






PERVERSION STORY
San Francisco. George Dumurrier, séduisant patron d'une clinique, fuit régulièrement Susan, l'épouse malade qu'il n'aime plus mais qui lui assure sa brillante situation, pour retrouver Jane, une photographe, classiquement lasse de devoir le partager.
Lors d'une escapade au Mexique avec cette dernière, il apprend que sa femme a succcombé à une grave crise d'asthme et qu'elle lui lègue une coquette assurance vie de plus d'1 million de dollars. George est surpris ; il pensait que Susan qui le détestait aurait pris des dispositions pour ne rien lui laisser !
L'héritage attise évidemment la suspicion des assureurs.
Peu de temps après, George est interloqué par sa rencontre avec Monica, une strip-teaseuse, qui s'avère le parfait et troublant sosie de la défunte.
Fasciné, George cherche à en savoir plus ...
Il ne fait que mettre le doigt (?) dans l'engrenage d'une ingénieuse et implaccable machination !
Retrouvailles avec Lucio Fulci ; celui des débuts : brillant, élégant ... méconnaissable!
"Perversion story" révèle, peut-être plus qu'aucune autre des oeuvres du maestro, toute son (étonnante) maitrise de la mise en scène, une classe, une créativité, un sens indéniable du rythme, du cadre et des codes qui feraient presque douter ceux qui ne connaissaient que ses productions gorissimes des années 80 : eh, oui ! le père de "L'Enfer des zombies" est bel et bien également celui de ce thriller racé !

"Perversion story" relève effectivement bien davantage du polar (un polar dont la trame habile et ultra-référentielle demeure somme toute très classique !) que du Giallo pur.
Je l'ai intégré au genre par facilité et par mimétisme (l'oeuvre est régulièrement citée dans les filmographies giallesques).
Ici, nul serial-killer, nul traumatisme, pas plus de coups de lames sanguinolents mais la référence hitchcockienne, incontournable, revisitée d'une façon beaucoup plus "incarnée" (sexuée, vulgaire (?)), plus démonstrative et en même temps "terre à terre" (plus "italienne" en somme !), le piège implaccable dans lequel s'enlise le héro, le trouble, le cynisme, l'instabilité dégagés par les personnages et leurs rapports, tout cela ajouté aux motifs et aux expérimentations formelles de Fulci peuvent ramener au Giallo (qui n'en est, de toutes façons, plus à cela près ! Finalement, beaucoup plus riche et varié qu'il ne pouvait le sembler à première vue ...)

Eminament giallesque aussi, ce mensonge total des apparences.
Et c'est bien de cela qu'il est avant tout question : une femme qui présente le même visage qu'une autre, morte celle-là ; une famille, un cercle, que l'on pensait sûrs, acquis ... et qui révèlent de surprenantes facettes ; une position sociale qui n'empêche nullement la réclusion criminelle ; un cadavre qui n'est peut-être pas celui que l'on croyait ; des photos, des miroirs, des reflets incessants et étonnament révélateurs ... : les apparences et leur insolente et redoutable illusion !



De la même manière, le renvoi explicite au superbe "Vertigo" d' Hitchcock tient lui aussi de la supercherie et de l'illusion : et si, pareillement, sont mis en place la figure du double féminin (une brune et une blonde), la rhétorique du piège et de la machination, jusqu'à San Francisco (cadre photogénique et saturé de symboles des deux films) ..., les aspects fantastiques, romantiques et mortifères du chef-d'oeuvre hitchcockien cèdent ici la place à une inspiration beaucoup plus crue, plus réaliste, plus concise et ludique, plus désabusée aussi.
"Vertigo" invoquait le drame, la passion, la folie alors que Fulci ne parle finalement que d'intérêt, de jalousie, de manipulation pure ... : la petitesse, le matérialisme, la vénalité ont rongé et réduit à néant toute vélléïté de lyrisme ou de tragédie !
Fidèle à ses futures obsessions, le cinéaste introduit déjà en filigrane la notion de décomposition (qu'il explicitera fameusement, au point de s'en faire une sorte de chantre !) : La décomposition des corps (le cadavre de Susan (?) atrocement méconnaissable) ; la décomposition de l'amour (le couple des Dumurrier stigmatisé dans la haine et le rejet ; les aléas et les difficultés de l'adultère (Jane, lasse d'attendre l'hypothétique divorce de George menace de mettre fin à leur relation)) ; la décomposition de la famille et plus largement celle de la société (au sein de laquelle sexe, matérialisme et mensonge paraissent primer !)







Lucio Fulci se démarque totalement des fantômes hitchcockiens en choisissant d'attaquer de front et d'aborder des problématiques similaires beaucoup plus réalistement ; ici la trivialité et la cruauté priment !
La mort est sinistrement détaillée dans ce qu'elle peut avoir de plus révoltant (une dépouille décomposée qui se liquéfie à la morgue ; une éxécution au gaz retranscrite avec une précision quasi-documentaire) et de plus désespérément grotesque (ces tampons de coton qui obstruent les narines du cadavre de Susan ; la double éxécution finale dans le restaurant parisien ...)











Et la sexualité des êtres et des corps est constamment mise en avant, les rapports humains ne souffrant plus aucune pudibonderie et nul romantisme !
La nudité s'affirme même comme une constante (corps nus des modèles de charme, photographies au studio de Jane, hotesses et danseuses girondes et joyeuses du cabaret de strip-tease, numéro évocateur de Monica, (belles) scènes d'amour et de sexe ...) ; une nudité complètement insouciante et décomplexée (mais pas plus innocente pour autant ; bien au contraire !)
C'est que même déshabillés et possiblement vulnérabilisés, les personnages conservent toute leur opacité, toute leur énigme.
En fait, la nudité s'avère une arme, une défense, un masque supplémentaire (Monica en a d'ailleurs fait son "fond de commerce" : curieusement, c'est en se dévêtant que la belle a choisi de se dissimuler !)



Portée par la plastique impeccable des interprêtes (Elsa Martinelli toute en élégance, Marisa Mell en savoureuse vulgarité ...), la sublimation réjouissante des corps distrait volontairement le héro comme le spectateur en recoupant le processus trompeur de l'histoire.
Les "scènes de lit" démontrent habilement les principes mis en place : explicites sans être crues, détaillées sans sombrer dans la vulgarité ou le réalisme hors de propos (et d'époque) d'un film porno, elles feignent d'accueillir le spectateur (voyeur) dans toute leur intimité (la scène d'amour entre George et Jane superbement filmée derrière un drap rouge comme du point de vue du matelas ; l'affrontement torride des deux "rivales" (Monica et Jane) pareillement saisi du dessous ...) alors qu'elles s'expriment d'une manière aussi sophistiquée qu'artificielle (les poses réfléchies et avantageuses, la camera et les cadrages ostentatoires, les lumières et les couleurs ...)
Pour finir, presque oniriques, ces séquences démasquent l'ingéniosité malicieuse du réalisateur qui feint un certain réalisme, une lisibilité et une frontalité apparentes des situations et des images pour mieux tromper son monde.
D'ailleurs, à bien y regarder, tout s'avère en définitive beaucoup plus toc et décalé qu'il n'y semblait : la morgue désabusée et la sensualité mécanique de Monica, la raideur et la discrétion entendue des figures annexes (Henri, le (faux) frère, la soeur de Susan ...), l'opiniâtreté et l'empathie déroutante des assureurs, des policiers et des gardiens de prison ...
La focalisation sur des détails (un flacon de remède, des entrelacs d'écritures, des photos, des coups de fil plus ou moins énigmatiques, une enveloppe pleine de billets de banque, un attaché-case ou un moulage dentaire ...)séme gentiment la confusion, brassant l'important et l'accessoire, avançant des thèses et des allusions qui seront méthodiquement déconstruites, détournant l'attention des enjeux véritables ...
Et les décors, eux aussi, affectent une sorte de distance et d'étrangeté (ce cabaret plein de baudruches multicolores où les hotesses seulement habillées de bijoux dansent sur les tables ou font de la balançoire ; la prison et cette chambre à gaz pareille à un sous-marin ; le côté très "Roger Hart", très "au théatre ce soir" de l'appartement de Monica ; le studio photographique de Jane aux cloisons d'images ; les intérieurs cossus et symétriques de la demeure des Dumurrier (ce décor sera d'ailleurs également exploité par Dario Argento dans son thrilleresque "Chat à 9 queues")...)
San Francisco, admirablement saisi par le cinéaste, se révèle tour à tour familier, pimpant, ouvert (ces points de vue sur la ville et sur la baie) et parfois plus intrigant, plus personnel et plus surprenant. Habile, la peinture de la ville parait épouser le cheminement psychologique du héro, se faisant de plus en plus étrangère, ordinaire, pluvieuse, distante ...
C'est que tout est reflet !
Les miroirs,les surfaces, les vitrages renvoient continuellement les personnages à leur image (celle qu'ils refusent de considérer !) et à leurs mensonges (l'adultère de George, la fausse identité de Monica, le faux cadavre de Susan ...)
A ce titre, Fulci, joueur, désigne continuellement l'aveuglement de son (piètre) héro (lorsque Susan, morte sur son lit, est refletée dans une glace ronde, son image savamment déformée peut d'ors et déjà confirmer qu'il ne s'agit pas d'elle !)
Semblablement, la récurrence des appareils photo et des clichés marque toute la difficulté à saisir la vérité des choses et des êtres, n'en figeant décidément que les apparences (mais c'est cependant par le biais d'une photographie (l'infirmière de Susan était également modèle de charme) que l'enquête (et l'intrigue) rebondiront ...)
Jean Sorel sert ici idéalement l'aspect falot et foncièrement creux de son personnage : guère plus sympathique que les autres (son mariage d'intéret lui aura assuré sa position sociale), George est stigmatisé dès le départ dans le mensonge ordinaire de son existence puérile (il trompe sa femme et n'hésite pas à faire de la publicité mensongère afin de redorer le blason de sa clinique sur le déclin) ; il ignore encore que les autres, son entourage, sa famille, le surpassent totalement en la matière ! Ses petites entorses à la morale et la banalité "bourgeoise" de ses trahisons déboucheront sur le cauchemard d'un traquenard organisé, sur une machination impeccablement huilée qui le laissera sans voix ni recours !
Après tout, on peut penser qu'il l'avait bien mérité ... ; la conclusion conventionnelle choisit pourtant de l'épargner ...
Fulci n'en rajoute cependant pas trop et refuse même de nous restituer directement les faits ; c'est un journaliste qui rapporte le dénouement (heureux ?).
Mais la dernière image que le spectateur aura conservé de George, héro sans gloire de cette histoire assez cynique, restera celle d'un condamné sanglé sur la chaise de son éxécution : le message est éloquent, même survivant George est (symboliquement) mort ! Et il n'y a pas de place à l'écran pour une victoire aussi peu reluisante !
L'élaboration quasi-millimètrée de cette machination qui n'a rien laissé au hasard ("La Machination" était par ailleurs le titre choisi par les exploitants français) se répercute dans la géométrie, la symétrie et la précision des cadres et des plans.
Par deux fois, Fulci a recours au split-screen ; l'image multipliée renvoie à ce côté "pop" et très ancré dans son époque (l'aube des années 70) de l'ésthétique globale du film, mais, au-delà de leurs aspects purement "décoratifs", les deux séquences entérinent l'idée du complot et son élaboration toute mathématique.
Semblablement, la notion du double s'épanouit dans la répétition plus ou moins perceptible du chiffre 2 : deux femmes trop ressemblantes, deux frères, deux adultères (Henri était depuis longtemps l'amant de Susan !), deux photographes, deux "visages" (blonde ou brune (Susan/Monica) ; mannequin de charme ou infirmière (Elisabeth O'Neil)), deux examens sur un cadavre (sanguin puis dentaire), deux scènes "d'amour", deux split-screens, un double meurtre (passionnel !) à Paris et un manteau réversible (deux côtés : un rouge et un blanc) ...
L'intrigue bien menée (le suspens final jouant sur un découpage et une restitution non chronologique des faits (liés au décalage horaire ?)) souffre néanmoins de quelques invraisemblances ; cela ne l'empêche nullement de fonctionner ...
On s'étonne tout de même (rétrospectivement) que George n'ait pas reconnu et démasqué son épouse (qui se cachait en fait derrière de simples artifices : une perruque blonde et des lentilles de contact colorées !) et qu'il ait gobé si aisément la comédie de sa mort, de la même façon que l'on ne comprend guère son absence de réactions et son abdication face aux aveus enorgueillis de son infâme frangin ...
Pas bien grave !
Racé, léger, toujours superbe, ce "Perversion story" (qui n'a, cela dit, rien de véritablement pervers ...) dépasse les modestes prétentions d'un simple exercice de style "à la manière de" pour affirmer tout le talent, la malice et l'aisance de son réalisateur.
Kitsch, savoureuse et gentiment ammorale (dommage que la conclusion flirte avec un happy end obligatoire !), l'oeuvre révèle toute sa véritable subversivité en se payant le culot de tabler sur un héro qu'elle malmène et méprise tout du long.
L'archétypale suprématie des mâles en prend pour son grade ! Bien fait !
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