Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mercredi 26 novembre 2014

Sensualité

Changeons un peu de registre ...
Quelques gifs piochés ça et là plus ou moins intrigants et suggestifs







































L'Etrange couleur des larmes de ton corps / Suspiria, Argento, le Giallo : Influences et descendances 5










L' ETRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS










Dan Christensen rentre d'un voyage d'affaire. 
Lorsqu'il regagne l'appartement qu'il occupe dans une superbe demeure, il s'aperçoit que sa femme n'est plus là. Pourtant, la chaine de sécurité qui, à son arrivée, fermait le logement de l'intérieur, le contraignant à forcer sa porte, transforme cette absence bientôt prolongée en réel mystère ...
Tentant d'élucider cette disparition, l'homme va se trouver confronté à d'étranges voisins, un inspecteur tourmenté, des silhouettes et des présences indicibles. 
Au fil d'une enquête toujours plus inquiétante, il découvrira les insoupçonnables secrets de la demeure qui l'abrite.


Deuxième long métrage du duo belge formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani, cette oeuvre aussi fascinante que dérangeante exacerbe encore l'inspiration et la "méthode" mises en oeuvre quatre ans auparavant avec Amer.
Néo giallo, comme on pourrait dire, mais peut-être plus encore film (d'horreur ?) expérimental, trip hyper sensoriel, superbe objet (ovni ?) cinématographique, cet Etrange couleur ... se veut une nouvelle fois un hommage, un condensé intense et magnifique de ce genre (le giallo, donc) à l'égard duquel les deux réalisateurs semblent porter une attraction presque viscérale, une vénération.
Amer (tout comme leur sublime sketch de l'anthologie The ABC of death) en inauguraient une relecture à la fois contemporaine, personnelle, quasi fétichiste et en même temps très fidèle.







Et autant le dire tout de suite, on pourra finalement louer ou reprocher ici les mêmes choses que dans ces premières oeuvres , admirer totalement ou rejeter en bloc. Peut-être avec plus de force encore, car, malgré l'absence de l'effêt de surprise (le titre alambiqué et chouette comme "au bon vieux temps" renseigne tout de suite sur le genre), tout est encore plus exagéré, plus développé, plus "nourri" ... que précédemment.
Et, malgré l'effort apparent, cette fois, d'une histoire, d'une intrigue (évidemment référentielle et prétexte, caution pour de multiples interprétations), le résultat s'avère continuellement étrange et déstabilisant.
Une fois de plus, le duo préfère retenir du Giallo ce que celui-ci a de plus abstrait (des formes, des objets, des combinaisons (de matières, de couleurs, d'archétypes ...), des symboles, des sensations ...), continuant à façonner obstinément ses clichés, mais il refuse les contours policés, balisés du récit.









































Feignant de nous embarquer dans un whodunit avec disparition, crimes et tueur(s) ... et une résolution (forcément décevante (et pour le coup, ici, presque escamotée et ouverte sur de nouvelles interrogations)), Cattet et Forzani destructurent et démultiplient l'intrigue (à partir d'un argument de base, s'épanouissent plusieurs autres récits, à la manière des contes dans le conte (voir l'image de ces poupées gigognes emboitées les unes dans les autres)) et s'ils répondent aux questions premières (qu'est-il arrivé à Edwige, la femme du "héro"?) c'est pour mieux déplacer les enjeux sur d'autres perspectives évidemment nébuleuses et sur de nouveaux questionnements.
La fin comme un pied de nez ne propose pas de solution tranchée (même si, après plusieurs visions, on peut choisir une explication) mais, après tout, est-ce ce qui importe ?
























Dans ce film, les cinéastes appliquent à la structure (une histoire, un récit)  ce qu'ils pratiquent sur la forme : refus de la simplicité (et dans ce cas, de la linéarité,  de la lisibilité immédiate), expérimentation tous azimuts, multiplication des points de vue, parenthèses, flash-backs, ellipses ou surlignage ...
Les dialogues restent pauvres, désincarnés (et plutôt mal interprétés de surcroît, ce qui ne nuit pourtant pas à la cohérence (?) ni à la beauté de l'ensemble) et les ressorts, les articulations ou les temps forts du récit (ou en tous les cas attendus comme tels), s'effacent et s'assourdissent au profit d'effets, de séquences et d'éléments parfois purement atmosphériques ou " décoratifs" : l'important (ou ce que l'on croyait important) laisse place à l'accessoire, l'intrigue débouche rapidement sur un cauchemar fantasmatique et même si le gout de la narration est bel et bien présent (à chaque fois ces nouvelles histoires venant alimenter, grossir ou faire bifurquer les enjeux de base), le récit "classique" disparaît pour laisser place à ce qui tiendrait,  littérairement parlant, davantage du collage poétique ou du cadavre exquis.




























Histoires dans l'histoire, donc : la disparition de l'épouse de Dan le pousse à faire la rencontre de personnages (une vieille veuve cloîtrée et spectrale, un inspecteur de police fétichiste, le concierge de son immeuble, un homme caché derrière les murs de la demeure ...) qui vont raconter ou revivre leurs propres mésaventures avec une constante : à chaque fois, les thèmes de la disparition, de la possession (d'un corps, d'un esprit ou d'un tiers par un autre) et celui du passage secret et d'une vie, d'une présence cachée derrière les murs reviennent en leitmotiv.



































Et si Amer était divisé en trois parties ( 3 ages et  3 moments cruciaux et/ou rêvés de la vie d'une femme), L'Etrange couleur ... se décline par le biais de trois personnages masculins principaux (Dan Christensen, l'inspecteur Vincentelli et le concierge) auxquels répondent trois personnages féminins (Edwige, Barbara, Laura).

















De la même façon, trois histoires distinctes, s'épanouissaient en marge du cadre initial, à priori sans lien réel mais pourtant tout à fait complémentaires et rétrospectivement utiles (le récit de la disparition du mari de la vieille en noir, celui du passé de l'inspecteur puis la (re)lecture du journal intime de la mystérieuse Laura par le gardien de l'immeuble).
On songe évidemment au superbe et funèbre Inferno de Dario Argento pour cette multiplicité, un brin désarçonnante, des récits et des personnages référents mais surtout pour l'importance accordée à cette demeure, ce très bel immeuble art-déco, centre névralgique et décor quasi unique (et, comme dans Inferno, labyrinthique, changeant, regorgeant de caches, de passages, d'illusions et de secrets ... (Vivant ? L'immeuble "saigne" parfois et on l'osculte même au stéthoscope !) : un personnage à part entière).



















































Au jeu des références, d'ailleurs, l'inventaire tient quasiment du catalogue !
Des citations les plus évidentes aux plus anecdotiques : Inferno, donc, (ici les passages communiquant entre chaque appartement et menant au coeur magique et révélateur de l'immeuble se cachent derrière les cloisons (et non plus "sous la semelle de tes chaussures")) mais également Suspiria (le début du film avec l'arrivée du personnage principal à l'aéroport puis son chemin en taxi jusqu'à une luxueuse résidence ; la célébration continue du style Art Nouveau (des décors ici souvent réels empruntés à des demeures bruxelloises ou nancéennes) ; les asticots ...) ou Les Frissons de l'angoisse (le clin d'oeil à ce moment où Macha Méril, en transe, recrache l'eau qu'elle avait bue ; ces trous dans les murs )





























Sergio Martino et L'Etrange vice de Mrs Wardh (la réinterprétation de sa fameuse scène d'amour vache à renfort de bris de verre ; le bouquet de roses avec message alambiqué ...) et Tutti i colori del buio /L'alliance invisible ( lèvres, pilules et pupilles bleues ; l'emprunt musical à Bruno Nicolai)
















Mais encore le Shock de Bava (cette image répétée d'une femme à la chevelure artistement éparpillée sur oreiller ; ces mains qui la malmènent dans son demi-sommeil), Le Venin de la peur de Fulci (cette voisine perverse qui perturbe et séduit), Baba Yaga (pour le personnage de la veuve en dentelle et bottillons noirs), Le Orme ( ces vitraux somptueux comme des mosaïques sur lesquels les personnages se détachent en ombres chinoises), Mais qu'avez-vous fait à Solange ? (pour ce couteau cruellement planté entre les jambes d'une femme), La Tarentule au ventre noir (les gants de latex jaune), La Dame rouge tua 7 fois (ces mystérieuses (et maléfiques) créatures tout de rouge vêtues) ou Tenebre ( pour ces escarpins rouge vif, eux aussi, et cette hache assassine) ...











































Jusqu'aux prénoms des personnages féminins qui renvoient aux Giallo-Queens des seventies (Edwige (Fenech) ; Barbara (Bouchet ? Bach ?)) ...
De leur côté, les réalisateurs citent également Harry Kümel, cinéaste belge ; Et il est vrai qu'en dehors de leur nationalité et de leur gout commun pour le fantastique, on retrouve quelque part ici les notes surréalistes et colorées de leur ainé , la demeure et les personnages inquiétants de Malpertuis, les éclairages contrastés, l'érotisme et les couleurs primaires des Lèvres rouges ...






Enfin, dernière référence ( peut-être moins consciente mais cependant pas la moindre !) : David Lynch ; Pour le traitement du récit volontairement destructuré et hyper-sensitif, pour l'expérimentation, l'abstraction visuelle, pour un cinéma en même temps très "cérébral", pour cette séquence en noir et blanc et stop-motion, surréaliste et magnifique, pour ces moments de tremblement ou de graphisme pur ...

Ces citations, ces inspirations, ces emprunts quasi constants construisent finalement l'histoire.
Cohérents ou gratuits, judicieux ou discutables, ils amusent et donnent de grands coups de coude au cinéphile, surprennent le néophyte mais peuvent également alourdir un tout déjà saturé de détails et de démonstrations.

Car c'est finalement un peu l'impression qui ressort, en dehors du plaisir et de la fascination possibles : celle d'un étalage presque ostentatoire, d'une volonté d'épate :
De l'expérimentation à tous crins et à tous les niveaux - visuel (plusieurs styles, plusieurs formats, plusieurs rythmes, un filmage en couleur ou en noir et blanc, de l'image par image, surexposition, kaléidoscope, tremblement, split-screen (souvent ludique et très référentiel !), caméra à l'épaule ou effets numériques ...) et sonore (comme pour Amer, la bande son est particulièrement travaillée (échos, crissements, soupirs, battement de coeur, sonneries, souffles, basses grondantes ... ), quitte  à éprouver parfois assez durement l'endurance du spectateur (cette séquence notamment dans laquelle l'utilisation répétée  d'une sonnette stridente vrille les nerfs)) - au choix surchargé et décoratif à outrance de l'environnement Art Déco ..., on pourrait penser que le film sert de terrain de jeu à deux réalisateurs avides, pressés et fiers comme des enfants de nous prouver tout ce dont ils sont capables !
Bien sûr, cela tient aussi de la générosité et d'une volonté sensible et sincère de  partager (leur amour du cinoche (et du giallo), leur connaissance cinéphilique, leur talent ...) mais cela nuit finalement à l'équilibre, à l'harmonie et au véritable impact de l'ensemble.































Car, bien que plein à ras bord (d'idées, d'images, d'envies et de surprises), le film séduit indéniablement mais ne passionne jamais (ce qui était déjà, à mon avis, le plus grand problème d'Amer) : on est emballé complètement, retourné, l'espace d'une séquence, d'un moment, d'une image ... pour s'ennuyer ferme l'instant suivant. La sophistication  et l'artifice, le manque de corps et de chaleur, l'effet de pose, cérébral et trop référentiel, les ruptures de style et le récit exangue et désarticulé ... tout cela peut perturber la perception d' une oeuvre qui joue constamment sur les oppositions, la séduction comme l'inconfort.
L'Etrange couleur ... n'est effectivement jamais facile ni "aimable", mais là n'étaient sûrement pas les objectifs de ses créateurs.

Il convient donc de l'appréhender sans idées reçues, de le prendre comme ce qu'il est aussi : un songe, une promenade onirique au pays du giallo, un lent et beau cauchemar (la première image n'est-elle pas celle du "héro" endormi ? Ce tremblement qui emmène alors l'image ailleurs n'est-il pas le symbole du basculement dans le rêve ou une autre réalité ?)
Le sommeil n'est, de toutes manières, jamais paisible ; Il s'avère continuellement troublé ou interrompu, perturbé par des soupirs derrière les murs, des bruits stridents, des souvenirs, des frayeurs, des agressions, parfois observé, photographié ...
On rêve que l'on est menacé, tué par son double, qu'un autre soi, maléfique, incontrôlable, pousse à l'intérieur de notre corps, prend possession de nous (la scène géniale et dérangeante du rêve dans le rêve dans le rêve ...où Dan est confronté à ses doubles successifs et criminels, jusqu'à "renaître" spectaculairement à l'intérieur de lui-même !)
Tout se passe finalement à l'intérieur,  à l'intérieur des mémoires, des esprits, des fantasmes, à l'intérieur de cette demeure, derrière les cloisons, les apparences, sous la peau ...














































Cette exploration d'un intérieur, une maison, un appartement, un corps ou de l'esprit trouve finalement son expression la plus symbolique (et sa solution ?) dans cette pièce immaculée et mystérieuse à la porte rouge marquée d'un 7 inversé à l'intérieur de laquelle l' homme est confronté à un souvenir d'enfance, une émotion amoureuse ou sexuelle et à une jeune femme à chaque fois différente.
Cette chambre comme une plongée dans l'inconscient, dont  il faut surmonter le pouvoir de fascination  (la mémoire comme un mirage, un piège séduisant) si l'on veut découvrir la réalité.
























Intérieur toujours, ce rapport  à la chair figuré de façon parfois quasi pornographique (ces femmes, objets de désir, fétichisées, offertes, palpées par des mains gantées de noir - la figuration constante du sexe féminin (ces plaies au sommet des crânes, béant comme des vulves, le couteau dans le sexe d'Edwige, la fille du magazine porno ...ces trous dans les murs et les plafonds ...).
Les corps offrent leur nudité, peau et chair sont continuellement scrutées, caressées, malmenées, fouillées, déchirées ...






























































Giallo oblige, le sexe a ici toute son importance : sadomasochisme (les jeux dangereux d'Edwige, les étreintes au verre pilé ...), bondage, masturbation, fellation (la femme aux bagues tueuses (l'une de mes scènes favorites !)), voyeurisme, fétichisme (les tampons démaquillants de l'inspecteur ...), sexualité enfantine, étreintes d'un couple de seniors, voisine nymphomane et meurtrière ... jusqu'au final en private joke menstruel.

































































Giallissime encore, l'importance du regard (même si l'on sent, rêve et imagine finalement davantage que l'on ne voit ; même si, une fois de plus, la vue s'avoue perpétuellement imparfaite, trompeuse ou empêchée ...).
Les gros plans sur l'oeil foisonnent, les caméras et les téléphones portables enregistrent les images, et les miroirs sans tain, les passages secrets, ces trous que l'on perce obstinément, cherchent sans cesse à prolonger la vision, à capter, révéler, tout ce qui pourrait nous échapper (et qui demeure invisible malgré tout !).




















































Les personnages, mannequins sans profondeur ni psychologie (essentiellement mus par une recherche, une quête plus ou moins nébuleuse (y compris pour eux-même)), ne sont finalement perpétuellement saisis et appréhendés qu'en tant qu'yeux.
L'homme est un oeil  avide, perdu, terrorisé par une vie qu'il ne maîtrise et ne comprend jamais, un oeil constamment sous le joug de fantasmes et d'images mentales au sein desquels les femmes, irrésistibles, s'affichent comme de nouvelles énigmes, de réelles menaces ...
Car c'est ici du secret féminin qu'il est, en définitive, constamment question : pouvoir, altérité, conspiration, mystère insondable mélangeant sorcellerie, possession, saignements criminels ou physiologiques ... La femme est une question, une recherche, une obsession et un danger perpétuel !
L'homme-oeil  la regarde, la désire, la redoute, enregistre son sommeil, respire ses parfums, tente de l'enfermer, de la contenir (pour mieux la comprendre ou l'asservir ?) ... en vain.





























Cet oeil  icône, figé tel  un objet, à la fois symbole et détail graphique, vient grossir le fétichisme exacerbé de la mise en scène.
Le moindre geste, la moindre attitude ou action se fait cérémonie ; les objets toujours choisis pour leur potentiel d'évocation sont détourés, surlignés : Vêtements (et tissus glissant sur la peau ou l'étouffant), bijoux (ces boucles et ces pendentifs qui transforment la couleur des yeux des femmes, ces bagues meurtrières ...),  chapeaux (ou cartons servant à les contenir : voir une surprenante séquence en noir et blanc), gants (de soie, de cuir), jouets, poupées, dessins, tableaux, photos, bandes magnétiques, vinyles, accessoires vintage et farces et attrapes, bonbons (coupants),  lames, cordes, couteaux, rasoirs ...




























































Jusqu'à cette maison elle-même, objet rutilant et magnifique : derrière chaque porte un nouveau monde de formes, de couleurs, de détails et d'accessoires, d'ornements sophistiqués ...
Tout est signe, tout semble vouloir faire sens ... rien d'hasardeux jamais !

































Les meurtres et les épanchements sanglants attendus comme des célébrations surprennent souvent, préférant l'onirisme (parfois éprouvant : la longue scène du cauchemar de Dan où il lutte, viscéralement, contre d' éternels doubles (externes et internes) de lui-même), le décalage, la suggestion,  le graphisme cut ou un maniérisme inspiré.












































Les cinéastes retrouvent les éclairages saturés de rouge, de bleu et de vert déjà utilisés dans Amer (et encore une fois très "giallesques") mais optent en général pour un travail sur l'ombre, les ténèbres, des atmosphères nocturnes ou confinées, des éclairages assourdis ou indirects, une gamme chromatique assez chaude (ocre, brun, jaune, rouge) dictée par les décors Art nouveau.

Au niveau musical, les réalisateurs utilisent encore  l'emprunt et la référence : Bruno Nicolai, Riz Ortolani, Ennio Morricone ... Fleurons musicaux et atmosphériques d'anciens gialli ou de bandes d'exploitation, les extraits choisis épousent judicieusement les images et assoient encore la légitimité au genre tout en prolongeant  son hommage.









Hélène Cattet et Bruno Forzani ont une nouvelle fois donné naissance à une oeuvre indéniablement marquante.
Leur connaissance pointue du Giallo, leur talent, leur technique imparable et la maestria de leur mise en scène ne laissent aucun doute.
L'Etrange couleur ... fascine totalement et bon nombre de ses images impriment durablement la rétine et la mémoire.
Pour le reste, et en dépit de toutes ses qualités et d'une générosité pourtant certaine, on peut éprouver l'impression de rester trop souvent à côté du film, en dehors, dans une sorte de non participation sinon celle induite par le côté méta-cinéma ("Tiens ! encore une référence ! Oh! le bel effet que voilà ! ...)
On admire, on est séduit, captivé même, par la beauté formelle, vénéneuse et parfaite, déstabilisé, dérangé par les cauchemars stridents, les flashs presque subliminaux ou les éclats-chocs mais, curieusement, nous ne nous sentons jamais réellement concernés, immergés dans cette histoire faussement complexe.
Et même si l'oeuvre parle avant tout aux sens et aux sensations, sollicitant continuellement notre regard et notre ouïe (les flattant et les malmenant tour à tour), même si elle ne cesse de scruter, de fouiller et de sonder les épidermes et les chairs d'un regard passant du sensuel à l'organique, du désir au dégoût, elle manque cependant cruellement de corps et de réelle profondeur et peine à dépasser une rigidité, un contrôle, à mon sens, très (trop !) cérébral ...
Malgré ces réserves et pour la richesse et l'inventivité formidables de ses propositions, cette Etrange couleur ... demeure absolument recommandable.
Rares, finalement,  sont les films d'une telle densité formelle, d'une telle liberté ... ; rares se font les expériences et les trips cinématographiques aussi "jusqu'auboutistes" !