Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

vendredi 15 février 2008

Fantôme de l'Opéra ou fantôme d'Argento ?






Le Fantôme de l'Opéra (2)






Argento sait agencer les contraires, les opposés ; la trivialité (la plupart du temps davantage liée à des détails sanglants et choquants) peut cotoyer une référence à la peinture ou une réflexion sur l'incommunicabilité ...

Son cinéma se nourrit continuellement de ce mélange troublant de noblesse et de vulgarité, de beauté dans l'horreur, de moderne et d'intemporel, de contrastes exagèrés.

Ici, pourtant, le côté "film d'époque" et la référence littéraire se heurtent trop souvent aux partis pris érotique et gore.
Parce que le sang est bien évidemment de la partie !
Dès le début, un imprudent se retrouve coupé en deux (le réalisateur nous gratifie d'un gros plan sur ses restes : une moitié de corps sectionnée à la taille) ;


Plus tard, un homme viendra s'empaler sur une grosse stalagmite et sa compagne sera embrassée par le Fantôme jusqu'à en perdre la langue ;


Gorge arrachée par çi, tête tranchée par là ...


Les images-choc manquent de beauté et sonnent quelque peu comme le rappel du cinéaste, une signature obligée et réellement ostentatoire.

On sent Dario Argento désireux de rester fidèle à ses obsessions et à son public et ses fans tout en s'attachant à ne pas trop malmener le roman dont il s'inspire, hésitant entre le classicisme ( l'intrigue, le "filmage" à l'aspect finalement "chiche" et presque télévisuel en dépit d'une belle photographie, le côté historique...) et un traitement neuf et personnel.
Le film en ressort bancal et maladroit.

La photographie et l'éclairage soignés et très contrastés reflètent effort et recherche et les couleurs sont, une nouvelle fois, mises en valeur ;
les tons bleus, ocres et jaunes du monde souterrain s'opposant aux ors et aux rouges profonds de l'Opéra.

Le travail sur la lumière est remarquable et les références se font pléthore : références picturales (De la Tour (la lumière), Degas, Jérome Bosch (la vision des hommes-rats pris dans un gigantesque piège ), Boecklin (le domaine du Fantôme, la barque voguant dans le monde du dessous) ;



Références musicales (Gounod ("Roméo et Juliette" au lieu de "Faust", dommage !),Bizet,Delibes) ;


références au cinéma de Meliès et à Jules Verne (la curieuse machine à dératiser).


La bande originale de l'oeuvre est signée Ennio Morricone ; moins entêtante et réussie que celle que le maestro avait composé pour "Le Syndrôme de Stendhal" elle n'en demeure pas moins efficace, tantôt romantique et nostalgique, à grand renfort de cordes, tantôt mystérieuse ou angoissante.


Comme dans bon nombre de films du cinéaste, l'animal tient encore une place de choix.
Cette fois, donc, les rats mais également des chauve-souris, des araignées, de la vermine et cette mouche qui indique l'entrée du passage secret.



Les protagonistes ne cessent d'ailleurs pas d'être décrits comme des animaux : le Fantôme est assimilé à un rat puis à une araignée, Christine à un "petit rossignol", Carlotta est traitée de "grosse vache" et l'habilleuse se fait appeler "mon petit lapin".
Et lorsque le fantôme songe à l'humanité, comme dans cette scéne sur les toits (moitié réussie mais surprenante), c'est comme à des créatures mi-hommes mi-rongeurs prises dans un gigantesque piège.


Une grande partie de l'action se situant sur la scène et dans les coulisses de l'Opéra, on assiste aux répétitions et peut entendre quelques pièces choisies du répertoire lyrique ("L'air des clochettes" de Lakmé , l'"Habanera" de "Carmen"...!)
Et le réalisateur travaille en écho sur toute une dicchotomie de la "gorge" :
le puit du départ, où sont happés les ouvriers ;


Les couloirs de l'Opéra ; les goulets, les passages et les grottes du monde du dessous ; la gorge inflammée de Carlotta ; la gorge dévorée du régisseur ; la langue arrachée de la voleuse ; les crachats de Carlotta pendant les exercices vocaux ; le chant et les voix des sopranos ...



Semblablement sont constamment traitées les figurations et les oppositions entre le "Haut" (L'Opéra ; l'aristocratie et le clergé aux balcons de la salle de spectacle ; les toits de l'édifice sous la lune ; les notes aigues de l' Air des clochettes ; une certaine pureté et élévation de l'âme ; le chant de Christine comme celui des anges...) et le "Bas" (les souterrains et le repaire du Fantôme ; l'intéret et la bassesse des personnages ; l'attraction de Christine pour le Fantôme et des pulsions animales et sexuelles ...)

Rapport Haut/Bas trouvant ses illustrations encore appuyées par le motif récurent de la "chute" (cchute du bébé dans les égouts lors du prologue ; chute de l'énorme lustre sur le public de l'Opéra et d'un élément de décor (une colonnade) sur Carlotta ; chutes et évanouissements de Christine sur scène ; chute des ouvriers dans le puit, d'un corps projeté sur un piton rocheux, d'une scie circulaire sur un nain ; chute de Carlotta dans la salle des costumes ; chute de la bague dans l'eau ; intervention "ailée" du Fantôme qui, tel un super-héro, vient sauver sa belle...).




On tombe, tout tombe, on monte et descend des escaliers, le long de cordages...
En même temps, le Bas, la demeure du fantôme est décrit comme une transposition brute du dessus.
En effêt, chez lui, on retrouve ces lourds rideaux, une scène ; l'orchestre est remplacé par un orgue (pour la touche gothique) et l'ammeublement hétéroclite rappelle les accessoires et les éléments de décor de l'Opéra.


En haut, tout s'échange, s'achète, dans des rapports constants d'intéret et de quasi-prostitution. Effectivement, les personnages ne cessent de s'"offrir" des choses (des fleurs, des chocolats, des contrats, la promesse de trésors dérobés, jusqu'à la direction de l'Opéra) mais ces cadeaux ne sont toujours que le biais de la réalisation d'objectifs égoistes et immoraux (l'amour, le sexe, l'argent, la perversité ...)


Et si Christine offre du tabac à son habilleuse, n'est-ce pas, avant tout, pour s'assurer de son silence et de sa complicité ?



Encomparaison, les rapports entre Christine et le Fantôme sont plus équilibrés et désinteressés (il lui offre une bague et la gloire, elle, une écharpe et sa virginité mais cela uniquement par amour et désir, et sans calcul).
Ils ont en commun un même idéal de pureté souligné par leur communication télépathique et leur différence, leur solitude, leur ambivalence (homme/animal pour vierge/"putain").

L'animalité de Christine se révèle au contact du Fantôme.


Face à lui, elle est toujours représentée peu vêtue, décolletée, cheveux lachés alors que devant Raoul on la trouve à chaque fois engoncée dans des robes élégantes boutonnées jusqu'au menton, coiffée de chapeaux et le visage toujours protegé par des voilettes.


Lorsqu'elle remontera des bas-fonds où elle aura été initiée à l'amour physique et à sa propre bestialité, elle portera d'ailleurs sur elle la couleur rouge de sa défloration (jusqu'alors toujours vêtue de blanc ou de bleu, elle arbore une tenue rouge vif de style espagnol puis le costume pourpre de Juliette).



Par delà l'adaptation et le roman de Leroux, les références aux contes parcourent toute l'oeuvre : "La Belle et la Bête" en tout premier lieu, le mythe de Persée (la bague-Méduse ...) ou celui d'Orphée et Eurydice, "Alice"(De l'autre côté du miroir).


Car ici aussi les miroirs sont "magiques" et parlants et le Fantôme s'exprime quand on s'y regarde (Christine, Carlotta) et y apparaît avant de tuer (il se reflète sur une paroi de la grotte, derrière Paulette, avant de lui arracher la langue).


Le miroir comme un passage vers un autre monde et une autre réalité de soit.


L'eau également peut se faire miroir (miroir de la transformation d'un nouveau-né en rat; miroir du cheminement de Christine jusqu'au domaine du Fantôme et miroir de sa transformation à venir).

Et même si on pourrait reprocher à Dario Argento un final baclé et plutôt laid, la fin du film recoupe son début et la boucle est bouclée :
le Fantôme, abandonné nourrisson à l'eau des égouts, meurt englouti par celle du lac souterrain.




Las ! Les intentions de Dario Argento étaient nobles et tout à fait louables et son envie à la mesure de nos attentes mais son " Fantôme de l'Opéra" peine à nous transporter .
La relecture et les orientations effectuées ne manquent pourtant pas d'intéret et le réalisateur, tout en ne trahissant pas le roman, a su demeurer fidèle à ses thèmes prédilection : l'animalité, la schizophrénie, la différence, l'hostilité et la dureté du monde, l'Art et l'Opéra...

Dernier film de la "trilogie d'Asia", Argento offre ici à sa fille un rôle qui s'inscrit dans la continuité des précédents :
après les traumatismes de l'adolescence et de la jeunesse ( "Trauma", "Le Syndrôme de Stendhal"), Asia est devenue une femme.
La voici livrée aux affres de l'amour et à la conscience de sa sexualité .

Ici, une nouvelle fois, le corps et l'amour physique posent problème (dans les deux films précédents, Asia incarnait une anorexique qui refusait son corps et l'éveil des sens puis une jeune femme-flic traumatisée par des viols sublimant par l'Art sa haine du sexe et finissant par s'identifier au psychopathe).

Dans "Le Fantôme...", la sexualité et l'animalité sont finalement annihilées (et tuées) ;
le poids et la violence des hommes et de leur société (le chasseur de rats symbole et meneur de tous les autres se révèle le véritable monstre de l'histoire) sont trop terribles, trop lourds ;
il n'y a nulle place pour la pureté trop entière, trop violente d'une part bestiale et décomplexée de soi-même.
Christine est contrainte de choisir la normalité et la fadeur d'un amour canalisé et conventionnel (Raoul).


En tant que père (indigne?) Argento pouvait-il cautionner jusqu'au bout les ébats quasi-zoophiles de sa fille avec un homme-rat ?
Trop respectueux et timoré (?) il choisit finalement lui aussi le camp de la norme et du conservatisme .


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Couldnt agree more with that, very attractive article