Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mercredi 3 mars 2010

Deliziosi Gialli 10 : Une Hache pour la lune de miel / Il rosso segno della follia




UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL/
A HATCHET FOR HONEYMOON/
IL ROSSO SEGNO DELLA FOLLIA




Directeur d'une maison de couture, John Harrington dissimule derrière son look séduisant de play-boy la personnalité psychopathe d'un assassin.
La particularité de ses crimes qui ne ciblent jamais que de toutes jeunes mariées, correspond en fait à un traumatisme remontant à l'enfance.
Alors que l'étau de la Police se resserre peu à peu autour de lui, John cherche dans ses meurtres les réponses qui soulageront son esprit malade.
Et si les fantômes du passé ne le laissent plus en repos, il aurait peut-être tout intéret à prêter davantage d'attention à Helen, cette nouvelle recrue qui semble à toute force vouloir le séduire ...


Le titre italien original "Il rosso segno della follia" (grosso modo : Le signe rouge de la folie), moins racoleur que ses adaptations franco-anglaises, collait bien plus à la réalité de ce beau film !


Assez méconnue au sein de la brillante filmographie de son auteur, cette nouvelle décortication du Giallo (par celui qui en fut le père fondateur !) malaxe et rappelle harmonieusement les principales constantes d'une oeuvre indubitablement géniale.
Ici, Mario Bava prend à revers la plupart des présupposés giallesques, dévoilant dès le départ l'identité de son maniaque et allant jusqu'à en faire le héro (et l'enquêteur !) de sa nouvelle histoire, tout en y ajoutant les notes fantastiques et morbides qui lui sont familières, ces fantômes et ces mannequins presque emblématiques.




On pénètre dans l'oeuvre par une belle séquence de crime à bord d'un train (un homme vêtu de noir rôde dans un wagon ; il s'introduit dans un compartiment où un couple fraichement marié est tout absorbé par les prémices de sa nuit de noce ; l'homme brandit un hachoir et les tue ...) ; l'atmosphère affecte comme une part d'onirisme (cet enfant muet (témoin ou complice ?) qui scrute l'assassin dans le couloir du wagon) et un ton décalé (le voyeurisme initial se mue rapidement en horreur ; le meurtrier qui essuie son arme ensanglantée sur le voile de la mariée ; ce carton "ne pas déranger" aux lettres étonnament bien rouges ...)


Brève et dépourvue de dialogues, cette scène introduit parfaitement la voix-off (en l'occurence celle du héro (et tueur !)) qui lui succède immédiatement, explicitant d'office la singulière réalité dans laquelle Bava a choisi de planter son intrigue : la psyché (évidemment perturbée) d'un criminel !


Et tout le film sera finalement construit et mis en scène du point de vue de son personnage principal.
Autant dire que le suspens (finalement réduit à des enjeux minimisés : John Harrington sera-t-il attrapé, et surtout, Comment ?) faussement déplacé sur la question d'un traumatisme rapidement élucidé par le spectateur (Qui est cet enfant ? Que s'est-il passé autrefois dans cette chambre ? Qui a tué qui ? ... Autant d'énigmes illusoires ! ...) ne constitue pas l'aspect le plus abouti (ni le plus recherché) de ce Giallo très stylisé.
L'intéret de "Une hache pour la lune de miel" tient bien davantage dans sa surprenante et indéniable cohérence, dans l'harmonie de ses ornementations et la multiplicité de ses influences et de ses registres, dans la lente et réjouissante progression de l'irrationnel combinées à la simplicité de son argument et à l'éblouissante maitrise de sa mise en scène ...





Le dosage subtil entre la légèreté et la perfection formelle, l'étiquetage, le formatage "film de genre" et tout l'Art et l'engagement mis en oeuvre, la diversité pourtant très homogène d'une inspiration qui mélange l'horreur gothique et les prémices du slasher, le kitsch (aujourd'hui divinement "vintage") et le conte noir, lui confèrent un charme inédit.




Et si les partis-pris très sérieux, très premier degré (collant cependant tout à fait à cette retranscription d'un esprit dérangé), le principe de la voix-off (passablement lourdingue !) ou le look résolument sixties peuvent prêter à sourire aujourd'hui, tout comme peuvent amuser (et désarçonner) les programmations parfois trop "entendues" d'une trame cousue de fil blanc (ça tombe bien : le héro créé des robes de mariée ! Hi!Hi!Hi!), le film n'en demeure pas moins un véritable vivier (d'images, d'idées (repiquées ça et là maintes fois depuis !), d'expérimentations ...) et il conserve nénmoins toute sa part de surprises et de morceaux de bravoure (la pièce secrète, la chambre d'enfant, le jardin intérieur où les cadavres servent d'engrais aux roses et aux lys, le meurtre d'Alice Norton (Femi Benussi !) et surtout cette scène quasiment anthologique du meurtre de Mildred (avec l'irruption suspicieuse de la Police alors que le cadavre saigne en surplomb dans l'escalier ... le sang qui coule au pied de l'inspecteur ...) ...)


Evoquant un peu plus haut le sérieux et l'étrange (et volontaire) raideur (théatralisation ?) du trait, j'oubliais tout de même le comique horrifique, l'humour noir désopilant de cet autre grand moment qui montre John tenter par tous le moyens de se débarrasser du fantôme acide et revanchard de sa femme (il enterre le corps, puis l'incinère, puis jette le sac contenant ses cendres dans une rivière (le sac réapparait !) pour finir par disperser ces cendres sous une pluie torrentielle ... rien n'y fait, le spectre refuse de le laisser en paix !)
Pareillement on est trompé par la beauté mannequine un peu trop lisse et finalement morne des personnages : derrière la vaine élégance de ces marionnettes couvent des préoccupations parfois presque triviales ; les lèvres roses et suaves peuvent lacher des discours étonnament ciblés (le sexe (ou l'impuissance) et l'émancipation féminine s'évoquent effectivement d'une façon plutôt directe !)


Et si l'oeuvre peut décevoir le spectateur actuel par son manque d'enjeux purement narratifs, elle ne s'en avère pas moins beaucoup plus complexe et plus étrange que ne l'auguraient les simples répétitions de sa trame-prétexte.
L'univers psychologique du héro déviant se prête à tous les mélanges : Bava recycle Hitchcock, les contes de Perrault, Edgar Wallace, Freud et le roman-photo ; la musique plagie par instants une mélodie sucrée de Tchaikovsky et le Giallo retrouve (avec bonheur !) tout son quota de lames rutilantes, de fétiches, de belles proies féminines, de flash-back mystérieux et d'inquiétants reflets ...






Formellement, "Une hache pour la lune de miel" marque une nouvelle fois toute la dimension créatrice et l'indéniable savoir-faire, le vénéneux cachet de son auteur ; la beauté est continuellement de mise, toujours un peu sur le fil du mauvais gout, du too-much ou de la préciosité ..., artificielle et théatrale, grandiloquente et ridicule ... géniale !
Les couleurs élaborent une somptueuse symphonie en bleu et rouge, en gris, en ors, en jaunes et en violets ... Les architectures et les décorations, cette prolifération des arches, des stucs, des volutes et des ramages, la permanence des statues, des fleurs et des jardins ... accentuent l'étrangeté ambiante.


Enoncée dès les premières minutes, la singulière paranoïa du héro est racontée subjectivement, par le prisme du regard (des pensées, des visions, des agissements ...) de cet homme malade, constamment déformée, faisant coabiter sur un même plan rêve (et cauchemards), obsessions et réalité.
Cette expression littérale de la démence refuse les explications trop radicales comme les éclats trop violents (le sang et le sexe sont curieusement mis en retrait) pour s'épanouir dans un onirisme constant encore magnifié par la féérie des décors, les apprets de la mise en scène, (la précision des cadrages, les surprises du montage (ce visage qui s'ouvre en deux sur la scène suivante, le train réel remplacé par sa miniature ...), la beauté des éclairages (Bava, chef opérateur et photographe !), le jeu des contrastes (le plein et le vide, l'espace et le cloisonnement, la figuration ou l'abstraction ...)), un onirisme également figuré par ces rappels lancinants d'énigmatiques flash-backs.






Effectivement, les crimes de John Harrington, cette obsession pathologique (et mortelle) à l'égard des jeunes mariées, s'avèrent les répétitions maniaques d'un meurtre initial et traumatisant.
La mémoire du jeune homme a enfoui et censuré ce souvenir trop marquant pour ne le lui restituer que par bribes nébuleuses et décousues, des flashs qui ne le laissent pas en paix tels une douleur à jamais cuisante.
Et, cultivant sa fascination pour les emblèmes du mariage (les robes qu'il créé au sein de sa maison de couture), et répétant presque malgré lui son geste ancien (trêve de cachoteries (et tant pis pour le spoiler) : John a tué sa mère et son beau-père alors qu'il n'était encore qu'un enfant !), le héro cherche finalement à retrouver la mémoire, à élucider ses visions dérangeantes (l'énigme qu'il est pratiquement le seul à n'avoir pas saisi !), menant une sorte d'enquête meurtrière dans laquelle chaque coups de hachoir et chaque nouveau cadavre remplacent les indices qui mènent traditionnellement à la résolution.


La vision de la réalité de ce malade prend une tournure de plus en plus délirante ; une vision au sein de laquelle les spectres de la culpabilité (lui-même enfant, Mildred sa femme) se matérialisent sans cesse, l'accompagnant, l'observant, le narguant, le hantant sans relâche.






Le fétichisme de John, cette pièce secrète remplie de mannequins (nouvelle version du cabinet sanglant de Barbe-Bleue), cette chambre d'enfant demeurée telle qu'autrefois ..., s'exacerbe encore dans le choix des objets (des symboles) autour desquels s'articulent le drame et ses macabres rituels : un voile de mariée, un hachoir brillant porté sur un plateau d'argent comme l'instrument d'un culte démoniaque, des tourterelles et des perroquets en cage, une saccoche de cuir sombre, un livre traitant du spiritisme ...




Et les reflets, récurents, (presque un tic de la mise en scène !) soulignent jusqu'à l'écoeurement toute la schizophrénie du personnage.




D'ailleurs, tout est reflet :
miroirs, argenterie, lames et liquides ... mais, plus largement encore, ces femmes (uniquement envisagées comme les victimes qui ramènent à la toute première), ces jouets de la chambre d'enfant qui copient les détails de la réalité (le petit train, le perroquet, les poupées ...), ce métier où l'on ne fait finalement qu'exprimer et cultiver ses traumatismes, ce jardin-cimetière, ces mannequins qui n'exprimeront jamais rien d'autre que la beauté et que John peut caresser et embrasser à loisir (sans risques de conséquences ...)


L'impuissance du héro, cette impossibilité d'honorer son épouse (qui lui en veut à juste titre !) et les femmes en général (John ne séduit jamais les beautés qu'il emploie que pour mieux les éliminer !), trouve son prolongement dans le choix symptomatique de jeunes mariées pour proies (massacrées le soir de leur nuit de noces, juste avant la perte de leur virginité (?))
Le message rejoignant la traditionnelle symbolique de l'acte de mort/acte sexuel acquiert ici une grande cohérence : John, demeuré cet enfant (matricide) dans un corps d'homme, ne peut évidemment posseder (déflorer) les femmes qu'à coups de lame.


Renforcée par le personnage savoureux de Mildred, cette épouse vindicative et potentiellement castratrice (c'est elle qui détient toute la richesse et qui est à l'origine de la réussite sociale de son mari) cette impuissance et cette peur (cette impossibilité) du sexe explique donc sa négation (et l'espèce de censure) effectuée par le personnage principal (mais également par le film lui-même !)




Et si le désir et la sexualité aiguisent visiblement l'intéret et les motivations des autres (et tout particulièrement des femmes : Helen, ouvertement libre et provocante, Alice comme hypnotisée par son patron et toute prête à tromper son promis, Mildred que le manque remplit d'amertume et d'aigreur ; cette scène amusante où John croit séduire une nouvelle victime en feignant de lui proposer une "partie à trois" ...), John, en revanche, ne parait finalement pas éprouver de plaisir !






Il ne tue pas par vice mais plutôt par necessité ...

Une fois encore, Mario Bava ne parle finalement que de la mort et du rapport que ses héros dérisoires et pathétiques entretiennent avec cette problématique.
Noyée sous les volutes, les fleurs et une fausse légèreté, c'est bel et bien la mort qui prime, qui anime et qui instrumentalise.
John Harrington a beau feindre le détachement, il ne connait finalement ni bonheur ni repos et ne s'avère après tout qu'une sorte de mort-vivant (son existence "normale" a pris fin avec le meurtre de sa mère !)


Et les fantômes insistants qui partagent son quotidien corroborent totalement cette idée.
Pareillement, la référence directe au chef-d'oeuvre de Bava "Les Trois visages de la peur" (qui passe à la télévision lorsque John assassine sa femme), évidemment signifiante, entérine encore le constat : Les Wurdalaks, vampires surgis de l'Au-delà, ramènent à l'enfant silencieux et au spectre goguenard de Mildred, mais ils rappellent avant tout la triste condition de ce héro contraint de tuer et de tuer encore pour pouvoir continuer à vivre (et pour calmer ses "démons")...



Le final consensuel (John se retrouve piègé par Helen (en fait, la soeur vengeresse de l'une de ses victimes) dont l'embauche au sein de la maison de couture et toutes les entreprises de séduction ne visaient qu'à prendre le malade sur le fait (au moment où, suivant son rituel, John l'introduit dans sa chambre secrête, lui fait passer une robe de mariée ... et se jette sur elle avec son hachoir, la Police (complice) déboule !), cette fin qui en évoque tant d'autres identiques sacrifie à l'indispensable (?) arrestation du psychopathe.
Bava se démarque tout de même quelque peu des usages, ironisant jusqu'au bout : John a enfin retrouvé la mémoire (le souvenir complet de l'origine de son traumatisme est revenu avec cette ultime tentative de meurtre !) et il remercie sincèrement celle qui l'a trahi, manipulé et possédé !


Mais, lorsque le maniaque est embarqué dans la fourgonette des autorités, paraissant laisser derrière lui cet enfant tueur avec lequel il échange un dernier regard, le fantôme de son épouse l'accompagne néanmoins (la saccoche de cuir a été déposée à côté de lui et on aperçoit Mildred souriante et moqueuse) laissant présager l'éternelle perpétuation de la folie (et de nouvelles obsessions ?) du personnage.


Servie par un casting on ne peut plus adéquat (Dagmar Lassander, Femi Benussi et la géniale Laura Betti du côté féminin, et Stephen Forsyth (acteur peu glorieux mais ici tout à fait crédible en serial-killer au look de Joe Dassin)), habillée de musiques divinement kitsch et diaprée de couleurs et d'artifices, cette oeuvre superbe délivre toute la quintescence de l'univers de son réalisateur ; peut-être plus superficielle, plus "facile" que d'autres opus, elle n'en approfondit pas moins étonnament la perfection stylistique et la fascinante cohérence des thématiques "bavesques".
A déguster comme une friandise : dragée poivrée ?



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