Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 6 avril 2008

PHENOMENA 3 : Je hais les enfants !




PHENOMENA (fin)



La Caméra expressionniste du cinéaste nous prodigue de nouveaux "effets" et signatures, épousant, cette fois, le point de vue de coccinelles et d'asticots, saisissant l'infiniment petit dans des gros plans de toute beauté, se propulsant jusqu'aux cimes de hauts sapins pour découvrir un panorama sur un inoffensif (?) chalet perdu dans la nature (et qui se révélera beaucoup moins anodin que prévu !), passant par une fente dans un plancher, retraçant les visions quasi-subliminales de Jenifer en pleines crises de somnambulisme, ralentissant superbement la chute d'une victime traversant un panneau de verre...









Chaque nouveau film s'annonce le laboratoire propice aux nouvelles prouesses et expérimentations tant techniques que stylistiques du cinéaste.
Mais Argento ne recherche pas tant l'épate que les défis, et c'est probablement avant tout lui-même qu'il désire surprendre et amuser ...



Au niveau de la construction et du rythme, l'oeuvre présente la même curieuse alchimie que toutes les autres : une aventure abracadabrante, à la fois simplissime et très alambiquée, pleine de rebondissements, d'éclats, de beautés et d'horreurs, traitée sur un mode aussi classique (un récitant, une construction "logique", toute la maitrise et la démonstration d'un pro du cinéma (cadrages, montage ...)) qu'inclassable ...
Comme à l'acoutumée, l'étrangeté règne en maitresse, appuyée par le jeu très premier degré des acteurs, par les dialogues parfois ineptes, par les programmations de la trame et ses répétitions ; comme toujours, le film s'inscrit comme un univers à part entière, décalé, flottant, d'une violence aussi sidérante qu'hypnotique, continuellement élégant, intrigant, irréel ... tel un songe cauchemardesque.


Et, suivant là encore son habitude, Argento attaque d'entrée par une scène-choc, mélant le merveilleux et l'horrible et posant les bases immédiates de tout ce qui suivra :
Une jeune touriste oubliée par son autobus se retrouve seule dans la campagne suisse. Cherchant un abri, elle va se précipiter tout droit dans la gueule du loup !
Etranglée, poignardée au ciseau, elle est finalement décapitée par un monstre invisible que l'on a auparavant pu voir briser ses chaines (!)
Dès le départ le ton est donné ; aussi "féérique" qu'épouvantable !



Reproduisant sa formule éprouvée, le réalisateur ne cessera de ponctuer le déroulement de son histoire absurde et somnambulique de séquences similaires, ces fameuses scènes de meurtres aussi attendues que souvent surprenantes.
L'emploi de la musique se veut lui aussi étonnant.
Argento associe l'opéra-rock et le métal, les vocalises, les harmonies et le Hard d'Iron Maiden...
Il juxtapose les ambiances musicales d'une manière parfois inattendue et déstabilisante.
La bande son donne alors l'impression de vivre sa propre histoire, éclairant différement ce que l'on voit ou sous-entendant ce qui n'est pas forcément montré.


Montré, justement, le "monstre" l'est, pratiquement dès le début ; mais, par l'un de ses fameux tours de passe-passe, le réalisateur facétieux se montre si habile que nous ne nous apercevons de rien ! (Dario Argento est coutumier et friand de ce genre d'effêts ; voir ou revoir les séquences inaugurales de la tentative de meurtre dans "L'Oiseau au plumage de cristal" ou celle, bluffante, de l'assassin caché dans le décor de l'appartement de sa première victime dans "Les Frissons de l'angoisse" ! ).
Ici, une nouvelle fois, le tueur est sous nos yeux !

Lorsque Jenifer, somnambule, erre le long de la corniche de l'ancien batiment et se fait soudain la spectatrice involontaire d'un meurtre, la malheureuse victime arrive en hurlant droit sur elle, derrière une fenêtre ; Ses cris sont coupés net par la lance qui lui traverse la tête : vision choc d'un visage dont la bouche "crache" brutalement la pointe d'une lance et non plus un hurlement ! ; Du coups, nous en ignorons la présence du meurtrier ( le monstre) qui se tient pourtant devant nous, dans le cadre, là, en bas, à droite, derrière un pan de carreau sâle.



















Argento se plait à nous manipuler.
Autre scène dans laquelle il s'amuse avec le spectateur : celle où Jenifer, secondée du "Grand sarcophage", prend l'autobus qu'avait emprunté la première victime ; à un moment, le réalisateur nous désigne clairement une silhouette cachée sous un imperméable et un chapeau, figure immédiatement identifiable à celle du tueur dans les Gialli. Or, dans les moments qui vont suivre et dans la quète de Jenifer, le personnage ne réapparaitra pas ! Argento nous narguera plus encore en faisant intervenir brusquement ou insidieusement deux hommes (tous les deux vétus de gabardines rappelant l'étrange silhouette) : un agent immobilier grossier et salace puis l'inspecteur qui traque l'assassin ; mais, le personnage inquiétant du bus, le véritable danger, frappera ailleurs, un peu plus tard (voir la mort de McGreggor).


Ici, le jaune du giallo préfère des couleurs plus nuancées, moins directes...
La photographie, les éclairages et les décors travaillent une belle palette chromatique navigant du blanc au gris, du gris au bleu, du bleu au vert.


Blanc et gris prédominants dans ces nuit de pleine lune, ces visions surexposées de l'héroïne lorsqu'elle rêve éveillée, cette image déformée mais prémonitoire d'un corridor flanqué de portes où l'on semble plonger sans fin qui correspond au bunker souterrain où Mrs Bruckner dissimule son fils (signe, parmi tant d'autres, du lien qui unit Jenifer et le monstre) .
Blanc et gris des intérieurs (la pension, la maison de l'entomologiste...)
Blanc insistant des vêtements de Jenifer...


Bleu, comme cette lumière du soir ; comme les cieux purs de la Suisse ; comme les sommeils agités de Jenifer, ces gros plans sur son beau visage de somnambule ; comme ce lac apparemment si paisible sous la nuit, où, pourtant, l'histoire se termine âprement...
Ce bleu qui irradie l'arrière des décors, qui souligne les architectures et les reliefs dès que la nuit tombe.


Vert, enfin, pour la nature, omniprésente et victorieuse : prairies, arbres, buissons, feuillages, continuellement animés par le vent capricieux.
Vert d'eau des profondeurs du lac.
La Nature aura rarement été autant signifiée et magnifiée que dans ce film, dans l'Oeuvre du cinéaste.



Ses citations et ses remaniements persistent bien sûr, sensibles et multiples.

Lewis Carroll, je l'ai déjà dit, pour les allusions répétées au rêve, au terrier, aux chutes de son héroîne (la première scène de somnambulisme où Jenifer chute de la corniche du vieux batiment, puis d'un arbre, puis d'une voiture, pour finir par tomber et rouler de la route jusqu'à la demeure de McGreggor ; sa chute finale, toujours plus bas, jusqu'aux plus profonds secrets de la maison de Mrs Bruckner) , les références aux animaux qui "parlent", à la traversée des miroirs (le meurtre de la première victime, les miroirs inombrables et voilés chez les tueurs), aux têtes coupées, à un thé chez les fous (le thé d'Alice et du chapelier toqué contre celui que Mrs Bruckner propose à Jenifer) !


Edgar Alan Poe pour le singe tueur ( "Double assassinat de la rue Morgue") et le côté nécrophile.


Hitchcock pour le suspense de la scène où l'héroïne échappe à la vigilance d'une infirmière-chaperon.


Fritz Lang, toujours, dans l'esthétique parfois expressionniste, la scène de l'électro-encéphalogramme, ces visions du couloir aux multiples portes ( "Le Secret derrière la porte").


Brian de Palma et "Carrie" (la scène de la persécution par les autres pensionnaires ; les pouvoirs paranormaux des deux héroïnes ; l'intégrisme de la mère (dans "Carrie") et de la directrice de l'institution ici...)


Les peintres symbolistes ( jeunes filles aux chevelures éparses , nature "animée" et contrastée, le côté morbide et merveilleux , ces ombres partout ( silhouettes, feuillages, motifs...) qui se reflètent et s'agitent constament sur les murs et les façades , un certain pantéïsme...





Enfin, le gout du cliché, du "chromo" (chalets pimpants et fleuris ; montagnes, torrents, sapins ; drapeau suisse et coucou ; côté "carte postale"...)




Y compris (comme toujours) les références à l'oeuvre même du réalisateur:
"Suspiria"( l'institut de jeunes filles, les vers, ces victimes qui meurent en brisant des vitrages, la voix-off d'un récitant, la gestuelle très "Blanche-Neige" des jeunes femmes traquées...);


"Les Frissons de l'Angoisse
" (la mère et le fils liés dans le meurtre et la culpabilité, les fétiches enfantins (pantin, poupées, jouets...)...);
"Inferno" (le plongeon dans la fosse aux cadavres, la scène"aquatique", les insectes indicateurs...);


"Ténèbres" (les mains coupées, le rasoir (d'opérette ?)...);

"4 mouches de velours gris" pour l'empreinte visuelle d'un crime sur les yeux ...d'une larve !


"Trauma", film à venir, se fera une relecture troublante et encore plus désabusée et sans merci de cet opus.

Dario Argento réaffirme ses obsessions, redéployant les motifs et les figures qui lui sont coutumiers : le(s) meurtrier(s) (la Mort) invariablement lié(s) à l'eau et l'élément liquide ; l'animalité des hommes opposée à "l'humanité" et au secours constant des animaux ; la différence et la "fragilité", la vulnérabilité du héro (de l'héroine) et la constante des handicaps physiques ou psychiques ; la réinterprétation (et la distorsion) continuelle des archétypes giallesques (gout des armes blanches, ritualisation de la mort, mutilations diverses, meurtres de jeunes femmes, manipulation et sadisme ...)


Et au final, "Phenomena" relie et accommode toutes ces thématiques à celle de l'Enfance (le film plus que jamais semblable à un conte (adolescentes, pouvoirs "magiques", monstre, marâtres(s) ...) ; petits pots pour bébé du jeune frère de Sophie que Jenifer mange à son arrivée ; pension et camarade (et confidente) de chambrée ; poupées et jouets dans les demeures des assassins ; petit gant de laine égaré par le monstre; cruauté et acharnement des enfants (les autres pensionnaires) face à la différence de Jenifer ; peurs d'enfant (Sophie qui confie être effrayée à l'idée de dormir seule ) ; côtés "midinette" (Sophie est fan de Paul Corvino (la star de cinéma et père de Jenifer) , une élève folle des Bee Gees...)....) ;


Thème "fédérateur" que le film associe à celui de la Maladie (électro-encéphalogramme ; diagnostic de schizophrénie et d'épilepsie ; Jenifer est également soupçonnée de toxicomanie; médecins et infirmière; perfusion et médicaments; folie; hopital psychiatrique...) et à une autre thématique "infernale" (Jenifer est jugée diabolique par la directrice; allusion à Belzébuth, le seigneur des mouches; l'asile est comparé à l'Enfer...)


Ainsi, le fait d'être parent pourrait ne se résumer rapidement qu'à une aversion de sa progéniture; une aversion plus ou moins canalisée où le conflit des générations déboucherait au mieux sur l'abandon, au pire jusqu'à une lutte, une guerre, un véritable massacre.

Car l'Enfance représenterait non seulement une gène mais surtout un poison, une diablerie, un fléau qu'il faut absolument soigner, rejeter ou éradiquer.
La plus grande violence des adultes irresponsables résidant dans leur persuasion, leur manipulation égocentrique de ces jeunes "animaux" et aboutissant dans l'horreur ultime et déculpabilisante d'avoir finalement réussi à dresser leurs enfants afin qu'ils s'entretuent et qu'ils soient les instrument de leur propre élimination.



Aucun commentaire: