Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


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samedi 20 février 2010

Deliziosi Gialli 8 : La Tarentule au ventre noir




LA TARENTULE AU VENTRE NOIR





Des femmes sont sauvagement assassinées.
Le modus operandi du meurtrier suit toujours le même étrange rituel : il soumet ses victimes et les paralyse en leur plantant une longue aiguille empoisonnée dans la nuque avant de leur ouvrir tranquillement le ventre !
L'inspecteur Tellini chargé de l'enquête a de plus en plus de mal à composer avec la violence et la rudesse de son métier ; ses investigations laborieuses le ramènent à un luxueux institut de soins dont la clientèle féminine parait toute aussi idéalement fortunée que vulnérable ...



Retour à un Giallo "old school", à priori tout ce qu'il y a de plus classique et traditionnel ...
Paolo Cavara fait partie de ces réalisateurs touche à tout de l'industrie du film d'exploitation ; plus artisan que créateur, plus opportuniste que véritablement inspiré, plus appliqué que novateur ...

Et rien ici ne manque à première vue pour la satisfaction de l'amateur : une distribution (essentiellement féminine) aussi éblouissante qu'alléchante (un véritable temple des Giallo-Queens ! Rien moins que Barbara Bouchet, Rossella Falk, Barbara Bach, Annabella Incontrera, Claudine Auger et Stefania Sandrelli !), des meurtres à répétition (au principe joyeusement élaboré (mais pas toujours idéalement mis en valeur ; ne boudons cependant pas notre plaisir !)), une intrigue nébuleuse (et décousue !), un assassin intrigant évidemment dissimulé sous la panoplie d'usage (mains gantées et vêtements et chapeau noirs) ...


La photographie et les décors sont soignés, l'interprétation s'avère plus que correcte, la musique (Morricone forever !) adéquate et les conclusions aussi alambiquées qu'illogiques ...


Malgré tous ces atouts, cette "Tarentule au ventre noir" ne parvient néanmoins pas à convaincre totalement.
Si l'on ne s'ennuie pas un instant (ce qui demeure tout de même légitime pour un "produit" du cinéma de genre !), l'oeuvre ne manquera pas de décevoir au final et ne laissera hélas qu'un souvenir assez diffus et mitigé ...
Le beau titre emblématiquement animalier laissait présager davantage de sophistication et de surprises !
Et même si le premier quart d'heure se révèle de très bonne facture et plein de promesses, il se confirme trop rapidement que Cavara a copieusement négligé son intrigue.

Sacrifiant aux clichés et aux figures de style ordinairement attendus, le réalisateur semble un éléve aussi appliqué qu'en fin de compte limité et peu imaginatif, un élève qui n'aurait retenu que les ingrédients disparates de la recette qu'il peine à élaborer et à s'approprier véritablement !
Ainsi, les ressorts et les pérégrinations de l'enquête demeurent-ils constamment dépourvus d'enjeux et d'explications et pour tout dire absents : on a continuellement l'étrange impression de se balader à l'aveuglette de morceaux de bravoure en séquences plus psychologiques (le portrait plutôt subtil du "héro") sans réelle cohésion ; on ne se sent jamais happé (ni impliqué) par les méandres de cette histoire somme toute très (trop) linéaire.

Et, hormis le couple "principal", très attachant au demeurant, les personnages annexes, dépourvus d'épaisseur et de réelle dimension (qu'elle soit psychologique, utilitaire ou narrative ...) adoptent la facheuse habitude d'apparaitre (et d'être pour la plupart éliminés) sans beaucoup d'autres implications (Annabella Incontrera, Rosella Falk, le photographe, "La Catapulte" ...) ;



Les archétypes et les conventions giallesques ont rarement aussi clairement délivré toute leur superficialité !
Le personnage du meurtrier, lui-même, s'avère décevant, peu étoffé et pas du tout exploité ; il n'existe d'ailleurs pratiquement pas en dehors des habituelles retranscriptions subjectives de ses méfaits et ne dégage pour finir aucune réelle terreur ...
Curieusement, et en dépit du final qui ne manque pas de les démasquer, c'est un peu comme si ces mains gantées de latex et cette silhouette noire conservaient une sorte d'abstraction et d'irréalité, comme si elles n'avaient pas de lien avec l'identité de cet individu finalement dévoilée (révélation décidément trop baclée, hâtive et vraiment prévisible !)
Pareillement, son mobile et ses agissements, expliqués à la va-vite par l'habituel psychiatre, renforcent encore le manque d'incarnation et de réalité du personnage ...



Etonnamment, tous ces creux et ces "manques" dans l'histoire et son déroulement, s'associent à un traitement cependant mouvementé : crimes, apparitions répétées et énigmatiques, courses poursuites, interrogatoires et simulacres ..., les rebondissements s'enchainent sans temps morts. Mais leur aspect programmé prime sur leur réelle dimension, les inscrivant ici encore davantage comme des conventions dépourvues de véritables contrepoints narratifs, sans souci d'une véritable logique interne ; ils semblent trop souvent rattachés à la hâte à un récit brouillon et passablement fourre-tout !
En fait, le spectateur se retrouve, ni plus ni moins, dans la situation du héro mélancolique : investi mais complètement largué !
Ce personnage de flic ouvertement fatigué et mal dans sa peau s'avère peut-être la seule véritable inovation de l'oeuvre.
Giancarlo Giannini prête à l'inspecteur Tellini une humanité et une fragilité aussi déconcertantes que finalement toute identificatoires !
Perdu dans une enquête qui achève de le déprimer, le policier est curieusement figé dans toute la gravité, la solitude et les difficultés de la condition humaine.

Le doute chevillé au corps, il se remet éternellement en question, de plus en plus persuadé qu'il n'est pas fait pour un métier qui le révolte qui l'écoeure toujours davantage.
Cerise sur le gateau, les pistes qu'il entreprend ne débouchent que sur des impasses et les témoins éventuels périssent inmanquablement ...


Le summum est atteint lorsqu'il est avéré que le psychopathe l'espionne (celui-ci s'amuse à envoyer à la Police le film des ébats conjugaux de l'inspecteur !) et qu'il le prend finalement directement pour cible (Tellini manque périr embroché par la cargaison de barres de fer d'un camion ; et l'apothéose voit le malade s'attaquer à l'innocente épouse de notre héro.) La douleur de Tellini arrive alors à son paroxysme : s'attaquer ainsi à son couple se révèle effectivement l'idée la plus cruelle (et du même coups la plus indiquée pour le sadique !)
Seule ressource, seul rempart, seul bol d'oxygène, ce couple symbolisait tout pour lui !

L'ordinaire des époux Tellini, joliment esquissé en marge de l'enquête (et idéalement servi par la complicité touchante des acteurs), humanise ponctuellement les ressorts trop secs et trop programmés de l'histoire ; la Sandrelli avec sa beauté saine et ses rondeurs de madonne, incarne de façon très crédible cette épouse protectrice, rassurante, presque autant mère que femme ...


Face à la bulle réconfortante et si positivement ordinaire du ménage Tellini, Cavara croque à grand traits nettement moins nuancés un monde vicieux, bas, matérialiste et dépourvu de bienvaillance et de sentiment.
Opposant l'univers masculin de la Police typiquement obtus, "bas de plafond", conventionnel et incapable (ce flic visiblement stupide qui apporte un bouton qu'il prend pour un indice alors qu'il s'agit de celui qui s'est décousu de sa veste ! Et que dire de l'inefficacité flagrante de l'inspecteur Tellini ? ...) et une bourgeoisie oisive et possiblement névrosée essentiellement féminine, le cinéaste ne renvoie jamais l'un et l'autre qu'à leurs manques et à leurs tares.
Après coups, la folie quasi justicière et vengeresse du meurtrier s'inscrirait presque comme une juste punition !


Et si les hommes s'avèrent globalement plutôt méprisables et pitoyables, la gent féminine éminament plus flatée par les attentions de la caméra (si l'on passe sur ces malheureuses singées dans les déclinaisons et les implications variablement ridicules des diktats de la beauté (cette cliente moustachue, cette autre enfermée dans une grotesque sudisette ...)), emblématiquement belle, racée, impeccable ... n'en demeure pas moins perpétuellement entachée de vices (Barbara Bouchet est saisie comme une nymphomane, Annebella Incontrera comme une camée, Rossella Falk telle une bourgeoise vieillissante et en mal de réconfort, Claudine Auger comme une sacrée garce qui n'hésite pas à faire chanter ses richissimes clientes ...)


Fidèle aux présupposés aussi "glamours" que faussement mysogines de tout Giallo véritable, Cavara attaque en force, ouvrant son film sur la séance de massage (torride) de la sculpturale Barbara Bouchet.

Toute émoustillée, la belle se laisse totalement aller, au point de convoquer explicitement celui qui lui fait tant de bien à participer encore plus "activement" à sa satisfaction (elle l'excite pour cela avec son pied nu !)...



Dès le départ, nudité et sexualité s'expriment jouissivement (Attention ! rien de foncièrement choquant ! La vulgarité elle-même s'habille toujours ici d'élégance !) ...
Un appel téléphonique du mari de Barbara (Maria Zani dans le film) met cependant un terme à cette séance un peu spéciale ; on retrouve l'excitée au domicile conjugal où son époux l'accueille d'un belle mandale : une photo très compromettante leur a été envoyée (Barbara et un homme, nus tous les deux !)



S'inscrivant ainsi dès le début, la notion d'un chantage sexuel (que l'on attribuera à tort au criminel) enfonce le bouchon : moraliste, le cinéma (de genre) a l'habitude de punir spectaculairement la luxure.
Et c'est ce qui se passe inmanquablement : lors d'une longue et belle séquence, Maria Zani est sauvagement agressée dans sa demeure.






Cavara suit habilement les recettes éprouvées ; il distille l'inquiétude, prend tout son temps et frappe finalement avec autant de brutalité que de sophistication : le tueur immobilise sa proie ; il lui introduit une grande aiguille d'accupuncture dans la nuque dont la pointe impregnée du venin d'un insecte rare pétrifie littéralement la malheureuse. Ensuite, lentement, sadiquement (et prenant soin, au passage, de bien révéler l'agréable anatomie de sa victime !), il lui enfonce un couteau dans le ventre, faisant remonter la lame dans les chairs comme lors d'une séance d'hara-kiri.
Lors de ce premier crime, visuellement très chouette, le parallélisme établi entre le sang jaillissant de la plaie et l'eau coulant lentement d'une bouteille sur la moquette, ajoute le détail décalé, ce petit plus qui fait toute la réussite d'une scène de meurtre.



Le procédé savoureusement pervers de cet assassin, finalement raffiné, se répétera à l'identique sans néanmoins que les séquences ne paraissent ennuyeuses, Cavara soignant à chaque fois minutieusement "la mise en bouche", les préambules et les décors et les atmosphères de ses assassinats. (mention +++ au meurtre d'Annabella Incontrera aux réminiscences très Mario Bava !)



Le beau titre faisait donc allusion à la méthode peu ordinaire employée par ce tueur fou. On l'apprend (et le visualise) via les informations d'un curieux zoologiste (la tarentule n'a qu'un véritable et redoutable ennemi : une variété de guêpe africaine qui lui inoccule son venin paralysant avant de pondre ses oeufs à l'intérieur de son corps.) Le tueur se procure ce poison dont il use pour contraindre ses victimes (en fait, les araignées (au ventre poignardé) ce sont elles !) ; incapables de bouger ou de réagir, elles assistent, conscientes mais impuissantes et muettes, à leur horrible mise à mort !


Cavara prouve son savoir-faire (et le concentre (un peu trop !)) dans la mise en scène des morceaux de bravoure.
En fait, la véritable réussite du film tient essentiellement à ces séquences de meurtres, à celles, inquiétantes et "impressionnistes" rapportant les préparatifs du psychopathe au coeur d'un appartement typiquement giallesque, encombré de tableaux et de statues, à une sympathique course-poursuite sur les toits de grands immeubles ...


Rien de bien novateur cependant, au niveau des motifs et des thématiques, la Vision s'épanouissant une fois de plus comme l'un des domaines lexicaux les plus travaillés par le réalisateur : voir ou ne pas voir ... (masseur aveugle, lentilles de contact, examens à la loupe, portes entrebaillées, espionnage et filatures, regards constants (celui ostensible ou/et subjectif de la caméra ; ceux des protagonistes les uns sur les autres (regards inquiets, suspicieux, déformés ...), voyeurisme, photographies (dissequées, grossies, étudiées, cachées, volées ...), caméra cachée, films, vitrages et transparences ...) Le calvaire silencieux des victimes, spectatrices en direct de leur propre mort, s'affirmant sans doute comme la variation la plus personnelle et la plus inédite de ce thème.






Et plus que jamais figées (c'est le cas de le dire !) telles des poupées, toutes ces femmes, belles (jusqu'à en mourir !), pétrifiées dans les stéréotypes les plus convenus, rejoignent l'aspect fétichiste, ici particulièrement prononcé, du Giallo.


La répétition des gros plans, cette insistance portée sur le détail, la systématique des "énigmes" (ces coups de fil (adressés à qui ?), ces mains continuellement gantées, ces photographies absurdement fouillées et aggrandies, la permanence de silhouettes intrigantes et muettes ...), le schématisme et l'évidente convention des situations ..., tout va finalement dans le sens d'une sorte d'abstraction.


Une abstraction totalement renforcée par l'insouciance et la superficialité de l'intrigue, par cette espèce de non construction qui fonctionnerait presque plus comme une juxtaposition de sketchs, d'épisodes et de répétitions que comme un tout ingénieux et cohérent.
On renonce assez vite à s'amuser à chercher les indices, à ébaucher les théories dont on ne nous sert pratiquement pas la matière ...

En dépit de la profondeur et de l'humanité de son personnage principal, Paolo Cavara donne, en fin de compte, l'impression de jouer avec tous les composants du genre (une photo compromettante et une lettre détournée donnent lieu à une sorte de jeu de piste ; une course-poursuite (impeccablement mise en scène) rythme à point nommé le tempo jusque là plutôt "contemplatif" ;



Les raccords et les échos, volontairement (et inutilement) trompeurs s'égrennent avec ostentation (ces mains gantées de latex que l'on prend pour celles du tueur (et qui se révèlent appartenir à l'un des policiers de la brigade scientifique) ; le chapeau noir de Rossella Falk (qui ressemble a celui du meurtrier) ; cette femme étrange irrémédiablement présente sur les lieux des crimes ; ce mari au comportement évidemment louche ... : à chaque fois, le mystère et les questionnements se trouvent inexploités ou trop rapidement désamorcés !); le cinéaste se contente de compiler les poncifs et de les singer sans grande imagination ...
Les explications fournies in fine, plus que jamais obligatoires et peu convaincantes, viennent parachever l'ironique (?) artificialité de l'oeuvre.


Cependant agréable et d'une tenue globalement irréprochable, cette "Tarentule au ventre noir" fait l'effêt d'un pétard mouillé !
Faussement vénéneuse, sa piqure n'aura que des effets bien volatils : le charme ravigotant de sa rutilante distribution, la mélancolie inhabituelle de son héro, l'invraisemblance plutôt déconcernée (et déconcertante) d'une intrigue dépourvue de saveur ...
Un Giallo mineur malgré ses (trop !) flagrantes dispositions ...








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