




Giorgio Mainardi, courreur de jupons invétéré, ne cesse d'abuser de la confiance et de la fortune de sa femme ; un soir, une dispute éclate apparemment sans appel, et la rupture semble consommée.
Dans ses errances nocturnes, Mainardi assiste alors par hasard à un curieux spectacle : il surprend un homme en train de se débarrasser d'un cadavre. Sans se démonter, l'opportuniste se présente et ne tarde guère à proposer un deal au meurtrier : assassiner sa femme en échange de son silence et d'une belle somme d'argent.
Le marché est conclu et Mainardi n'a plus qu'à regagner le domicile conjugal et à feindre une réconciliation !
Evidemment, si le tueur réussit bel et bien à tuer Norma et à charger son corps dans le coffre de sa voiture, la suite des événements prend une tournure beaucoup plus imprévue : l'automobile est dérobée par un jeune couple en mal de sensations ...
Alors qu'ils roulent vers la côte, les jeunes gens ignorent qu'ils transportent un cadavre et qu'un serial-killer est lancé à leurs trousses !
Tandis que chez Mainardi la Police creuse la piste de ce qu'elle prend de moins en moins pour un kidnapping, une villa abandonnée au bord de la mer se fait le décor de sinistres et sanglantes confrontations ...
Luigi Cozzi demeure l'une des figures marquantes du cinéma de genre italien ; scénariste prolixe, réalisateur de savoureux nanards, grand ami de Dario Argento, il tourne cette oeuvre sympathique (et premier véritable long métrage) en 1973.
"The killer must kill again" initialement bouclé sous le titre "Il Ragno" (L'Araignée), ne sera distribué que deux années plus tard (et rebaptisé tel qu'on le connait désormais) : étonnant puisqu'il s'agit peut-être du meilleur film de son auteur !
Ordinairement rangée dans la catégorie des Gialli (et réalisée en pleine période d'explosion du genre), cette oeuvre s'avère pourtant davantage un thriller puisant ses inspirations dans la plus pure tradition du film noir.
Le scénario habile et bien fichu revisite les principes hitchcockiens à la sauce italienne ; l'image est soignée, les cadrages et la mise en scène de facture plutôt classique n'empiètent jamais sur une intrigue pleine de suspens ...
Le résultat se révèle harmonieux, prenant et pétri d'humour noir.
Un humour grinçant qui caricature à souhait les figures mises en place ; tous les personnages sont profondément antipathiques ou ridicules (ou les deux à la fois !) : les hommes, invariablement veules, mysogines, égoïstes et manipulateurs (les personnages de Giorgio et de Luca identiquement menteurs et dépourvus de scrupules) et les femmes possessives, hargneuses, idiotes et influençables (Femi Benussi inénarrable en archétype de blonde décervelée et peu farouche !) ...
Au sein de cette galerie pas vraiment reluisante, le personnage du tueur s'avère rester celui que le script massacre le moins : énigmatique, crédible et peu bavard, servi par le physique inquiétant de son interprête (Antoine St John (akka Michel Antoine), l'officier sadique d' "Il était une fois la révolution"), ce serial-killer impose sa froide ténacité, une sorte de flegme angoissant ... Effleurée par petites touches dérangeantes, la complexité de son indubitable folie se personnalise lorsqu'on le voit caresser un instant le cadavre de cette femme qu'il vient d'assassiner ou quand il est saisi d'une sorte de malaise après avoir lardé de coups de couteau une blonde trop génante ...
L'histoire a la bonne idée de ne rien dévoiler de lui ; hormis son identité, délivrée dès les premières images (se démarquant d'entrée du principe giallesque de l'assassin mystérieux dont on ne connait le visage qu'à la fin), on n'apprend rien de cet homme ni de son histoire (ses motivations, ses habitudes, sa folie ... ???)
Avec sa gueule emaciée, sa silhouette mince, ses vêtements noirs et son obstination curieusement tranquille, ce "killer" figure une vision contemporaine, personnelle et marquante de la mort.
Il y a d'ailleurs une sorte de fatalité, quelque chose d'implaccable, dans la manière d'agir de ce meurtrier qui remplit méthodiquement son office envers et contre tout et souvent au mépris de toute discrétion (il se débarrasse d'un corps en poussant la voiture de sa victime dans un canal au vu du moindre passant (c'est d'ailleurs là qu'il se fait remarquer par Mainardi) ; on lui dérobe son automobile ? Il en vole une autre illico sans réel souci du bruit (et des conséquences) que cela occasionne ...)
Son boulot, son dada, c'est le meurtre !
Lorsque Mainardi use tout bonnement de chantage pour le contraindre à lui rendre service (et à zigouiller son épouse), le tueur pourrait facilement se débarrasser de cet importun, mais il accepte presque mécaniquement son "nouveau contrat" !






De la même manière, les aléas et les problèmes qui surgissent (on lui dérobe son automobile et "son" cadavre !) ne paraissent jamais l'affoler outre mesure ; posément, pratiquement, il réagit invariablement avec le même pragmatisme désarmant.
L'une des constantes résolument réjouissante de l'intrigue consiste en la mise en danger continuelle des personnages ; rien n'est jamais anodin ni acquis, rien ne se passe jamais comme on l'aurait souhaité (en arpentant les rues nocturnes, on tombe nez à nez avec un psychopathe ; en contraignant trop un mari volage, on signe son propre arrêt de mort ; on commandite la mort de sa femme et on se retrouve acoquiné avec une Police trop zèlée ; on braque une voiture pour une virée crapuleuse au bord de la mer et on se place du même coups dans la ligne de mire d'un dangereux maniaque ; on transporte sans le savoir la dépouille d'une malheureuse que le suspens semble toujours sur le point de révèler aux personnages les plus indésirables (des curieux, des gendarmes ...) ...)
Bien souvent, les protagonistes se révèlent les propres instigateurs de leur malchance !
Dommage que le jeu de massacre se dilue un peu trop conventionnellement sur la fin ...
"The Killer must kill again" aurait gagné à conserver jusqu'au bout sa noirceur ... Ainsi, si Mainardi paye logiquement pour le meurtre par procuration de Norma, les jeunes écervelés s'en tirent indemnes (ou presque !) ...
L'Araignée du titre original (s'agissait-il vraiment de cet assassin finalement beaucoup moins calculateur que la plupart des autres protagonistes ?) figurait à merveille la toile déroutante dans laquelle s'engluent tous les personnages et cette idée constante du piège (et ses figurations : l'assassinat combiné par Giorgio ; cette maison sinistre et désaffectée au bord de la mer ; les mensonges du tueur qui fait croire à la blonde trop curieuse qu'il fait partie de la Police (afin de mieux l'éliminer) ; ces liens qui contraignent la pauvre Laura ; ce piège ultime tendu par les policiers pour mieux démasquer Mainardi ...)
La sexualité, ici évidemment très concrète, se fait l'un des instruments ou l'une des causes non négligeable de cette rhétorique du piège (On s'aperçoit tout à fait que Norma est folle de son mari (pour son malheur !): il suffit à celui-ci de simuler avec tout son talent de chaudes réconcilations sur l'oreiller et de lui jurer qu'il l'aime pour la vie pour qu'elle oublie toute rancoeur ; Luca cherche à épater Laura mais le but de ses manoeuvres (ce vol de voiture, cette virée à Seagull Rock ...) s'avère autrement interessé : il n'a qu'une idée en tête : la déflorer ! (en fait, c'est le tueur qui s'en acquitera !) ; la blonde s'empresse de suivre Luca et de céder aux avances du jeune homme (qui ne semblera ensuite plus préoccupé que par les possibilités d'une partie à trois (soit Laura accepte, soit il la laisse tomber !)) ...)
Le sexe s'affirme comme l'une des principales motivations des personnages.
Sans être vraiment crue, l'oeuvre offre un regard sans concessions sur la réalité finalement triviale de rapports humains dénués du moindre soupçon de sentiment.
Et si certaines femmes persistent à croire aux doux mirages de l'amour (Norma, exclusive et jalouse, ronronne quand Giorgio lui ment qu'il n'aimera qu'elle pour la vie ; Laura rêve finalement de romance et de passion ...), elles le payent très cher (Norma meurt et Laura est violée !), tandis que les mâles, ouvertement mysogines et machistes, ne considèrent réellement leurs compagnes que comme des instruments (de plaisir, de confort (Norma (comme Laura) sont les héritières de familles de la haute-bourgeoisie)), comme des poupées interchangeables (Luca, pressé d'arriver à ses fins (et de culbuter Laura qui ne cesse d'invoquer des échappatoires)se soulage sans hésitation avec la première fille venue (une belle blonde en panne au bord de la route) ; auparavant, on l'a vu ordonner à Laura d'exhiber ses seins afin de distraire le pompiste d'une station-service ...; Giorgio est défini comme un séducteur patenté qui dilapide l'argent (de sa femme) auprès de ses nombreuses maitresses ...)
A ce sujet, une scène emblématique marque toute l'acidité de l'inspiration ; elle propose un montage alterné de deux actions mises en parallèle : tandis que Luca s'encanaille avec la blonde gironde et qu'il lui fait l'amour sur les banquettes arrières de la voiture, Laura, seule et confrontée au maniaque qui a retrouvé leur trace, est soumise et violée ...
Assez longue, découpée en cadrages resserés et en gros plans significatifs, agrémentée d'un fond musical dans lequel l'orgue sulpicien succède à un piano doucereux et méchamment romantique, cette séquence dérangeante distille une cruauté malsaine.
A l'image de son tueur impénétrable, la violence du film se fait cependant plus sourde, plus implicite et suggérée que véritablement frontale ; elle n'en demeure pas moins continuellement perceptible et curieusement réaliste :
Ces meurtres finalement assez laborieux (celui de Norma, étranglée avec le cordon du téléphone ; celui de la blonde sauvagement poignardée ... : des crimes saisis dans toute leur glaçante crudité), ce corps sans vie balloté comme une marionnette à l'intérieur d'un coffre de voiture, cette déshumanisation constante (l'instrumentalisation et la soumission récurente des rôles féminins, la détermination sans scrupules des personnages masculins (égoïstes, calculateurs ou carrément cinglés)), ces situations qui n'impliquent désormais plus que des rapports de force, des réflexes d'agression, de défense ou de survie ... participent à la peinture d'une société dont la plus grande violence réside finalement dans l'individualisme monstrueux et dans cette absence flagrante d'émotion ! (Giorgio, obnubilé par la seule satisfaction de ses besoins et de ses désirs (et par l'argent (de sa femme !)), figure à lui seul le matérialisme, l'opportunisme et l'égoïsme forcené de tous les personnages, leur mépris des lois et des valeurs ...)
Débutant assez traditionnellement (un homme, lassé de sa femme richissime, plannifie son meurtre en ayant recours à un tiers qui le disculpera totalement (Hello "L'Inconnu du Nord-Express" !!!)), l'oeuvre bifurque soudainement sur le mode road-movie dans une seconde partie avant de déboucher sur le huit-clos tétanisant, pour s'achever enfin dans un rappel littéral du début (Giorgio, confronté à la réapparition inattendue de la voiture de son complice (et du cadavre de son épouse (toujours dans le coffre !)), tente de s'en débarrasser en voulant la pousser dans le canal (comme le tueur l'avait fait du véhicule d'une victime lors de leur première étonnante rencontre). En fait, la Police lui a tendu un piège et le cueille sur le fait ... Alors qu'il allume la cigarette que lui tend l'inspecteur, le briquet (que Giorgio avait subtilisé au serial-killer (et qui portait les initiales de celui-ci)) achève de prouver toute sa machiavélique culpabilité !)
Elégament, Luigi Cozzi boucle la boucle ...
Très construite et réfléchie, la mise en scène s'épanouit en même temps dans la symétrie et les parallèlismes et dans des oppositions tout aussi sciemment travaillées.
Aux deux scènes (brillantes) identiquement articulées autour d'un même principe de montage alterné (le meurtre de Norma assorti de l'alibi tapageur de son mari (Giorgio passe la soirée chez des amis ; entre deux verres et deux fanfaronnades on le voit surveiller l'heure ...) et le viol de Laura répercuté dans la partie de jambes en l'air dans la voiture), à ces deux séquences marquantes répondent les effêts de miroir des deux scènes "du canal" (l'introduction puis la conclusion) ;
La proposition du marché (et de l'association " de malfaiteurs") s'initie dans le décor d'une patinoire devant le spectacle d'une starlette de la glace pour se concrétiser (et se payer (Giorgio remet la première moitié de l'argent promis au tueur)) dans une salle de cinéma (où Cozzi se permet une belle auto-citation : en effêt, le film diffusé n'est autre que la première oeuvre du réalisateur ("Le Tunnel sous le monde")) ;
Les corps inertes des femmes sont toujours pareillement portés jusqu'au tombeau d'un automobile (la première (et anonyme) victime du maniaque, puis Norma Mainardi) ;


Luca ment aux gendarmes qu'il conduit le véhicule de son oncle tandis que le tueur fait croire au pompiste qu'il est sur les traces de sa fille ingérable ...
Suivant le même principe de répétitions, si le tueur surprend tour à tour Laura (dont il abuse sexuellement) puis Luca (qu'il blesse et assomme), la jeune fille réussit finalement à l'avoir elle aussi par surprise ...
Traditionnellement, là où est la mort, l'eau coule invariablement (un canal, un rivage et la mer ...)
Et le jeu du chat et de la souris (la traque des jeunes gens jusque dans cette villa abandonnée, les affrontements en huit-clos) résonne jusque dans les rappels, en parallèle, de la suspicion de plus en plus avérée de l'inspecteur à l'égard de Mainardi.
Au niveau des contrastes, l'appartement design et coloré (giallo !) des Mainardi tranche totalement avec la vétusté de la maison-squat de Seagull Rock, le meurtre "propre" de Norma s'oppose à la brutalité sanglante de celui de la fille blonde, les hurlements et les récriminations de la femme trompée sont contredits par le baillonnement de Laura et les prémonitions aussi funestes que romanesques de la jeune femme n'empêchent en rien son aveuglement (son petit-ami n'est qu'un salaud ; ils transportent un macchabée et ont un dangereux individu à leurs trousses ...)...
Véritable film de genre (qui en brasse et mixe d'ailleurs plusieurs) , "The killer must kill again" sacrifie à la logique les obligatoires péripéties de son intrigue ; meurtres, machinations, rencontres et confrontations, poursuites, incidents ... le hasard et ses aléas (aussi jouissifs que finalement improbables)tissent d'habiles circonvolutions.
Et si le film feint un sérieux et une noirceur (subtilement décalés) on s'amuse pas mal et se laisse complètement prendre au rythme et aux programmations (souvent attendues mais néanmoins savoureuses) de l'intrigue.
Luigi Cozzi a de plus eut l'heureuse initiative de convoquer pour l'occasion un casting de "haute tenue" (et éminament référentiel !) : George Hilton (en énième salaud à la gueule d'ange (mais il le fait si bien !), Cristina Galbo (toute aussi juste que dans "Mais qu'avez-vous fait à Solange ?"), Femi Benussi (qui paye une nouvelle fois de sa (charmante) personne !), Alessio Orano ("Lisa et le diable")...
Stylistiquement, l'oeuvre se révèle belle et cohérente, utilisant intelligement les couleurs (tantôt très vives, tantôt ternes et assombries) et la lumière (belle photographie "nocturne") et tirant parti de décors restreints mais toujours étonnants (l'appartement flashy, la villa ténébreuse) ; la camera ne privilégie que rarement les artifices et les expérimentations (ailleurs souvent marque de fabrique de bon nombre de réalisateurs de Gialli) : d'inévitables plans subjectifs, quelques effêts amusants (l'effêt "kaléidoscope" qui vient souligner la jouissance de Norma, ce sang bien rouge qui éclabousse l'objectif lors du meurtre de Femi Benussi ...) ; l'ensemble demeure classique, clair et soigné.
Ajoutez à cela une musique aussi modeste qu'efficace (ici encore beaucoup moins "typée" et volontairement référentielle que les (divines mais répétitives)productions de Morricone, Nicolai et consorts ...)
Moins immédiatement giallesque que la majeure partie des polars transalpins de la même époque, "The killer must kill again" n'en mérite pas moins sa bonne réputation.
Impeccable, bien écrite et habilement menée, cette oeuvre noire et grinçante aurait complétement dépassé ses humbles ambitions de bon produit d'exploitation si elle avait moins sacrifié aux conventions et à des péripéties (et un final) un tantinet téléphonés.
Demeurent une interprétation convaincante, un personnage de serial-killer aussi totalement "visible" que pourtant fascinant et mystérieux jusqu'au bout, et ce parti-pris sympathique d'une intrigue qui fait de la quasi-totalité de ses personnages des coupables ...
La sacro-sainte enquête n'a plus de réel intéret ; ne comptent plus que les confrontations jubilatoires d'archétypes affranchis des contingences coutumières : réunis autour d'un emblématique cadavre, les personnages ne s'épanouissent désormais plus que dans de séches variations autour de la(sur)vie du sexe et de la mort.
N.B : Tout le monde le sait mais je ne pouvais l'ommettre : ces initiales D.A gravées sur le briquet du tueur sont un clin d'oeil, un hommage de Cozzi à son éternel ami et collaborateur, Dario Argento !
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