






LE SANG DES INNOCENTS

Les meurtres sauvages de deux prostituées ramènent sur le devant de la scène policière une affaire ancienne que l'on croyait élucidée : les crimes du Nain.
Ce fameux nain que l'on pensait mort et enterré, frappe à nouveau, s'inspirant d'une étrange et macabre comptine pour enfants dont il suit les couplets ; à chaque strophe correspond un meurtre.
Le fils de l'une des premières victimes, Giacomo, associé au vieil inspecteur qui avait autrefois traité l'affaire, se lancent à la recherche du tueur.
Le nain est-il toujours bien vivant ? Ou quelqu'un s'ingénie-t-il à prendre sa funeste succession ?
La réponse de l'énigme est encore ailleurs.

D'une manière à la fois plus crue, plus moderne et comme élégiaque.

"Le Sang des innocents" s'affirme, en effêt, comme un magnifique ouvrage de synthèse des oeuvres passées.
Aussitôt les premières mesures du beau thème musical égrennées, ne rencontrant, en contrepoint visuel, rien d'autre que l'épure ténébreuse du générique, nous voici immédiatement transportés près de trente ans en arrière.
Les Goblins ont retrouvé l'alchimie des "Frissons de l'Angoisse" et notre coeur s'emballe déjà !
L'histoire n'a pas même commencé que la curiosité et l'attente du fan du réalisateur se sentent presque rassurées et totalement confiantes.
En une grosse centaine de minutes, Dario Argento va brillamment nous rappeler toute une carrière ; mais, le "mix", le "pot-pourri" n'aura rien d'ostentatoire ni de gratuit et, au contraire, nous seront continuellement pris à rebrousse-poil, étonnés, déconcertés et ravis !
Tous les codes du Giallo sont énumérés dans le film : les victimes, féminines de préférence, un assassin aussi mystérieux et insaisissable que cruel et sadique, ganté de noir évidemment ; et, comme à l'accoutumée, la résolution des énigmes n'arrivera qu'en tout dernier lieu, aussi dérisoire et improbable que jouissive, qu'après l'incessant et obligatoire attirail de faux indices et de prétendus coupables...
Mais, si l'hommage s'avère plus que respectueux, c'est aussi plus brutalement et d'une manière nettement plus frontale qu'Argento décline ses arguments.
Comme Mario Bava, naguère, avait dans "La Baie sanglante"volontairement durci et exageré son "trait", le réalisateur évite, ici, toutes fioritures, toute distraction purement stylistique.









Et si les lames rutilantes des coutelas sont bel et bien traditionnellement célèbrées dans leur écrin de velour rouge, la pose s'avère surtout référentielle : un réel cliché , comme la photographie mise en scène d'un livre de recettes pour sérial-killer !





Semblablement, dans les figures imposées de la traque et de la mise à mort toujours diffèrée et interminable d'une victime faible, impuissante et déjà "morte" de peur, la tonalité est beaucoup plus terre à terre, moins théatrale et fantastique, et la lutte et le corps à corps succèdent, ici, à l'abandon tétanisé d'oeuvres anciennes.

Car, dans "Le Sang des innocents", les innocentes en question, bien qu'inéluctablement vouées à la mort, n'en perdent pas pour autant une réalité, une matière, une capacité de réaction et de révolte qu'elles ne possédaient guère auparavant (la plupart des victimes cherchent à se défendre, à se battre, à griffer et à mordre pour rester en vie).




L'issue n'en est, hélas, que plus rapide !
Le criminel a beau aimer jouer (la poursuite dans le train où il se dissimule, téléphone à sa proie, la terrorise, lui ménage de faux espoirs (la présence du contrôleur, sa cachette qu'il feint de n'avoir pas devinée...) avant de l'éxécuter ; la scène du meurtre de la gogo-danseuse où il joue de la même manière avec les nerfs de sa proie ( fausse panne de courant, miaulements lugubres, déguisement...)), il ne faut tout de même pas abuser de sa patience ni outrepasser les règles de son jeu ( il est l'assassin, elles sont les faibles victimes ! )








A la griffure du "chat" (la danseuse de boite de nuit) il répond par des coups de poing, il l'assomme puis la noie ; à la morsure du "lapin", en lui fracassant le visage contre un mur !






Autrefois, chez Argento, on tuait par vengeance, par folie, par obsession, par souçi du maintien d'un ordre occulte ou d'un pouvoir qui dépassait l'homme ; on tuait par esthétisme ou traumatisme...
Ici, le meurtre est devenu la matérialisation d'un jeu vidéo : on tue par une sorte de désoeuvrement, pour se distraire, par jeu ...
Un jeu dont on serait le créateur, le maître et l'acteur principal ; un jeu addictif et jubilatoire !

On tue donc par une sorte d'ennui, de caprice de gosse trop gaté et avec un gout déliberé et intrigant de la pose pour scoops journalistiques ( indices et "signatures" en forme de silhouettes découpées d'animaux ; mise en scène, manipulation et observation de son entourage ; gout du sensationnalisme et de la répétition ; vision réductrice et "déréalisée" des victimes...)

Et c'est comme si les victimes, elles-même, avaient eu connaissance de la comptine dont elles incarneront les symboles !

Il est donc logique que les femmes, dans le film, par reflet de l'esprit dérangé du psychopathe, soient toutes effectivement assimilées à des animaux :
les prostituées sont des cochons, les toutes jeunes filles, des poussins, la ballerine et la harpiste : deux cygnes gracieux ; d'autres assimilées à leur nom de famille (Maria "Gallo" pour le coq) ou à leur surnom affectueux et à un détail physique ( les dents du "Petit lapin").








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Aucun lien cependant avec les légendes et les créatures mythologiques ; les sirènes, les gorgones et les sorcières capables de se transformer en chauve-souris ou de commander les chats, les rongeurs ou la vermine ne sont plus que les créatures d'autrefois ("Suspiria", "Inferno")

Ici, les femmes ne sont rien d'autre qu'un gibier et, comme lui, massacrées.
D'ailleurs, n'apprend-t-on pas que le tueur avait commencé par "se faire la main" sur les animaux de son quartier avant de se lancer dans une chasse plus exhaltante ?

( à suivre...)
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