



LE CHAT A NEUF QUEUES
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La Science et la Technique, autres grands centres d'intéret du réalisateur, ici représentées par cet Institut à la pointe, plein des "grosses têtes" les plus calées, travaillant pour le pouvoir et pour l'élite d'une société qui rêve de contrôle et d'uniformisation, figure finalement extrêmiste et quasi-fasciste, la Science, donc, s'avère la grande responsable.
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Ici, curieusement, plus l'homme obtient des outils de compréhension de son univers et de lui-même ou des instruments d'ammélioration de sa vie et de son quotidien, plus il s'ingénie à les utiliser à mauvais escient et dans une logique d'égoïsme et de pouvoir !
Dario Argento posait déjà, au début des années 70 et sous le couvert de ce "film de genre", brillant et référentiel, des questions très sérieuses et réalistes et aujourd'hui toujours d'actualité !

Dans "Le Chat à 9 queues", les combinaisons de chromosomes et les formules mathématiques sont encadrées comme des oeuvres d'art décoratives ; les savants sont des gestionnaires et fous ... d'argent ; l'Institut Terzi, comme un roquefort de marbre bouffé des moisissures d'âmes peu reluisantes ressemble à un dédale LeCorbusien de couloirs et de toits, où les petites orphelines, n'ayant pas eu la chance de naître dans les hautes sphères, se retrouvent enfermées avec les rats et soumises aux caprices de chercheurs dégènèrés.


Dans un autre style, la peinture du quotidien d'Ardo se révèle aussi réaliste qu'étonnante :
on apprend comment un aveugle peut faire des mots-croisés, préparer un repas, dessiner (et même se défendre et se battre !) et vivre finalement d'une manière autonome qui a su s'adapter au handicap.




Un film plus sérieux et réfléchi qu'il n'y semblerait donc au premier abord !
Ce qui n'empêche nullement l'humour.

Ce policier bavard et atypique qui saoule ses collègues et interlocuteurs avec les descriptions émerveillées des recettes culinaires concoctées par sa femme ;
Ce coiffeur, blessé dans son amour propre, qui fustige la bêtise des journalistes avançant que le coupable est peut-être de sa profession et qui s'énerve alors qu'il est en train de raser un Giordani de plus en plus mal à l'aise ! ;


Anna, inconsciente, et amatrice de sensations fortes, qui se plait à semer la Police dans une folle course-poursuite automobile, manière idéale d'avoir l'ascendant sur Giordani, impressionné ; leurs rapports de séduction très offensifs et piquants ;
Le personnage haut en couleurs de Gigi la cerise, ex-as du braquage et du cambriolage, reconverti en champion de concours d'injures ;
L'humour noir d'Ardo lors de son incursion avec Giordani au cimetière ...
Le gout du morbide et de la situation et du détail choquants, affectionnés par Dario Argento, continuent à s'affirmer dans ce film pourtant globalement plutôt sage !
Si les victimes étaient lacerées à coups de rasoirs et de couteaux "phalliques" dans "L'Oiseau au plumage de cristal", elles sont, ici, plus souvent étranglées par une cordelette, assommées ou jetées sous un train (belle scène, très "hitchcockienne" dans son découpage, son montage et son sens aiguisé du détail dérangeant !).




Le photographe étranglé a tout de même le visage tranché par un scalpel et Bianca agonise en bavant sur sa moquette une mousse rose du plus bel effêt !





L'amusante (et sinistre) séquence de la "plongée" dans son caveau par un Giordani peu rassuré, s'affirme comme du Dario Argento "pur jus" !
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Et la poursuite finale sur les toits de l'Institut, la fillette baillonnée et menacée, l'échange sanglant de coups virils et de lames plantées dans le corps entre Giordani et le "malade", clôturé par la chute de celui-ci dans une cage d'ascenseur (le détail de ses mains déchirées aux cables auxquels elles tentent de se retenir), confirment le talent indéniable du cinéaste dans l'installation et la description de la mort.






Les scènes du meurtre du photographe, de celui de Bianca, la séquence de la Gare... annoncent les splendides cauchemards à venir.


Esthétiquement, l'oeuvre manque quelque peu de partis pris spectaculaires.
On retiendra cependant l'alliance vert/violet (jaune/rose) qui atmosphèrise la scène de l'appartement du photographe ; combinaison chromatique réévoquée ponctuellement (chez Terzi, chez Ardo, dans le cimetière ...) mais, globalement, ce sont les jaunes, les beiges, les bruns, les gris et les blancs qui prédominent dans des associations élégantes et réalistes (le rouge et le bleu conjugués en filigrane et par le biais des accessoires et des éléments des décors ou des vêtements...).
Les prises de vues et les cadrages se révèlent peut-être plus appuyés :
l'utilisation systématique de la caméra subjective pour tout ce qui concerne l'assassin ;
cet oeil énorme du meurtrier en rappel ornemental, en flash redondant ;


Les plans, presque amusants dans leur langage ultra-subjectif, de la scène des verres de lait empoisonné ; ce gout des formes et des motifs des cages d'escaliers saisies comme des spirales hypnotiques ; cette scène d'amour entre Anna et Giordani, très découpée, très fixe et très stylisée ;






le meurtre étonnant de Calabresi : les plans de cette tête qui vien
t heurter l'avant du wagon, de ce corps, à moitié englouti sous le train, qui roule le long du quai comme une poupée atroce ; ces plans très construits et hyper-graphiques (l'homme qui vient dénoncer la cachette de Braun ; les confrontations dans le vestibule blanc et or de la villa Terzi (Terzi, le notable, toujours figuré en hauteur, sur son escalier, et Giordani en contrebas, découpé sur l'écrin luxueux du décor )...




Le montage surprenant semble ne pas attendre la fin d'une scène pour passer à la suivante mais insère dans la première des plans cruciaux, comme une annonce, de la séquence qui arrive.
Cette alternance présent/futur peut répondre à des interrogations ou s'inscrire dans une thématique .
Autre lien inventif qui unit deux scènes consécutives :
un personnage pose une question à son interlocuteur et la réponse parvient au spectateur par le biais d'un protagoniste engagé ailleurs dans une autre conversation !
Le souci de l'information (du personnage mais également du spectateur) s'avère primordial et constant.
Quitte à en être saturé (d'infos), au point de ne plus savoir par où démeler une enquête ; quitte à se perdre dans cette intrigue où tout le monde a quelque chose à cacher mais où tout se sait malgré tout !

Le fait que les deux héros soient des journalistes (c'était le métier d'Ardo autrefois) sous-entend aussi ce flux mélangé et continu d'informations ; importantes ou accessoires, vraies et fausses, données ou prises, visuelles, auditives, symboliques ...
On se ment, on s'avoue, on confie, on dénonce, on soutire ... Les journaux (et les journaux intimes), les notes, les papiers, les lettres, les dossiers passent de mains en mains, s'achètent et se paient (parfois très cher : la mort).

Savoir a un prix et exige un sacrifice ! La vue ou la vie !
Inspiré par "Twisted nerve" de Roy Boulting et par Robert Siodmak, Dario Argento rend ici, avant tout, un hommage brillant à Alfred Hitchcock.
C'est d'ailleurs son oeuvre où les références (volontaires ou non) au maître du suspens abondent le plus (hormis bien entendu " Vous aimez Hitchcock ?").
Ainsi reconnaît-on "Frenzy" (les étranglements, le policier aux recettes culinaires ...), "Soupçons" (le lait empoisonné !), "Fenêtre sur cour" et "Le Rideau déchiré" (la formule secrète volée, la starlette accueillie par les photographes sur le lieu d'un drame ...)

Peut-être est-ce ce côté très construit et malgré tout "entendu", plein de rebondissements et très (trop ?) centré sur l'intrigue qui a mécontenté, au final, le réalisateur ?
Le film renvoie, il est vrai, davantage au thriller et privilégie le suspens et l'enquête au détriment de l'Etrange et de l'horreur pour un giallo qui manque, en fin de compte, de cruauté et de raffinement .
Malgré cela, Dario Argento prouve avec ce deuxième opus qu'il n'est pas uniquement le faiseur d'images, le concepteur d'ambiances chics et choc, possiblement creux et redondant, que la critique a parfois ainsi racourcit !
"Le Chat à 9 queues" démontre avant tout l'habileté, l'érudition cinématographique et le talent du cinéaste pour raconter une histoire et pour affirmer, par delà les mécanismes attendus du genre policier, sa vision très libertaire, toujours moderne et finalement très sociale du monde ; pour brosser des portraits et des tableaux beaucoup plus offensifs et profonds qu'il n'y paraîtrait !

N.B : Pour info, un "Chat à neuf queues" est aussi (et, avant tout !) une sorte de fouet, de martinet , un instrument de punition autrefois utilisé dans la Marine (le "cat o'nine tails" de la Royal Navy) !
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