Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mardi 12 janvier 2010

Deliziosi Gialli 4 : Mais qu'avez-vous fait à Solange ?



MAIS QU'AVEZ VOUS FAIT A SOLANGE ?





Alors qu'elle canotait amoureusement avec son boy-friend (et professeur !), Elizabeth croit entrevoir un meurtre atroce. Enrico ne prend ses visions au sérieux que lorsque le corps d'une jeune fille est effectivement retrouvé affreusement poignardé !
Les crimes et les ennuis ne font cependant que commencer, apparemment liés à l'école privée catholique au sein de laquelle le professeur et l'adolescente cachent leur liaison interdite.
Et quand Elizabeth est assassinée dans la garçonnière d'Enrico, celui-ci se voit évidemment ciblé comme le coupable idéal.
L'inspecteur Barth reste néanmoins de son côté et préfère l'utiliser pour mieux relancer une enquête qui piétine.
Qui peut massacrer aussi sadiquement les jeunes femmes toutes violées à mort au moyen d'un long couteau ?
L'épouse glaciale et jalouse d'Enrico ?
Ce professeur veule et voyeur qui aime à lorgner ses élèves lorsqu'elles prennent leurs douches ou ce confesseur certainement au courant de bien des secrets ?
A moins qu'il ne s'agisse de ce mystérieux prêtre barbu entrevu par plusieurs étudiantes sur les lieux des crimes ...
Une chose est bien certaine : l'innocence a ses limites !
Au milieu de toutes ces fausses ingénues un prénom surgit finalement : Solange.
Il convient alors de l'identifier et de la retrouver ... et toute la lumière pourra enfin éclater, évidemment sinistre !







Giallo culte et cependant quelque peu atypique que ce "Mais qu'avez-vous fait à Solange ?"
Massimo Dallamano insuffle au genre un réalisme et une perversité insidieuse, rejetant volontairement les fioritures et les frivolités ;
Bien entendu, les ressorts principaux sont au rendez-vous (un mystérieux tueur, des victimes féminines, une multitude de suspects ...), mais la psychologie s'avère plus fouillée que d'ordinaire, l'intrigue plus vraisemblable et le ton bien plus âpre ...

Loin des badineries ou des figures de style, le réalisateur choisit d'inscrire le programme dans un contexte à la fois plus "engagé" et contestataire (la critique sociétale ...) et beaucoup plus sérieux (par moments, on frôle l'étude de moeurs et l'auteur aborde (plus subtilement que de coutume) des thématiques annexes et inhabituelles (le couple, l'adultère, l'adolescence, l'avortement, l'hypocrisie du système ...))
On retrouvera d'ailleurs ce regard critique et ce réalisme sordide dans la plupart de ses oeuvres (notamment dans le giallo "La Polizia chiede aiuto/La lame infernale")

Dallamano, qui est-il, tout d'abord ?
Longtemps chef opérateur, il bénéficie de l'essor de Cinecitta et se tourne alors vers la réalisation ; sa carrière de cinéaste s'avèrera aussi courte (une petite dizaine de films) et méconnue du grand public qu'indéniablement interessante.
Et ce "Mais qu'avez-vous fait à Solange ?" figure certainement comme son oeuvre maitresse, en tous les cas la plus citée et la plus reconnue aujourd'hui.
Inspiré d'un roman d'Edgar Wallace, le film entretient d'inévitables rapports avec le Krimi, cette vague de thrillers germaniques à l'époque en phase terminale (la co-production italo-allemande, le casting ...)
Mais, avançons un peu : meurtres à répétition, témoin innocent, inculpé à tort que tout incrimine ..., les figures invoquées semblent de prime abord fondamentalement classiques et presque plus "policières" qu'immédiatement giallesques ; et pourtant, la cruauté des assassinats (des lames plantées dans le vagin !) qui, malgré le parti-pris de la suggestion et du hors-champ, demeurent tant sordides qu'impressionnants, le décor planté au sein d'un institut de jeunes filles de bonne famille, le motif du tueur aux gants noirs et celui du témoin qui se remémore peu à peu les détails oubliés d'une scène cruciale ... appartiennent bel et bien à l'univers du Giallo.



Dès la première séquence, l'oeil tout puissant (regard, perception, icône ... : motif presque privilégié de la machinerie giallesque) est d'ors et déjà mis en avant : l'oeil complice et voyeur de la caméra qui lorgne les amants (un prof et son élève !) nous projetant dans le secret de leur liaison ; le regard d'Elizabeth (son oeil qui emplit l'écran) et enfin sa vision d'un acte criminel ...



Inévitablement la(les) vision(s) (donnée, volée, accidentelle ou recherchée ...) parcourera en filigrane toute la démonstration, soulignant tant les souvenirs, le voyeurisme, les secrets ou la culpabilité des uns et des autres : le gardien de l'école regarde par les trous des serrures, un professeur mate ses étudiantes dans les vestiaires des douches, Enrico, le héro, se trouve rapidement étiqueté (considéré et donc vu) comme le coupable tout indiqué, sa femme l'espionne continuellement, la récurence d'un souvenir marquant (le meurtre initial) fait
resurgir des éléments (et des (faux) indices : le tueur ressemble à un prêtre ...)

De la même façon, photos et photographes figent la mort et la cruauté (les clichés morbides des victimes, les radiographies d'un bassin féminin planté d'une grande lame ...) et les modèles (le mannequin nu et crayeux qui pose pour une publicité pour le lait, évoquant un vampire ou un zombie plus qu'un top-model !) affichent comme un avant-gout du trépas.



La répétition de ces regards (croisés, obliques, frontaux, dissimulés, figurés ...) distille une sensation d'étouffement et d'insécurité constante.
Et que dire de l'obligatoire caméra subjective, si ce n'est qu'elle se fait l'instrument d'une scène de meurtre par noyade tout bonnement glaçante ...



Une nouvelle fois, toutes ces circonvolutions démonstratives autour du thème de la vision ne servent surtout qu'à mieux brouiller les pistes !
On voit, oui, ... mais on ne voit rien !
Lorsque la Police organise une vaste opération de filature dans un grand parc, déployant toute une armada de flics en civil, tout tourne evidemment au fiasco !
Le meurtrier costumé en prêtre (et appréhendé en tant que tel !) n'aura finalement rien d'un éclésiastique.

Enrico égare son stylo sur les lieux du délit, il est ensuite photographié sur la scène du crime ; sa liaison adultère et illégale (avec une mineure) est percée à jour ..., bref, ses secrets et ses agissements se trouvent mis à nu les uns après les autres et le voici rapidement stigmatisé (et regardé !) comme le coupable idéal , ce qui s'avèrera bien entendu totalement faux.
Le regard désigné comme la référence, se révèle en définitive évidemment trompeur, réducteur et parfois mortel (lorsque Elizabeth témoigne devant tout le monde et qu'elle raconte ce qu'elle a vu, elle signe par là même son imminente condamnation !)
Ce regard désespérément soumis aux apparences !
Au fil des événements, des meurtres et des revirements de l'enquête, les masques vont tomber peu à peu :
Les jeunes étudiantes perdent toute soit-disant délicatesse et innocence, alors que les professeurs, ouvertement louches et antipathiques, ne dissimulent peut-être rien d'autre que leur étroitesse et leur conservatisme ... Une vieille nourrice révèle des facettes moins réconfortantes et beaucoup moins glorieuses tandis qu'une épouse négligée et apparemment hostile n'attends finalement qu'un signe pour reconquérir son mari (l'évolution du couple est d'ailleurs plutôt finement et joliment restituée !)...
Nul ne s'avère jamais exactement tel qu'il n'y paraissait ...




La recette est connue mais Dallamano l'applique avec une habileté redoutable !
Chacun devient potentiellement suspect et l'intrigue s'ingénie à brouiller les pistes, distillant tout à la fois le vrai et le faux, l'important et l'accessoire ...
La résolution finale, l'identité du meurtrier et l'explication de son mobile réussissent même à surprendre par leur côté là encore, tout à fait réaliste.

Et la mémoire se subtilise petit à petit au regard : cette mémoire d'une vision horrible (un meurtre sauvage) ; la mémoire d'un acte collectif à l'issue tragique (un avortement vécu comme un traumatisme)... ; Et c'est en mémoire de ces jeunes femmes mortes ou violentées (Elizabeth, Solange) que l'on venge et tue mais aussi que l'on poursuit une enquête et traque la vérité.




La sexualité induite par l'atroce spécificité des crimes, réside une fois encore au coeur de la problématique ; elle ne s'en exprime pas moins d'une manière délibérément atone et "rentrée" :
La nudité n'est jamais foncièrement érotisée (la panoplie jupe courte et soquettes des écolières n'appelle nul clin d'oeil égrillard et les scènes de douches collectives ou les sévices du tueur jouent bien davantage la carte du malsain ou du sordide) ... Les gamines ont le feu au cul mais cela ne débouche guère que sur le drame et l'horreur ; Enrico et Elizabeth vivent une liaison finalement chaste (contre toute attente, il respecte les voeux de la jeune femme et ne la déflore pas) ; Il n'y a plus d'amour (et donc plus de sexe) au sein du couple et les professeurs frustrés et libidineux en sont réduits à jouer les voyeurs ...
Plus que jamais figuré par l'assasinat, l'acte sexuel est désormais remplacé par ces viols à mort où une lame se subtilise au sexe masculin.



Et évidemment, laisser s'épancher sa libido (en fricotant avec son professeur, en voulant éprouver sa féminité nouvelle ou en bravant l'autorité et la morale) ne mène qu'à la folie, la réclusion et à la mort.



Révélatrices de ce point de vue, les deux séquences "d'amour" entre Enrico et Elizabeth se déroulent à l'identique : la caméra feint la sensualité, présentant les amants absorbés par leur plaisir, pour mieux remplacer le "climax" par l'irruption de la violence et par une vision d'horreur (ou par son souvenir) : la lame du maniaque plongeant entre les jambes de la victime.



L'oeuvre, à priori gentiment pernicieuse, se révèle en fait carrément morale : Enrico reprend rapidement gout aux attraits de la maritalité (l'adolescente perturbatrice qui menaçait son couple a été éliminée !) ; le meurtrier agit tel un conservateur extremiste (en définitive, il punit les complices de l'avortement de sa fille !) et son travestissement de prêtre insiste encore un peu plus sur la dimension symbolique (le jugement dernier !) et moralisatrice de ses crimes.


L'oeil acerbe de Dallamano épingle, l'air de rien, une époque et ses hypocrisies :
Ici, nulle légèreté pop et le Londres plutôt pimpant choisi pour décor n'arbore cependant plus rien des fameuses "swinging sixties".
Les jeunes filles de bonne famille sont cloitrées dans des établissements privés et religieux, astreintes à la confession et tenues de ne manquer aucun office (bien évidemment leur obéissance s'avère plus que relative!)  ; et, en fait d'oies blanches, les donzelles se révèlent beaucoup plus dessalées, cachotières et inquiétantes que prévu : on fume dans les vestiaires, on cache de lourds secrets, on forme une sorte de club d'affranchies, on pose pour des photos coquines, on fréquente des garçons, on combine un avortement clandestin ... on ment, fomente et dissimule ...



L'"establishment" figuré par ces professeurs et ces prêtres veules et transpirants, par ces familles ignorantes, aveugles ou raidies et assèchées par leur position (l'oncle d'Elizabeth) ne suinte guère, pour sa part, que bassesse, sècheresse ou stupidité ...



Le système social est représenté sous ses aspects les plus étroits et les plus figés ; un système au sein duquel les adultes cachent leurs manquements et leurs tares derrière les façades de l'ordre et de la respectabilité ; un système qui préfère faire abstraction de tout ce qui le dérange et qui croit museler par la réglementation alors qu'il ne sait que pousser au mensonge ...
Conventions, non-dits et étroitesse d'esprit sont de mise !



Dans le même ordre d'idées, la façon dont Enrico se retrouve, malgré lui, stigmatisé comme le coupable par excellence (ses origines italiennes, sa liaison avec une mineure ... !) démontre toute la stupide logique de la société.



L'étouffement ambiant ne peut logiquement déboucher que sur la transgression.
Mais là encore, rien de joyeux : un amour incomplet et finalement tragique (celui d'Enrico et d'Elizabeth), un avortement sordide sur la table de cuisine d'une "faiseuse d'anges" et la mort, violente, dérangeante, au bout du compte ...



Le générique de début annonçait totalement (et justement) la couleur : les images noyées de rouge (sang ?) de cette bande de jeunes filles, apparemment riantes, en virée à bicyclette ...



La mise en scène, impeccable, joue sur la finesse, la retenue, la rigueur ...
Le réalisme choisi s'épanouit cependant harmonieusement via une photographie lumineuse et superbe (et signée Joe d'Amato), par des décors toujours simples et judicieux, une cohérence permanente des coloris (verts, bruns, bleus et rouges) maintenant une sorte de "ligne claire" qui sert continuellement l'intrigue et qui la met au premier plan.
Les cadrages et les effets, soignés et élégants, préfèrent semblablement la discrétion à une esbrouffe hors de propos ...

Et tout est à l'avenant : juste, mesuré et idéalement adapté, qu'il s'agisse de la partition mélancolique d'Ennio Morricone, de la fluidité du montage ou de l'interprétation impeccable (mention +++ à Fabio Testi et aux adolescentes).
La suggestion s'impose comme mode d'expression, aussi bien au niveau des détails de l'intrigue (ce livre de cours et ces épingles de couture qui dénoncent finalement les instigateurs du drame, ces messages transmis ou détournés, ces bribes de conversations, de confessions, tout le jeu des fausses pistes ...) que de son traitement (ce chaton blanc abandonné par une victime, les allées et venues permanentes de cette voiture noire, les coups de fils anonymes du tueur, ce modèle nu et spectral, l'environnement détouré et signifiant de la campagne et des rues londoniennes, le grenier labyrinthique et sinistre du professeur Bascombe, la représentation pudique mais glaçante de la mort ...)




Quasi manifeste anti-manièriste, "Mais qu'avez-vous fait à Solange ?" mérite sans aucun doute de figurer au panthéon des gialli.
Effectivement, feignant le classicisme et une sorte d'ordinarité, superbe au demeurant, l'oeuvre séduit d'emblée, elle intrigue et elle trouble.
La violence, davantage figurée mais pourtant distillée tout du long, fait froid dans le dos, insidieuse et moins immédiatement frappante, elle ne se cantonne plus aux habituelles scènes-chocs (ici, ni meurtres "graphiques", ni effusions sanglantes) mais a bel et bien gangrenné toute l'atmosphère d'un verni aussi austère et sourd que dérangeant ; implaccable !


Au sein d'un genre si codofié, rares sont les productions aussi délibérément graves et crédibles ; curieusement, ce parti-pris non fantastique et illusoirement vériste débouche sur une atmosphère générale continuellement mélancolique et mortifère, une sensation d'étouffement et d'insécurité réelle, pour finir sur un constat sans appel : la vie est une douleur, un tissu de mensonges, de leurres et d'injustices ...




1 commentaire:

Anonyme a dit…

this is the way a blog should be! thanks!