Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

jeudi 8 mars 2012

Deliziosi Gialli 22 : The Fifth cord / Giornata nera per l'ariete


THE FIFTH CORD
Giornata nera per l'ariete /
Journée noire pour le bélier


Andrea Bild, un journaliste alcoolique et sur le déclin, se voit impliqué dans une série de meurtres.
Etrangement, un gant de cuir noir est à chaque fois retrouvé auprès des cadavres.
Plus curieux encore, toutes les victimes étaient connues de son ex-femme et avaient participé à la même soirée de Nouvel an  ; Andréa lui-même était présent ce soir là, ivre comme de coutume.
Rapidement, ce qui ne devait consister au départ qu'en recherches d'informations pour un  article se change en une véritable enquête pour laquelle le reporter déploie finalement nettement plus d'opiniatreté et d'efficacité que la police.
L'ennui c'est que du même coup, Andrea se retrouve bientôt menacé par l'assassin puis carrément suspecté par les forces de l'ordre !
Qu'importe ! Déchiffrant peu à peu les liens et les troubles secrets qui unissaient les cibles du meurtrier, Bild met finalement le doigt sur deux indices aussi bizarres que finalement majeurs : chaque crime a eu lieu un mardi et toutes les victimes étaient du signe du bélier ...






Peu de films à l'actif de Luigi Bazzoni, six ou sept tout au plus ; décèdé tout récemment,  le bonhomme ne manquait néanmoins pas de talent !
Assistant réalisateur de Mauro Bolognini, scénariste et cinéaste, il aura tout de même laissé quelques pépites, tout du moins des curiosités dont une étonnante relecture de Carmen à la sauce western-spaghetti ("L'Homme, l'orgueil et la vengeance") et deux gialli tout aussi surprenants ...
Ainsi ce "The Fifth cord" réalisé en 1971 marque sa première incursion dans le genre "jaune" du thriller italien.
Le cinéma de genre, c'est justement le cadre que Bazzoni a toujours choisi ; un cadre gonflé de références, d'obligations, de clichés ...  : des rouages qu'il s'ingéniera à personnaliser, à remodeler, à contrefaire !

"The Fifth cord" s'ouvre sur le gros plan d'une bande magnétique enregistrant l'auto-confession du meurtrier : la voix androgyne et perverse qui sussure ses plans criminels inaugure le bal des rasoirs, du sang versé, de l'enquête labyrinthique et de l'identification finale de cette voix sans corps, sans identité, sans autre matérialité qu'un magnétophone ...
Dés le début, le cliché s'étale, familier, iconique, et d'ailleurs, finalement, rien ne manquera à l'appel : des mains gantées, des meurtres répétés et signés d'étrange manière, des secrets, des menaces, du sexe, des chantages, des suspects plus qu'il n'en faut ...



Pourtant, nous nous en rendons compte au bout d'un moment, le réalisateur nous trompe et, feignant le respect des conventions, il n'abat jamais les cartes attendues ... pour notre bonheur ?

Effectivement, rien n'est vraiment là ni comme l'on pouvait l'attendre : le héro n'a rien d'héroïque ni d'a-priori sympathique (mais c'est Franco (Django) Nero, dont l'interpretation, le charisme (et la brutalité géniale!) suffisent amplement !), le tueur manque de piquant, de sadisme et d'un mobile vraiment convainquant : du coup la résolution expédiée des mystères peut laisser sur sa faim !


De la même façon,  les crimes ne sont jamais sanglants (l'un d'eux se déroule carrément hors champ : on a juste le temps d'apercevoir le cadavre de la victime !)
Les gants de cuir noir emblématiques ne sont plus arborés par le psychopathe (qui leur préfère des gants chirurgicaux) mais laissés en signature sur chaque victime (avec à chaque fois les doigts coupés ; un pour la première victime, deux pour la seconde ... etc ... !) et le sexe évidemment "déviant" (?)  (prostitution, homosexualité, club secret où de jeune gens baisent en live devant des notables voyeurs et frustrés ...) préfère l'ésthétique à la crudité ...




En fait, et bien que, là encore, les conventions semblent respectées, l'enquête policière, elle-même, certes  nébuleuse mais presque accessoire, s'avère davantage un prétexte, privilégiant volontairement une sorte d'absence et de torpeur à l'explication, au rythme et à une logique (somme toute négligeable !).
Le faux règne en maitre et s'érige presque en système : fausse enquête (c'est le reporter alcoolo qui s'y colle un peu au hasard mais avec de plus en plus d'entêtement), faux coupable (notre héro, toujours lui !), fausse victime (sans en dire plus, la première !), fausses pistes (le club de "voyeurs", une prostituée, des maitres chanteurs ...), mobile bidon (la jalousie !), faux coups de téléphone, faux prétextes (afin d'éloigner quelqu'un (un mari, une baby-sitter) pour laisser le champ libre au meurtrier), fausse lettre anonyme, faux effêts ( Lu, la petite amie d'Andréa, le héro, toujours en posture équivoque (elle est aperçue dans la voiture d'un suspect ; elle simule son propre assassinat ; son frère est melé à des histoires de cul et de chantage ; elle change brutalement de look avant de quitter le héro ...) ; une demeure en ruine mais pourtant habitée ; des objets familiers qui ne se trouvent plus à leur place (un fauteuil roulant et un téléphone escamotés comme par magie !) ; des hasards énormes et finalement peu exploités (une soirée inaugurale où se trouvent quasiment tous les protagonistes....) ; une victime qui meurt d'une crise cardiaque avant (et au lieu) de succomber à la lame de son exécuteur ; des meurtres en fin de compte sans autres mobiles que celui de noyer le poisson ...



 C'est donc comme si tout était bien en place mais perpétuellement décalé, comme si les rouages attendus du giallo,  pourtant savament mis en scène et détourés, reconnaissaient toute leur artificialité, leur rigidité.
La mise en scène traite uniformément l'essentiel et le superflu, optant pour des choix parfois paradoxaux, elle ose exacerber un détail alors qu'elle négligera  le climax habituel d'une scène de meurtre.
Maintenant une élégante étrangeté, l'intrigue se déroule plutôt lentement, plus imprévisible que préprogrammée, épousant après tout totalement le cheminement de son personnage principal : tout d'abord hagard et paumé puis de plus en plus immergé et  investi et finalement mis en cause et révolté. 
Et lorsque dans le dernier quart d'heure le rythme s'emballe, le héro avec lui et que l'énigme s'articule (euréka !) sur de nouveaux indices savoureusement incongrus, lorsque en deux scènes magistrales (une tentative de meurtre sur un enfant et une poursuite-baston plus que musclée), le réalisateur rompt brutalement l'atmosphérique langueur on ne peut qu'applaudir !


Bazzoni, manièriste (?), s'ingénie à brouiller les pistes, privilégiant continuellement le sensitif à la narration, il  préfère jouer sur les images, les ambiances, les tonalités, les symboles ... 
Le résultat peut décevoir ou fasciner, c'est selon ... 
On ne peut cependant nier la cohérence et l'indéniable beauté de sa mise en scène.
Vittorio Storaro, chef opérateur chez Bertolucci, Coppola ou Argento (et cousin de Bazzoni) signe ici encore une photographie magnifique, jouant constamment sur une palette de coloris où s'opposent les bleutés et les ocres jaunâtres. Les aubes et les nuits, les intérieurs stylés, tantôt hyper-modernes tantôt bourgeois, la récurence des vitrages et des murailles rejouent sans cesse le contraste, le mariage ou l'opposition des deux teintes.




Les décors, primordiaux, renforcent un gout marqué pour les géométries : escaliers, tunnels, parkings, parcs maison design ou grands batiments, tout flatte perpétuellement les angles ou les courbes, plongeant les protagonistes dans des univers quasi-abstraits, les plaquant comme dans des tableaux, les noyant ou les enfermant tour à tour.



Le contraste est de mise : un tunnel bleuté, une vieille demeure désaffectée, un hopital Lecorbusien, une esplanade et un escalier monumentaux, un dome bigarré de serpentins multicolores au sein d'un night-club violacé,  les arches d'un pont, une chambre baroque, un appartement lounge, le vestibule écarlate d'un grand hotel, une maison d'architecte, une villa art-déco ou les ruines et les hangards d'une fabrique ...
L'abstraction toujours possible, cette sorte d'irréalité insistante des décors, rejoint finalement l'abstraction et le traitement distancié de l'intrigue aboutissant à cette impression vivace d'une sorte d'onirisme : cette histoire, cette enquête, ce film, ... comme un rêve ...
Les jeux sur les reflets, la lumière, ces variations sur les ombres chinoises, tout comme l'utilisation variée des caméras et des objectifs, caméra subjective, grand angle ou gros plan, déformations, cadrages millimetrés ... tout batit une sorte de fantasme et contribue à faire de ce film un objet aussi froid et étrange que vraiment envoutant.


L'enfermement est inexorable : celui de ces décors, y compris extérieurs, saisis comme des prisons, celui plus figuré des éternelles tares et manques des personnages (représentants d'une humanité peu reluisante (d'ailleurs hormis quelques tendres et fugaces moments entre Andrea et ses partenaires féminines, la jeune Lu (qui le quitte tout de même pour un autre !) ou Helen (son ex qui finit par re-succomber) et l'attachement d'Helen à son fils, aucune réelle humanité ne surnage !)) : alcoolisme, prostitution, corruption, déviances, chantage, handicap physique ... auquel répond encore l'enfermement des situations : personnages pris au piège, secrets, conversations privées dans l'habitacle d'une voiture, enfant qui s'enferme pour se proteger (alors que le tueur est déjà à l'intérieur !), répétitions des portes, des grilles et des cloisons ....



Les séquences de meurtre déclinent également ce thème avec plus ou moins de brio : la première demeure la plus réussie.
Sophia Bini est infirme. Un coup de fil inattendu pousse son époux à la laisser seule. Le temps passe et le mari ne revient pas ; la musique liturgique, le feu rougeoyant dans la cheminée de la vaste chambre, préludent à des bruits puis à la coupure de l'électricité ; Sophia prend peur ; elle rampe hors de son lit, tente de grimper sur son fauteuil roulant qui lui échappe, glisse au loin et ... disparait, à son grand effroi ; le téléphone se met à sonner dans le couloir ; Sophia se traine jusqu'à lui ; lorsqu'elle y parvient non seulement c'est trop tard mais de plus, il n'y a plus de téléphone ! Parvenue au-dessus de l'escalier, elle tente d'appeler à l'aide : deux mains gantées surgies de nulle part l'étranglent alors et la jettent dans le vide ...
Superbe !


Incapables d'aimer, incapables de partager et pourtant incapables d'accepter ou de supporter la solitude, incapables de vivre, les personnages meurent donc ou tuent pour éviter leur suicide (c'est le cas de l'assassin dont l'homosexualité trahie, faux pot-aux-roses de l'histoire, conclut sur le même théme (ici  aussi discutable) de l'enfermement, un enfermement jusqu'à la folie !)

"The Fifth cord" s'affirme comme une belle et curieuse célébration giallesque.
Personnelle, un peu froide et atone mais plastiquement superbe, cette oeuvre est comme une variation plus "cérébrale" que ludique des archétypes habituels dont elle démontre (et démonte) toute la simplicité bêbête tout en réussissant à la magnifier.   
Finalement un coup de maitre !
Bazzoni poussera encore plus loin l'expérimentation et son gout de l'étrange avec son giallo suivant "Le Orme" ("Footprints on the moon"), sur lequel je ne manquerai pas de revenir.




P.S : devinez qui a composé la musique !



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