YOUR VICE IS A LOCKED ROOM AND ONLY I HAVE THE KEY /
IL TUO VIZIO E UNA STANZA CHIUSA E SOLO IO NE HO LA CHIAVE
Curieux couple que celui formé par Oliviero et Irina Rouvigny !
Lui, écrivain has been et aristocrate désargenté noie ses désillusions dans l'alcool ne se plaisant plus qu'à humilier et à violenter son épouse.
Leur relation sadomasochiste prend un tournant encore plus viscéral lorsqu'une jeune maitresse d'Oliviero est retrouvée assassinée le désignant évidemment comme le suspect numéro 1.
Mais, quand c'est Brenda, la bonne de la maison, qui est tuée à son tour, Irina choisit pourtant de protéger son mari que tout incrimine : plutôt que de prévenir la Police, ils emmurent le cadavre dans la cave de leur demeure.
L'arrivée inopinée de Floriana, la jeune et séduisante nièce d'Oliviero, vient encore compliquer la situation ; et si un présumé meurtrier, démasqué à point nommé, disculpe finalement l'écrivain, les rapports de haine et les complots s'exacerbent plus que jamais.
Floriana qui a séduit le couple et s'est faite l'amante de l'homme comme de la femme, parait s'ingénier à manipuler l'un et l'autre ; un individu étrange ne cesse de rôder autour de la maison ; la cache soudainement béante du corps de Brenda semble indiquer qu'un tiers mystérieux est au courant de tous les secrets, et Satan, le chat noir sur lequel Irina se venge des mauvais traitements que lui fait subir son époux, disparait et réapparait tel le messager de la mort qui guette inexorablement tout ce petit monde fondamentalement pervers !
Retrouvailles avec Sergio Martino.
Et pas des moindres puisque en dépit de son titre à rallonge aussi intrigant qu'un tantinet pompeux (en francais : Ton vice est une chambre close et moi seul en possède la clé !), ce cinquième giallo s'impose peut-être comme le meilleur de tous, en tous les cas certainement comme le plus singulier.
J'ai déjà évoqué cet aspect à la fois très respectueux et continuellement atypique et inventif du Giallo martinien.
Ici, le résultat s'affirme comme un hybride aussi inclassable qu'harmonieux qui marie les registres du fantastique, ceux du thriller psychologique, en passant par l'érotisme, l'horreur, le conte gothique, mixant Poe, Clouzot, Bava, Hitchcock ...
Revenons tout de suite sur le titre de cette oeuvre, clin d'oeil référentiel à "L'Etrange vice de Mrs Ward" du même réalisateur : cette étrange maxime constituait effectivement l'un des mystérieux messages envoyés à l'héroïne par le maniaque qui croyait la manipuler.
Et de vice (presque une constante au niveau des titres martiniens : "Tutti i colori del buio" rebaptisé en francais "Toutes les couleurs du vice" !) il est donc évidemment (et savoureusement !) question : sadisme, inceste, fétichisme, alcoolisme, cruauté, sexe et meurtre ..., aucun des personnages n'y échappe !
L'homme brutal, cynique et égoïste, la garce vénale et manipulatrice, la victime consentante et masochiste ... auxquels s'ajoute le cortège d'amants, de maitresses, de complices, de prostituées, de parasites et de malades mentaux ... dressent un tableau résolument peu reluisant de l'âme humaine : foncièrement noire, détachée, corrompue et sans illusion.
Forcément typés les personnages s'avèrent pourtant plutôt crédibles et bien construits, habités par des acteurs au charisme idéal : Ewige Fenech (l'égérie martinienne par excellence !), Anita Strindberg et Luigi Pistilli, figures emblématiques du giallo de la grande époque, composent un trio aussi diabolique que passionnant, servis par des dialogues enlevés et assez spirituels (les joutes et les réparties entre Floriana et son oncle !)
De plus, le script savamment retors ne se contente pas de brosser une savoureuse galerie de "monstres" mais fait sans cesse évoluer leurs rapports dénués d'affect : les revirements, les trahisons, révélations et coups de théatre se succèdent !
On a reproché ici et là la lenteur du récit et l'hétérogénéité trop brouillonne des registres qu'il adoptait ; pour moi, le scénario s'avère tout ce qu'il y a de plus maitrisé et les changements dans le ton et l'inspiration, s'ils peuvent surprendre au départ, trouvent toujours leur légitimité, le mélange des genres maintenant intacts tout le mystère et la noirceur de l'intrigue et l'étoffant même d'une manière aussi inspirée qu'intelligente ...
Quant à la lenteur, il semblerait au contraire que les événements et les informations s'enchainent sans répis !
"Your vice ..." se révèle de surcroit fort bien écrit, fait plutôt notable pour un giallo, et réussit de manière convaincante à donner corps et épaisseur à ses figures archétypales.
La référence littéraire s'affiche dès le générique : rien moins que "Le Chat noir" d'Edgar Alan Poe !
Davantage qu'un prétexte, la fameuse nouvelle donne lieu à une relecture très interessante et même si le chat en question ne se fait plus le centre de l'intrigue, Martino conserve néanmoins tout l'esprit du récit initial (la déchéance et la dépravation, la déliquescence du couple, cete fixation maladive et cette violence exhutoire en direction de l'animal ...) jusqu'à sa chute célèbre ...
Malin, le cinéaste s'autorise même une ultime pirouette (inversant les rôles au final) !
Cette "remouture" du "Chat noir" s'avère donc tout aussi (sinon plus !) réussie et respectable que celles proposées des années plus tard par Fulci (en 81) ou Dario Argento (en 90).
L'hommage à Edgar Poe se prolonge jusque dans les aspects délibérément gothiques de cette oeuvre envoutante :
La demeure familiale des Rouvigny, ce beau manoir jaunâtre à la vétusté photogénique, son allée flanquée de statues fatiguées, sa flamboyance éteinte, ses fastes plutôt spartiates ... , les caves au fond desquelles on croit oublier les secrets, les escaliers encore majestueux, le portrait vénéré de cette mère dans ses atours de comtesse comme dans un bon vieux Corman, les soirées au tour un brin orgiaque (la séquence d'introduction comme un rappel contemporain des agapes mortuaires du "Masque de la mort rouge" !), les nuits d'orage évidemment et toute la violence et la passion morbide des rapports qui animent les personnages ...
Sergio Martino utilise à merveille les clichés du genre magnifiant par ce biais la décadence d'une aristocratie au bord de la ruine tant matérielle que morale.
Les références et le romantisme des décors et de la mise en scène servent au mieux la crudité des échanges et la violence ironique du récit.
Car le conte de fées se révèle tout à fait déviant et carrément empoisonné.
Face aux colombes, aux chandeliers, aux écrivains maudits et autres statuaires finalement sclérosés, le réalisateur fait vivre un monde contemporain, urbain, certes moins possiblement onirique mais beaucoup plus vivant : courses de moto, commerces, gares, cafés, places et terrasses animées, camping et hippies ...
En dehors du domaine, le monde est jeune, en mouvement, libre et insouciant ... et passablement vénal.
Le personnage de Floriana tout comme les jeunes babas cool profitant avidement de l'hospitalité d'Oliviero exudent une ammoralité déconcertante : on profite de la vie aveuglément, sans entraves ni règles, sans opinions ni prises de parti ...
Et si le monde ancien, taré et au bord du gouffre (celui dépeint par les Rouvigny) semblait bruler ses dernières cartouches dans l'auto-destruction, le monde moderne, s'il parait plus sympathique au prime abord, se révèle tout aussi fondamentalement mauvais et semblablement marqué par le vice.
Floriana apparemment beaucoup plus saine, directe et chaleureuse que ses hôtes n'hésite finalement pas à tirer parti de leurs dissensions pour les dresser définitivement l'un contre l'autre, n'attendant qu'une chose : récupérer les précieux bijoux de famille et se faire la belle ! Sa fausse compassion et son empathie très calculée ne dissimulent que mépris et froideur.
Dans le même registre les jeunes hippies du camping habitués aux largesses d'Oliviero ne pensent qu'à boire, manger, fricoter, profiter sans jamais s'élever contre le comportement outrancier et parfois abject de leur hôte (ouvertement violent, mysogine et raciste (voir la première scène au cours de laquelle il humilie brutalement Irena puis Brenda, la bonne)).
Le script et sa mise en scène plutôt intelligents s'épanouissent ainsi souvent dans de subtiles oppositions, des contrastes, qui finissent toujours par s'harmoniser.
Ici de toutes manières rien n'est jamais tiède ni anodin.
Les hommes sont des bourreaux et les femmes sont des garces, les écrivains en panne d'inspiration mais les machine à écrire fonctionnent toutes seules (le coup des pages dactylographiées par une main fantôme et vengeresse !) ; on crève sauvagement l'oeil d'un chat mais, du paquet de viande qui lui était destiné, coule un tas dégoutant d'yeux de porcs ; on cache et mure un cadavre dans sa cave à vin sans savoir que l'on ne va pas tarder à le rejoindre ; on observe, on espionne, on démasque les autres mais on ignore que l'on est soi-même totalement manipulé ; les victimes et les bourreaux ne s'avèrent finalement jamais vraiment ceux que l'on pensait et l'amour, impossible, irréel, ne se concrétise guère que dans la symbolique d'un panneau publicitaire où le coeur voisinant le "Lovable" trop sûr de lui du slogan est tout éclaboussé du sang des dernières victimes ...

De la même façon, Sergio Martino tire admirablement parti du physique de ses interprètes :
Rousse, racée, mincie et fatiguée, Anita Strindberg nous fait croire à son beau et trouble personnage. La choucroute un peu envahissante mais la grâce toujours aussi intacte elle nous bluffe jusqu'au final réjouissant !
Face à elle, comme son antithèse, la pulpeuse et laiteuse Fenech, blanche et brune, l'oeil vif et sournois, campe avec panache une adorable et terrible garce !
La première longue, émaciée, évanescente n'exprimant que la passivité, le retrait et la terreur, la seconde toute en courbes sensuelles et en vigueur, libre et avertie et visiblement armée pour toutes les joutes : Irena et Floriana sont représentées aux antipodes l'une de l'autre.
Leurs étreintes jolies, leur rivalité moins angélique, leurs rapports, leur lien et leurs simulacres ...
Ne serait-ce que pour elles, "Your vice ..." mérite indéniablement le détour : deux icônes giallesques ainsi servies sur un plateau, tour à tour magnifiées et malmenées par une intrigue maligne ... Miam !
Du côté des mâles, c'est d'ailleurs l'identique (bien que ce soient définitivement les femmes qui emportent la mise !) : Luigi Pistilli plus moite et malade que jamais excelle dans son registre de belle épave ; Martino le confronte à l'incontournable Ivan Rassimov (pour un rôle aussi limité qu'important), ici plus mystérieux, plus ténébreux que jamais (et le cheveux étonnament (?) blanchi !) ...
L'opposition joue sur la présence physique et la bestialité surlignée face à l'androgynie mannequine et énigmatique.
Et pour continuer au niveau des contrastes et des surprises, on peut encore relever foule de détails (les colombes blanches contre le chat noir ; cette prostituée blonde qui s'avère finalement brune (elle porte une perruque !) et qui, une fois dans sa petite chambre pleine de jouets et de poupées, ressemble davantage à une fillette angélique qui n'oublie surtout pas de faire son signe de croix avant de se coucher ; Floriana attendue au train qui arrive en définitive en voiture ; le jeune et frigant livreur contre la vieille collecteuse de déchets ; des héros invariablement troubles et coupables ... et un serial-killer totalement anonyme ...), remarquer les insistances de la direction artistique (le travail constant sur l'ombre et la lumière, le jour et l'obscurité ; les rappels délibérés du rouge et du mauve ...) et les idées récurentes (la force et la faiblesse (la domination et la soumission ...), l'action et la passivité, l'espace et le cloisonnement ...) qui ne débouchent pour finir que sur le même éternel constat : la tromperie, la versatilité, la perpétuelle illusion des apparences.
Traditionnellement, les personnages à priori les plus forts dévoileront des faiblesses et passeront au statut de victimes tandis que les moins visiblement armés révèleront des natures beaucoup plus vindicatives et surprenantes qu'on ne l'aurait cru...
Et le giallo presque classique virera au thriller psychologique pour s'achever en une fable caustique et impitoyable qui n'épargnera aucun de ses monstrueux héros !
Dans "Your vice ..." la réalité, la vérité de chacun est continuellement instable, remise en cause, enfouie derrière des incertitudes, des questionnements, des masques, des simulacres et autant de manigances, à l'image de ces cadavres dérangeants que l'on mure dans la cave.
L'enfermement s'impose comme une évidence, presque une obligation !
Réel, "physique" ou mental et psychologique, cette notion de l'enfermement s'imprime en filigrane tout au long de l'oeuvre : la quasi réclusion du couple dans sa demeure ancestrale, la fascination destructrice exercée par leur amour-haine, cette passion sadomasochiste qui les pousse irrémédiablement à jouer le bourreau et la victime, leurs obsessions (la dévotion pratiquement incestueuse du fils à l'égard de sa mère défunte ; l'aversion et la terreur d'Irina pour ce chat qu'elle prend pour une créature démoniaque ...), l'enlisement d'Oliviero dans l'alcoolisme, Irina battue et bouclée dans la cave, les macchabées dissimulés derrière la brique et le plâtre, le pigeonnier grillagé, ces portes toujours soulignées ... autant de situations et de figures conjugant plus ou moins directement l'emprisonnement irrémédiable !
La mise en scène toujours professionnelle de Martino soigne ses cadrages, ses références et ses cohérences internes.
Peut-être plus psychologique et stylisé que les autres, ce giallo multiplie les emblèmes et les fétiches (une robe, un portrait, un chat noir, une paire de ciseaux, des oiseaux, des poupées, une serpe ...) retranscrivant à merveille les conventions fantastiques quelque peu dictées par la référence à Poe.
Peut-être plus psychologique et stylisé que les autres, ce giallo multiplie les emblèmes et les fétiches (une robe, un portrait, un chat noir, une paire de ciseaux, des oiseaux, des poupées, une serpe ...) retranscrivant à merveille les conventions fantastiques quelque peu dictées par la référence à Poe.
Epurée et élégante, la direction artistique évite toujours la surcharge (la sobriété des intérieurs, les extérieurs semblablement souvent vides et déserts ...)
Les séquences de meurtre ou d'angoisse belles et efficaces comme à l'accoutumée jouent admirablement sur l'atmosphère, l'éclairage, le détail et un rythme et un découpage imparables ...
Bruno Nicolai rempile une nouvelle fois au niveau de l'enrobage musical.
Sa partition tour à tour angoissante et lyrique, ce leitmotiv au clavecin, les envolées des cordes ... collent à merveille à l'atmosphère envoutante du film et contribuent tout à fait à la réussite, à la beauté et à l'impact de l'ensemble.
Vive Sergio Martino ! Définitivement !
Le réalisateur prouve ici encore tout son respect et son amour d'un cinéma-bis haut de gamme.
Ce dernier giallo renouvelle une cinquième fois un genre qu'il réussit à réinterprèter à chaque fois différement (sous le prisme du roman-photo, du film d'aventure, du thriller sataniste ou du shocker ...), triturant cette fois les clichés de l'épouvante gothique et s'amusant même à relèguer au rang de fausse piste et de prétexte les conventions les plus attendues (le mystérieux tueur, les meurtres de jeunes femmes, une enquête ...).
Haine, passion, manipulation et vengeance supplantent désormais tout l'attirail policier.
Pareillement si le giallo convoque un cinéma perpétuellement sensitif au coeur duquel l'oeil et la vue s'imposent bien souvent comme les vecteurs tant scénaristiques que plastiques d'intrigues alambiquées (untel a vu ou cru voir ..., un tueur ou un complot ont été saisis, un secret, un souvenir enfoui ont été dévoilés ...) Martino privilégie ici l'ouie (ces miaulements insupportables et toujours révélateurs, ces conversations, ces appartés, ces insinuations surprises à leur insu, une machine à écrire ou des bruits de pas révélant une présence ...) à une vision de toutes façons erronée et continuellement empêchée (l'obscurité constante, les secrets et la dissimulation comme parti-pris et mode de fonctionnement ... jusqu'à l'emblématique et finalement symbolique énucléation du chat noir ...)
Malin et presque aussi manipulateur que les personnages qu'il confronte, le réalisateur démontre à nouveau toute l' inventivité et l'intelligence de son inspiration, cette étonnante capacité de renouvellement , ce mélange des genres toujours détonnant, fluide et harmonieux, un style indéniable qui sait respecter les codes, les lieux communs et les traditions qu'il excelle à réadapter, à s'approprier d'une manière aussi personnelle et moderne que continuellement humble, respecteuse.
"Your vice ..." est un conte noir, un exercice de style futile et génial, excessif, élégant, tout à la fois calibré et surprenant.
Laissez-vous tenter.
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