Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 28 avril 2008

Le Cinéma de Dario Argento 13 : JENIFER



JENIFER



Frank, un officier de police, est alerté par des hurlements ; il surprend un homme s'appretant à assassiner une jeune femme ligottée et sans défense.
Dans son intervention, Frank est obligé de tuer le malade qui meurt en prononçant ce mot : Jenifer.
Jenifer, c'est cette jeune femme au corps superbe mais au faciès incroyablement monstrueux, muette, sauvage, innocente et si seule ...
Frank, complètement impressionné et fasciné par cette créature, va rapidement la recueillir, succomber à ses assauts et ses appétits insatiables pour finalement se couper, petit à petit, du reste du monde.
Jenifer, femme-animal, bête de sexe et de mort, tout à la fois vampire et fantasme, et mangeuse d'homme dans tous les sens du terme, l'entrainera irrémédiablement dans une spirale destructrice qui se terminera comme elle avait commencé : très mal !



Contacté par le concept "Masters of Horror", une série de films d'horreur créés par Universal pour le compte d'une chaine cablée américaine et réalisés par les "pointures" du genre, Dario Argento rejoint, entre autres, John Carpenter, Joe Dante, Tobe Hooper, John Landis, Takashi Miike et Stuart Gordon pour une production aussi contraignante (les films durent environ une heure) que finalement très permissive (sang et sexe "à gogo").

Autrement dit, un nouveau challenge pour celui qui adore les défis, les expériences, et les opportunités de créer quelque chose d'inédit.
La série connaitra d'ailleurs un tel succès qu'une "deuxième fournée" sera immédiatement mise en chantier !


Argento s'attelle donc à la tâche et réalise "Jenifer", une adaptation d'une bande dessinée horrifique de Bruce Jones.


Le format court et le principe de liberté totale (ou presque !) permettent au cinéaste d'accoucher d'un brulot sulfureux et extrême ; en même temps impitoyablement prévisible, jusqu'auboutiste, imparable et jouissif !
Avec "Jenifer", c'est un Dario Argento plus carré et plus direct que jamais qui s'exprime, signifiant qu'il n'a rien perdu de son talent, de son sens de l'image-choc et de son inspiration.
L'épisode s'avèrera d'ailleurs l'un des segments les plus réussis de la série.

L'esthète morbide et classieux fait ici plutôt figure de vieil élève indiscipliné et quelque peu obsédé.
Glauque et assez choquant, "Jenifer" oublie l'enrobage artistique et les références picturales pour l'épure, des cadrages très BD et le soucis de l'effêt sans fioritures.
Le sexe, tellement figuré, suggèré ou absent des productions antérieures, se révèle ici l'un des principaux moteurs de l'intrigue et des images.
C'est comme si Argento se lachait complètement après des années de sevrage.
Exemptes du film original (mais totalement explicitées dans les bonus des éditions DVD), les images les plus crues (une fellation et une castration atroce (à coup de dents !)) prouvent bien l'euphorie et la "candeur" du réalisateur.

Aux assauts explicites de sa créature et aux scènes d'un érotisme malsain, le cinéaste ajoute des connotations sexuelles incessantes (Frank, déjà "piègé", qui tente de "prendre" brutalement sa femme ; l'hopital psy., ses voyeurs et ses infirmiers salaces ; le fils du "héro", rapidement plus interessé par le "chassis" de Jenifer que dégouté par son aspect ; les lycéens obsédés ; Jenifer dans la position sado-maso d'une sorte d'animal de compagnie dévastateur ; le sous-texte zoophile ...)


Le monde est obsédé par le sexe et Jenifer, dont l'animalité, pourtant rebutante, attise immédiatement les pulsions les plus inavouées, utilise son pouvoir pour en démontrer toute la trivialité !

Cette histoire, comme un fantasme macabre et glauque, au grotesque et aux excès totalement assumés.
A commencer par son héroïne au corps de rêve mais au visage incroyable et répugnant :
des yeux énormes et fixes, dépourvus d'iris, noirs et luisants ; un grand nez comme fondu, rattaché à une bouche complètement déformée, rongée, aux lèvres relevées, perpétuellement ouverte sur des dents énormes et pointues et sur une langue pustuleuse !
Une figure à jamais figée dans une grimace horrible et pathétique !
Jenifer dégoute, effraie et dérange.
D'autant qu'elle demeure une énigme : on n'apprendra rien d'elle, ni de son passé, de son origine, ni de la raison de cette apparence et de cette bestialité.


Car Jenifer, victimisée au départ, se révèle bien vite une bête sauvage, un être organique aux appétits sans limites.

Manger ou être mangé, tel est le principe qui traverse tout le film : la faim.
La faim de nouveauté, de sexe, d'abandon ...
La faim jamais rassasiée de Jenifer (qui va commencer par s'attaquer au chat pour continuer par la petite fille des voisins et pour finir, dans l'escalade, par des hommes !)


Le film s'ouvre d'ailleurs sur l'image de deux officiers de Police en train de prendre leur pause-repas en bordure d'un fleuve ; les nouilles sautées et rougeâtres, englouties à la va-vite, comme un motif avant-coureur des tripes et de la "barbaque" sanguinolentes où l'héroïne plantera ses crocs et tout son visage ...


La description d'un mode d'alimentation très "fast-food" ou d'un repas familial glacial et basique, va trancher avec la représentation spectaculaire des appétits cannibales et charnels de la fille-monstre (la chair dénudée et exhultante ou dépiautée, étripée, fouillée ; les corps comme de la viande dont on se repait puis dont on entasse les restes dans le réfrigérateur (voir le sort réservé au directeur d'un cirque !))

Jenifer est un trou, un gouffre insatiable qu'il faut combler sans cesse ; l'abime se creusant autour de Frank correspondant aux orifices perpétuellement affamés de la créature (sa bouche toujours ouverte, salivante, humide, dévorante ; son sexe ...) : Jenifer mange tout et tout le monde !


Frank y laissera son ménage, sa maison, son travail, son identité et pour finir ... sa vie !
Petit à petit, et tant malgré elle que justement à cause de ce qu'elle est, Jenifer va "bouffer" celui qui s'est lié à elle dès qu'il l'a vue et sauvée.


Elle semble être arrivée pour combler le vide de l'existence de Frank (son couple est un ratage ; il n'a pas de rapports avec son fils ...)
Mais, le retour à l'animalité, à un état sauvage et primitif n'est, hélas, pas possible !
Et, comme un piège, la liaison sera vécue telle une dépendance, une addiction (et par ailleurs liée à l'alcoolisme grimpant du héro).
Frank aura beau se débattre (il essaie de se débarrasser de Jenifer, puis il tente de l'isoler en se "cachant" avec elle dans la forêt...), il n'y a rien à faire !
A la fois possédé et bientôt complice des meurtres du monstre (il enterre les restes des cadavres), le policier est contraint de fuir, de se cacher et de vivre en marge.


La solitude comme seule expérience de vie !
Seul dans son couple et dans sa famille, Frank se retrouvera encore plus isolé dans sa relation monstrueuse, totalement mis au ban d'une société où son "couple "hors-normes" ne peut trouver aucune légitimité.

Jenifer est une sorte de goule.
On songe d'ailleurs continuellement au vampirisme :
la morsure ; l'alliance attraction (sexuelle)/répulsion (danger) ; le sang et la viande humaine ; la transmission du Mal et la contamination (au début du film, Frank a sauvé Jenifer et il rentre chez lui ; Il découvre une blessure sur sa main dont il a le réflexe instinctif d'aspirer un venin pressenti) ; l'apparence de mort-vivant de Frank ; son fils qu'il surnomme ironiquement "le Prince des Ténèbres"...


Et l'oeuvre égrenne toute une série de références "gothiques" ( "Frankenstein" pour la scène de la petite voisine ; les monstres (Jenifer mais également les "Freaks" du cirque) ; la maison perdue dans la forêt ; les cadavres dévorés dans les caves ...)



(à suivre...)

Aucun commentaire: