DRACULA
Jonathan Harker arrive à Passburg, un village des Carpathes.
Lucy, l'amie d'enfance de son épouse, lui a déniché un emploi de bibliothécaire au chateau du Comte Dracula.
Jonathan se trouve immédiatement mèlé à des incidents étranges qui révèlent une atroce réalité : Dracula est un vampire très puissant et toute la contrée vit sous sa coupe !
Alors que Jonathan succombe aux assauts carnassiers de son hôte, l'arrivée de Mina, sa femme, va encore précipiter les événements.
Et tandis que les morts violentes se succèdent et que le pacte liant le vampire aux villageois vole en éclat, une autre vérité se dessine : Mina ignore être la réincarnation de l'ancienne épouse de Dracula ; la retrouver et revivre avec elle un amour fou dans l'éternité s'avère le véritable projet du Comte ...
L'irruption du docteur Abraham van Helsing suffira-t-elle à sauver Mina de l'emprise maléfique du monstre et à l'éradiquer lui, ses sbires et toutes les victimes qu'il a contaminées ?
L'Argento nouveau est arrivé !
Alors ? Les questions, les interrogations, les espoirs vont inmanquablement se précipiter ...
Renaissance ? Ratage ? Virage ? Réussite ou déception ... ?
Le grand Dario a-t-il enfin trouvé un nouveau souffle ?
S'attaquer à une figure aussi emblématique que Dracula était aussi gonflé et surprenant (de la part du maitre du Giallo, à priori aux antipodes de l'épouvante traditionnelle) que vraiment casse-gueule !
Comment proposer du neuf et de l'inédit avec un personnage aussi rebattu ? Comment donner envie au spectateur de redécouvrir une histoire mainte fois mise en scène ?
Argento tablait-il sur la vague suscitée par "Twilight" et toutes ses copies, cet engouement pour les vampires qui a saisi littérature et cinéma (à destination plutôt adolescente) toutes ces dernières années ?
Espérait-il revenir aux sources d'une mythologie peut-être inconnue des plus jeunes ? Ou s'agissait-il seulement d'un nouveau travail de commande plutôt opportuniste ? (Le recours au gadget de la 3d (on sait qu'Argento apprécie les défis et les expérimentations mais tout de même !) semblerait aller dans le sens d'une oeuvre à vocation essentiellement mercantile et à destination ouvertement grand public (bonne idée en soi mais est-elle vraiment réaliste lorsqu'on connait l'étrangeté et l'anticonformisme du cinéma du bonhomme, jamais classique ni consensuel et si plein de failles et de manquements ...) d'où certains couacs sur lesquels je ne manquerai pas de revenir ...!)
Je ne répondrai pas vraiment à ces questions finalement sans grande importance ...
Une muselière à la Hannibal Lecter, ces serviteurs du Mal toujours mutiques, inquiétants et patibulaires (ici un certain Zoran), la permanence du rêve (prémonitoire), de l'écrit (la bibliothèque de Dracula, le journal de Jonathan (les aspects épistolaires et "journalistiques" du roman se révèlant finalement passablement occultés par Argento), les inscriptions funéraires ...) et de l'élément liquide invariablement synonyme du mal et de sa propagation (ici, bien évidemment, le sang remplace l'eau) et enfin le traditionnel mensonge des apparences (des morts qui s'avèrent vivants, une conspiration sournoise mais entendue (le pacte liant le vampire et les autorités), la révélation finale de la manipulation de tous pour une cause étonnament émouvante ( le but de Dracula était de retrouver l'amour !)) .... voici encore quelques uns des nouveaux (?) vecteurs de l'"Argento's touch".
La bonne nouvelle (?) résidant dans ces retrouvailles (souvent polémiques (et ici encore, voir l'accueil réservé au film lors de sa projection à Cannes par exemple)) avec le cinéma du maestro.
Revenons donc au film lui-même.
Mon résumé introductif en a déjà dévoilé la trame.
Argento a évidemment pris le parti d'une adaptation qui pioche autant dans le matériau originel du roman de Bram Stoker que dans ses relectures cinématographiques sans oublier d' y ajouter quelques pincées de ce qui fera que le spectateur (un tant soit peu aguerri) ne manquera pas d'identifier l'objet à son réalisateur : quelques morts violentes, des détails bizarres et ces renvois (habituels et inconscients (?)) à sa propre filmographie.
Ils étaient quatre avec le cinéaste à bosser sur le scénario : au final, rien de déshonorant .... ni de vraiment révolutionnaire. La bonne idée étant d'avoir concentré tous les protagonistes et les événements dans un même lieu et d'avoir évité un suspens inutile : on sait dès le départ qui est vraiment Dracula même si, justement, ses motivations profondes n'apparaissent qu'au final.
Argento ne perd pas de temps à nous présenter des personnages que l'on connait déjà par coeur et les libertés qu'il prend (leurs noms de famille, leurs situations, leurs liens et rapports souvent différents de ceux des personnages du roman) ne modifient pas les rôles qu'ils ont à remplir dans l'histoire.
L'idée du pacte lié entre Dracula et les autorités du village, ce côté conspirationniste et cette culpabilité de tous s'avère même finalement assez heureuse.
Passons rapidement sur les dialogues qui ne brillent ni par leur richesse ni par leur lyrisme (Argento nous ressort tout de même la fameuse tirade des loups "... ils sont les enfants de la nuit ...") et qui frôlent souvent le ridicule, mais le verbe n'a jamais été le fort de l'italien (revoir les superbes "Suspiria" ou "Inferno" dans lesquels les répliques sonnent tellement faux qu'elles ajoutent presque du charme et de l'étrangeté à l'ensemble ... est-ce aussi le cas ici ? Cela reste plus discutable !)
Allez ! Quelques exemples pris au hasard : Tania en pleine partie de jambes en l'air : " Tu as entendu ? Ces bruits de pas dehors." - Jonathan qui a cru voir des loups dans la forêt : "Ce devait être une illusion !" - Le père de Lucy à Mina " Ce soir nous mangerons de l'agneau, tu aimes l'agneau ?" "Oh oui Mr. Kisslinger !" ...
Dracula s'en sort un peu mieux que les autres et parvient à sortir quelques couplets un peu plus habités ... Ouf !
Au niveau de la mise en scène, il faut le dire tout de suite, le miracle espéré, une fois encore, n'a pas eu lieu !
Au final peu de beauté, d'émoi, de surprise ou même de frissons !
Tout n'est pourtant pas à jeter, loin de là !
Au niveau des points négatifs s'impose un manque cruel de rythme et d'ambiance : si la trame dans sa globalité s'avère plutôt bien ficelée, cohérente et sans temps morts (on ne peut pas dire que l'on s'ennuie et les 1h45 défilent assez vite), les séquences y compris les plus attendues (les mises à mort - la rencontre Jonathan/Dracula - la descente dans le tombeau de Lucy - le final ...) souffrent d'une mise en scène expéditive : les scènes sont courtes, dépourvues de mise en bouche, de suspens ou de ces artifices qui en faisaient autrefois tout le sel (dans les oeuvres les plus emblématiques du réalisateur on adorait cette dilatation du temps et de l'angoisse, cette utilisation sensitive des décors ou/et de la musique ...)
Ici hélas, nul mystère, nulle terreur ... Les meurtres eux-même paraissent baclés, la mort est moche, brutale ou, pire encore, mal singée (celle réservée à Lucy/Asia Argento (tout comme celle de Tania la vampirette) souffrant en plus d'effêts spéciaux hideux et carrément indignes !)
A ce titre la seule séquence un tant soit peu réussie demeure celle du massacre des villageois.
Les effêts spéciaux numériques vraiment trop approximatifs gachent totalement l'impact de toutes les séquences qui se voulaient fantastiques ou horrifiques (le summum étant atteint lors d'une épouvantable transformation de loup en homme qui fait penser à une animation sortie du plus mauvais des jeux video !)
Autre point noir, le jeu vraiment mauvais des acteurs, évidemment pas vraiment inspirés par des dialogues, je l'ai dit, souvent insipides.
Unax Ulgade qui incarne Jonathan a le charisme d'une truite (quel choix et quel look en dépit du bon sens : on se croirait presque dans une parodie !), le personnage de Tania (qui remplace ici à elle seule les trois compagnes vampires du Dracula original) passe beaucoup de son temps dévêtue (pas génant en soi mais Argento soigne bien davantage la mise en avant de la poitrine de l'actrice que sa direction et son jeu !), je passe sur les seconds rôles souvent tout en exagérations (se rappellent à notre souvenir les mêmes cabotins en roue libre du "Fantôme de l'opéra" !) et sur les figurants dépourvus de naturel car le pire est hélas attribuable à Asia Argento qui finalement comme j'ai pu le lire ici ou là "n'est jamais aussi mauvaise actrice que lorsqu'elle joue pour son père" (remarque pour moi uniquement valable sur ses prestations ici et dans "La Terza madre").
A noter d'ailleurs le côté "grivois" (Tania toujours à poil ou presque, la scène de bain (rituelle (et gratuite)) d'Asia, le coït dans le foin du début (on se croirait dans un mauvais téléfilm érotique) ...) qui, bien que marrant, s'inscrit finalement assez bancalement dans la volonté horrifique et dramatique de l'histoire !
Au final seuls Thomas Kretschmann (Dracula) et Marta Gastini (Mina) s'en tirent plutôt bien : le premier campe un Dracula crédible, tour à tour séduisant, puissant, inquiétant et mystérieux et finalement mélancolique et fragile ; la seconde réussit à insuffler de la fraicheur, de la candeur et de la volonté à un personnage possiblement fade et mièvre ...
Rutger Hauer joue l'habituel guest de luxe qui pourrait donner au film l'aura "bankable" qui séduit le producteur ; on avait déjà eu Karl Malden (Le Chat à 9 queues), Donald Pleasance (Halloween/Phenomena), Max von Sydow (L'Exorciste/Le Sang des innocents), John Saxon (Tenebre), Alida Valli et Joan Bennet (Suspiria et Inferno), Piper Laurie (Carrie/ Trauma) ou Harvey Keitel (Bad lieutenant/ Le Chat noir) ... cette fois c'est le sanguin néerlandais (Blade Runner - La Chair et le sang ...) qui s'y colle ... avec tout le professionalisme et la présence qu'on lui connait : un Van Helsing qui surgit sur le tard mais qui ne manque ni de prestance ni d'impact malgré les copieux raccourcis de cette nouvelle remouture.
Bon, on l'aura compris, ce Dracula ne renouvellera pas le mythe pas plus qu'il ne persuadera d'un véritable renouveau pour un Dario Argento en réel "désamour" critique.
Le film demeure pourtant indéniablement attachant.
A l'aune du très décrié "La Terza madre" il se dégage de ce film une certaine légèreté, une modestie et un anticonformisme un brin foutraque assortis ici d'une patine old-school faussement respectueuse de son matériau de base (un roman gothique et ses digressions cinématographiques via la Hammer par exemple).
Argento a relu Dracula et L'invité de Dracula de Bram Stoker et il ne manque pas de nous en restituer l'essentiel ; de la même manière, il n'oublie pratiquement aucun des clichés inhérent au mythe (les gousses d'ail, les crucifix, les caveaux et les catafalques, l'absence de reflet, les pieux dans le coeur, les canines protubérantes, les loups et les forêts, le chateau inquiétant, la séduction et l'emprise ... jusqu'au rappel historique de Vlad Tepes l'empaleur ...)
Le cinéaste se permet même des emprunts aux précédentes adaptations à l'écran de cette histoire ( la scène de la vision d'un Dracula rampant le long de la tour, celle du portrait de Mina et ce recours ultime à la notion d'un amour immortel par delà les siècles renvoient sans équivoque au "Dracula" de Coppola - la sagesse presque télévisuelle de la mise en scène, cette ambiance très européenne des décors et des environnements, cette récurence des pierres, cet aspect presque troglodyte des intérieurs, ajoutés au "minimalisme" final de l'ensemble me rappellent le "Nosferatu" de Werner Herzog ... tout comme les remaniements de la trame peuvent raviver le souvenir du "Dracula" de John Badham qui était tiré d'une pièce de théatre qui prenait déjà de franches libertés avec le roman de Stoker ...)
Dario Argento y ajoute de surcroit sa touche personnelle :
son Dracula se fait plus que jamais "fantastique" pouvant être partout, toujours (tout comme l'était le tueur dans ses gialli) et sous les formes animales les plus diverses (tour à tour chouette, loup, rat, blattes, mouches et même mante religieuse géante (qui est l'occasion d'une séquence surprenante hélas quelque peu ruinée par des effêts spéciaux là encore mal goupillés ! dommage !))
Et bien sûr, ici, les meurtres s'avèrent plus nombreux, plus imaginatifs et divers que dans le roman ou même les précédentes adaptations : en dehors des obligatoires morsures et pieux dans la poitrine, une pelle qui fend un crane, un meurtre à la hache, dévorations, égorgements et décapitations à coup de dents et d'ongles affutés, immolation par le feu, infanticide, sabre qui pourfend et cloue à une porte, mante religieuse géante à la patte fatale, balle qui transperce une tête de part en part, énucléation brutale, femme dévorée par un loup ou balle d'argent à l'ail qui provoque des dommages irréparables ...
Argento se veut toujours inventif mais, comme je l'ai précisé, les images et le tempo ne s'avèrent pas vraiment au niveau de ses ambitions et le rendu laisse des impressions plus que mitigées ...
Evidemment le maestro reconvoque toute son oeuvre : Jonathan se coupe le doigt (Inferno, La Terza madre ...), le lieutenant Delbruck est poussé à se tirer une balle dans la tête, balle que l'on peut voir traverser sa bouche avant d'exploser son crâne (Le Syndrôme de Stendhal), des mouches se pressent par centaines contre une fenêtre (Phenomena), une hache s'abat plusieurs fois sur le corps d'une femme (Tenebre), un (chien) loup dévore un corps (Suspiria) ....
En même temps, pourquoi refaire les choses si c'est en moins bien ?
On l'aura compris, ce n'est pas du côté de la cruauté ni de l'effroi que l'on trouvera le meilleur de ce surprenant Dracula.
Ce n'est pas davantage au niveau de la musique que le film emportera l'adhésion.
Le fidèle et talentueux Claudio Simonetti ne parvient pas à créer une ambiance sonore vraiment marquante ; quelques thèmes surnagent à grand renfort de violons, de piano, de sussurements féminins ou d'effêt synthétiques méchament surannés, mais ici encore le manque d'emphase et d'impact demeure flagrant : aucune ritournelle vénéneuse à se mettre dans l'oreille ! Dommage !
Du côté de la photographie, Argento renoue avec Luciano Tovoli le magicien de Suspiria.
Bien qu'apparement muselé par un formatage trop quelconque et presque télévisuel et par des décors et des moyens visuellement pas toujours à la hauteur, celui-ci parvient tout de même à délivrer des images et des atmosphères plutôt réussies et assez évocatrices.
Toujours fidéle au traditionnel mariage des couleurs primaires, sa photo s'épanouit dans des oppositions entre les ocres, les jaunes et les bleus, les bleus et les verts, les verts et les mauves ...
Les intérieurs sont souvent joliment saisis; les murs, les pierres, les patines révèlent des éclats tantôt vifs tantôt plus assourdis, globalement bienvenus, et l'église et la forêt rutilent assez esthétiquement ....
Pareillement les cadrages souvent au cordeau et un gout de la symétrie (presque "kubrickien" à moindre échelle) dénotent constamment un sens indéniable de la mise en image.

N'ayant pas encore visionné le film dans sa version 3d , je m'en tiendrai à ce sujet aux critiques et réflexions glanées ici et là sur le net : il semblerait que, de ce côté, Argento ait heureusement rempli son office ; on ne parle partout que d'une 3d intelligente, bien utilisée et efficace. Un point non négligeable sur lequel je ne manquerai pas de revenir ...
Cette critique s'avère résolument incomplète et hâtive ...
Il n'empêche : ce Dracula version Argento n'est pas l'occasion d'une renaissance idéalisée mais il s'avère néanmoins la concrétisation de la curiosité et de l'envie de continuer coute que coute d'un véritable cinéaste.
Ni le mythe ni le personnage emblématique du plus célèbre des vampires ni le réalisateur lui-même, ne sortent grandis de cette entreprise aux origines quelque peu nébuleuses ; malgré cela on ne peut une fois encore bouder le plaisir (coupable ?) de retrouver un réalisateur plus que jamais inclassable, le suivre dans ses fidélités et ses manquements, ses recherches, ses erreurs, ses lassitudes ...
Là où "Giallo", véritable entreprise d'auto-destruction, s'avérait un pénible naufrage singeant méchament et presque masochistement tout ce qui avait été construit auparavant, Argento saisit finalement l'opportunité de l'énième remake d'un standard pour assouvir sa soif de cinoche : à priori diamétralement à l'opposé des obsessions récurentes du pape du Giallo, le défi "Dracula" accouche d'une oeuvre une nouvelle fois bancale et inaboutie mais curieusement sympathique.
Ici encore bien des incohérences et des fautes de gout, beaucoup d'infidélités aussi, à Stocker en tout premier, à l'étiquette Argento elle-même ... : la mort semble fatiguée de s'enluminer, le vampire affecte un mordant plein d'interrogations et de fatigue et ne rêve plus que d'un amour très consensuel ...
Faute de nous effrayer vraiment, ce Dracula nous émeut tout comme son incroyable créateur.
Viva Dario !
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