BLACK SWAN
Beaucoup d'encre a coulé, bien des articles et des éloges au sujet de ce film, certainement l'un des plus aboutis de son auteur.
Aronofsky a trouvé ici l'alchimie idéale, mariant horreur et grâce, monstres et merveilles, distribution holywoodienne, archétypes ("Le lac des cygnes" ballet et cliché par excellence !) et déformations, élevant au final le film de genre au rang de film d'auteur et d'oeuvre à part entière.
La construction toute en résonnances, en parallèles et en effêts de miroir se révèle d'une efficacité et (rétrospectivement) d'une logique époustouflantes.
Ravivant les souvenirs du Polanski parano de "Répulsion", le chromatisme et la grâce du Dario Argento de "Suspiria", l'oeil clinique et le gout des métamorphoses corporelles d'un Cronenberg ..., abordant son histoire d'un regard à la fois extérieur (et parfois quasi documentaire (les répétitions, le monde du ballet, cette caméra à l'épaule suivant la course de l'héroïne ou balayant détails et mouvements des corps (comme collée à eux) dans le travail et les représentations ...) et totalement intérieur (finalement tout est vu du point de vue du personnage principal), le réalisateur immerge son spectateur dans un passionnant voyage sensitif, onirique et éminament psychologique.
A son héroïne borderline toute en contrôle et en fragilité, il oppose bruits et fureur, ne reculant au fur et à mesure du film devant aucun excès (l'apothéose des 20 dernières minutes avec son déchainement de visions, de transformations, de hurlements et d'affrontements ).
Cette opposition apparente aiguise l'angoisse et un faux suspens et elle maintient le spectateur dans un état de doute et d'intranquilité.
Dès le départ, confrontée aux fugaces apparitions de son double ou au contrôle infantilisant de sa mère, Nina exprimait pourtant déjà sous son masque diaphane et policé, tout le trouble et l'inconfort qui la caractérisait : cette crainte d'une personnalité toute autre tapie au plus profond de soi, ce refoulement constant ...
Ce travail obstiné, le sacrifice d'une vie pour une quête quasi irrationnelle de perfection ("I was perfect"!) ne pouvaient évidemment déboucher au final que sur la folie grand-guignolesque, le drame et la mort !
Giallo schizophrénique, donc.
Nina, ballerine studieuse et appliquée du prestigieux New York City ballet, vit exclusivement pour sa passion de la danse.
Son quotidien se répète invariablement partagé entre l'appartement dans lequel elle vit sous la coupe d'une mère infantilisante et l'opéra où elle travaille inlassablement.
Contre toute attente, elle, si sage et si réservée, réussit à être choisie par Thomas LeRoy, le directeur de la compagnie de ballet, pour interpréter le premier et célèbre rôle d'une nouvelle mise en scène du Lac des cygnes.
Pour Nina, le challenge est de taille car, en fait, le rôle s'avère double : pas de problèmes pour incarner Odette, le diaphane cygne blanc, mais, en revanche, bien du pain sur la planche en ce qui concerne Odile, son double maléfique, le fameux cygne noir !
Effectivement, Nina, trop raide, trop sérieuse et en perpétuel contrôle, peine à exprimer la folie et la sensualité exacerbée requises par ce personnage : la jeune femme aurait-elle peur de lâcher et de ne plus maîtriser ce qu'elle sent confusément bouillonner au fond d'elle-même ?
D'autant qu'autour d'elle se manifestent menaces, rivalités, pressions et jalousies assorties de signes, d'incidents et d'illusions de plus en plus perturbants et étranges.
Et plus l'angoisse de l'échec se fait sentir, plus le monde et l'entourage devient hostile, presque irrationnel et plus le préoccupant cygne noir paraît se matérialiser, prenant littéralement possession de Nina et stigmatisant à même son épiderme sa farouche volonté d'éclosion !
Finalement dévorée par son personnage, Nina s'abandonne et accepte la métamorphose qui lui assurera le succès et verra l'apothéose de sa quête absolue de perfection.
Tragiquement !
Beaucoup d'encre a coulé, bien des articles et des éloges au sujet de ce film, certainement l'un des plus aboutis de son auteur.
Aronofsky a trouvé ici l'alchimie idéale, mariant horreur et grâce, monstres et merveilles, distribution holywoodienne, archétypes ("Le lac des cygnes" ballet et cliché par excellence !) et déformations, élevant au final le film de genre au rang de film d'auteur et d'oeuvre à part entière.
La construction toute en résonnances, en parallèles et en effêts de miroir se révèle d'une efficacité et (rétrospectivement) d'une logique époustouflantes.
Ravivant les souvenirs du Polanski parano de "Répulsion", le chromatisme et la grâce du Dario Argento de "Suspiria", l'oeil clinique et le gout des métamorphoses corporelles d'un Cronenberg ..., abordant son histoire d'un regard à la fois extérieur (et parfois quasi documentaire (les répétitions, le monde du ballet, cette caméra à l'épaule suivant la course de l'héroïne ou balayant détails et mouvements des corps (comme collée à eux) dans le travail et les représentations ...) et totalement intérieur (finalement tout est vu du point de vue du personnage principal), le réalisateur immerge son spectateur dans un passionnant voyage sensitif, onirique et éminament psychologique.
A son héroïne borderline toute en contrôle et en fragilité, il oppose bruits et fureur, ne reculant au fur et à mesure du film devant aucun excès (l'apothéose des 20 dernières minutes avec son déchainement de visions, de transformations, de hurlements et d'affrontements ).
Cette opposition apparente aiguise l'angoisse et un faux suspens et elle maintient le spectateur dans un état de doute et d'intranquilité.
Dès le départ, confrontée aux fugaces apparitions de son double ou au contrôle infantilisant de sa mère, Nina exprimait pourtant déjà sous son masque diaphane et policé, tout le trouble et l'inconfort qui la caractérisait : cette crainte d'une personnalité toute autre tapie au plus profond de soi, ce refoulement constant ...
Ce travail obstiné, le sacrifice d'une vie pour une quête quasi irrationnelle de perfection ("I was perfect"!) ne pouvaient évidemment déboucher au final que sur la folie grand-guignolesque, le drame et la mort !
Giallo, ai-je dis ? Effectivement.
Et si cette oeuvre finalement sèche en dépit de ses apprêts et de ses fulgurances évoquerait de prime abord l'épouvante psychologique, le portrait barré, un conte fantastique dans lequel drame, thriller et horreur se côtoient et se fondent, c'est bel et bien au giallo que l'on songe ici :
Des miroirs et des reflets constants aux couleurs de plus en plus expressionnistes et affirmées, de la(des) névrose(s) de l'héroïne à ce gout des stigmates et des blessures, d'un univers renvoyant aussi bien à Suspiria ou Opera d'Argento qu'au Perfect Blue de Satoshi Kon ..., Aronofsky rejoue à sa sauce la beauté mortifère et délicieusement sadique du genre.
Une cruauté ici particulièrement exercée contre soi-même : Giallo psycho, à l'instar de perles telles que "Le Syndrôme de Stendhal" ou "Le Parfum de la dame en noir" ...
La schizophrénie de Nina, base même de l'histoire, est esquissée dès le départ (indirectement dans le rêve immédiatement surprenant du générique puis, dans la deuxième scène, lorsqu'elle aperçoit son double dans le métro qui l'emmène au théâtre) pour ne cesser de s'épanouir jusqu'au point de non retour.
Ce thème du double marqué à renfort de reflets toujours plus traumatisants se voit décliné jusqu'à plus soif - double rôle (Odette/Odile : cygne blanc/cygne noir), double personnalité, double maléfique, identifications permanentes, réelles ou fantasmées, redoutées ou désirées (identification de la mère à la fille - de la fille à un rôle, une icône ... - de Nina à Beth et à Lili ...) - nous menant à la confusion la plus totale (au fur et à mesure que l'héroïne perd pied, les visions et les reflets s'accentuent encore, lui renvoyant non plus sa propre image mais celle de ces autres, ces rivales - au final, tous les personnages féminins ou presque auront été appréhendés à un moment ou un autre comme un double, un autre soi-même toujours hostile et agressif - au sein d'une même séquence les visages se transforment (voir la scéne d'amour entre Nina et Lili,celle où Nina revient à l'hopital rendre à Beth les objets qu'elle lui avait dérobés ou l'oppressante représentation finale où chaque danseuse du corps de ballet prend le visage de Nina ...))
Ces visions de plus en plus fréquentes et de plus en plus cauchemardesques surgissent bientôt sans plus aucun contrôle et, dès la deuxième moitié du film, elles vampirisent totalement la perception du réel.
Le rêve du prologue, beau et effrayant à la fois, marquait du sceau faussement anodin de l'onirisme une réalité préfigurant tout ce qui allait suivre : l'engloutissement d'un personnage dans sa démence.
Le magicien monstrueux happant la ballerine et la malmenant dans une étreinte tentaculaire symbolisait déjà les dérèglements et la folie, ce cygne noir préoccupant bouillonnant de naître et de percer son enveloppe virginale et étouffante ; la danse comme un combat , une lutte à mort, préparait idéalement le terrain !
Bien évidemment la démonstration paraîtra trop peu subtile, le contrôle et la quête absolue de perfection de l'héroïne pourront sembler bien dérisoires au final : tout ce bruit et ces effêts ... Tout ça pour ça ! ?
On est pourtant happé, vampé, séduit, on ne sait jamais jusqu'où ira le cauchemar et quand ni comment il s'arrêtera (même si l'issue en est forcément prévisible !)
Car, comme dans les contes, on nous narre une quête, une initiation, un passage, ici particulièrement douloureux et traumatisant : Nina doit s'affirmer, affronter ses peurs, sa mère, une sexualité qu'elle avait jusque là refoulée, accepter de quitter le monde obéissant de l'enfance (et hop ! les peluches au vide-ordure !) pour devenir adulte, femme ; elle doit laisser s'épanouir la part sombre et animale d'elle-même si elle veut atteindre son but.
Ici la révélation se veut viscérale, extrême et finalement tragique : la transformation attendue toute magnifique qu'elle soit débouchera sur une extase mortelle !
Comme dans les contes encore, rêve et réalité ne font qu'un, nous naviguons désormais dans un univers où tout est possible ; émanations des terreurs ou des désirs (parfois des deux en même temps), les visions de Nina submergent l'écran, contaminent complètement l'action, la mise en scène et les points de vue.
Et tout part d'ailleurs de l'argument féérique d'un ballet, la "masterpiece" du genre : "Le Lac des cygnes" qui raconte les amours contrariées d'un beau prince et d'une jeune femme tombée sous le joug d'une malédiction qui l'a transformée en cygne.
De cette trame légendaire, Aronofsky exacerbe le thème de la transformation.
Débutant par ses stigmates (rougeurs, saignements ...) puis s'autorisant les effêts de plus en plus spectaculaires des hallucinations de sa victime (peau arrachée, chair de poulet, pupilles rougeoyantes, duvet noir perçant l'épiderme, pieds palmés, cou téléscopique, jusqu'à ces jambes tordues en pattes d'oiseau (peut-être un des moments les plus "too much" !) ...) cette transformation explose superbement lors de la libération du cygne noir : sur scène Nina révèlée à elle-même et presque méconnaissable joue son rôle (et sa vie !) si littéralement que lui poussent des ailes immenses et magnifiques (bien entendu nous sommes toujours dans l'esprit du personnage mais l'effêt spécial, somptueux, acquiert ici toute sa légitimité !)
En dehors de ces manifestations pour le moins extraordinaires, si l'esprit (en l'occurence celui de l'héroïne) se fait ici le point de vue de la mise en scène, le corps devient son expression et son réceptacle le plus évident :
Mises à part les transformations évoquées, ce corps demeure avant tout l'outil de la danseuse et se voit régulièrement détaillé par l'oeil de la caméra, une caméra qui , dans les chorégraphies, vient se coller au plus près des personnages. Ici encore, davantage la sueur, les foulures, les ongles broyés, la démonstration d'un réel travail , des silhouettes maigres, grises et essoufflées plutôt que de l'enchantement et des tutus pailletés ...
Et puis le corps, c'est aussi cette sexualité finalement problématique pour Nina figée par sa mère dans la posture et l'innocence d'une fillette, sa peur des hommes, ses penchants lesbiens, sa frigidité (?) ...
La chair est triste, lourde, vulnérable (cette permanence des blessures, rien qu'en se coupant les ongles ...! - l'accident de Beth et ses jambes couturées et barrées de broches - cette autre séquence où elle se troue le visage avec un coupe-papier - le morceau de verre dans le ventre et les saignements de la fin ...), encombrante et problématique.
Les étreintes sont perpétuellement avortées (lorsque LeRoy danse explicitement avec Nina ; quand Nina et Lili font l'amour ...) ou alors sinistres (Nina "baisée" dans les WC de la boite de nuit) voire monstrueuses (Nina surprend Thomas et Lili copulant vigoureusement ; quand Thomas se retourne il a le faciès démoniaque de Rothbart le magicien).
Les baisers se font morsures et la masturbation honteuse ou cauchemardesque (Nina qui se tripotait dans son bain se voit agressée par ... elle-même !)
En même temps le sexe adopte ici toute sa triviale réalité : le directeur de ballet conseille la masturbation en cours de soutien, la danseuse étoile sur le déclin traite Nina de "petite pute" et lui demande si c'est parce qu'elle lui a "sucé la queue" que LeRoy lui a offert le premier rôle, Lili est dépeinte comme totalement libérée et sensuelle et elle masse en riant le sexe du prince dans les coulisses alors qu'un vieillard libidineux assis face à Nina dans le métro désert mime des caresses avec d'obscènes bruits de bouche.
Le corps est malmené, la sexualité menaçante, l'esprit aux abois, la perception des choses et des événements confuse, problématique, et les contours de la réalité de plus en plus flous ... l'angoisse et l'insécurité peuvent s'installer en maîtresses !
Pour parfaire le tout, le réalisateur enferme constamment son héroïne - entre des murs, des cloisons (cette répétition du motif du mur de briques grises comme celui d'une forteresse (qui ramène à celle du conte, celle de l'esprit dérangé et auto-censuré...)), une succession de pièces et d'intérieurs, salle de bain récurrente, rames de métro, tunnels, escaliers, loges, chambre d'hôpital ... Les rares extérieurs sont la plupart du temps cadrés serrés, enfermant toujours le personnage, la caméra la suivant de dos comme si elle la traquait.
Seuls les miroirs incertains offrent des perspectives (et des menaces : Nina y aperçoit ses doubles autonomes et vindicatifs !) et si toutefois l'espace s'improvise plus vaste (la salle de répétition, le hall de la réception ...) il devient rapidement lui aussi étouffant ou ténébreux (cette statue ailée et angoissante dans le hall, la déambulation dans le théatre plongé dans l'obscurité ...)
La cohérence de la mise en scène s'avère parfaite, presque trop calculée : aucun détail n'a été laissé au hasard.
Des coloris déclinant à l'infini le gris, le vert et le rose, d'une façon tantôt éteinte tantôt exacerbée (via les éclairages, les éléments de décors tout comme les costumes et jusqu'au moindre accessoire (téléphone portable, bouquets, gâteau ...)) au travail sur le son, atmosphérique à souhait, parfois ponctué de souffles et de respirations, d'échos et d'effêts (hello encore "Suspiria" !), en passant par la musique absolument géniale de Clint Mansell qui a pour l'occasion complètement revisité, redécoupé, déshabillé "Le lac des cygnes" de Tchaikovsky.
Des papillons symboliques fleurissant la tapisserie de la chambre de Nina (la transformation arrive !) à cette boite à musique égrenant évidemment l'air le plus célèbre du Lac des cygnes, du rêve prémonitoire aux hallucinations en passant par la prise d'acides, de l'obsession "hygiéniste" (Nina passe beaucoup de temps dans sa salle de bain !) à la pureté idéale du cygne blanc, de l'effrayant patchwork de dessins vagissants aux fluorescences stroboscopiques et infernales d'un dancefloor, de ces miroirs forcément magiques, obligatoires, permanents, oppressants (une autre image de ce lac enchanté sur lequel les femmes se changent en oiseaux ?) à la menace perpétuelle des autres (danseuses envieuses, hommes trop portés sur le sexe, mère étouffante ...), de la maîtrise constante au lâcher prise et à la chute ... Tout se répond, s'interpelle, se retrouve, se répète.
De la même manière, les thèmes ou les idées abordés s'avèrent continuellement réfléchis et les références digèrées : le monde de la danse classique est dépeint, je l'ai dit, d'une manière plutôt brute et assez ingrate (peu de chromos du genre "Les Chaussons rouges"; la représentation finale du ballet est d'ailleurs franchement conventionnelle et plutôt laide), on n'échappe cependant pas au cliché ( la compétition permanente et les jalousies et les commérages entre danseuses ; l'ex prima-ballerina incontrôlable et alcoolique ; le directeur de ballet charismatique et séducteur ...) mais Aronofsky filme parfaitement l'effort, la pugnacité, la grâce et réussit à rendre vraiment crédible cet univers.
C'est d'ailleurs de cette crédibilité que découle en grande partie la réussite et le pouvoir de fascination de l'ensemble : le fantastique ne surgit jamais efficacement que de ce que l'on tient pour une réalité.
Il contaminera tout merveilleusement !
Et le choix du " Lac des cygnes" emblématique (et rasoir !?) comme métaphore et contrepoint de l' histoire et de ses enjeux et interprétations (Nina cygne blanc menacée par Lili cygne noir ; Nina sous le joug d'une malédiction qui la transforme en cygne comme le rôle auquel elle s'identifie ; Nina promue danseuse en chef , obligée de faire sauter tous ses verrous afin d'accoucher de la performance "parfaite"; Nina possédée par ses névroses comme la reine des cygnes par sa némésis ...) se révèle aussi potentiellement casse-gueule que finalement idéal : au double rôle correspondent une double difficulté et la schizophrénie larvée de l'héroïne auxquels viennent s'ajouter en miroir toutes ses projections mentales et constamment duelles.
A l'animalité contenue dans le titre et le corps du conte répondent l'éveil dérangeant à la sensualité et l'animalité finalement libérée de Nina.
Les petits rats en tutu courent en émettant des bruissements d'oiseaux, la belle rivale arbore sur son dos un tatouage on ne peut plus évocateur, on se bat bec et ongle pour incarner une salope ensorceleuse et pour se sentir pousser des ailes, le nez marqué de Vincent Cassel se transforme en grand bec quand il se tappe ses ballerines tandis que Nathalie Portman a la peau des cuisses qui se couvre d'écailles façon chair de poule lorsqu'elle rêve que Mila Kunis lui suçote le bas-ventre, des sculptures évidemment ailées se font les gardiennes impressionnantes des antres artistiques alors que l'héroïne également kleptomane (en plus de paranoïaque, schizophrène, anorexique ...) nous rejoue la pie voleuse ...
Références et échos ?
"Suspiria", je l'ai déjà dit, même si en dehors de la danse, du cheminement de l'innocente (?) héroïne, ce passage de l'enfance à l'age adulte, en dehors des couleurs (nettement moins exubérantes ici tout de même !) et de l'atmosphère fantastique (féérique ?) les deux oeuvres demeurent très différentes . "Carrie" pour l'accouchement (dans la douleur) d'une part réprimée, sauvage (magique) de soi, pour l'innocence et la force dramatique des deux personnages (Nina ici, Carrie chez De Palma) et pour ces mères monstrueuses ...
Le cinéaste propose une recette aux ingrédients possiblement disparates et opposés : merveilleux et horreur, monstres et falbalas, tutus saignants, peluches et boite à musique, film de genre et drame, Tchaikovsky et techno, rugosité et splendeur, ballerines et masturbation, blessures et extase, Michael Powell ou Roman Polanski, sensualité et sécheresse, splendeur et difformités, giallo hollywoodien, rêve eveillé ... pour un résultat d'une homogénéité et d'une maitrise envoutantes.
Les acteurs parfaits (Portman impeccable en femme-enfant prise au piège d'elle-même (sa "performance" récompensée par l'oscar de la meilleure actrice), Kunis rayonnante de vie et subtilement ambiguë, Cassel plus en retenue que de coutume, Wynona Rider idéale dans un rôle qui pourrait presque être autobiographique et Barbara Hershey ici encore au top ! ...) confirment la haute tenue de l'ensemble et nous font croire à cette histoire qui repose néanmoins presque davantage sur sa mise en scène éblouissante.
Car bien plus que l'argument (le récit d'une névrose auto-destructrice (ou le long cauchemar d'une danseuse étoile ?)) : une trame finalement basique servant de prétexte à l'expression du fantastique, de l'horreur et du merveilleux, ce sont toutes les circonvolutions, les passerelles, ces échos et ces effets mis en place qui passionnent, emportent ou terrifient selon le procédé efficace et bien connu de l'attraction-répulsion ...
En fin de compte, "Black Swan" n'a de profondeur que celle de ses images et de ses sonorités tour à tour hypnotiques ou déstabilisantes.
Nul message derrière ce beau "théâtre", même l'idée de l'Art comme tremplin pour la folie ou celle d'une imprégnation à la "syndrôme de Stendhal" (ici l'oeuvre (un ballet) et l'art (la danse) marqueraient à tel point la sensibilité que le sujet bouleversé, s'identifierait (jusque dans sa chair) à cette oeuvre) ne sont finalement qu'effleurées.
Plus que tout, ce qui semble intéresser le réalisateur (et qu'il exécute avec un brio indéniable) c'est l'image, la forme, et, bien davantage que son contenu, la structure et le rythme du récit ( ses répétitions, ses ruptures, ses ellipses ...). Ce qui importe n'est pas ce qu'on raconte mais la manière dont on le fait.
D'ailleurs, il suffit de revoir la filmographie du cinéaste ; de "Pi" à "Requiem for a dream", de "The Fountain" à "The Wrestler" jusqu'au récent "Noé", chacune de ces oeuvres (souvent remarquables) reste mémorable avant tout pour ses audaces ou ses expérimentations visuelles, un sens aigu de la mise en scène, de la mise en images, en musique et de la représentation.
Evidemment doué, donc, et souvent inspiré et surprenant ...
Mais l'art du bonhomme serait-il finalement creux ?
Son entreprise se révèlerait-elle vaine, artificielle et quelque peu autosatisfaite ?
Si certains répondront par l'affirmative, je ne souscrirai pas pour ma part à cet avis.
Il y a, à mon sens, chez Aronofsky une certaine naïveté derrière l'esbroufe, une fringale créative réellement communicative, une fascination intacte pour les icônes, les légendes, les symboles et une reconnaissance du pouvoir puissant et possiblement marquant des images.
Derrière son travail, on peut saisir l'oeil et la passion d'un vrai cinéphile et une véritable foi en la magie du cinéma (comme exacerbation, sublimation, sensation ...). Derrière ses rutilances, son abattage, ses audaces, sous les effets de style y compris les plus maladroits et les plus discutables couve indéniablement une réelle générosité.
Ses films sont des "trips" et les sujets de chacun d'eux reflètent avant tout la possibilité d'un nouveau voyage (ésotérique, mathématique, magique, mystique, physique, psychédélique, biblique ...)
Dans ce "Black Swan" vénéneux et outré, c'est, je l'ai dit, de voyage intérieur et onirique qu'il s'agit.
Si vous ne l'avez déjà fait, réservez un billet et embarquez dès que possible !
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