Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mardi 8 avril 2008

Trauma (2): Qu'on lui coupe la tête !






TRAUMA ( fin )

La tête est le motif-phare du film.
La tête et ce qui s'y passe : l'esprit ....
Têtes tranchées qui bredouillent encore quelques mots (Linda Quirk , la meurtrière...) ou qui hurlent (le docteur Lloyd) ;
La tête de verre, brandie par le psychiatre dans son cabinet...
Les esprits "malades" de la mère (folie) et de la fille (anorexie) ;
L'inconscient et les visions d'Aura où la mémoire est assimilée à une cassette vidéo dont on déroulerait la bande à la recherche d'un indice....

Têtes assommées à coups de marteau ou de tisonnier;
Tête du Docteur Judd soutenue par une minerve (trop pesante ? trop pleine ? trop coupable ?) ; Tête trop lourde d'une poupée sinistre, présage de mort, devant la porte de l'appartement de Lloyd ;
Têtes guillotinées d'un petit théatre de figurines en carton représentant une éxécution sous la Révolution française ;
Tête sans corps de l'image de la journaliste de télévision sur le petit écran ...





Aura, elle-même, n'est finalement qu'une "tête", un esprit, pendant les 3/4 du film ;
ce n'est qu'au contact de David, et lentement, qu'elle prendra chair, acceptera son corps et ses pulsions et besoins (la nourriture, la féminité, le désir...) et qu'elle vaincra ses pathologies.


Mais, même si la chair reprend ses droits, l'oeuvre avance une prédominance, une supériorité de l'esprit sur le corps :
victoire de l'esprit malade de la tueuse sur le "corps" médical ; surlignage des expériences fondées sur l'exploration de l'esprit (ou des "esprits") : psychanalyse, psychiatrie, rêve, spiritisme...
Dans le bureau de David, une affiche placcardée s'en fait encore l'écho ("Art is for spirit").

Pareillement, le vol, la capture ou la mort des animaux (lézards et papillons) marquent symboliquement ce pouvoir et cette prééminence de l'esprit sur le corps (l'animalité).

Et la réussite du plan et du subterfuge de la tueuse (une illusion qu'Aura n'a pas déchiffrée bien qu'elle en ait été la spectatrice), va dans le même sens.
Aura a cru (ne pas) voir l'assassin, dissimulé derrière les têtes tranchées et brandies de son père et de sa mère ;
Or, un seul des deux trophées était réellement séparé de son corps ; la mère feignait d'empoigner sa propre tête !
Sous la nuit et la pluie battante, la supercherie était totale !

Là encore, l'astuce et l'intelligence (de la meurtrière) ont eu raison des sens (la vue) !


Le corps, la matérialité, l'animalité et le côté "terrien" des êtres et des choses sont donc continuellement gommés (comme cette poitrine qu'Aura déteste et comprime dans des bandages), vomis (comme la nourriture que la jeune fille rejette) ou se révèlent liés à la trahison (David fait l'amour avec Grace, mais celle-ci s'arrangera, quelques scènes plus loin, pour faire interner Aura ; la mère et le Docteur Judd sont amants et liés par le mensonge et le crime...) et abandonnés (comme les corps sans têtes (et donc sans interet) des victimes ).


D'où l'importance des motifs aériens (air et atmosphères toujours chargés de fumées et de brume ; papillons chassés par Gabriel ou en mobile dans sa chambre ; éoliennes décoratives dans le jardin du couple de lesbiennes ; voilages en labyrinthe dans la chambre de Nichola ; femme à la robe flottante dansant dans la cheminée et ballerine vaporeuse évoluant au plafond lors des visions d'Aura...)

et surtout la fréquence des allusions à l'eau, à l'élément liquide (orage et pluies torrentielles liés au choc traumatique et donc aux crimes ; lac bordant la maison de David ; fleuve dans lequel Aura veut se noyer au début du film ; larmes des têtes assommées que l'on découpe ; larmes d'Aura, coulant sur le visage de celui qu'elle aime et qui le réaniment ;



Système anti-incendie activé artificiellement dans la chambre d'hotel où s'est réfugiée une femme traquée ; citerne remplie d'eau où vient se refleter l'image d'Aura ; sang ; vomissures ; perfusions et drogues ; reptiles (le gecko de l'assassin, le motif serpentin du bracelet d'Aura), jusqu'aux mouvements de la caméra subjective qui se glisse et sinue comme un liquide qui se répand...) ;
ces représentations et ces symboles de l'eau désignant, comme à l'accoutumée, la pénétration et l'imprégnation du Mal .

La bande originale de "Trauma" est signée Pino Donaggio, comme pour "Le Chat noir" , le film précédent de Dario Argento.
On sait que Donaggio est le compositeur associé notamment à l'oeuvre de Brian de Palma, particulièrement à sa période "hitchcockienne" ("Carrie", "Obsession", "Blow out", "Pulsion", "Body double") : un point commun de plus pour deux réalisateurs foncièrement différents mais aussi souvent très influencés l'un par l'autre !

La partition de "Trauma", très illustrative, oscille entre des tics très "Bernard Hermann's touch" (référence à Hitchcock à nouveau !) et des mélodies un brin sirupeuses (le "love-thème") à la limite du mauvais gout (notamment lors de la séquence où David "perd" Aura et croit qu'elle s'est noyée dans le lac : une voix féminine insiste vraiment trop sur la tonalité dramatique du moment, gâchant presque l'efficacité du thème).
Pino Donaggio est ainsi : une écriture habile et expressive, sensuelle et presque vulgaire, en même temps démonstrative, généreuse et finalement persistante .

Si le film a été tourné en Amérique (Minéapolis et ses environs), il n'en demeure pas moins très européen : son rythme, son ambiance, ses personnages (Aura et sa famille sont des immigrés roumains; tous les protagonistes ont une faille, un secret, des vices et des imperfections : nul manicchéisme simpliste !), ses étrangetés, son mépris de l'efficacité à tout prix...
Argento feint de sacrifier ses outrances et ses obsessions aux codes du thriller horrifique mais il y met (heureusement !) toute sa mauvaise volonté et demeure fidèle à soit-même !
Là où l'appareil de production le contraint à se museler, à s'auto-censurer, à se couler dans un moule "bancable", il puise de nouvelles manières de raconter envers et contre tout ce qui l'interesse .


Et, en effêt, le cinéaste n'a rien perdu de sa singularité, de son esprit critique ni de sa roublardise (voir sa vision du "happy end" où les héros sont couverts d'ecchymoses (au propre comme au figuré), où Aura paraît plus perturbée encore qu'au début de l'histoire, où son "Je t'aime" est sangloté ; "Happy end" qui n'a de joyeux que le titre et dont le générique final déroule l' énigme tranquille du spectacle d'une nymphette anorexique dansant gravement sur les rythmiques d'un groupe de reggae).


Du Giallo, il aura subsisté quelques figures de style :
Le meurtrier ganté et vêtu d'un imperméable ; la mise en scène du meurtre du Docteur Lloyd (incarné par Brad Dourif, lui-même autrefois révelé par "Vol au dessus d'un nid de coucous", rappel de la thématique de la folie) ; l'image (et le trucage) à priori "limite" (ratée ? risible ?) de sa tête coupée tombant en hurlant dans la cage d'ascenseur s'inscrivant, en fait, comme un hommage référentiel au beau "Sueurs froides/Vertigo" d'Alfred Hitchcock (la scène où Scottie cauchemarde et se voit tomber sans fin dans une fosse); ce chef-d'oeuvre était d'ailleurs inspiré d'un roman de Boileau-Narcejac intitulé "D'entre les morts": autre référence, autres croisements encore, autre preuve que rien n'est jamais anodin ni laissé au hasard !
Hitchcock , le plus américain des réalisateurs anglais et la référence ultime au suspense et à l'angoisse !



Encore le Giallo, dans l'évocation des fétiches enfantins (la poupée de chiffon, le jeu de figurines de papier, la "poupée" atroce et momifiée de Nichola, le mobile-papillons dans la chambre de Gabriel, l'animal de compagnie qui rappelle la passion enfantine pour les dinosaures (un gecko), dans cet attrait pour la psychanalyse, l'analyse des rêves, les maladies psychiques et pour le traumatisme comme origine, moteur et explication d'une personnalité, d'une action, d'une vie et des histoires...)


La référence s'exprime sans éclats.




Et de l'Amérique, rien, ici, n'est non plus exhalté !
Rien d'immédiatement identifiable, aucun aspect "carte postale": ni buildings, ni cowboys, rien de spectaculaire ni de grandiose, rien de pittoresque, seulement des extérieurs assez neutres et dépouillés et plutôt fonctionnels


Aux obèses, bouffeurs de hamburgers, Argento préfère les adolescentes anorexiques, aux néons clinquants, à la foule et aux batisses géantes, il oppose la demeure ancienne de la famille d'Aura, un édifice au cachet finalement très européen, des quartiers excentrés et résidentiels, une maison tranquille au bord d'un lac, des entrepots, et une nuit presque seulement éclairée par la lune.



J'ai évoqué maintes fois les points communs reliant "Trauma" et "Phenomena" et le fait que ce nouvel opus s'affirmait comme une relecture et le reflet inversé de son ainée.

En effêt, l'adolescente "malade" et la mère traumatisée et vengeresse s'affirment comme les deux tenants de chacune des oeuvres ; en effêt, les deux films saisissent et symbolisent ce moment de la vie des jeunes filles où elles basculent de l'Enfance à l'age adulte ;


Dans tous deux on retrouve l'image et le tranchant de ces têtes coupées, ces allusions à la psychiatrie et au monde médical et scientifique (les deux héroines sont menacées d'internement ) prolongées par le pouvoir, l'impact et la retranscription du rêve et de l'Inconscient ;
On renoue avec ce binôme jeune fille/petit garçon (Jenifer et le monstre dans "Phenomena", Aura et Gabriel ici : doubles faces d'une même représentation ) ; le chalet de David fait écho aux chalets suisses, à la maison en bordure de lac de Mrs Bruckner, et les chaines dont celle-ci entravait son fils monstrueux, servent ici à la mère à contenir l'amoureux de sa fille (et donc son indépendance, sa maturité, la rivalité qui les lie désormais) et à détruire l'édifice de ses fixations ; les papillons succèdent aux mouches et la transformation prévaut finalement sur la mort et la décomposition.



Seulement, le ton de "Trauma" se révèle beaucoup plus direct, sec et âpre.
Et même si "Phenomena" couvait un constat amer et cynique sous son allure à la fois anodine et ornementée de conte de fée pour adultes, le film jouait bien davantage les métaphores et son côté merveilleux pouvait rappeler les élans fantastiques et flamboyants du passé ( "Suspiria" et "Inferno"...)

Ici, le temps a coulé. Dario Argento a traversé les épreuves de sa vie d'homme et de cinéaste ; la critique le boude, le dit moribond, et le public, crédule, et les fans eux-même, n'ont pas cherché à comprendre immédiatement les besoins de renouveau et le gout de l'expérimentation de celui qu'ils vénéraient.
Une fois "Ténèbres" stigmatisé comme un testament, le film-symbole de la fin d'une ère et le giallo ultime, une sorte de "chant du cygne" définitif, "Opéra, déjà trop expérimental (et odieusement charcuté par les distributeurs ) ne pouvait plus persuader du contraire !
Exilé aux Etats-Unis, le réalisateur revient avec "Le Chat noir", brillant essai cependant étouffé par son statut et son format, trop incertain et restrictif, de segment d'un film "à sketches", relié par l'argument d'un hommage à Edgar alan Poe (le film débute par une adaptation trop médiocre de Romero qui tire l'oeuvre vers le bas ! )

"Trauma" ne correspond pas aux attentes des magnats américains de la production.
Comme les derniers films de son auteur, il n'aura pas même les égards d'une sortie en salle de cinéma dans l'hexagone !
Pas assez tappe-à-l'oeil ! Pas suffisamment efficace et à-priori peu rentable ! Nous sommes entrés, depuis longtemps déjà, dans un système où l'argent prévaut sur la véritable création, où les visionnaires d'autrefois n'intéressent plus que quelques cinéphiles et où les productions calibrées et prémachées ont été posées comme références.
Dans "Trauma", si on sent Dario Argento étouffé et comme muselé, il n'en perd pas moins sa virulence !
Pour peu que l'on s'en donne la peine, on le perçoit dans cette oeuvre, à la fois plus ouvertement critique, mais également inspiré par de nouveaux courants, de nouvelles préoccupations (l'influence de l'esthétique et du formatage télévisuel sur le cinéma et les spectateurs ; sa fille Asia qui grandit ( "Trauma" s'inscrit comme le premier film de ce que l'on désignera comme "La trilogie d'Asia") ; un ancrage plus réaliste...)

Pour finir, "Trauma" demeure peut-être l'un des films d'Argento dont l'histoire est la plus dure, la plus sinistre. Curieux (et en même temps révélateur) de constater qu'il est aussi l'un des moins sanglants, l'un des moins spectaculaires, l'un des moins "aimables".


Pourtant, tout à la fois cynique et inquiète, l'oeuvre exprime admirablement la violence dissimulée , sournoise, involontaire et obligée de notre monde.
Il est d'ailleurs amusant de relever que chez Argento, les films, a priori les moins percutants, les moins démonstratifs et les moins violents (visuellement parlant) s'avèrent, en définitive, les plus cruels et les plus sévères.


Ne serait-ce que pour sa feinte léthargie, son mélange constant d'antagonismes et son manque illusoire de générosité, "Trauma" est plus qu'estimable !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup TRAUMA...le film est un peu bancal (la musique de Pino Donaggio est parfois irritante-à part le très beau RUBY RAIN-,l'aspect "best of" trop appuyé...) mais sa facette intime est très touchante et attachante,le couple Asia/Rydell fonctionne vraiment très bien.

Un des films les plus mésestimés d'Argento avec THE CARD PLAYER.