Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


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dimanche 8 juin 2008

Michele Soavi 2 : Sanctuaire



SANCTUAIRE





Les travaux de rénovation d'une cathédrale gothique déclenchent une série d'événements de plus en plus étranges et inquiétants.
L'arrivée d'Ewan, un jeune bibliothécaire, correspond avec la découverte d'un mystérieux parchemin.
Ewan, Lisa, la restauratrice, tout comme l'énigmatique chanoine, aussi curieux que fascinés par leurs découvertes respectives subissent l'emprise démoniaque de ces lieux dont la sainteté semble progressivement contaminée par un mal aussi sournois que tout-puissant !
Une brèche a été ouverte sur un passé terrifiant : la cathédrale serait batie sur un charnier maudit ...
Et, tour à tour possèdés, prêtres, sacristain, jusqu'à Ewan lui-même, deviennent les victimes, les jouets ou les incarnations de puissances infernales.
Pour finir, la cathédrale active un système de sécurité archaïque et secret, prévu par son architecte afin d'éviter toute corruption du monde extérieur. Tous prisonniers, visiteurs, fidèles, Lisa, Ewan et les écclésiastes, se font les bourreaux ou les victimes, témoins impuissants et sous influence du réveil total des démons.
Un endroit, une cachette, une énigme résolue et effleurée peut tout arrêter en provoquant la destruction de l'édifice.
Quelqu'un pourra-t-il échapper à la contamination infernale pour percer ce dernier secret et empêcher la propagation du Mal ?




Produit (et secondé) par Dario Argento, Soavi surprend avec ce deuxième film.
Plus question de massacre programmé à la perceuse ou à la hache ; ici, c'est d'ésotérisme, d'alchimie, des mystères ancestraux des cathédrales gothiques et du maléfique réveil d'entités infernales qu'il est question.

En même temps, si "Bloody Bird" et "Sanctuaire" affectent une grande différence de ton, d'atmosphères et de références, ils content finalement la même terrifiante impuissance de l'être, toujours dominé, enfermé, piègé et inexorablement voué à la mort ...
Ici, Michele Soavi mixe les templiers, l'empreinte diabolique d'un Moyen-Age excessivement violent, un mysticisme foutraque, l'Apocalypse, l'Enfer et un onirisme constant.

Sérieux, étrange, bancal et délibérément outrancier et grotesque, "Sanctuaire" joue à fonds la carte de la démonologie et de la libération des forces occultes.
Là où l'oeuvre se distingue, c'est par le choix de cette cathédrale, un lieu sacré et habituellement protégé, comme porte de l'Enfer mais également par les surprises, les idées, les ruptures de ton de l'histoire et de son traitement.




On peut reprocher bien des choses au film : son manque de rythme, l'approximation de certains de ses effêts, ses incohérences, son emphase et son sérieux presque ridicules, le jeu très mauvais de ses acteurs ... ; on ne peut cependant nier ni sa générosité, ni l'investissement dont il fait preuve, pas plus que cette absence finalement réjouissante de complexes et de limites.
Cela aboutit à des instants, des images, des séquences, aussi incroyables que mémorables.
Une grande croix dans les souterrains d'une église qui se déscelle et tombe dans un abîme infini, ne laissant que sa découpe dans le sol ;





Un diable bleuté à tête de bouc, grimaçant derrière une fenêtre ; une jeune mariée prisonnière de sa robe retenue dans la porte à jamais close de la cathédrale ; la vision dantesque d'une jeune fille nue dans les bras d'un démon ailé mi-homme mi-serpent ;


Une vieille femme sonnant le tocsin avec la tête tranchée de son mari ; une malheureuse, malencontreusement "suspendue" dans une galerie du métro dont le visage est fracassé et réduit en bouillie par la rame inexorable ; le reflet simiesque et atroce d'un homme possédé ; un suicide saignant au marteau-piqueur ...




"Sanctuaire" débute sur une sorte de prologue plantant l'origine de la cathédrale maudite.
La chevauchée des chevaliers teutons sur leurs destriers blancs dans une forêt nimbée de lumière dorée est tout simplement belle ; la grotte aux lèpreux, le massacre du village, puis ce charnier crayeux ... tout cela semble sorti d'un livre d'enluminures violent et magnifique ou des peintures de Jérome Bosch (on retrouvera d'ailleurs les représentations de ces scènes dans les dessins anciens consultés à la Bibliothèque par le vieux chanoine ...).






"Bloody Bird" s'avérait un éblouissant festival de bleus, de rouges et de blancs ; ici, la palette chromatique, plus sombre, oscillera entre les ocres, les jaunes dorés, les bruns, les verts éteints et les bleus ...

Et, à l'image de cette église où Lisa travaille à la restauration d'une gigantesque et terrifiante fresque représentant l'Enfer et toutes ses créatures, le Sacré et le démoniaque seront conjugués tout ensemble !
Ainsi, curieusement, la cathédrale arbore davantage de ténèbres, de statues encapuchonnées et effrayantes, de gargouilles monstrueuses, de créneaux hérissés, plus de cryptes inquiétantes et de représentations grotesques et presque païennes d'êtres et d'animaux (oiseaux, grenouilles, poissons, personnages armés et vindicatifs ...) que de christs, de vierges, de crucifix ou d'angelots.


Et l'endroit recèle d'innombrables secrets, des passages, des pièges ... Les marteaux-piqueurs déclenchent toute une série d'événements en chaine, fissurant, libérant, provoquant l'activation d'un antique et mystérieux mécanisme de fermeture et de protection, faisant pivoter les ex-voto ou les gisants, découvrant de nouveaux messages, d'autres énigmes encore ou des tombeaux atroces ...



A l'exploration puis à la transformation des lieux correspond la métamorphose et la possession des personnages.
Tout débute avec l'arrivée du bibliothécaire, bel homme immédiatement trop curieux ... , que l'on peut finalement interprèter comme l'incarnation de Belzébuth lui-même !
Ewan, n'était-il pas déjà le diable avant de sembler contaminé par les émanations maléfiques de la crypte ?
Et Lisa, oeuvrant avec tant de zéle et de soin sur sa peinture épouvantable, n'était-elle pas également prédestinée et consentante pour les ébats sataniques du final ?
Que pouvait bien chercher avec tant d'acharnement le terrible chanoine ? Pourquoi redessinait-il avec tellement d'application les rosaces aux géométries ésotériques ? Pourquoi explorait-il à la loupe ses gravures moyen-ageuses ... ?



Le Mal couvait évidemment ; déjà niché et bien installé au coeur de chacun , ce coeur palpitant, extirpé de sa poitrine par Ewan et brandi sur un ciel de sang comme une preuve, une offrande, la marque dévouée ...



Et les hallucinations, les rêves et les prémonitions s'ancrent dans la réalité ; les morts se réveillent, les fresques s'effacent en même temps qu'elles se matérialisent, les bénitiers crachent des poissons-reptiles affamés, le mufle d'un diable cornu se révèle derrière le visage d'un homme, un sabbat est ritualisé au fond de la crypte, les portraits pleurent et les miroirs renvoient des reflets épouvatables ...



Pour finir, les cadavres agglutinés d'un charnier émergent de leur sommeil et surgissent vengeurs et pestilentiels sous la forme d'une montagne boueuse et lascive de corps imbriqués ...





Comme cette cathédrale, révèlant sous ses fastes, ses ors et ses célébrations chrétiennes rien moins que l'une des portes de l'Enfer et devenant le temple d'un culte débridé du Mal, chaque protagoniste cache un secret, un passé, l'écho d'une incarnation ancienne ...
Ainsi lorsque le Père Kos s'entraine au tir à l'arc, on peut déjà comprendre qu'il se prépare pour l'affrontement final (la vision quasi subliminale d'un templier brandissant sa lance surgie en parallèle, prouve d'inconscientes réminiscences ...) ; pareillement, Lotte, la fille du sacristain (interprêtée par une Asia Argento adolescente) s'avère non seulement le sosie de la fillette du prologue (celle qui tenta d'échapper au massacre) mais bel et bien sa réincarnation (elle connait intimement tous les secrets et la genèse de la cathédrale).



Et ici, curieusement, la figure de la croix est invariablement liée au Mal :
Cette croix surmontée d'un sceau diabolique (une tête monstrueuse aux innombrables yeux) enfouie au fond des souterrains ; la croix des heaumes et des casques des chevaliers teutons, cette croix en vue subjective, au début, par laquelle ils peuvent voir ; la marque de ces casques sur leurs visages impassibles, croix noire sur regard bleu ; la croix gravée sur la plante du pied de la jeune "sorcière" exécutée par les templiers ; cette croix arborée sur sa tunique par Lotte plus occupée à se maquiller qu'à écouter les sermons d'un prêtre ...



Croix et cercle : les disques de ces rosaces où viennent nicher les oiseaux, celles que redessine le vieux chanoine ; le message codé exhumé par Lisa, en forme de cercles concentriques d'écritures inconnues ; la roue d'acier forgé, comme un instrument de torture, sur laquelle est attaché le cadavre momifié de l'architecte ; ce masque d'osier étrange et rond dont se coiffe la fillette qui tente d' échapper aux chevaliers cruels ; ce trou circulaire, ouvert dans la croix, comme un puit, un conduit, qui ravive les malédictions et mène vers l'Au-delà ; la cible du tir à l'arc ; les disques lumineux des phares d'une rame de métro ...



Et l'Eau, évidemment maléfique, ce ruisseau souterrain, ces fontaines et ces baptistères, cette grotte, ces infiltrations, ces larmes, cette soif qui saisit les protagonistes jusque dans leurs songes ... , l'Eau s'insinue partout trompeuse et mauvaise ... L'Eau corrompt et contamine.
Le sacristain, assommé par Ewan, tombe la tête la première dans les égouts qui serpentent sous la cathédrale, lorsqu'il émergera de son knock-out, il ne sera plus le même ; Lisa rêve de fraicheur où baigner ses mains et son visage, quand elle le fera effectivement, lorsque, assoiffée, elle boira l'eau du bénitier, elle tombera dans une sorte de catatonie ...
L'Eau d'un nouveau baptème, d'une seconde naissance, démoniaque ...






Et comme ce miroir, sali des larmes épaisses d'un portrait inquiétant, dans lequel une belle jeune femme se reflète vieille et laide, comme celui où Lotte aperçoit le vrai visage (monstrueux) de son père, l'eau et ses mirages instaurent une réalité nouvelle et autre et proposent des répercutions et des échos :
Le massacre perpètré par les chevaliers teutons devient celui des prisonniers de la cathédrale ; l'ensevelissement des lèpreux correspond à celui du final et à la destruction de l'édifice ; Lotte (comme son ancêtre médiévale qui s'échappait (en vain !)) se fait une nouvelle fois l'unique survivante (jusqu'à quand et à quel point ...? La fin reste ouverte) ; les mains griffues qui surgissaient du charnier pour entrainer un cavalier et sa monture, sortent d'un gros sac, comme des diables hors de leur boite, pour étrangler Ewan ; les chiffres diaboliques (666), signalant l'entrée d'une grotte où se sont réfugiés des lèpreux, sont désormais tappés frénétiquement à la machine à écrire ; le Père Kos incarne en fin de compte un Saint Georges d'aujourd'hui terrassant le dragon protéïforme d'une malédiction (un bas-relief dans la crypte relate cet épisode mythologique) et chaque personnage, peu à peu contaminé, révèle son double, son döppelhanger, tel cet écolier qui retrouve sa propre image sur les traits de son camarade ...

Le présent et le passé se confondent et s'emmèlent dans ce lieu hors du temps.





Les cultes traditionnels se sont désormais mués en messes noires ; une mariée crucifiée à la porte (belle idée de cette robe-prison qui la retient et l'étouffe !), puis une institutrice embrochée, remplacent l'habituelle figure christique ; l'amour de Dieu est écrasé, supplanté par celui (beaucoup plus "réel" et sexué) du Diable coppulant avec ses fidèles ...



Le décor de cette cathédrale, presque digne d'un sérial à la "Indiana Jones", recèle une infinité de passages, de trappes, de pièges et de secrets, tapis derrière les voutes, les arches, sous les maximes latines, les marbres sentencieux ou dans la bouche d'une statue ou celle d'une momie.



Si le Mal croupissait et sommeillait au coeur des lieux et des êtres, ne demandant qu'à renaître, le Salut vient de la bouche, de la parole (de la connaissance et de la communication constamment empêchées, interdites, réduites à néant) :
cette bouche du squelette, obstruée par un outil de torture qui, une fois retiré, clé de voute aussi symbolique qu'effective, déclenche l'ensevelissement salvateur ; la bouche de Lotte, méchament frottée au savon par le sacristain, disant bien cette volonté de faire taire et d'empêcher la parole, l'ouverture et les échanges avec l'extérieur (En dépit des interdictions, Lotte se sauve régulièrement pour vivre sa vie d'adolescente dans les rues, les discothèques, les galeries peuplées de la ville ... C'est cela qui la sauve : ce lien avec le dehors, ce refus de l'enfermement (aussi sournois que tacite et, pour finir, bien réel ) du monde reclus de la cathédrale.)





On reconnait derrière le réalisateur, l'influence ésotérique du Dario Argento d' "Inferno", ce gout des énigmes ancestrales, de l'alchimie, du fourre-tout mystique ; même si l'approche se fait, ici, résolument plus illustrative, plus frontale.
L'abstraction se retrouve davantage au niveau des personnages, tous figés dans des postures et des clichés qui n'amènent ni développements, ni sympathie, ni identification ...
Finalement peu bavard, le film les utilise comme des pions désincarnés.




Et l'histoire dépourvue de réalisme et de logique autant que d'aménité, se pose comme une fantasmagorie aussi sèche et stylisée que pleine d'enluminures.
Soavi ne cherche pas à séduire par le biais des voies traditionnelles d'une narration linéaire, du rythme (très inégal) ou d'un attachement à ses héros (volontairement schématiques et relègués à l'arrière-plan), il travaille plutôt à l'élaboration d'atmosphères et à la matérialisation de l'indicible, brodant des images plus ou moins bluffantes, souvent originales, tour à tour belles, poétiques, violentes et crues sur sa trame gothique et dérisoire.



Les cadrages, les mouvements ostensibles de la caméra (les assauts galopants d'une présence diabolique ; les courses effreinées d'un bolide à travers la ville déserte et nocturne ...), l'illustration de ses visions infernales et grotesques, les sons et la musique (dont des emprunts judicieux et hypnotiques à Philip Glass) ... tout concourt à souligner solennellement le poids et la prééminence des forces invisibles et l'inscription, la marque, d'un passé et d'un irrationnel inscrits en toutes choses.





"Sanctuaire" s'avère, pour finir, à la fois plus personnel et "engagé" que "Bloody Bird" (son "prédecesseur"), beaucoup plus intrigant ... mais plus boiteux, plus inachevé aussi ...
Michele Soavi précise ses tendances et son univers, son art des symboles, son mysticisme et son talent.
Objet sombre, doré et patiné, à cheval entre le nanar et l'énigme ésotérique, entre le gore trivial et la flamboyance, l'oeuvre réussit à marquer visuellement et à faire de sa cathédrale ténébreuse une héroïne déstabilisante, fascinante et finalement inhabituelle.

Le cinéaste prolongera cette veine mystique et inquiétante dans son film suivant "La Secte", affinant, modernisant et singularisant encore davantage son propos et son inspiration pour de nouveaux éclats aussi oniriques que sauvages.











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