Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

vendredi 11 avril 2008

Le Cinéma de Dario Argento 10 : L'Oiseau au plumage de cristal
























L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL



Un soir, Sam Dalmas, écrivain américain en séjour en Italie, est témoin de l'agression d'une femme dans une galerie d'art par une mystérieuse silhouette noire.
La victime s'en sort indemne.
Une chance, puisque le maniaque sévit depuis quelques temps et a déjà assassiné trois jeunes filles !
La Police qui tient son premier témoin, compte bien utiliser Sam pour arrêter le massacre d'autant que l'américain a le sentiment d'avoir saisi une information capitale dont, hélas, il ne parvient pas à se rappeler !
Improvisé enquêteur, Sam va tenter de démèler les fils embrouillés de cette intrigue et de recouvrer la mémoire.
Tâche difficile, surtout que les meurtres continuent et que les tueurs et les dangers s'avèrent multiples et le placent bientôt directement dans leur ligne de mire !
Une peinture naïve et morbide et un oiseau exotique se feront les indices étonnants qui mèneront notre héro à la révélation finale.



"L'oiseau au plumage de cristal" est le premier film réalisé par Dario Argento.
Jusque là journaliste, critique de cinéma et scénariste ("Il était une fois dans l'Ouest"...), le jeune réalisateur franchit brillamment le pas.

L'expérience se révèlera aussi difficile (problèmes avec le financier Lombardo, incompréhension et insatisfaction face à un travail qui ne s'apparente pas, à priori, aux références et au genre de l'époque..., menaces, pressions...mais soutien du père, Salvatore Argento, producteur) que finalement réussie et couronnée de succès.
Dès le départ, donc, Argento se heurte à l'incompréhension, au conformisme et à la frilosité des producteurs. Au final, le film séduit et change la donne.
Mais, tout au long de sa carrière, le cinéaste devra lutter contre la rigidité et le manque de reconnaissance (et de compréhension) du système et de la critique face à sa personnalité si spécifique !
Foncièrement atypique, Dario Argento conservera cette démarche indépendante, sans concessions, presque anti-commerciale, en tous les cas toujours fidèle à soit-même, personnelle et véritablement créative.

A la genèse de l'oeuvre figure un roman de Frédéric Brown ("The screaming statue") dont Argento s'inspirera au lieu de l'adapter fidèlement et d'être contraint d'en acheter des droits trop onéreux.
Le genre est celui du Giallo, thriller d'épouvante typiquement italien, initié par le "maître" Mario Bava. D'ailleurs, Argento reprend l'argument de départ de "La Fille qui en savait trop " : l'idée du héro immergé dans un univers étranger (américains en Italie dans les deux oeuvres) et spectateur involontaire d'un crime qui le propulsera directement au coeur d'une énigme policière aussi complexe et ludique qu'angoissante, teintée de fantastique et de sadisme.




Dès ses premières images, "L'Oiseau au plumage de cristal" égrenne ce qui deviendra les poncifs et la "rhétorique" du genre : un individu, mystérieux, non-identifiable et sinistre, vêtu, ganté et coiffé de noir ; les lames des armes blanches fétichisées dans leur écrin écarlate ; des jeunes filles innocentes et anonymes (?) pour victimes ...


Le titre étrange et beau comme celui d'un conte, préfigure la dimension "merveilleuse" et psychanalytique du Giallo (et du film Fantastique et d'horreur en général : le tueur comme "grand méchant loup", l'onirisme et les sous-entendus sexuels, la fonction cathartique...) et donnera lieu à toute une mode du titre "animalier" (et du thriller transalpin).

Dario Argento y aura encore recours par deux fois ( les deux gialli suivants invoqueront tour à tour le chat ("à 9 queues") et les mouches ("de velours gris").



Le Giallo, au départ, roman policier pervers identifié par ses couvertures de couleur jaune, trouve ici son echo visuel et cinématographique.
La transposition s'avère même parfois littérale dans certains plans où le mariage des teintes jaunes et noires renvoie directement à l'origine du genre.


Au niveau de la photographie justement, (Vittorio Storaro pour son premier film en couleurs), les jaunes, les bruns et les ocres prédominent, alliés à l'emploi malin du noir et du blanc (le décor de la galerie d'art ; la lutte de Monica (vêtue de blanc ) et de son agresseur (tout en noir) ; l'intérieur du bel immeuble de l'une des proies du tueur (associé au jeu sur l'obscurité et la lumière) ; les locaux de la Police ; les clichés noir et blanc des victimes ...) et à l'utilisation d'une gamme de gris bleutés pour la description des quartiers nocturnes et inquiétants d'une ville anonyme et dépourvue de chaleur.


Avec ce premier film, Argento va inaugurer un travail sur l'apparence (à la fois sur le "look", le style de ses films et le souci, l'appréhension de son travail de cinéaste comme celui d'un peintre ou d'un architecte de l'image filmée ; mais également sur l'apparence du monde, des choses établies et racontées, apparence forcémment menteuse, trompeuse, faussée ou changeante).

L'apparence comme toute une métaphore de son métier (de son art) lui-même : filmer une histoire, c'est utiliser et mettre en scène le réel pour servir une fiction ; le Cinéma est un monde d'artifices (mise en scène, montage, trucages et effêts spéciaux...) qui fabrique ses réalités.

Et le gimmick de l'indice (mal) perçu par le héro se voit initié et instauré dans ce premier film : motif récurrent et ludique de toute l'Oeuvre du cinéaste. Comme tous les personnages "argentiens", Sam a assisté à quelque chose de primordial (ici, la lutte entre l'assassin et la victime (les rôles de chacun n'étant finalement pas exactement ceux que l'on aurait pu croire !)).


Tout au long de l'histoire, le héro se rappelle cette séquence inaugurale que le réalisateur fige en clichés, détaille et scrute avec lui.
Plus loin, à l'énigme visuelle vient s'ajouter un indice sonore (un bruit particulier derrière la voix enregistrée du meurtrier). Semblablement, Sam (comme la Police) ne parvient pas à l'identifier ; et c'est, pour finir, son ami Carlo, expert en zoologie, qui lui fournira la réponse : le bruit était celui d'une grue, parquée dans un zoo au pied de l'appartement de l'assassin; et le meurtrier, non pas celui qui, surpris par deux fois en train de lutter avec sa femme, couteau à la main, finira écrasé sur le trottoir, mais la femme elle-même !

L'important détail visuel qu'il aurait fallu integrer dès le début au spectacle des agressions dont Monica Ranieri semblait victime, résidait dans le fait que, en dépit des apparences, l'agresseur (et le maniaque), c'était elle !

Comme toujours chez Dario Argento, le héro voit, il est le témoin, le spectateur, et il ne voit pas !
La séquence de la galerie d'art immaculée et toute éclairée, s'en fait l'illustration la plus appuyée .

Mais, sans cesse, la vision de Sam (et des autres protagonistes, d'ailleurs) est empêchée, parasitée, incomplète (lorsque le héro sort du commissariat au petit matin, un brouillard épais (et irréel) l'empêche de distinguer la silhouette qui le suit et manque le tuer ; lorsqu'il "file" l'ancien boxeur, il perd sa trace dans une réunion où tous les participants portent le même "uniforme", à priori pourtant très repèrable ; quand le peintre lui propose de partager son repas, Sam s'aperçoit trop tard qu'il est peut-être en train de manger du chat ; quand il découvre, au final, la cachette du meurtrier, c'est pour devoir avancer à tatons dans l'obscurité des lieux (ignorant la présence de sa petite amie ligottée et baillonnée et prenant tout d'abord son collègue Carlo pour le tueur) ; de même, la victime qui regagne son domicile est obligée d'affronter l'obscurité d'un escalier ténèbreux (et de ne pas voir l'assassin !) et Julia, confrontée aux assauts du psychopathe, subissant la coupure volontaire du courant et l'absence de lumière, n'aperçoit du malade qu'un oeil derrière le trou qu'il est en train d'aggrandir avec son couteau dans la porte de l'appartement ! )

Fidèle à ce qui fera partie intégrante de son cinéma, Argento manipule ses personnages et son spectateur.
Qui aurait pu penser, même en le voyant (ce qui est le cas !) que cette belle jeune femme, tout de blanc vêtue, était celle qui voulait poignarder l'homme en noir (silhouette identique à celle qui avait été clairement explicitée, dès le générique de début, comme étant l'assassin !) ?


Qui aurait cru que le mari (coupable idéal et tout désigné) était la victime (bien plus que le complice) de son épouse folle et criminelle ?


Comme dans tout bon récit policier, comme dans tout Giallo, l'intrigue regorge de sinuosités, de fausses pistes et de pièges.

Le Piège se faisant un motif répèté et symbolique du film (Sam désireux d'intervenir, lors de l'agression initiale, se retrouve prisonnier et impuissant, bloqué dans le sas d'entrée de la galerie (image préalablement citée par le décor du Musée d'Histoire naturelle avec ses animaux, ses oiseaux en vitrine) ; Sam "piègé" en Italie (le commissaire a confisqué son passeport, l'empêchant de repartir en Amérique); Julia piègée dans son appartement (téléphone et électricité coupés, fenêtres closes ou barrées, assassin derrière la porte !) ; le peintre fou qui vit dans une maison dont les portes et les accès ont été (par lui) condamnés, où l'on ne peut pénètrer que par une fenêtre de l'étage ; Sam (Julia et Carlo) piègés et enfermés dans le repaire du tueur ; Sam immobilisé et prisonnier d'une énorme et agressive sculpture, désormais à la merci de la psychopathe ; Garullo, le maquereau, enfermé en prison ; animaux en cage ou empaillés dans des vitrines (chats, oiseaux...), animaux parqués du Zoo ; victimes piègées par le maniaque ...)


Le piège ultime résidant dans l'identité du meurtrier (une femme alors qu'on le croyait masculin (voir les conclusions et les recherches effectuées par les policiers), responsable des crimes et des agressions alors qu'on le pensait victime !)


Ainsi, Monica Ranieri, autrefois victime d'un viol et réchappée de la mort, soignée de son traumatisme et à priori sauvée, a perdu la raison, des années plus tard, en tombant sur le tableau inspiré de son calvaire passé. L'image a réactivé le trauma mais le processus d'identification a fonctionné à l'envers et la femme a pris le rôle de son agresseur.



( à suivre...)

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