EYEBALL /
GATTI ROSSI IN UN LABIRINTO DI VETRO
Un groupe de touristes américains effectue un voyage organisé en Espagne.
Mais les réjouissances prennent un tour beaucoup plus inattendu et angoissant que prévu car, à peine arrivés à Barcelone, les vacanciers sont témoins de l'assassinat d'une jeune femme à laquelle le tueur a arraché un oeil !
Et les meurtres s'enchainent frappant bientôt au sein même du groupe, chaque victime étant retrouvée avec un oeil manquant.
Rapidement la suspicion s'installe : le sadique est vraisemblablement l'un des touristes ; mais lequel ?
Ce vieux révérend énigmatique et possiblement pervers ? Ce guide un peu trop jovial et familier ? Ce père de famille au comportement étrange ? Cette blonde hargneuse, cette photographe lesbienne ou son amie mannequin ? ...
En fait, tout semblerait ramener à un meurtre similaire survenu quelques temps plus tôt aux Etats-Unis et incriminant la femme instable de Mark le businessman. Celui-ci, en instance de divorce, a rejoint Paulette sa secrétaire et maitresse au sein des vacanciers.
Plus troublant et concordant encore, Alma, l'épouse de Mark, s'avèrerait elle aussi à Barcelone !
Retrouvailles avec Umberto Lenzi.
Pour mémoire on peut rappeler que le bonhomme a participé à l'essor du cinéma de genre italien, s'illustrant aussi bien dans le peplum, le western, que le "poliziotto", l'horreur trash ou le giallo ("Le Tueur à l'orchidée", "Cosi dolce, cosi perversa", "Orgasmo", "Paranoïa", "Knife of ice","Spasmo") ...
"Eyeball" date de 1975.
Sans grande ambition ni surprises, cette oeuvrette n'en demeure pas moins bigrement sympathique et reflète tout à fait l'opportunisme et le savoir-faire de son réalisateur.
Fauchée, passablement creuse et dépourvue d'intérets narratifs ou plastiques, elle se déguste cependant avec plaisir : ses côtés vintage et décontracté, son rythme rôdé et les savoureuses incohérences de sa trame ...
Respectant à la lettre les conventions en place, Lenzi réalise ici un giallo, certes mineur, mais absolument conforme à ce que l'amateur peut attendre de ce type de film : un tueur mystérieux et très "actif ", des victimes à la pelle, une Espagne de carte postale pour la touche de dépaysement, des nanas dénudées, le sempiternel duo de flics, une intrigue minimaliste, sorte de grossière et fantasque resucée d'Agatha Christie (un groupe de personnes en terrain étranger et autant de suspects potentiels ...) jusqu'à la sempiternelle bouteille de J&B, au rituel dernier plan sur l'avion quittant l'aéroport et, cerise sur le gateau, au motif archétypal et inévitable de l'Oeil ...
Ici, le meurtrier ne se contente effectivement pas de larder de coups de couteau ses victimes ; sadique, il leur extrait le globe occulaire gauche en deux coups de cuillère à pot !
L'intrigue elle-même sollicite constamment le regard de ses protagonistes : voir un nouveau pays ou chercher chez l'autre les indices d'une probable culpabilité (évidemment tout ce petit monde se suspecte, s'observe et se jauge ...)
Lenzi traine une réputation pas vraiment glorieuse ! Indubitablement l'homme est un "faiseur" bien plus qu'un créateur ; sa réalisation s'avère plutôt paresseuse et il ne cherche guère à tirer parti de ce qu'il avance, encore moins à le sublimer !
Ici l'absence de réalisme et de psychologie du scénario n'amène pas davantage de développements annexes, aucun jeu particulier sur la forme, nulle mise en abyme, nulle distanciation ...
Ainsi cette thématique de l'Oeil, ô combien emblématique, aurait-elle pu donner lieu à des raffinements, des excès, des concordances et des surprises formelles et plastiques ... Il n'en est rien !
Et l'histoire elle aussi préfère la platitude et le raccourci : au final, le tueur agit par vengeance et folie - point !
Semblablement, les séquences de meurtres, régulières et assez nombreuses, souffrent généralement de la même sous-exploitation : peu d'emphase et d'imagination, peu d'effroi, de suspens et de véritable mise en scène de la peur ...
Une main gantée (de rouge tout de même , histoire de changer un peu !) brandit sa lame ; tchac, tchac ; et on retrouve le corps sans vie et le visage énucléé de la victime ...Trois moments se détachent cependant : le second meurtre à l'intérieur d'un train fantôme, l'assassinat de la photographe et le final dans les souterrains d'une forteresse à Sitgès.
Rien de transcendant pour autant !
Amateurs de sophistications morbides et d'enluminures baroques, calmez vos ardeurs ou passez votre chemin !
Umberto Lenzi fait correctement son boulot, mais sans passion ni recherche.
Sa mise en scène un peu "passe-partout" sait néanmoins tirer parti du cadre estival et touristique de son argument, de la plastique de ses actrices (qu'il ne répugne pas à dévêtir) tout comme de leur garde-robe (ah ! les perruques, les lunettes, les minijupes et shorts moulants et autres plateform shoes !!!)
Avec le temps et son look ouvertement "seventies", "Eyeball" a d'ailleurs indéniablement gagné un certain cachet !
Fluide, rythmée, assez joliment cadrée, la direction du cinéaste insiste judicieusement sur le rappel constant de la couleur rouge (via les éléments de décor, les costumes, les éclairages, cette silhouette assez réussie du sérial-killer, les épanchements de sang (il faut le reconnaitre plutôt timides !) ...)
On pourra brièvement penser au beau "Tenebre" de Dario Argento (l'intro. à l'aéroport, le couple de lesbiennes ...) mais si les idées du scénario pourraient parfois effectivement rappeler les délires macabres du maestro (ces yeux arrachés, cette victime probablement dévorée par les cochons qu'elle venait nourrir, la poursuite et l'affrontement final ...) près de 10 ans séparent les deux oeuvres et de toutes façons Lenzi n'a jamais la démesure ni la force d'Argento.
"Eyeball" n'est jamais autre chose qu'un petit polar déviant vite torché (tout comme la majeure partie de la production giallesque d'ailleurs !) ; ce qui n'enlève rien de toutes manières à son charme démodé et à la rigueur finalement calibrée de son fonctionnement.
Le fan de gialli se contrefiche d'un quelconque réalisme et ne devrait pas se formaliser du manque continuel de logique, des hasards tirés par les cheveux ni de la résolution expéditive de ce cluedo barcelonnais ...
Le killer zigouille et menace sans que nos vacanciers s'en trouvent apparemment vraiment inquiétés et la Police elle-même ne s'affole pas outre mesure (il est vrai que la chaleur des étés espagnols invite à l'indolence !)
Une nouvelle fois l'enquête est conjointement menée par l'un des personnages principaux (en l'occurence, Mark, très impliqué puisqu'il pense que sa femme est la tueuse ! Mais, finalement, n'aurait-il pas inventé ou mis en scène lui-même toute cette histoire ... ?)
Assez peu haletante au demeurant, cette enquête se contente surtout de distiller le doute et la suspicion, soulignant à chaque nouveau méfait de l'assassin la culpabilité possible d'un (ou de plusieurs) protagonistes : ainsi Mark surgit dans l'histoire au moment de la découverte du premier cadavre (comme s'il en était l'éxécuteur), on retrouve la souris mécanique du guide amateur de mauvaises blagues dans la main de la seconde victime, lors du troisiéme trucidage Paulette a été vue en train de nettoyer subrepticement ses souliers (le terrain boueux de la scène de crime !), le révérend Bronson avait proposé un billet (en échange d'une gaterie ?) à celle qui est morte et un autre arbore de curieuses marques de griffures ...
Même chose avant l'agression à l'hopital (où le prêtre adopte un comportement encore une fois très curieux !), pendant le meurtre de la photographe ou lors de la tentative au bord de la piscine : décidément toujours bizzares (ce père de famille qui triture son rasoir en matant pensivement sa fille endormie ...) et toujours fourrés là où il ne faudrait pas, les personnages s'ingénient visiblement à se constituer coupables ...
Invraisemblable et presque délirante, la formule se décline de cette manière tout du long jusqu'à la conclusion ...
Assez peu sympathiques et totalement dépourvus d'épaisseur, les protagonistes singent les archétypes habituels (les hommes sont globalement dépeints comme des êtres veules et passablement obsédés, les femmes souvent aigries, névrosées ou écervelées ...) ; le couple de héros (?) lui-même est plutôt dépourvu de charisme et de vigueur (et heureusement que l'on se contrefiche de leur amour comme tout le reste peu crédible !) .
Le personnage le plus réussi et le plus véritablement giallesque à mon sens (bien que ce soit presque celui que l'on voit le moins !), c'est Alma, l'épouse de Mark, cette femme belle, perdue, manipulée, constamment présente et évoquée sans qu'elle apparaisse à l'image (une sorte de fantôme !) et finalement innocentée lors d'un flash back aussi grotesque que génial (le meurtrier est un droitier et elle est gauchère !) ...
Une touche d'onirisme se dégage furtivement de ses évocations rappelant une fois encore ce qu'"Eyeball" aurait pu être si Lenzi s'en donnait davantage la peine ... : un objet beaucoup plus troublant et abouti ...
La silhouette écarlatte encapuchonnée et masquée du meurtrier pareillement assez intrigante (et presque bondage !) rejoint les idées plutôt bienvenues de la mise en scène qui ne la magnifie et ne l'exploite cependant jamais carrément !
Tout parait perpétuellement effleuré, réduit à l'état de citation, de gimmick ... sans être réellement travaillé.
Mais finalement ce sont aussi tous ces "manquements", ces loupés, ces imperfections qui confèrent à "Eyeball" son agréable légèreté, ses côtés fun et suprêmement kitsch.
Bricolé, rapide, absurde et pérpétuellement fidèle aux conventions qu'il ne cherchera surtout pas à dépasser, c'est dans ses limites mêmes que ce petit giallo s'impose comme un exemple représentatif et finalement attachant de la série B transalpine des années 70.
A voir donc ... avec indulgence !
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