétuellement affamés de la créature (sa bouche toujours ouverte, salivante, humide, dévorante ; son sexe ...) : Jenifer mange tout et tout le monde !


Frank y laissera son ménage, sa maison, son travail, son identité et pour finir ... sa vie !
Petit à petit, et tant malgré elle que justement à cause de ce qu'elle est, Jenifer va "bouffer" celui qui s'est lié à elle dès qu'il l'a vue et sauvée.


Elle semble être arrivée pour combler le vide de l'existence de Frank (son couple est un ratage ; il n'a pas de rapports avec son fils ...)
Mais, le retour à l'animalité, à un état sauvage et primitif n'est, hélas, pas possible !
Et, comme un piège, la liaison sera vécue telle une dépendance, une addiction (et par ailleurs liée à l'alcoolisme grimpant du héro).
Frank aura beau se débattre (il essaie de se débarrasser de Jenifer, puis il tente de l'isoler en se "cachant" avec elle dans la forêt...), il n'y a rien à faire !
A la fois possédé et bientôt complice des meurtres du monstre (il enterre les restes des cadavres), le policier est contraint de fuir, de se cacher et de vivre en marge.


La solitude comme seule expérience de vie !
Seul dans son couple et dans sa famille, Frank se retrouvera encore plus isolé dans sa relation monstrueuse, totalement mis au ban d'une société où son "couple "hors-normes" ne peut trouver aucune légitimité.

Jenifer est une sorte de goule.
On songe d'ailleurs continuellement au vampirisme :
la morsure ; l'alliance attraction (sexuelle)/répulsion (danger) ; le sang et la viande humaine ; la transmission du Mal et la contamination (au début du film, Frank a sauvé Jenifer et il rentre chez lui ; Il découvre une blessure sur sa main dont il a le réflexe instinctif d'aspirer un venin pressenti) ; l'apparence de mort-vivant de Frank ; son fils qu'il surnomme ironiquement "le Prince des Ténèbres"...


Et l'oeuvre égrenne toute une série de références "gothiques" ( "Frankenstein" pour la scène de la petite voisine ; les monstres (Jenifer mais également les "Freaks" du cirque) ; la maison perdue dans la forêt ; les cadavres dévorés dans les caves ...)



(à suivre...)