Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 12 avril 2008

L'Oiseau au plumage de cristal (2) : introduction au Giallo







L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (2)





La dimension sexuelle du crime initial (le viol et l'agression de Monica Ranieri) imprègne la totalité du film.
L'uniforme aux connotations sado-masochistes et en même temps androgyne (qui se cache sous le cuir noir ? Homme ou (et) femme ?) arboré par Monica (et par son mari (la tueuse et son complice)) ;


Ces couteaux alignés, caressés, choisis, brandis comme des instruments de plaisir ;

La retranscription très "sexuée" du crime d'une jeune femme (elle est allongée à demi-nue sur son lit, le maniaque promène la lame sur son corps, déchire sa nuisette puis arrache sa culotte ; les gros plans sur la bouche ouverte et hurlante de la fille...) ;


Les photos de filles nues accrochées au-dessus du lit de l'ancien boxeur ; les clichés et les détails des cadavres des victimes (comme des poupées aux yeux et aux bouches encore ouverts, aux jambes dénudées, aux bas arrachés...) ; la sexualité explicite et surlignée des personnages (l'antiquaire homosexuel, les suspects pendant la procédure d'identification (travesti, pédophile, exhibitioniste ...)) ; le lesbianisme supposé de la première victime ; la prostituée assassinée et son souteneur... ; jusqu'aux étreintes de Sam et de Julia...)



Et à la schizophrénie de la tueuse (en même temps victime et bourreau ; capable à la fois d'un comportement normal et d'actes criminels) vient correspondre la double face de la silhouette noire et gantée (de l'assassin?), les deux voix distinctes du présupposé maniaque enregistrées et analysées par la Police, ce couple lié dans la folie et le crime (Monica pour venger son agression ; son mari, Alfredo, pour proteger et disculper sa femme malade).


Semblablement, de nombreuses choses se répètent, sont doubles ou se font écho et reflet.
Par exemple, la lutte du début, dans la galerie, entre Monica et son mari, se retrouvera à la fin, au moment où, grâce à l'"oiseau au plumage de cristal" (une grue tropicale ) , la (première) demeure du tueur sera dénichée (et dans les deux cas, c'est Alfredo Ranieri qui est pris pour responsable !)


Ainsi, la longue et belle scène où Sam est poursuivi par un mystérieux homme vêtu de jaune (un ancien boxeur, vraisemblablement engagé par le mari pour éliminer les indésirables) se transforme en traque inversée (lorsque Sam suit son agresseur à son tour ).


Cette jeune femme photographiée par le meurtrier dans un hippodrôme, les clichés de cette prochaine victime s'enchainant sur les photos des cadavres des trois précédentes et sur la description de leurs morts étudiées par Sam et Julia.
Pareillement, cette séquence où Julia, rentrant à l'appartement, découvre la reproduction du tableau morbide - son regard s'arrête (avec la caméra ) sur la photographie - scène qui continue directement sur l'image du véritable tableau, accroché lui aussi à un mur et, cette fois, regardé par l'assassin.


Et puis, tout comme les oiseaux en vitrine du Musée annonçaient la "prison de verre" de Sam, coincé dans l'entrée de la galerie, on peut noter cette énorme sculpture en forme de serre, de patte d'oiseau, sur laquelle vient s'appuyer Monica ; évocation de l'oiseau rare du zoo (et donc de celui du titre de l'oeuvre).

Par deux fois, Sam manque se faire écraser (par une voiture tout d'abord, en apercevant la scène du "combat" dans la galerie, puis par les émissaires d'Alfredo Ranieri).



Et à la description stylée du couple "nanti" des galeristes (appartement cossu, costumes chics et cigares couteux d'Alfredo, beauté effrayante et design de la galerie...) vient s'opposer la description de la "faune" populaire et typée des quartiers périphériques (maquereaux, truand (Garulo et Filaga), hommes de main, prostituées, le "taudis du boxeur...). L'appartement bohème de Sam et Julia fait le lien entre les deux univers, à la fois spartiate et bordélique, un peu vétuste (leur immeuble fait songer à une ruine) et hétéroclite, plein de reproductions, d'objets disparates, de livres et de ...poussière.



Dario Argento saisit les univers et les évènements comme autant de tableaux détourés ; et les rectangles découpés des portes, des fenêtres et des baies vitrées ou des terrasses se font les écrans par et devant lesquels est ponctuée l'action (écran de la scène-spectacle de la lutte dans la galerie ; balcon devant lequel se débattent Monica et son mari ; découpe jaune d'une porte sur le noir total de la galerie plongée dans l'obscurité ; écran de cette lucarne que Julia tente de briser en vain, de cette fenêtre condamnée par des barreaux, de cette porte creusée par la lame du maniaque ; écrans des postes de télévision sur lesquels s'ennuie le commissaire ; géométries décoratives des gros ordinateurs de la Police scientifique devant lesquels viennent s'inscrire les protagonistes ; cadrages de l'objectif photo du meurtrier qui "caste" ses futures proies ; découpage photographique de la (fausse) tentative de meurtre de la galerie des Ranieri ....)

Et, dès ce premier film, l'Art s'affirme, au coeur de tout et sous toutes ses formes, de la plus noble à la plus modeste ou la plus vulgaire :
la galerie et ses oeuvres torturées et monumentales, où le corps gisant de Monica vient s'inscrire comme une sculpture supplémentaire ; le magasin d'Antiquités ; le peintre fou et ses tableaux naïfs ; le tableau dérangeant inspiré du fait divers (le viol de la meurtrière) ; les reproductions, les affiches et le décor de l'appartement de Sam ; les photos sinistres des victimes ...



La mise à mort étant déjà stigmatisée comme une oeuvre d'art extrême, une création, une mise en scène, un happening.

Les architectures et les décors recèlent, ici, déjà, toute l'importance qu'on leur reconnaitra au fil des oeuvres suivantes - ce gout des labyrinthes et des géométries où le réalisateur aime à laisser naviguer ses personnages et sa caméra. La scène de la découverte finale du repaire de Monica, toute chorégraphiée en portes et en escaliers, en ouvertures et fermetures successives, en jeu sur l'obscurité et la lumière, dénote tout l'indéniable talent de son auteur.

Les extérieurs sont figés dans des successions de terrains vague, d'arrières cours, de chantiers vétustes, de forteresses à l'abandon et de parking d'autobus sombres et déserts.
La ville possède une beauté ordinaire et fatiguée.
Ses ruelles et ses parcs désaffectés, ses murailles écaillées, ses artères animées, ses mélanges et ses contrastes se font le reflet d'une neutralité et d'une indifférence inquiétantes.

Sous ses aspects tassés, solidaires, regroupés, la ville s'avère impuissante, et la Police qui tente de rassurer le quidam sur les écrans de télévision se révèle bien inefficace et dépassée elle aussi !


A la fin, c'est tout de même le commissaire qui aura (une nouvelle fois) les honneurs des journalistes. A leurs questions, il préfèrera d'ailleurs laisser la parole à un expert psychiatre pour une conclusion (les explications quant aux troubles de Monica Ranieri) renvoyant directement à Hitchcock et à la dernière séquence de "Psychose". Et le générique final, très 70's, très "Bava", défile sur les images de l'avion qui ramène enfin Sam vers des terres plus familières.


Structuré, inventif et élégant, "L'Oiseau au plumage de cristal" s'avoue une fort belle entrée en matière ! Tout en même temps, morbide, intrigant, ludique et angoissant, stylé et amusant, le film inaugure ce gout et cette alchimie très personnels du mélange et cet art du détail et du tableau.


Brian De Palma s'inspirera ouvertement de ce "coup d'essai" réalisé de main de maître ("Pulsion" plaggie carrément plusieurs scènes de "L'oiseau..." ) Prenons cela pour un hommage !
L'oeuvre en est, de toutes façons, plus que digne !



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