Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 7 avril 2008

Le Cinéma de Dario Argento 7 : TRAUMA,hypnose collective et cruauté aseptisée


TRAUMA ( 1 )




Aux Etats-Unis, un tueur prend l'horrible manie de décapiter avec un collet électrique.
Ce maniaque a également l'habitude d'emporter les têtes de ses victimes et de ne frapper étrangement que les jours de pluie.
Aura Petrescu, jeune fille anorexique, est témoin du meurtre de ses parents. En s'enfuyant, l'assassin s'est dissimulé derrière leurs têtes coupées et elle n'a pu l'identifier.
Recherchée par son inquiétant psychiatre, Aura, désormais orpheline, trouve aide et réconfort auprès de David, un jeune dessinateur travaillant pour la télévision.
Curieusement, le tueur ne cessera plus de croiser leur route.
Le couple va se lancer sur ses traces.
Mais, au moment où ce meurtrier semblait enfin confondu et éliminé, Aura disparaît subitement.
L'histoire n'est pas terminée...





Second film de ce que l'on pourrait qualifier de "première période américaine" de Dario Argento, "Trauma" s'avèrera une oeuvre mal connue, mal aimée, en tous les cas, pas l'une de celles que critiques ou "afficionados" évoqueront d'entrée de jeu au sujet du réalisateur.
Peut-être moins percutant, moins choquant, moins immédiatement virtuose que d'autres, le film n'en demeure pas moins cohérent et tout à fait intéressant pour autant.


L'intrigue se développe assez linéairement, calmement, d'une manière finalement assez classique (un tueur, des meurtres, une jeune fille menacée, des fausses pistes...) jusqu'au revirement du dernier quart-d'heure et à l'explication finale.

L'esthétique, l'ambiance, paraîtraient plutôt donner dans la retenue, l'économie de moyens, un côté presque télévisuel et convenu.
En même temps, l'unité de la palette chromatique, la lumière jaune, les teintes chaudes à prédominance ocre et brune tachée de rouge (le sang, habitations, voitures, détails et accessoires...), les intérieurs presque toujours enfumés, comme dans un perpétuel brouillard, la fausse lenteur et les répétitions de l'intrigue alliées aux glissements reptiliens de la caméra, confèrent au métrage une identité et une "couleur" très particulière : tout le film semble un peu à l'image de son héroïne lors d'une belle scène de "transe" dans un hopital psychiatrique : sous hypnose !



L'hypnose, l'endormissement sont effectivement des figures récurentes de "Trauma".
A commencer par ces victimes que l'assassin paralyse d'un coup de marteau avant de les décapiter : conscientes mais incapables de bouger ou de crier, spectatrices impuissantes et muettes de leur mise à mort.

Le meurtre qui ouvre le film a d'ailleurs pour fond musical l'air du "Werther" de Massenet "Pourquoi me réveiller ?".


Aura et son anorexie, maladie qui, par les carences qu'elle entraine, procure une grande faiblesse et un état à cheval entre la conscience et l'évanouissement ; Aura que l'on drogue à l'hopital, que l'on veut faire dormir absolument ou à laquelle le psychiatre fait avaler de force des baies psychotropes, afin de mieux sonder son inconscient ; les visions et les rêves qui en découlent...


David, ex-toxicomane et toujours sur le fil du rasoir ; quand Aura disparaît, il est prêt à plonger à nouveau .
Transe des participants à la séance de spiritisme menée par la mère d'Aura...


Endormissement de l'esprit ; ce que les médecins tentent de faire oublier à grands coups d'électrochocs à cette mère justement choquée par la mort atroce de son nouveau-né ; ce que cette femme traumatisée, folle et assoifée de vengeance manigancera après avoir simulé et mis en scène sa (fausse) mort ...



Endormissement des esprits par la télévision, omniprésente dans le film ; la télévision et tout son monde et son cortège d'arrivistes, d'hypocrites, de manipulateurs et de charognards...






Pulsions suicidaires d'Aura et de David (la mort représentant, après tout, le sommeil ultime !)
Suicide de l'"Ophélie" symboliste de Millais, rappel artistique d'Aura, reproduction que David aperçoit dans la vitrine d'une galerie d'art lorsque sa protégée a disparu....



Un film étrange, donc, et une fois de plus ; Oscillant sans cesse entre deux registres opposés et fondé sur l'union des antagonismes : en même temps bancal et harmonieux, sec ( style, décorum, personnages et histoire ) et "coulant" (l'élément liquide prédominant, les sinuosités de la caméra et du déroulement de l'intrigue...), classique et inclassable, mollasson et dur, banal et onirique, sérieux et grotesque...

Comme dans "Phenomena", l'horreur se noue au sein de la famille et on apprend, in fine, que le tueur, c'était la mère !
Cette mère que l'on pensait six pieds sous terre, cette mère choquée et aliènée qui a tout échaffaudé pour venger la mort (accidentelle) d'un fils à peine sorti de son ventre. Elle a voulu punir le crime et l'irresponsabilité, la lâcheté d'une équipe médicale, laquelle avait cru bon d'étouffer l'affaire, pensant lui faire tout oublier par des traitements de choc !



Au final, donc, un nouveau personnage de mère psychopathe et blessée.




Un autre personnage, lui aussi typiquement "argentesque" : celui d'une jeune fille instable et fragilisée et souffrante dans son rapport avec sa famille ; une jeune fille qui se refuse à quitter le monde de l'Enfance mais que l'on verra devenir femme malgré tout, comme Jenifer dans "Phenomena".

Et si "Phenomena" stigmatisait un monde tueur d'enfants et une parentalité égoïste, détachée, et tellement traumatisante qu'elle fabriquait des monstres, "Trauma" adopte un point de départ inverse.
Ici, c'est la mort de l'enfant, empêchant la femme de devenir mère, qui est à l'origine du traumatisme ; et, c'est, en définitive, l'enfant qui se venge de ses parents et qui les élimine.
Par rapport à "Phenomena", "Trauma" s'avère le juste retour des choses.

Demeure une constante indéfectible : la famille est une horreur et les rapports parents/enfants, mélange d'attentes (respectives et rarement concordantes), de projections (nombrilistes), d'abus (de pouvoir !) et de cet apprentissage ou de ce déplacement douloureux, exacerbé, de l'amour et de la haine, le terreau et le terrain idéal pour Dario Argento.

Dans ce film, la mère, privée de sa maternité, immédiatement traitée comme une malade et figée à jamais dans le manque et le deuil de son fils, n'a pas pu prodiguer à sa fille tout l'amour et les repères que celle-ci attendait ; d'où l'anorexie d'Aura et, en même temps, son lien si désespèré à cette "non-mère".



Les processus d'identification et de mimétisme ont fonctionné de manière retorse et négative (l'anorexie d'Aura correspond à la maladie mentale de sa mère (le même manque, le même processus répèté du vide (ingurgiter des aliments pour les vomir ensuite ; se "remplir" d'un enfant pour finir par le perdre...) ; elles sont toutes deux cleptomanes (Aura dérobe le portefeuille de David puis les clés de l'infirmière ; la mère vole le lézard, le bracelet de sa fille, les têtes et les vies de ses victimes...) et, d'ailleurs, cette mère trancheuse de têtes ne prend-t-elle pas pour amant le docteur Judd, le psychiatre ( celui qui " explore" la tête de sa fille) ?).

En définitive, la femme blessée a abandonné l'insécurité et l'horreur de la réalité ; elle s'est réfugiée dans le spiritisme et la communication avec l'Au-delà.

Ses retrouvailles (réelles ?) avec son fils par ce biais, et la résurgence du passé, ont réactivé sa mémoire endormie, l'image horrible du médecin tranchant malencontreusement la tête de son enfant, et ont nourri son besoin de justice et de vengeance.
C'est donc Nichola, l'enfant mort avant d'avoir vécu, qui se fait, indirectement, le bras de la meurtrière.



A l'opposé, dans "Phenomena", c'est Mrs Bruckner qui instrumentalisait son fils pour le pousser à tuer à sa place.
L'assassinat par procuration; au nom du fils ou à cause de la mère !

Cette mère, ici dépeinte dès le début, blaffarde, vêtue de noir (et encapuchonnée), environnée des spectres, des esprits des morts avec lesquels elle communique, s'affirme, après coups, comme la seule représentation possible de la Mort (et donc comme l'assassin de l'énigme giallesque !). Sa faux à elle, c'est ce fil d'acier électrique qui scie net les cous aux sons morbides et mèlés du petit moteur qui peine, arrivé à l'os, et des chuintements flasques de la chair comme de la viande.




Et si l'enfant-monstre de "Phenomena" préférait conserver les corps sexués des jeunes femmes qu'il molestait, la mère, ici, ne garde que les têtes de ceux qu'elle éxécute (comme celle momifiée de son fils ) : autre parallèle inversé et notable qui relie les deux oeuvres.



Le cadavre comme une pièce de gibier, le "poulet du dimanche" dont on se partagerait les morceaux ;"Et toi ? Qu'est-ce que tu prendras ? L'aile ou la cuisse ?

Dans "Phenomena", les enfants étaient les victimes d'un système où l'amour filial se voyait remplacé par l'assujetissement ou le massacre ;
Et, ici, si ce sont les adultes qui "paient" la note et qui meurrent (responsables de leur maladresse, de leur lâcheté et de leurs dissimulations) , c'est surtout de son héroïne que le cinéaste désire nous parler.
Argento raconte, avant tout, l'histoire d'Aura (rendant hommage en filigrane à l'une de ses filles anorexique comme son personnage principal) ; Aura, fille de la Mort et soeur d'un bébé mort-né, est saisie, au début de l'histoire, comme désesperée et profondément suicidaire (lors de sa rencontre avec David, elle est sur le point de se jeter dans un fleuve ; on meurt de l'anorexie...)Comment pourrait-il en être autrement ?






Dans tout ce film, l'Enfance expose à nouveau toute sa souffrance et sa dépendance.
L'Enfance, sa pureté et sa préscience de la vérité des choses (voir le personnage du petit garçon, détective en herbe, qui a démasqué le tueur avant tout le monde et qui sera finalement son éliminateur (il se prénomme Gabriel (l'ange (exterminateur)) ;


L'Enfance, une nouvelle fois confrontée au mensonge ambiant (mensonge des adultes, des parents, du corps médical, de la télévision, des apparences...)

Lorsque l'histoire s'achève, tout est solutionné et semble avoir retrouvé sa (juste) place (d'une manière par ailleurs un peu trop téléphonée, un peu trop "propre") :



Les menteurs ont péri ; la mère, tuant pour la mémoire de son fils, meurt à son tour et de la main d'un petit garçon (sorte de réincarnation du sien!) ; Aura, enfin délivrée de sa mère (cause, après tout, de ses problèmes psychiques et de ses mésaventures) va pouvoir assumer et vivre pleinement sa féminité nouvelle avec David (à moins que, traumatisée elle aussi (sa mère vient tout de même d'être vilainement décapitée sous ses yeux !) elle ne bascule pour finir dans la folie (meurtrière ?)).





( à suivre...)

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