LA FOTO PROIBITE DI UNA SIGNORA PER BENE
Minou, jeune épouse trop livrée à elle-même, décide de tirer parti des absences coutumières de son mari, Peter, pour s'émanciper un peu ... Mais sa sortie nocturne vire au cauchemar : un inconnu la poursuit et l'agresse, et même s'il ne la brutalise pas réellement, il la choque peut-être presque davantage en lui affirmant que son conjoint n'est qu'un meurtrier !
Cette révélation sème totalement le trouble dans l'esprit de la jeune femme, d'autant qu'un associé de Peter est effectivement retrouvé mort quelque temps plus tard ...
L'inconnu mystérieux resurgit ; il possède un enregistrement prouvant la culpabilité de l'époux et exerce sur Minou un abject chantage : elle doit se faire son esclave sexuelle en échange de la bande !
Prête à tout pour protéger Peter, Minou accepte et s'offre à la merci de l'insatiable maitre-chanteur. Car l'homme a photographié leurs ébats et, loin de s'en arrêter là, en exige toujours davantage, menaçant d'envoyer au mari les clichés plus que compromettants !
Harcelée et perdue, Minou finit par tout révèler à Peter qui décide d'alerter la Police ; Hélas, nul indice ne vient corhoborer les dires de la malheureuse ; toutes les pistes de l'enquête semblent plutôt indiquer que Minou ment ou qu'elle délire !
Et pourtant le maitre-chanteur continue bel et bien à la persécuter alors que tout l'entourage commence à douter de plus en plus de sa santé mentale !
Femme au bord de la crise de nerf !
Luciano Ercoli, jusque là producteur, se lance dans la réalisation avec cette première oeuvre, ce premier giallo, un "brouillon" déjà fort maitrisé de ce qu'il affinera et perfectionnera encore avec ses deux créations suivantes ("Death walks on high heels" et "Death walks at midnight").
Il est étonnant de constater qu'aujourd'hui les annales giallesques ne tiennent en général guère compte du cinéaste ...
Fort regrettable à mon sens car, à l'instar des plus emblématiques représentants du genre (Bava, Argento, Martino ...), Ercoli a su, en très peu d'oeuvres, imprimer sa patte, une marque de fabrique, un style bien spécifique et propre à lui seul !
En effêt, le giallo ercolien s'affirme peut-être comme le plus léger (dans le bon sens du terme !), le plus "pétillant", le plus glamour ...
Il est vrai qu'ici les effusions sanglantes, le baroquisme et la terrreur cèdent le pas à des aspects plus policiers et feuilletonnesques que chez nul autre.
Féminins, stylés, faciles et pimpants comme des roman-photo déviants et aventureux, les gialli du réalisateur optent toujours pour la décontraction, une sorte de confort et de générosité toujours servis par un sens aigu du rebondissement et de l'ésthétique et par un humour sous-jacent absolument irrésistible !
Ercoli ne se prend pas au sérieux bien qu'il ne se moque jamais d'un spectateur qu'il s'ingéniera, au contraire, à distraire et à combler.
C'est aussi certainement cette "légèreté" qui pourrait expliquer l'attitude presque méprisante et "oublieuse" du cinéphile et du fan de giallo pur et dur et le manque de reconnaissance vis à vis d'une oeuvre si réjouissante.
Et si je citais Almodovar en introduction (Femme(s) au bord de la crise de nerfs), ce n'était pas vraiment par hasard : couleur, rythme, gout de la comédie et du téléscopage des genres, féminité et facilité trompeuse ... : les deux cinéastes révèlent à mon avis bien des points communs.
De la production pour moitié ibérique, à la fidélité à une "famille" d'acteurs (que l'on se plaira à retrouver dans chacun des films) jusqu'au syndrôme de l'iconisation extrême de l'actrice : ici Nieves Navarro (autrement rebaptisée Susan Scott ("Death carries a cane", "All the colors of dark"...)), à la ville épouse du maestro, lequel semblerait presque n'avoir construit ces bijoux kitschs que par amour pour sa femme, comme des écrins, des hommages idéaux à son indéniable charisme ...
Dans cette première oeuvre, si la belle espagnole ne tient pas le premier rôle elle n'en éclipse pas moins l'héroïne, campant une séductrice incorrigible et pleine de surprise avec une conviction et un abattage comunicatifs ...
Dans "La Foto proibite di una signora per bene" (ou "Forbidden photos of a lady above suspicion" ou encore "Photos interdites d'une bourgeoise" pour la version française), Luciano Ercoli propose donc déjà sa propre relecture des rouages giallesques : une vision ouvertement ludique et sensuelle qui préfère le thriller et la parodie à l'effroi.
Néanmoins fidèle aux incontournables artisans du "film de genre" italien, l'homme n'hésite pas à convoquer les meilleurs des collaborateurs, débauchant le prolixe Ernesto Gastaldi pour le scénario et le non moins illustre Ennio Morricone pour la trame musicale.
De même, côté casting, il opte encore pour le solide et la référence, offrant le rôle principal à la belle Dagmar Lassander ( repèrée chez Bava ("Une Hache pour la lune de miel"), Fredda ("L'Iguana alla lingua di fuoco") ou dans le délirant "Femina ridens" de Schivazappa ...) : sa plastique de poupée, son regard clair et innocent et sa sensualité juvénile conviennent parfaitement à l'incarnation de la naïve Minou.
Et quelle héroïne ! Une jeune bourgeoise écervelée, visiblement à peine sortie du giron familial pour un mariage avec un homme plus agé (qu'elle décrit d'ailleurs comme un père autant qu'un amant !) ;
Désespérément creuse et oisive, désespérément passive (en dépit de ses mésaventures qui ne parviennent hélas jamais à la faire évoluer d'un iota !), invariablement soumise et influençable, la jolie Minou noie la vacuité de son existence (et son manque de caractère) dans l'alcool et les tranquilisants.
Ercoli semble jubiler à la montrer sans cesse siffler des brandy et gober des pillules, la stigmatisant finalement comme une grande malade !
On peut passer à côté de l'ironie plutôt mordante du réalisateur qui s'ingénie à se moquer tout du long de ce personnage principal et à le malmener avec d'autant plus de bonheur !
Malgré elle initiée aux amours les plus "déphasantes" (Ciel ! on l'attache et la sodomise !!!), l'oie blanche se refuse la réalité du plaisir et persiste dans un dégout de bon ton (elle vomit chez sa copine, passe son temps à se laver et craint d'être mise au ban (et rejetée par son mari pourtant tellement rasoir !)...)
La petite bourgeoise mal dégrossie va devoir se confronter aux réalités du monde, mais le cinéaste, délibérément "light", refuse de verser dans une dimension initiatique par trop psychologique : ici nulle découverte ni révélation de soi-même.
Débarrassée du joug des hommes, elle part insouciante, rasserènée et joyeuse mais vraisemblablement toujours aussi indécrottable, avec Dominique, l'amie qui l'a sauvée.
Chapeaux, tenues fashion, rires et décapotable ... Viva Ercoli !
Plus que jamais, ici, l'univers s'avoue ouvertement factice, irréaliste ...
Plus que jamais, ici, l'univers s'avoue ouvertement factice, irréaliste ...
Les interractions entre les personnages, leurs péripéties et les évènements n'ont de répercutions que celles du rythme et de l'effêt ; nulle logique autre que scénaristique, nulle dimension dramatique ...
Le cliché est non seulement avancé mais aussi savamment entretenu ... et c'est sur ce point également qu'Ercoli peut déplaire !Si l'héroïne demeure résolument cruche, la femme fatale cache pourtant un grand coeur, le beau maitre-chanteur finit par trouver évidemment plus fort et plus vicieux que lui et le mari absent se voit définitivement (et expéditivement !) mis au rencard !
La surprise ne provient donc pas tant des obligatoires retournements de situation ni des doutes et des questionnements mis en branle par un scénario finalement assez classique dont le nombre restreint des protagonistes limite l'étendue des possibilités, mais de la grâce et du talent avec lesquels le réalisateur revendique et réinterprète le cliché.
C'est là que la mise en scène prend tout son sens, inversement surprenante et inventive.
Le soin indéniable porté aux décors, aux costumes, aux accessoires et aux couleurs ... théatralise encore un peu plus un contexte, on l'aura compris, déjà très artificiel.
Les détails souvent beaux (et totalement gratuits : cette tortue sur pantoufles roses, ces mains de plâtre enluminant l'antre du mauvais garçon, une salle de bain dorée, une canne-poignard, un impact dans la devanture d'un café vraisemblablement uniquement fait pour qu'un visage attendu puisse venir s'y inscrire, des soirs et des petits matins bleutés comme en rêve, un statuaire omniprésent, des miroirs et des robes à lacet ouverte(ment) sexy ...) ne servent finalement à rien d'autre qu'à "atmosphériser" et à déréaliser encore davantage !
On nage dans le fantasme.
Emblématique cette séquence fort belle : Minou a accepté le rendez-vous du maitre-chanteur ; sa progression au fil des rues scandée par la partition mémorable de Morricone ; la cage d'escalier, la porte et l'hésitation ; le studio ténébreux, une main blanche fichée dans le mur comme pour une intrigante invitation et ce rideau pourpre que la jeune femme doit écarter avant de pénétrer dans "son lieu de perdition" ...
Là encore fidèle aux recettes giallesques, Ercoli (qui parait bien connaître son sujet !) ressort les invariables thématiques :
Le regard : via ces photos redondantes (celles coquines, assumées et presque "conviviales" de la piquante Dominique (Susan Scott, évidemment !) ; celle, identificatrice, qui tiendra lieu de pot-aux-roses ; celles, honteuses et "interdites" de Minou et de son "tortionnaire" (?) ...), ces miroirs coutumiers, ces inserts et ces gros plans sur les regards des uns et des autres, les uns sur les autres ...
Le piège : et ici, une nouvelle fois, la machination semble de mise (complot, piège des apparences, mensonges et cachoteries, piègeurs ultimement et tour à tour piègés ...) Mais qui tire les ficelles ?
Le sex(isme) : hommes et femmes diamétralement et viscéralement opposés avec le lit comme seul lieu d'illusoires retrouvailles ... Des hommes avides, lâches et manipulateurs et des femmes idéalement fortes ou, au contraire, impuissantes et nunuches, mais définitivement complices dans leur combat contre le mâl(e) !
Le confident ou le complice s'avère irémédiablement du même sexe et on peut aller jusqu'à se demander si Minou n'abuse finalement pas de l'alcool et des remèdes pour surmonter son dégout inconscient des hommes et de leur sexualité.On évolue dans un monde argenté, faussement insouciant et frivole ; les demeures sont multiples, luxueuses et photogéniques et le whisky et le champagne coulent à flot ...
Pareillement l'habituelle utilisation de l'eau et des liquides (sous toutes leurs formes et via les allusions les plus diverses (mer, port, rivière, noyade, plongeur, fontaine, douches et bains, pluie ou flaques d'eau ...), y compris les plus alcoolisées (je l'ai déjà dit, tout ce beau monde n'arrête pas de biberonner !)) rejoint ici clairement la problématique récurente de la pureté et de la souillure ( très marquée pour les deux personnages féminins volontairement contrastés et aux cheminements quasiment inverses (en gros, l'innocente s'avillit et la perverse révèle sa droiture ...)).
Pour une première réalisation, la facture et la finition s'avèrent étonnament "pro." ...
Jusque là uniquement producteur, Luciano Ercoli en a visiblement profité pour faire ses classes ... au premier rang !
La photographie plus que soignée, l'harmonie et la justesse des cadres et des coloris, l'agencement impeccable des différents composants de sa mise en scène , tout cela ajouté à la connaissance et au remaniement des codes obligatoires (codes cinématographiques, esthétiques, rythmiques (le réalisateur endosse également ici la charge du montage !), giallesques ...) dénotent un perfectionnisme méritoire.
L'homme peaufinera encore sa recette avec les deux seconds volets de sa chouette trilogie "jaune".
On ne peut d'ors et déjà que savourer ce premier délicieux opus ô combien futile, chic et suavement "vintage".
Jusque là uniquement producteur, Luciano Ercoli en a visiblement profité pour faire ses classes ... au premier rang !
La photographie plus que soignée, l'harmonie et la justesse des cadres et des coloris, l'agencement impeccable des différents composants de sa mise en scène , tout cela ajouté à la connaissance et au remaniement des codes obligatoires (codes cinématographiques, esthétiques, rythmiques (le réalisateur endosse également ici la charge du montage !), giallesques ...) dénotent un perfectionnisme méritoire.
L'homme peaufinera encore sa recette avec les deux seconds volets de sa chouette trilogie "jaune".
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1 commentaire:
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