Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

jeudi 7 février 2008

Le Cinéma de Dario ARGENTO 1 : OPERA




OPERA


Betty, la doublure d'une cantatrice, doit remplacer Mara Cekova au pied levé lorsque celle-ci est renversée par une voiture.
La représentation de "Macbeth" remporte un vif succès mais déclenche surtout une suite ininterrompue d'accidents et de meurtres semblant accréditer le mythe selon lequel cet opéra porterait malheur.
Manipulée par le malade qui paraît y compris responsable de son accession à la gloire, Betty devient le témoin privilégié et désiré de ses méfaits : il la ligote et la baîllonne et colle des aiguilles sous ses yeux afin qu'elle ne puisse se soustraire au spectacle des tueries qu'il commet devant elle.
En même temps, la jeune femme est submergée par des visions et des rêves où le même personnage cagoulé s'adonne à ses perversions ; le tueur lui parle comme s'ils se connaissaient...

Quel est donc le lien qui semble les unir ? Comment ne pas perdre la raison lorsque tout le monde autour de vous paraît suspect ou se voit sauvagement éliminer ?

L'Opéra, qu'il s'agisse du lieu lui-même ou du genre musical, de ses archétypes et des drames violents qui y sont racontés, ou, plus symboliquement, d'un mode flamboyant, baroque, excessif et inspiré d'appréhender le monde, le cinéma, et de raconter des histoires, l'Opéra a toujours plus ou moins fait partie de l'oeuvre de Dario Argento.
Dans ses films au lyrisme sec, ce sont la caméra, les lumières, les couleurs qui s'envolent, flamboient et éclatent, le sang qui fuse au lieu des vocalises et des contre-ut.


Pour l'anecdote, on sait que le réalisateur avait été pressenti pour une mise en scène du "Rigoletto" de Verdi à la Scala de Milan ; les producteurs ont vite fait marche arrière lorsque Argento leur a soumis un projet trop avant-gardiste où le duc de Mantoue devenait un vampire : une adaptation décidément trop délibérément gothique pour la maison.
Est-ce par esprit de revanche qu'il résolut de monter malgré tout un opéra par le biais de ce nouveau film ?



Jusqu'au-boutiste, le cinéaste choisit le "Macbeth" (de Verdi toujours), opéra maudit, et part des mythes et superstitions liés à l'oeuvre et au monde du bel-canto pour créer son histoire (la représentation d'un opéra porte-malheur dont la troupe est décimée par un maniaque ; des cantatrices capricieuses et mégalomanes (Mara), dangereusement perverses (la mère de Betty) ou au contraire totalement frigides (l'héroïne)).


Une autre "piste" permet d'appréhender la genèse du film :
Dario Argento a confié plusieurs fois qu'il avait été marqué, enfant, par la vision du "Fantôme de l'Opéra", film dont il concoctera quelques années plus tard sa propre version.


"Opéra" s'affirme comme la première et inconsciente (?) relecture du roman de Gaston Leroux et, par ailleurs, comme une vision bien plus intéressante et personnelle que celle qui suivra.
Le personnage de Betty correspond par bien des côtés à celui de la Christine Daaé du "Fantôme..." : propulsée sur le devant de la scène par un être amoureux et démoniaque, ballottée entre l'attraction et la répulsion et entre deux hommes (ici, le tueur et le metteur en scène), elle est la responsable involontaire de la mise à mort de tous ceux qui entravent son chemin.



Ainsi, "Opéra" se révèle un passionnant travail d'adaptation, le processus même de la création et de la mise en scène sous-tend d'ailleurs toute l'oeuvre.

Le personnage du réalisateur de films d'horreur qui créé son "Macbeth", c'est Argento lui-même en train de faire son "Fantôme..".
L'envers du décor nous est fréquemment dépeint, et dès le départ, et nous pouvons suivre la "première" du spectacle depuis les coulisses grouillantes de machinistes, de figurants, de toute une fourmilière affairée.














Rappel de sa vision avortée d'un "Rigoletto" chez les morts-vivants, le "Macbeth" de son alter-ego présente une version modernisée, d'un gothique expressionniste et spectaculaire, avec paysages ténébreux et déchiquetés, énorme tête de mort, figurants fantômes, fumées, et la présence de véritables corbeaux (oiseaux porte-malheur par excellence !)








L'acte de mise en scène va contaminer tous les personnages du film et la réalité elle-même.








Ainsi le tueur : adepte de rites fétichistes et sadomasochistes poussés à l'extrême, l'assouvissement et la réalisation de ses pulsions déviantes passe par des mises en scène élaborées ; l'acte amoureux est remplacé par des séances de bondage où les mises à mort se substituent au sexe.



De plus, le meurtrier joue constamment un personnage puisqu'il est à la fois le coupable et l'inspecteur censé résoudre l'enquête et démasquer le malade (lui!).


Il ira même jusqu'à mettre en scène sa propre (fausse) mort.
Ce tueur qui tire les ficelles s'avère également le premier à mettre littéralement Betty en scène en éliminant momentanément Mara, la cantatrice initialement prévue.



Et, ici plus que jamais, les personnages semblent des marionnettes, sans psychologie ni ancrage dans une réalité autre que celle de l'Opéra, presque dépourvus d'humanité et totalement et constamment manipulés.

L'Opéra, le théatre, la scène deviennent rapidement le centre du monde, des vies et des enjeux et se subtilisent à toute autre référence : Betty, traquée, ne trouve d'autre refuge que sa loge (l'extérieur, le monde réel, est devenu plus faux et trompeur que le monde d'artifices de l'Opéra) et c'est depuis la scène et pendant une représentation, que les corbeaux sont lachés afin de démasquer l'assassin.




(à suivre...)

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