Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 2 mars 2008

Le Cinéma de Dario Argento 5 : La Terza Madre






La Terza Madre / Mother of tears / La Mère des Larmes


L'Exhumation et l'ouverture d'un coffret renfermant des objets ancestraux et maléfiques réveillent une entité démoniaque : La Mère des Larmes.
Cette sorcière surpuissante menace de semer le chaos, le mal et la destruction depuis Rome sur le monde entier.
Sara Mani, témoin de sa libération et du meurtre inaugural et barbare d'une collègue, se retrouve lancée malgré elle dans une aventure aussi incroyable que périlleuse qui va l'impliquer sans cesse davantage et lui révèler une part insoupçonnée d'elle-même !
Fille d'une sorcière bienveillante, Sara est en effêt dotée de pouvoirs surnaturels.
Empêchée et traquée sans relâche par les sbires de la Mater Lacrimarum tout en étant constamment recherchée par la Police, Sara va aller de révélations en révélations , semant involontairement la mort sur son passage, jusqu'à la terrifiante confrontation finale .

Dernier volet d'une trilogie jusqu'ici inachevée depuis près de trente ans, "La Terza Madre" est la conclusion d'une énigme inaugurée il y a longtemps et fort attendue des "argentophiles" .
"Suspiria" et "Inferno", parenthèses les plus flamboyantes, les plus ésotériques et les plus stylisées de l'Oeuvre du réalisateur, s'affirment sûrement comme les signatures, si ce n'est les plus mémorables, en tous les cas les plus spectaculaires de Dario Argento.


Curieux que le cinéaste ait si tardivement comblé les attentes de ses fans et accepté de renouer avec un genre à priori beaucoup plus abstrait et purement fantastique que celui de ses productions suivantes.
En même temps, le travail effectué juste auparavant par Argento pour le compte de la série "Masters of Horrors" , deux films courts, maitrisés et vigoureux, deux fables outrancières et sympathiques, s'avérait peut-être le tremplin idéal pour l'accouchement de ce volet final.

Trente ans ont donc passé et, force est de constater que l'Argento d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier ! Cela n'est pas forcément négatif mais "La Terza Madre" , bien que logique dans sa volonté de prolonger et d'expliciter les thématiques et les questions anciennes , n'a plus rien de familier avec les fluorescences de "Suspiria" ni avec la poésie morbide d'"Inferno".

Le film se pose davantage comme une sorte de série B très sérieuse, gore et mystique ; un "mix" totalement foutraque et grotesque , typiquement argentesque dans ce qu'il arbore d'immédiatement exagèré, contradictoire, mauvais, ridicule et formidable tout à la fois.
Ici, c'est " La Malédiction" qui flirterait avec "Ghost", l'Epouvante gothique avec le Feuilleton, "Le Jour des Morts-Vivants" avec "L'Exorciste"... pour se révèler , au final, un surprenant "digest" du cinéma-bis italien des années 70-80 ( on pense fugacement à Fulci et Bava...) et surtout de toute l'Oeuvre de son créateur.



"La Terza Madre" déconcerte, et ce n'est pas la moindre surprise d'un film finalement très narratif, plutôt vif et rythmé, plein de personnages, d'explications, de violence et de cris.
On retiendra, pèle-mèle, des runes et des vestiges ésotériques, des gorges tranchées, des visages écrabouillés, des seins nus, un petit singe atroce, des livres partout, des rires sardoniques, des mégères échevelées et dépoitraillées, des meurtres d'enfants, des portables et des cabines téléphoniques, des croix et des curés ...


Là où, autrefois, tout n'était que couleurs, symboles, angoisse et mystère, là où la lenteur et l'étrangeté régnaient en maîtresses, tout, ici, s'avère ténèbreux, caricatural, frontal et pressé. Pressé de donner des réponses qui n'étaient pas forcément nécessaires ; pressé de faire subir à son héroïne tous les outrages ou presque ; pressé d'aligner les meurtres et les horreurs soulignant le pouvoir et la noirceur de la "Mater Lacrimarum", la plus belle et la plus cruelle des Trois Mères ( finalement, la moins effrayante aussi !) ; pressé d'en finir avec cette trilogie qui ne semble plus concerner Argento de la même manière...


Car, malgré toute sa bonne volonté (?) et une déclinaison intarissable des images et des thèmes liés à la Magie, à l'occulte et à la "Mystique", "La Terza Madre" ne possède pas l'inoubliable et envoutante beauté de ses préquelles !
On pense bien davantage à "Ténèbres", au "Syndrôme de Stendhal" ou au "Fantôme de l'Opéra" au niveau de l'ésthétique, de l'ambiance ou, hélas, de la maladresse.
Car, le mot peut bien être laché, l'entreprise confine au ratage et se révèle l'un des plus mauvais films de son auteur !

Là où "Suspiria" et "Inferno" masquaient habilement leurs manques de moyens et leurs carences par l' "épure", l'abstraction et la prédominance du style, du souci de l'image et d'une atmosphère distillée à grand renfort d'éclairages outranciers, de musique et de sons, "La Terza Madre" peine à demeurer crédible et à donner corps aux côtés dantesques de son propos.


Les sorcières d'aujourd'hui n'exhalent plus le trouble ni la fascination d'autrefois ; brutales et vulgaires, elles font davantage songer à des punkettes lesbiennes et hystériques et leur sabbat ultime se pose comme un monument de laideur et de grotesque profondément décevant. Les effusions sanglantes vraiment gratuites, les ricanements de circonstance et les hurlements indigestes ne comblent pas ce qui passerait pour un cruel manque d'inspiration et un superbe bâclage ! L'enfer ici dépeint lorgne du côté de la série Z !

Bien entendu, la fuite laborieuse de Sara hors des catacombes qui voit l'héroïne manquer finir ensevelie sous des flots répugnants de débris humains recrachés par la maison-sorcière, ravive un peu nos penchants sadiques, mais, globalement, les dix dernières minutes, pleines de promesses, tirent définitivement l'oeuvre vers le bas.


Pareillement, le soucis d'apporter à son spectateur un rappel et une explication et des réponses (fumeuses !) aux enjeux en place, contraint Dario Argento à construire une "véritable" histoire et à assembler et relier les indices, les événements passés autour d'un mélange où la magie et la Mort cèdent la place à une lutte rebattue entre le Bien et le Mal où la Religion vient peser très fortement pour aboutir à un bric à brac insensé et totalement indigeste !
Cette intrigue, bien que farfelue, se développe de manière linéaire et, somme toute, classiquement, s'attachant à suivre Sara, son personnage principal, pillier de toute cette incroyable histoire .
Comme toujours dans les oeuvres qu'il réalise avec sa fille, Dario Argento trace encore le portrait d'une jeune femme atypique.
Cette fois, témoin et actrice de la libération du Mal, Sara va être propulsée dans une lutte en fin de compte prédestinée contre la dernière et la plus redoutable des Trois Mères.
Les événements surnaturels révèlent une facette "magique" d'elle-même et des pouvoirs qu'elle ignorait.
Sara devient l'Elue, finalement née pour sauver les hommes, Rome et le monde !


Le film suit donc son cheminement de fuites en prospections, d'éclaircissements en mésaventures, de combats en découvertes ; un parcours également intérieur et intime et bien entendu parsemé de cadavres et de morts violentes.

Plutôt rapide, condensé, brutal, le film déplie ses ramifications absurdes et fantasques jusqu'au climax final.
Si l'on accepte de se laisser porter par l'histoire abracadabrante, on ne s'ennuie pas un instant.
L'efficacité, l'absence de complexes et la lisibilité sont désormais la "marque de fabrique" du cinéaste ; quitte à sombrer ouvertement dans le ridicule et la faute de gout assumés .
Visuellement, l'oeuvre s'affirme sombre, ténèbreuse, dure et, là aussi, très inégale.
A l'image d'Asia Argento au physique et au jeu agressifs, son style s'avère assez indéfinissable et plutôt âpre ; beau et laid tout à la fois, vulgaire, cru, bricolé, ultra-codifié, curieusement plutôt simple et dépouillé et finalement cohérent.
Les couleurs sourdent sans éclats : bruns rougeâtres, verts éteints, bleus nocturnes, ocres jaunis et l'ombre et les noirs priment et s'imposent.
Et, telle l'image du Mal qui gangrène le monde, l'obscurité prédomine très rapidement.

A la clarté d'une première séquence plantant l'exhumation d'un cercueil et d'un étrange reliquaire, succède immédiatement le premier meurtre, violent, choquant et très noir, dans tous les sens du terme.






Cette opposition jour/nuit, ténèbres/lumière, se retrouve
dans la confontation de la Magie blanche avec la Sorcellerie, dans les teintes souvent noires ou blanches des costumes ( les prêtres , les diverses tenues de Sara , la grande capeline de la Mère des Larmes , les sorcières...), dans l'affrontement symbolique du Bien et du Mal et dans le combat d'une chrétienté elle-même très "ésotérisée" contre l'avènement du "démon", d'une entité maléfique aussi vieille que l'Humanité.

Ainsi, face aux croix, aux églises, aux éclésiastiques, aux nonnes et aux exorcismes s'affichent en contraste la Magie noire, les rites païens et sataniques, les sacrifices humains, le cannibalisme et la torture, les incarnations démoniaques, cimetières et catacombes ..



L'Occulte est omniprésent, y compris au sein d'un catholicisme roué aux manifestations les plus surnaturelles, mèlé aux secrets les plus immémoriaux et, avant tout, au service d'un équilibre mesuré et geré entre le Bien et le Mal.

Magie et Paranormal se déclinent donc sans cesse :
sorcières (bonnes ou mauvaises), esprits des morts, zombie, "secte démoniaque", télépathie, possession et exorciste, alchimie, monstres, apparitions diaboliques, messes noires, maléfices, mondes et dimensions parallèles, pouvoirs et objets magiques (invisibilité, communication avec l'Au-delà, idoles, poignard, tunique, houppe et poudre servant à faire apparaître les esprits, livre...) ;

A commencer par la Magie de l'Ecrit, toujours prédominant : ces runes, ces signes ésotériques gravés sur l'urne, sur la tunique de la Mère des Larmes, sur les socles des statuettes ; écrites en lettres de sang sur le dos de lit du fils kidnappé de Mickael et qui permettent pour finir l'ouverture du passage secret, l'entrée dans le repaire de la "Mater".
Ces livres couvrant les murs et les étagères du moindre appartement, des dédales des librairies et des bibliothèques .
Ces ouvrages anciens consultés par Sara où s'affirme la permanence mythique et ancestrale d'une Triade .
Le livre des Trois Mères ( "Inferno") réintroduit et découvert par l'héroïne.

Et une nouvelle fois, Argento se réapproprie les mythes et les légendes, les accomodant à sa sauce (La boite de Pandore ; La Triade ; L'Elue ; les histoires de revenants, de possession ou de maisons "hantées" ; l'Apocalypse ...), incorporant ses créations à l'explicitation "historique" des faits ( l'histoire d'Oscar de la Vallée , celle de la mère de Sara, les rappels de "Suspiria" et du rôle de Varelli et de ses écrits (" Inferno")) .

Le livre conserve donc ce statut, maintes fois étayé par le réalisateur, d'outil primordial, de clé, d'appui .
Il faut lire pour comprendre et dénouer les mystères et les conspirations.

Et donc, comme d'habitude, la Vue, la Vision, l'Oeil se révèlent essentiels et s'impriment à nouveau en leitmotiv tout au long du film :


Pour avoir inspecté (vu) le contenu d'un coffret antique et étrange, Sara a déchainé les forces obscures ; ce Mal qui s'insinue, contamine et modifie la vision des choses des êtres les plus fragiles ; la libération de la sorcière est tout d'abord figurée par deux gros plans : le premier sur un oeil jaune et mostrueux, le suivant, sur celui de la Mater Lacrimarum ; et tout le monde constamment désire voir ; voir quelque chose (le contenu d'un cerceuil ou d'une urne, des photos, des livres, des messages...) ou quelqu'un.
Les portes sont entrebaillées par des regards indiscrets ou inquisiteurs ; les visages sont écrasés, les yeux cruellement crevés ou inspectés par des loupes énormes ; chacun est perpétuellement traqué, suivi, espionné, observé par d'autres ; on utilise des jumelles, des lentilles et des lunettes, des appareils photographiques, des poudres magiques et des instruments de torture (double pointe , écarteur) afin d'approfondir ou d'empêcher la vision.
On verse des larmes (et même des larmes de sang !) que la sorcière vient lècher sur le visage moribond de ses victimes. Les yeux de la "Mater", tout comme ceux de ses disciples, sont toujours maquillés, charbonneux, soulignés de traits sombres.

Et à cette Vision essentielle viennent s'opposer le don d'invisibilité de Sara (qui se soustrait ainsi plusieurs fois aux regards de ses poursuivants (Police ou sorcières) et le motif de la Cachette (Sara se dissimule derrière un rideau dans le Musée, afin d'échapper au singe ; dans la séquence de la gare, elle se cache tout d'abord derrière le comptoir d'un kiosque à journaux, dans les toilettes d'un train puis derrière le rideau d'un compartiment ; plus loin, elle met de grosses lunettes noires pour passer inaperçue ; à la fin, elle se cache dans la maison abandonnée et dans les recoins des catacombes ; le repaire des sorcières se dissimule derrière un passage-secret au plus profond des soubassements d'une demeure ancienne ; l'urne "maudite" était enterrée profondément...).

Et les oppositions intérieur/extérieur , ouverture/fermeture reviennent sans cesse.
(à suivre...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

pourquoi pas:)