Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

jeudi 10 avril 2008

Le Cinéma de Dario Argento 9 : Card Player



CARD PLAYER



Rome. La Police est confrontée à un maniaque.
Via des parties de poker vidéo sur le web, il lance des défis risqués aux forces de l'ordre : les matchs, joués en trois manches, ont pour enjeu la vie et la mort de malheureuses jeunes femmes ; si le malade gagne, elles meurent, si c'est la Police, il leur laisse la vie sauve !
L'inspectrice Anna Mari, secondée par John Brenan, enquêteur dépêché par l'ambassade britanique, deviennent les principaux investigateurs de l'affaire.
Le "Card Player", c'est ainsi que le maniaque se surnomme, non content de répeter ses sinistres parties de poker et d'aligner les meurtres, fait rapidement des deux héros les pions privilègiés d'un jeu de rôle grandeur nature.
Le couple finira tardivement par découvrir que l'assassin se dissimule au sein même de la Police et que leurs propres vies sont désormais menacées.
Qui va remporter la partie ultime ?




Avec "Card Player", Dario Argento poursuit son grand retour au Giallo amorcé avec le film précédent : "Le Sang des innocents".

Le réalisateur a toujours apprécié fonctionner par cycles, par "périodes", tel un peintre, un artiste véritable (sa trilogie "animalière" des débuts de carrière ("L'oiseau au plumage de cristal", "le Chat à neuf queues", "4 mouches de velours gris"); sa trilogie des Trois Mères (inachevée très longtemps et terminée tout récemment : "Suspiria" , "Inferno" et "La Terza Madre") ; la trilogie d'Asia ("Trauma", "Le Syndrôme de Stendhal" et "Le Fantôme de l'Opéra") ; ses périodes américaines ou ses travaux pour la télévision...)

Néanmoins, le Giallo a toujours marqué et ponctué son oeuvre (les 3 films des débuts, le giallo "parfait" ("Les Frissons de l'Angoisse"), le giallo "ultime" ("Tenebres") et les motifs et les codes du genre imprègnent plus ou moins à peu près tous ses films, y compris les plus délibérement fantastiques ou les plus expérimentaux.







"Card Player" se présente donc comme la énième et nouvelle refonte du thriller à l'italienne selon Argento.
Mais, le travail engagé avec "Le Sang des innocents", cette volonté de dépoussièrage du "mythe" se trouve, ici encore, accentuée.

Dario Argento nous surprend à chaque fois par son gout du changement, sa capacité de broder toujours différemment autour d'une ossature ultra-codée, à jamais la même (un tueur et des meurtres ...) et de nous livrer finalement des oeuvres aux tons, aux préoccupations et aux allures beaucoup plus variés et divers qu'on a bien voulu le dire !
Quitte à décevoir un public et une critique qui ont toujours cherché à le figer (volontairement ou pas) alors qu'il demeure la liberté même !

Ici, le cinéaste privilégie le rythme, l'intrigue et les personnages à l'abstraction esthétique ou aux figures imposées (traque, meurtres spectaculaires, références psychanalytiques...); il préfère la tendresse au sadisme, une apparente simplicité à la sophistication, le "portrait" au "paysage".


Et, effectivement, le film coule, fluide, vif, leger et intrigant juste ce qu'il faut, au point que l'on s'en trouve presque déstabilisé !
Dario Argento ne nous avait plus habitué à des "rondeurs" et à une construction si huilée, si humble et sans fioritures depuis longtemps !
"Card Player" révèle donc une modestie et une fraîcheur réjouissantes.

Il assume son histoire, centré sur le développement linéaire et malin de l'intrigue, refuse la multiplication des points de vue et les parenthèses ornementales ou climatiques et s'attache réellement à son couple de héros avec une empathie rare chez le réalisateur .


Et c'est finalement avec plaisir que le spectateur accueille cette tendresse et cette humanité nouvelles.

Si "Le Sang des innocents" avait déjà un peu initié cette veine "humaniste", le film demeurait très violent et âpre, tant dans son traitement, son ton que dans son message plutôt dépressif et désabusé : l'oeuvre se faisait en quelque sorte le film-bilan, un genre d'adieu aux anciennes valeurs et le symbole du temps qui passe, du murissement, de la modernité et de la difficulté de vivre...
Modernité assumée ici sans aucune amertume et même avec une certaine candeur.

Dans "Card Player", il n'y a plus de place ni pour le cynisme ni pour les langueurs morbides et les agonies enluminées. Argento semble avoir trouvé de nouvelles orientations à ses obsessions, de nouvelles pistes plus directes, plus réalistes.

L'imprégnation universelle des "canons" américains et des programmes télévisés questionne en arrière-plan tous ses derniers films. Formellement, celui-ci est, encore une fois, absolument spécifique et très réussi !
Le réalisateur a toujours su s'entourer de techniciens et de directeurs de la photographie réputés ou particuliers.
Ici, Benoit Debie, remarqué notamment chez Gaspard Noé.

Très "nocturne" et urbain, l'oeuvre affiche une photographie pleine de beauté, très contrastée, avec un remarquable travail sur les ombres et l'éclairage et une grande cohérence de la palette chromatique : la permanence discrète de ces éclats de couleurs sur fond gris ou bleuté (les "roses" d'un bouquet de fleurs ou les "rouges" d'un vêtement ou d'un accessoire par exemple), les intérieurs chauds d'un café labyrinthique et surchargé, du décor de l'appartement d'Anna, géométrique et épuré , d'un restaurant bigarré...



La lumière très travaillée confère à certaines séquences et à certains cadrages des allures de tableau abstrait, jouant sur les applats et la superposition des formes, des motifs et des géométries, allumant la nuit d'un jardin de plusieurs disques lumineux (la lune, les spots des réverbères...), éclairant une traque dans un appartement ténèbreux par l'intermitence des écrans opaques des vitrages ou par l'éclat des coups de feu ...


Et partout ce souci de l'épure, jusque dans les extérieurs dépouillés, graphiques, dans les arches dédalesques de ces ruelles, dans ces bords de cours d'eau où sont repêchés les cadavres ; cette cour, comme d'un cloitre, et ce dôme, semé d'oiseaux, des locaux de la police romaine ; ces quartiers de banlieue aux perspectives constamment barrées d'horizontales ; Les architectures et les lignes pures comme seules ornementations d'une intrigue qui se suffirait presque à elle-même .



A cela corespond également la forme de l'écran de l'ordinateur sur lequel se déroulent presque toutes les batailles et le look simpliste et criard de la page web du poker vidéo.


"Card Player" prolonge totalement l'un des arguments et des motifs principaux du "Sang des Innocents" : le Jeu.
A l'écran, le jeu prédomine, sous toutes ses formes : poker; poker-vidéo ; salles de jeux ; cafés embrumés de fumée de cigarettes ; billards; machines à sous ; roulette russe ; rallyes extrêmes; jeu de rôle ; jeu d'acteur du schizophrène ; jeu de massacre ; jeu amoureux ; jeu du "chat et de la souris" voire "les gendarmes et les voleurs" ...


Sa figuration la plus littérale et la plus redondante réside dans le suspens de ces parties de poker disputées entre la Police et le meurtrier.
On peut suivre en direct le déroulement de chacune d'elles et l'aspect ludique du propos déborde alors complètement du cadre de l'écran (de cinéma ) pour impliquer directement le spectateur ; Celui-ci va pouvoir jouer lui aussi ! (Pour le faire, nul besoin de connaissances très développées en matière de poker et de stratégie, les règles étant très simplifiées).
On se surprend à anticiper les choix et les coups du hasard lorsque les cartes sont retournées tour à tour.

Le jeu devenu le recours, la référence, la religion d'une société oisive, égoïste, inscrite dans la dépendance, la concurrence, la solitude et un hédonisme artificiel et quelque peu désesperé.
Le tueur du film précédent était un (éternel) enfant, taré, celui de "Card player" se révèle un policier malade, accro aux sensations fortes qui a pussé son gout du risque jusqu'à en perdre la tête ! Le jeu, l'attrait de défis toujours plus excessifs, lui ont fait perdre toute valeur, y compris celle de la vie - la sienne ( il a participé à des parties clandestines de roulette russe ) puis celle des autres, celle de ces femmes qui se refusent à lui (les jeunes femmes, anonymes, pareilles à celles dont les meurtres ou les disparitions peuplent les enquêtes policières et les journaux ( télévisés ) ).



En même temps, le "Card Player" reste fair-play et quand la Police, grâce à Remo, petit génie du jeu, remporte un match, le malade libère la fille kidnappée du commissaire.

Ce n'est pas tant le meurtre qui le motive mais le challenge.
Le crime n'est qu'une incidence, une conséquence que la folie du Jeu a totalement banalisé.







Et s'il choisit Anna comme référente et adversaire privilegiée de ses parties, c'est aussi parce qu'elle se refuse à lui, qu'elle refuse de jouer à d'autres "jeux" en sa compagnie.

Anna, belle inspectrice célibataire, semble d'ailleurs la cible de l'interet de bien des hommes dans son entourage : autant de suspects potentiels au départ !
Blessée au fond d'elle-même par le suicide d'un père qui avait tout sacrifié au poker, qui a "flambé" sa vie, Anna affirme détester les cartes et le monde corrompu des salles de jeu.


L'assassin l'amènera à se replonger dans le passé et à affronter ses démons, s'attachant , au final, littéralement, avec elle, sur une voie de chemin de fer, pour disputer la dernière partie qui décidera de leur sort ( le père d'Anna était mort en se jetant sous un train devant elle ).



Le Jeu comme une psychanalyse interactive et extrême !

Et, au Jeu, Anna préfère les loosers, les perdants ; elle succombe rapidement au charme brut et aux félures de Brenan, l'enquêteur irlandais. Leurs blessures respectives (John Brenan a été mis au placcard pour une bavure et il est alcoolique) et leurs caractères francs, directs et tranchés les rapprochent immédiatement. La transcription de leur attachement et de leur amour, toute en demi-teintes et en notes pudiques, sans violons ni clichés, se révèle une belle réussite et quelque chose d'assez inédit chez Dario Argento.



Et même si le "Happy end" ne correspond pas exactement à celui que l'on aurait pu attendre de n'importe quel autre thriller lambda (Argento demeure heureusement Argento et s'il nous accorde une véritable idylle, il ne rechignera pas un instant à sacrifier pour finir l'un de ses deux héros !), le générique qui clôt le film s'avère plein d'espoir (Anna apprend qu'elle est enceinte de Brenan qui vient de mourir ).






(à suivre ...)

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