



Avec "Card Player", Dario Argento poursuit son grand retour au Giallo amorcé avec le film précédent : "Le Sang des innocents".






Et, effectivement, le film coule, fluide, vif, leger et intrigant juste ce qu'il faut, au point que l'on s'en trouve presque déstabilisé !
"Card Player" révèle donc une modestie et une fraîcheur réjouissantes.
Et c'est finalement avec plaisir que le spectateur accueille cette tendresse et cette humanité nouvelles.
Si "Le Sang des innocents" avait déjà un peu initié cette veine "humaniste", le film demeurait très violent et âpre, tant dans son traitement, son ton que dans son message plutôt dépressif et désabusé : l'oeuvre se faisait en quelque sorte le film-bilan, un genre d'adieu aux anciennes valeurs et le symbole du temps qui passe, du murissement, de la modernité et de la difficulté de vivre...
Modernité assumée ici sans aucune amertume et même avec une certaine candeur.
Dans "Card Player", il n'y a plus de place ni pour le cynisme ni pour les langueurs morbides et les agonies enluminées. Argento semble avoir trouvé de nouvelles orientations à ses obsessions, de nouvelles pistes plus directes, plus réalistes.
L'imprégnation universelle des "canons" américains et des programmes télévisés questionne en arrière-plan tous ses derniers films. Formellement, celui-ci est, encore une fois, absolument spécifique et très réussi !
Le réalisateur a toujours su s'entourer de techniciens et de directeurs de la photographie réputés ou particuliers.
Ici, Benoit Debie, remarqué notamment chez Gaspard Noé.
Très "nocturne" et urbain, l'oeuvre affiche une photographie pleine de beauté, très contrastée, avec un remarquable travail sur les ombres et l'éclairage et une grande cohérence de la palette chromatique : la permanence discrète de ces éclats de couleurs sur fond gris ou bleuté (les "roses" d'un bouquet de fleurs ou les "rouges" d'un vêtement ou d'un accessoire par exemple), les intérieurs chauds d'un café labyrinthique et surchargé, du décor de l'appartement d'Anna, géométrique et épuré , d'un restaurant bigarré...




La lumière très travaillée confère à certaines séquences et à certains cadrages des allures de tableau abstrait, jouant sur les applats et la superposition des formes, des motifs et des géométries, allumant la nuit d'un jardin de plusieurs disques lumineux (la lune, les spots des réverbères...), éclairant une traque dans un appartement ténèbreux par l'intermitence des écrans opaques des vitrages ou par l'éclat des coups de feu ...



Et partout ce souci de l'épure, jusque dans les extérieurs dépouillés, graphiques, dans les arches dédalesques de ces ruelles, dans ces bords de cours d'eau où sont repêchés les cadavres ; cette cour, comme d'un cloitre, et ce dôme, semé d'oiseaux, des locaux de la police romaine ; ces quartiers de banlieue aux perspectives constamment barrées d'horizontales ; Les architectures et les lignes pures comme seules ornementations d'une intrigue qui se suffirait presque à elle-même .




A cela corespond également la forme de l'écran de l'ordinateur sur lequel se déroulent presque toutes les batailles et le look simpliste et criard de la page web du poker vidéo.


"Card Player" prolonge totalement l'un des arguments et des motifs principaux du "Sang des Innocents" : le Jeu.
A l'écran, le jeu prédomine, sous toutes ses formes : poker; poker-vidéo ; salles de jeux ; cafés embrumés de fumée de cigarettes ; billards; machines à sous ; roulette russe ; rallyes extrêmes; jeu de rôle ; jeu d'acteur du schizophrène ; jeu de massacre ; jeu amoureux ; jeu du "chat et de la souris" voire "les gendarmes et les voleurs" ...





Sa figuration la plus littérale et la plus redondante réside dans le suspens de ces parties de poker disputées entre la Police et le meurtrier.



En même temps, le "Card Player" reste fair-play et quand la Police, grâce à Remo, petit génie du jeu, remporte un match, le malade libère la fille kidnappée du commissaire.

Le crime n'est qu'une incidence, une conséquence que la folie du Jeu a totalement banalisé.


Blessée au fond d'elle-même par le suicide d'un père qui avait tout sacrifié au poker, qui a "flambé" sa vie, Anna affirme détester les cartes et le monde corrompu des salles de jeu.
L'assassin l'amènera à se replonger dans le passé et à affronter ses démons, s'attachant , au final, littéralement, avec elle, sur une voie de chemin de fer, pour disputer la dernière partie qui décidera de leur sort ( le père d'Anna était mort en se jetant sous un train devant elle ).



Et, au Jeu, Anna préfère les loosers, les perdants ; elle succombe rapidement au charme brut et aux félures de Brenan, l'enquêteur irlandais. Leurs blessures respectives (John Brenan a été mis au placcard pour une bavure et il est alcoolique) et leurs caractères francs, directs et tranchés les rapprochent immédiatement. La transcription de leur attachement et de leur amour, toute en demi-teintes et en notes pudiques, sans violons ni clichés, se révèle une belle réussite et quelque chose d'assez inédit chez Dario Argento.
Et même si le "Happy end" ne correspond pas exactement à celui que l'on aurait pu attendre de n'importe quel autre thriller lambda (Argento demeure heureusement Argento et s'il nous accorde une véritable idylle, il ne rechignera pas un instant à sacrifier pour finir l'un de ses deux héros !), le générique qui clôt le film s'avère plein d'espoir (Anna apprend qu'elle est enceinte de Brenan qui vient de mourir ).
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