Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 12 avril 2008

Le Cinéma de Dario Argento 11 : Le Chat à 9 queues




LE CHAT A NEUF QUEUES

Un individu entre par effraction dans un institut scientifique où sont réalisées des recherches génétiques très confidentielles ; Or, il s'avère, après coups, que rien n'a été découvert ni dérobé !
Franco Ardo, ex-journaliste, aveugle et demeurant avec sa jeune nièce dans le batiment qui jouxte l'Institut, a été le témoin involontaire de la conversation et du chantage qui sembleraient à l'origine de la mystérieuse intrusion...
D'ailleurs, la mort du maître-chanteur, identifié par la petite Laurie, ne tarde pas à faire la Une des journaux : il s'agissait de l'un des employés de l'Institut. Comme Ardo le pressentait, cette mort n'a rien d'accidentel ;
Et lorsque le photographe, puis la fiancée du professeur assassiné sont éliminés à leur tour, il ne fait plus aucun doute qu'un criminel tente de dissimuler quelque chose !
La Police est à l'oeuvre. Mais, plus intuitifs et efficaces, Ardo et Giordani, un jeune journaliste culotté, se sont déjà lancés dans cette enquête aussi embrouillée que passionnante.
Secrets, jalousies, mensonges et inceste constituent un aperçu de leurs découvertes. Mais le meurtrier va bientôt les viser !
Qui se cache donc derrière tous ces mystères ?
Anna, la séduisante et étrange fille du directeur de l'Institut Terzi ? L'un de ses chercheurs ? Quelqu'un dans leur entourage ? Ou, peut-être Terzi, lui-même !
La réponse sera liée à la découverte d'un gène spécifique aux meurtriers : la combinaison chromosomique XYY ...



Dario Argento n'avait pas achevé son premier film, que déjà l'idée d'un nouveau scénario avait germé dans son esprit. "Le Chat à 9 queues" sera réalisé consécutivement à "L'Oiseau au plumage de cristal". C'est d'ailleurs la première et seule fois que le réalisateur enchainera deux films quasiment sans interruption.
"Le Chat à 9 queues" poursuit la veine giallesque entamée avec le premier métrage; d'une manière à la fois très efficace mais aussi peut-être moins poétique.

Argento dira volontiers que le film l'a déçu et qu'il le considère comme le moins bon, le moins représentatif de sa carrière ! Il confiera aussi que, pour lui, l'oeuvre ressemble trop aux productions américaines qu'il juge souvent médiocres et trop conventionnelles.
Pourtant, le film a beaucoup de qualités. Il se révèle plein de rythme, de mystère et l'intrigue paraît encore plus nébuleuse et complexe que celle de "L'Oiseau ..."

Le titre renvoie d'ailleurs aux neuf pistes (comme les neuf queues d'un chat !) ouvertes par une enquête épineuse.
Plus que jamais, chacun des protagonistes est susceptible d'être l'assassin (Argento réussit même à nous faire douter, un court instant, de l'innocence de l'un de ses héros !)
Et si l'atmosphère générale et le style paraissent moins étranges et moins vénéneux que de coutume, si l'aspect "film noir" laisse ici la place à un thriller "scientifique" au suspens calibré, il n'en demeure pas moins des détails morbides et des ambiances typiques de ce qui fera la renommée du réalisateur !

Le film, très daté années 70, a cependant bien vieilli .
Comme dans le précédent, l'humour vient ponctuer de touches légères et cocasses une atmosphère pleine de mensonges et de secrets, et les personnages bien campés s'avèrent plutôt
nuancés et révèlent des facettes multiples et surprenantes :

Anna est à la fois séductrice, affranchie et...victime ; elle est directe, semble n'avoir peur de rien et reste en même temps très énigmatique ! -


Ardo, aveugle, ne saurait cependant être limité par son handicap ; il a, au contraire, une aisance, une autonomie et une préscience des choses très développées ; il aime les jeux de toutes sortes (l'enquête comme un "Cluedo" grandeur nature !) et dissimule une lame, une arme, dans sa canne blanche ! -


Giordani méprise les conventions et fréquente et utilise indifféremment la Police (son ami l'Inspecteur) et le monde des petits truands et des voleurs -


Bianca Merusi cache derrière sa douceur le calcul et la trahison - Le criminel se révèlera un surdoué, jeune et talentueux mais également le meurtrier qui ne reculera devant rien pour sauvegarder ses intérets ...


Le thème de la Vue (incomplète, erronée ou encore régénératrice de trauma...) qui charpentait tout "L'Oiseau au plumage de cristal" (et qui revient, plus ou moins, dans tous les films du réalisateur !) se retrouve ici encore travaillé et explicité par le choix de Dario Argento d'un héro aveugle !

Bien évidemment, Ardo, bien qu'affecté de cécité, se révèlera beaucoup plus sensible et clairvoyant que tous les autres personnages !


A cet homme aux prunnelles fixes, Argento oppose la représentation de son assassin sous la forme presque abstraite d'une énorme pupille emplissant tout l'écran ;

Ce "logo" inquiétant figurera le criminel jusqu'au final : toute puissance d'un oeil à la "Big Brother" qui voit tout, qui sait tout, en même temps physique (partie d'un individu) et surtout symbolique du danger et du Mal, toujours prêt à bondir, à percer à jour, à contaminer...
Et si Ardo voit d'abord par le biais de sa sensibilité accrue (puis par celui de "ses yeux de substitution" : Laurie ou Giordani , pour confirmer ses intuitions), tout échappe effectivement aux autres personnages.
Ce sont eux les véritables "aveugles"!

Personne ne se rend compte que l'intrusion nocturne dans l'Institut Terzi n'a pas servi a dérober un dossier important et secret mais à le remplacer par un autre ! ; Giordani ne s'aperçoit finalement que le lait qu'il allait boire avec Anna était empoisonné que lorsque Ardo lui téléphone et le met en garde (la brique de lait, fuyant dès le départ, aurait pu l'alerter !) ; ni le meurtrier, ni Giordani, ni les policiers ne découvrent (en l'ouvrant pourtant !) que le médaillon de Bianca recelait plus d'une cachette potentielle où dissimuler un indice primordial ! ;


Personne (hormis Ardo) et pas même le photographe, n'avait pensé que les bords coupés d'une prise de vue pouvaient révèler qu'un accident supposé était, en fait, un assassinat ! (la main poussant la victime sur les rails à l'arrivée du train avait été effectivement saisie par l'objectif ) ; Giordani ne voit pas tout de suite le sang (du criminel) qui a coulé du plafond sur son col de chemise ; Bianca, sur le point de révèler l'identité du meurtrier, ne se rend pas compte qu'il est déjà chez elle, caché derrière un rideau de douche ! ...


Et ainsi, l'opposition entre la cécité des protagonistes et la "vision" de l'aveugle s'imprime en continu dans le déroulement de l'histoire, inaugurant la primauté de vues "intérieures", de l'intuition, sur la vue seule (forcément réductrice et possiblement mensongère !)
Ici, le Mensonge est, en effêt, ce qui anime et démange pratiquement tous les acteurs de l'intrigue !

Le Mensonge érigé comme une caractéristique humaine et même plus : comme un mode de vie ! Le ton est d'ailleurs donné dès le départ :
le film débute sur les images d'Ardo et de Laurie rentrant chez eux. La fillette babille et parle à son oncle de l'un de ses petits camarades qui raconte toujours des énormités.
Dès l'Enfance, le mensonge imprègne nos comportements.

Et cette réflexion apparement anodine d'une petite fille se fait l'introduction à tout un développement !
Dans le détail :
Le Professeur Calabresi, le maître-chanteur qui a découvert le secret de l'un de ses collègues, lui ment qu'il est forcé de dire ce qu'il sait (pour récolter, en fait, de l'argent et des avantages !) puis il ment (par ommission) à la Police alors qu'il s'est rendu compte de la subtilisation du dossier compromettant - Bianca, la fiancée de Calabresi, s'est rapprochée de lui uniquement par interet (pour pénètrer les laboratoires et faire de l'espionnage industriel !); elle ment à son amant mais également à la Police puis à Ardo -


Cassoni, le meurtrier, soucieux de préserver son secret, remplace un dossier le concernant par un autre, mensonger, et, cachant son identité de criminel, joue perpétuellement un rôle "normal" et ment continuellement à tout le monde -

Le Professeur Braun, semblablement, cache, lui aussi, bien des choses et pratique sans cesse le mensonge -


Terzi et sa fille, respectables nantis, se révèlent tout autres que l'image lisse et impeccable qu'ils renvoient - Gigi la cerise va mentir à sa mère en acceptant de replonger brièvement dans l'illégalité pour rendre service à Giordani - Anna, étonnament blessée (comme l'assassin !) ment-elle lorsqu'elle affirme venir de se couper en cassant un vase ? -

Le criminel, acculé et finalement pris au piège, ment à Ardo qu'il a tué la petite Laurie .....

Et bien des secrets sont dissimulés, enfouis derrière l'écran de tous ces mensonges !
A commencer par ceux de l'Institut Terzi qui travaille pour le compte de l'Etat sur l'élaboration d'une drogue révolutionnaire et sur l'altération des chromosomes chez les criminels en puissance ; autant d'outils propres à l'installation d'un eugénisme larvaire et inquiétant !
Le secret du tueur (Cassoni) : les tests sanguins effectués sur toute l'équipe de l'Institut l'ont identifié comme détenteur des fameux chromosomes XYY et donc comme enclin au meurtre et à la violence !
Le chantage mesquin de Calabresi....
Le secret de Bianca (fausse fiancée et véritable espionne !) qui dérobe la formule de la drogue pour la vendre à des concurrents ; Le secret de l'identité du tueur de son amant retrouvé noté dans la voiture de Calabresi et scotché dans le double fond d'un médaillon qu'elle ne quitte jamais.
Les secrets de l'homosexualité de Braun et de son alliance avec Bianca pour dérober et divulguer la composition et les usages de cette drogue si convoitée !
Les secrets contenus dans le journal intime de Terzi, l'adoption d'Anna et leurs rapports incestueux.
Le secret d'une photographie qui prouve et retrace un meurtre (celui de Calabresi) et que le tueur récupère.
Le secret d'une villa où l'on s'est caché (Braun) divulgué par un rival jaloux.
Le secret d'une cachette sinistre sur les toits de l'Institut, où Laurie finit séquestrée et menacée par le meurtrier !
Le secret d'un caveau ("Emporter son secret dans la tombe !" (comme le dit Ardo ironique) est ici littéralement mis en scène !), un caveau dans lequel on doit descendre et profaner une sépulture pour récuperer un indice essentiel !


Ces secrets lient pratiquement toujours plusieurs personnages et débouchent bien souvent sur des machinations, des tractations, des pressions et des chantages.
La respectabilité, la richesse, le Savoir, la Science et le Pouvoir sont la vitrine factice et brillante des motivations et des actions les plus viles et les plus sordides (Dans "L'Oiseau au plumage de cristal", déjà, les coupables étaient les "nantis", des personnes plus que respectables (et folles à lier !)).
Et par une sorte d'effêt "boule de neige", les enjeux sinistres qui liaient chacun d'une manière ou d'une autre, vont dévoiler tour à tour leurs mystères peu avouables.



Chacun est finalement coupable !

Et si le meurtrier tue (les autres se contentant de tricher, tromper, manigancer et manipuler - veules, interessés et sans scrupules !), c'est avant tout "par nature"- cela est inscrit dans ses gènes - et sa violence n'est finalement consécutive que des vices de ceux qui l'entourent, une violence de l'auto-défense !

D'ailleurs, n'est ce pas les autres qui démasquent et mettent en branle la face criminelle de Cassoni ? Ces autre, conscients, "normaux", se révèlent, à la réflexion, presque plus coupables que le coupable et, lorsqu'ils sont décimés à tour de rôle : Calabresi, Bianca, Braun ..., on estimerait presque que le tueur n'a pas eu tort de les punir ainsi !
Dario Argento se retrouve finalement obligé d'invoquer le rapt de l'enfant et sa menace de mort (révoltant moyen de pression!) pour figurer l'escalade dans la folie et la violence de son criminel, pour qu'il recueille enfin toute la part de haine et de dégout nécessaire à son élimination !



( à suivre...)

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