





CARD PLAYER (2)



La "planque" du meurtrier s'avèrera un barraquement au fond d'un parc sauvage tout planté de ces végétaux. Les plantes ouvrent leurs gousses qui libèrent des multitudes de graines et de duvets.

La scène où John Brenan finit par dénicher le repaire du malade et la progression de l'enquêteur dans le parc tout neigeux de ces graminées est fort belle (d'autant qu'elle est ponctuée de signes et de réminiscences musicales qui nous remémorent immédiatement "Les Frissons de l'Angoisse" !)


Car l'assassin a un côté esthète ! Une esthétique morbide de l'Etrange, de la ruine et de la mort, mais, après tout, indéniable !






Au début du film, il offre des fleurs à Anna et lui propose de sortir avec lui ; il filme ses victimes ( gros plans de la webcam sur les visages baillonnés et terrorisés des jeunes femmes ) ;





Il se terre dans un hangard métallique au creux de ruines et de jardins touffus qui font songer au château de la Belle au bois dormant ; il va même jusqu'à se regarder, se décrire et s'analyser en personne lorsque, dans son "rôle" de policier, il décrypte le mini-film où une victime a essa
yé (hélas, sans succès) de s'échapper en direct, pendant l'une des terribles parties de poker ; la tentative d'évasion avait finalement été déjouée par le Card player (donc lui !) mais, dans la lutte du maniaque avec sa prisonnière récalcitrante, la chute de la mini-caméra avait révelé le décor et la silhouette du psychopathe (autrement dit, la sienne ! Jusque là on ne pouvait saisir que les visages des filles séquestrées)






Le voyeurisme de l'amateur de films d'horreur (et donc de l'amateur potentiel des films de Dario Argento, et, consécutivement encore, de ses scènes de meurtre spectaculaires et inventives) ici, lesé d'effêts gores et d'images-choc, se retrouve remplacé par le voyeurisme contraint de la Police romaine, par ces mises à mort effectuées hors champ et seulement lues sur les visages qui agonisent et par les cadavres gluants, "dévitalisés" et égorgés de ces femmes, explorés impitoyablement par les gros plans nauséeux et insistants de la caméra d'Argento et par les instruments, les gants de caoutchouc et les forceps du légiste ( l'un des corps crachera littéralement au visage de Brenan, comme pour lui signifier l'impudence de ses gestes et de ses investigations !)









Aux incertitudes, aux imperfections et aux déceptions des rapports humains, il préfère les règles "carrées" de ses jeux toujours plus excitants, plus excessifs et déréalisants.

Quitte à mentir , quitte à tricher ; à jouer lui-même une partie pipée pour tromper son monde et se fabriquer un alibi en béton ( la deuxième confrontation du "Card Player" et des policiers n'a pas lieu en direct ; malgré les apparences, elle a été enregistrée. Carlo joue à la fois le sauveur malchanceux (le policier qui accepte le défi et joue) et l'adversaire et tueur ( le "Card Player")).


Mais sa schizophrénie et sa folie des grandeurs, l'ordre, la mathématique et la rigidité de ses règles oublient la part de magie et d'illogisme qui fait aussi la réalité.




Remo l'avait compris, lui, ce jeune prodige du jeu totalement intuitif et naïf, traversé par un souffle quasi-surnaturel (sa mort échaffaudée et mise en scène par le machiavélique "Card Player" aura d'ailleurs les couleurs d'un cauchemard et une sorte d'irréalité (une belle jeune fille comme appât, un jeu de poursuite dans des ruelles labyrinthiques, une voix déformée, venue d'on ne sait où, qui impose un quitte ou double (Remo doit choisir entre deux issues (les deux portes d'une sorte de bunker) dont il ignore laquelle est celle qui peut le sauver) et la mort qui frappe malgré tout, inéluctable !)







Pareillement, le monde moderne a beau rutiler de technologies (le côté très peu high-tech et foncièrement schématique et "bon enfant" de la description du réalisateur montre bien , en fait, qu'il n'est pas passionné par cet aspect des choses !), il a beau être bardé d'écrans, d'outils, de racourcis, de machines et de téléphones cellulaires, il y a toujours un être humain derrière (et devant !) la machine et c'est une plante à graines et non pas les programmes de localisation des "hackers" de la Police qui déniche et démasque le tueur !


Et, effectivement, le piège est là, partout.








Pièges des parties de poker imposées aux policiers ( s'ils refusent de participer, comme lors du premier "contact", la victime se retrouve égorgée à coups de cutter sous leurs yeux !) ; Piège de la voiture de l'assassin (Carlo, le collègue, qui feint d'emmener Anna sur les lieux d'investigation ) et Piège de cette dernière partie , jouée menotés sur une voie de chemin de fer ; Piège des apparences ; Piège du Jeu ou de l'alcool ; Pièges de la ville, la nuit, la ville ombreuse et rougeâtre.





En même temps, la noirceur (du contexte, de l'ambiance, de la vie...) ne prime pas ;
elle est seulement digèrée, admise et parfois teintée d'humour (le légiste sort "ses poupées" de ses tiroirs réfrigerés et danse et chante de l'Opéra ; le commissaire stressé a besoin d'une cigarette devant le panneau d'interdiction de fumer ; on boit du champagne et on engloutit des gateaux quand Lucia est relachée par le "Card Player"...)
elle est seulement digèrée, admise et parfois teintée d'humour (le légiste sort "ses poupées" de ses tiroirs réfrigerés et danse et chante de l'Opéra ; le commissaire stressé a besoin d'une cigarette devant le panneau d'interdiction de fumer ; on boit du champagne et on engloutit des gateaux quand Lucia est relachée par le "Card Player"...)


L'étonnant générique de départ s'ouvrait sur une présentation immédiate d'Anna arrivant sur son lieu de travail.

La Caméra brumeuse et destructurée ne saisissait que des bribes, des angles, des détails hachés du personnage et de son milieu - on n'apercevait que ses pieds, ses jambes et ses mains - au son de la musique électronique de Claudio Simonetti, sorte d'écho préalable rappelant les jingles et les gimmicks sonores des jeux vidéo : Anna comme un "morceau" anonyme, une pièce active, la partie intégrante et assimilée d'un décor et d'un tout !
Le générique final ne possède plus cette étrangeté et cette agitation à la fois descriptives et brouillonnes.
Là, plus que le calme et la simplicité d'un plan fixe sur l'héroïne. Anna a les cheveux coupés et elle apprend qu'elle est enceinte ; toutes les informations se lisant uniquement sur son visage. Et le bonheur, l'espoir, l'emportant sur la mélancolie !
Le "Card Player" a été balayé, anéanti ; comme le passé (les souvenirs ravivés du père, écrasé lui aussi par un train, et la fin d'une affaire difficile) et comme un futur possible (la relation avec Brenan empêchée par son meurtre), mais tout est encore valable et la vie continue (le bébé qu'Anna porte).
Le "Card Player" a été balayé, anéanti ; comme le passé (les souvenirs ravivés du père, écrasé lui aussi par un train, et la fin d'une affaire difficile) et comme un futur possible (la relation avec Brenan empêchée par son meurtre), mais tout est encore valable et la vie continue (le bébé qu'Anna porte).


"Card Player" prolonge "Le Sang des innocents", tissant sur les mêmes thèmes une variation totalement différente !
Humble, dépouillée, concise, vive et enlevée, l'oeuvre raconte finalement que Dario Argento n'est pas encore à bout de souffle (et loin de là !) et qu'il n'a certainement pas fini de nous surprendre !

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