Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 1 septembre 2008

Il était une fois (6) : Le Voleur de Bagdad






LE VOLEUR DE BAGDAD






Ahmad, jeune calife de Bagdad, se retrouve victime d'une machination : son grand vizir, Jaffar, réussit à usurper le trône et le fait jeter en prison.
C'est là qu'Ahmad fait la connaissance d'Abu, un petit voleur plein de ressource.
Evadés grâce à l'astuce du jeune garçon, les deux amis gagnent la cité de Bassora ; Ahmad s'y éprend de la fille du sultan.
Hélas ! Le destin fait que la jeune femme s'avère promise à Jaffar le félon !
Ce traitre est également magicien : il se débarrasse une nouvelle fois d'Ahmad en le rendant aveugle et transforme Abu en chien !
Mais l'amour et le courage auront finalement raison des sortilèges.
Un génie monstrueux, trois voeux exaucés, une pierre sacrée dans laquelle on peut tout voir, un tapis volant, un arc magique et la bravoure et la fidélité d'Abu, le petit voleur de Bagdad, se feront les alliés de la victoire finale du Bien sur le Mal ...





Producteur aussi opiniâtre qu'aventureux, Alexander Korda est l'homme à la genèse de ce projet mémorable.
Débutée en 1938, l'oeuvre ne sera achevée que pour les fêtes de la fin de l'année 1941 !
Entre temps, bien des changements, des revirements, des contretemps ... et l'arrivée de la 2ème guerre mondiale !




Ordinairement (et justement) attribué au divin Michael Powell ("Le Narcisse noir", "Les Chaussons rouges", "Les Contes d'Hoffmann", "Le Voyeur" ...), "Le Voleur de Bagdad" est la résultante du travail d'une poignée de réalisateurs.
Originellement prévu, Ludwig Berger ne possédait ni la maitrise ni le talent nécessaires ; Powell fut donc recruté pour lui succéder, secondé par Tim Whelan pour certaines scènes d'action.
Commencé en Grande-Bretagne, le film fut finalement terminé aux Etats-Unis par Alexander Korda lui-même (aidé de son frère Zoltan). William Cameron Menzies participa lui aussi au tournage ...

Korda avait négocié les droits de la version plus ancienne de ce conte des Mille et unes nuits, celle de Douglas Fairbanks ; au final, deux films et deux adaptations foncièrement différentes, celle-ci supplantant totalement son aïeule.




"Le Voleur de Bagdad" évoque toute la magie, le professionalisme et l'enchantement d'un certain "age d'or" du cinéma.
Européenne, cette superproduction n'a cependant rien à envier à ses consoeurs américaines : intrigue mèlant aventure, rebondissements, merveilleux et romanesque ; photographie et couleurs chatoyantes ; décors et direction artistique inspirés ; effêts spéciaux bluffants à l'époque, d'une poésie infinie aujourd'hui ...
Bref, un bijou !

Et plus que tout, c'est l'inimitable "patte" de Michael Powell qui ressort ; ce sens inégalable de la couleur, la stylisation et l'élégance visionnaires et toujours mémorables de sa mise en scène ...
Comment oublier la beauté touchante des images, les minarets bleus de Bagdad, son port animé et multicolore, les intérieurs ajourés de la demeure de Halima où sommeille une princesse, ce cortège royal interdit aux regards, le jardin assoupi et romantique de la fille du sultan, l'automate meurtrière ou le temple sacré sur les toits du monde ... ?



Le scénario réorchestre différents thèmes empruntés aux contes orientaux pour une fantaisie riche en péripéties.
Les motifs du génie "domestiqué", du jeune héro transformé en chien, celui de l'usurpation du califat ou cet autre d'une princesse que nul ne doit apercevoir sous peine de mort, tout comme ceux du cheval et du tapis volant ou encore du travestissement en garçon de la belle fuyarde ..., sortent tout droit des récits des Mille et unes nuits (Abu évoque d'ailleurs directement Sinbad le marin !)

La kitscherie somptueuse égrenne les clichés d'un Orient fantasmé, diapré de couleurs, parsemé de voilages, de marbres et d'arabesques, de belles alanguies, de monstres, de statues et de turbans ...

La distribution internationale associe l'altier Conradt Veidt (et les souvenirs de l'expressionniste "Cabinet du Docteur Caligari") à la photogénie juvénile de Sabu (le protégé de Korda et de Powell), au savoureux Rex Ingram (le génie) et à un John Justin (Ahmad), un brin compassé ...
Les figurants, parfois saisis d'un oeil quasi documentariste (les scènes du port), apportent une touche toute humaniste, émouvante ou humoristique aux belles séquences d'extérieur.



Pléonastique aux enjeux et aux outils cinématographiques, le motif de la Vue soutend toute l'oeuvre. Michael Powell s'en servira exemplairement dans toutes ses créations, jusqu'au "clou final" du "Voyeur", comme un véritable testament.

Voir ou ne pas voir ; l'oeil s'impose dès le départ.



Cet oeil peint sur la coque du fringant navire de Jaffar donne le ton d'emblée ...


Voir son peuple de près.
La curiosité d'Ahmad lui sera fatale ; déguisé en voyageur et mèlé à la foule, le calife ne pourra plus réintégrer le palais !



Voir une princesse trop belle malgré les dangers et l'interdiction (personne ne doit voir la fille du sultan avant son mariage !) ; la voir ... et en tomber follement amoureux ! La punition, là encore, se révèlera à la mesure de l'affront : Ahmad sera réduit à la cécité par son ennemi et rival.


Voir dans une pierre précieuse sacrée comme dans une boule de cristal ; cette pierre rouge, telle un 3ème oeil sur le front d'une idole gigantesque.


Et la caméra de souligner en gros plans réguliers le regard hypnotique et glacial de Jaffar, celui amoureux et rêveur d'Ahmad, le regard facétieux et brillant d'Abu, fixe et ensorcelé de la princesse ...

Ici donc, plus qu'un corps, le personnage s'avère effectivement avant tout un regard et des yeux !
Les décors et les costumes se faisant continuellement les instruments et les ornements de tous ces regards ; les permettant, les soulignant, les compliquant sans cesse ... Voiles des femmes, moustiquaires et drapés des couches, baldaquins et chaises à porteurs dont on soulève les rideaux ... , cloisons de bois ajourées, persiennes et volets, lucarnes et jalousies ...

Voir sans être vu. Voir par magie et par le biais de médias occultes, boule de cristal ou pierrerie fantastique ...

Voir sans plus voir ; être aveugle ou aveuglé, hypnotisé ou ensorcelé par le parfum néfaste de la rose bleue de l'oubli ...

De la même manière, on se cache ou ne montre, érotisme suprême, que l'essentiel et le minimum : là encore ses yeux émergeant des voiles et des turbans ...



Et les apparences, une nouvelle fois, se révèlent évidemment mensongères et trompeuses :
Jaffar, le vizir dévoué, s'avère un traitre ! Maltraitant et terrorisant le peuple au nom (usurpé) de son maitre et n'hésitant pas à fomenter un piège qui le débarrassera de celui-ci, il réussit à prendre sa place. Plus loin, le même Jaffar se fait passer pour un médecin capable de guérir la cécité d'Ahmad afin d'amener la princesse sur son bateau et de l'enlever ...



De son côté, Ahmad, puissant (?) calife, empreinte l'apparence d'un étranger de passage à Bagdad afin de se fondre dans la foule et de sonder son peuple incognito ; la fille du sultan prend son reflet pour un génie aquatique et séduisant ; il deviendra ensuite un fugitif et un mendiant hadicappé ...

Abu, jeune voleur, révèlera toute la richesse, la bienvaillance et la grandeur de sa personnalité ; et, contre toute attente, c'est lui, le petit voyou, le véritable héro de l'histoire. Jaffar le métamorphosera auparavant en un jeune chien ...
La princesse prend les habits et l'apparence d'un homme pour fuir le palais familial et une union qu'elle ne désire pas ; les statues s'animent ; d'une bouteille insignifiante rejetée par la mer surgit un génie gigantesque ! ...
Les êtres et les choses ne sont jamais exactement ce qu'ils semblent à priori.

Dans cet univers fantasmagorique et artificiel, dans ce monde tout de carton-pâte, de mate-painting et d'illusion, tout est factice et donc potentiellement trompeur !
Mensonges et manipulations, tours et ensorcelements, servent d'incessants traquenards.


C'est Jaffar qui persuade le calife de se mèler à la foule de ses sujets afin de le chasser du palais (et du trône !) ; c'est encore lui qui utilise Halima pour attirer Ahmad, le seul capable de réveiller la princesse. Jaffar hypnotise et trompe la fille du sultan, réussissant presque à lui faire oublier celui qu'elle aime et il jette le puéril souverain de Bassora dans les bras d'un automate programmé pour tuer !


Plus innocemment, Abu, lui aussi, se révèle expert en tromperie et en astuces : il distrait ses geoliers pour mieux leur dérober leurs clés, roule les marchands dans la farine pour mieux les voler ; il joue de la bêtise et de l'orgueil du génie qui voulait l'écraser afin de le pousser à rentrer à nouveau dans sa bouteille, parvenant en fin de compte à obtenir ses services ...



Et au piège des cachots succèdent les pièges des intérieurs et des palais, au cadeau empoisonné d'une poupée assassine répondent les passages secrets périlleux que renferme l'effigie géante qui trône dans le temple de l'aurore, aux filets d'une immense toile d'araignée correspondent les liens qui entravent les amoureux, Ahmad écartelé face à sa princesse ficelée comme dans un cocon ...


Et l'histoire se fait quête.
Quête de connaissance, d'amour et de rédemption.
L'intrigue sert le parcours, le murissement, l'apprentissage de la vie et la découverte de soi de ses héros.
Quête d'une vérité, d'une réalité, altèrée et parasitée par tous les artifices et les figures imposées du conte comme par ceux du cinéma : dans cet univers aussi conditionné que référentiel, menteur et fantasmatique, le héro met toute une histoire à se révèler à soi-même !
Au final, une prophétie s'est réalisée ; la recherche est momentanément suspendue, résolue.
Le libérateur, issu des plus humbles, a surgi du ciel et a rétabli l'ordre et l'harmonie.
Le peuple a trouvé son sauveur, Ahmad la connaissance et l'amour et Abu la reconnaissance et la vraie liberté ...

Et qui dit conte, dit merveilleux et féérie.
La magie règne en maitresse.
Magie d'un exotisme onirique, aussi idéalisé qu'artificiel, d'un orientalisme hyperstylisé ...
Fraicheur surannée d'un cinéma d'un autre age ...
Magie permanente des ressorts et des arguments :
le palais aux 40 000 jouets et sa collection d'automates ; le cheval enchanté galopant dans les airs ;


Les tours et les maléfices de Jaffar ; le génie fabuleux et ses pouvoirs extraordinaires ;



Ce mystérieux temple de l'aurore érigé sur les plus hauts sommets ; le tapis volant ; l'oeil qui voit tout ; la rose de l'oubli et l'arc de vérité ... autant de vecteurs et d'instruments du merveilleux dont les noms, seuls, évoquent immédiatement le rêve et les enchantements !

Les créatures exacerbent encore la magie du récit :
Statue d'argent, belle et effrayante, comme une idole hindoue à six bras. Elle étreint le vieux sultan et le poignarde d'une grande épingle ...

Araignée et pieuvres gigantesques et monstrueuses. Djinn titanesque aux oreilles et aux ongles pointus ; coursier précieux, remonté et animé à grand tours de clé ; tribus verdâtres et poltronnes ; marionnettes liliputiennes ; enfant-chien ; courtisanes ; sorcier et ancètres sages et bienvaillants ...






Et peut-être encore plus mystérieuse et fantastique que tout le reste, la mer se fait l'élément-clé de l'oeuvre. Célébrée par les chants des marins dès l'ouverture du film, elle symbolise tour à tour aventure, rêve, projets et échappatoires, périls et surprises ...
Abu rêve de rejoindre les plus célèbres équipages pour une vie de découvertes ; Jaffar peut déclencher tempêtes et naufrages ...
Et les bassins des jardins royaux, mouchetés de nénuphars, renvoient les reflets de jeunes amoureux, alors que, dans les profondeurs liquides d'une statue colossale s'agitent de funestes tentacules ...

Et le film joue sur l'homonymie de son héro : voleur et volant, chapardeur et "aérien" ... ; le verbe "voler" se trouvant décliné dans tous ses aspects ! Effectivement, Abu est non seulement "le voleur de Bagdad" du titre, mais il passe une bonne partie de l'intrigue dans les airs, accroché à la chevelure d'un génie ou juché sur un tapis volant, propulsé dans une dimension divine chez les sages qui régissent l'équilibre du monde, suspendu à des cordes ou à une immense toile d'araignée ...
Lorsqu'il ne vole pas, Abu grimpe sans cesse. Pour se sauver, échapper à ses poursuivants, pour se cacher, pour s'emparer de quelque chose ...
Le héro est continuellement figuré en ascension. La symbolique de cette élévation concerne également la psychologie et la progression sociale du personnage qui, de simple et misérable petit voleur, deviendra le sauveur de Bagdad et se verra même proposer son gouvernement...

Abu incarne avant tout la liberté ; une liberté rayonnante, décomplexée et chevillée au corps, qui vaut à elle seule toutes les richesses. Une liberté perpétuellement renvoyée par le systématisme de ces motifs aériens ...


Et, comme contaminée par la dynamique de son héro, l'oeuvre conjugue sans cesse les motifs de l'envol ou de l'ascension :
Ahmad, habitué à voir les choses "d'en haut", du haut des remparts étouffants de son palais, apprendra très vite lui aussi à grimper partout, escaladant les murailles, se perchant dans les arbres, se dissimulant sur les toits pour apercevoir la princesse ... ; le cheval fabuleux, offert par Jaffar au sultan de Bassora, possède le pouvoir exceptionnel de fouler et de traverser les nuées et l'oeil magique d'une statue ne se trouvera qu'à l'intérieur d'un temple perché au sommet de la plus haute des montagnes ...

Et qu'est ce qui élève, qui grandit, qui transporte plus que tout ?
L'amour, l'amitié et le don de soi.
En ceci, la fable rejoint le moralisme et le manicchéisme des contes.
Si Ahmad, si vainement riche et puissant au départ, s'émancipe, s'évade et découvre la liberté et les réalités de la vie grâce à Abu, Abu, de son côté, apprend d'autres valeurs, la loyauté et l'esprit de sacrifice, par l'intermédiaire de son nouvel ami ...
Chacun s'épanouit finalement au contact de l'autre.


Abu, prêt à tout pour le bonheur de son compagnon, réussit même à museler ses propres intérets pour servir fidèlement Ahmad ; le petit voleur ira jusqu'à renoncer à ses rêves et à de palpitantes navigations ; il fera constamment preuve de bravoure et de désintéressement ...


Mais, lorsque Ahmad titille sa jalousie et sa possessivité en persistant à ne penser qu'à celle qu'il aime, le gamin, excèdé, provoque malgré lui leur séparation. Le sous-texte homosexuel n'ira bien entendu pas plus loin, et le final réunira heureusement les deux amis : Ahmad, comblé et entouré de ses deux amours, ne verra cependant pas ses fantasmes de ménage à trois se concrétiser ; Abu s'enfuira sur son tapis volant ...



Amusant de décrypter l'apparente naïveté d'un trait faussement puéril et bien moins léger qu'il n'y paraissait !
Sans cesse, le film oppose d'ailleurs malgré lui l'amour "conventionnel" et consensensuel d'Ahmad et de la fille du sultan à des allusions éminament plus sensuelles et plus inattendues !
La thématique exprimant la relation du jeune calife avec sa princesse tient continuellement du fantasme, du rêve, d'une sorte d'irréalité :
Ahmad s'éprend d'une femme qu'il ne peut pas voir (il outrepasse la défense de la regarder, puis, plus loin, ne réussit à l'éveiller de son sommeil enchanté que parce qu'il est aveugle !)
La jeune femme, de son côté, a vraisemblablement beaucoup de mal à croire à cet amant : elle le prend, au début de leur rencontre, pour un être magique et immatériel (un génie !) et elle se laisse finalement bien facilement hypnotiser et abuser par l'infâme Jaffar ... (on peut même pousser encore plus loin l'argument : tout, de son sommeil magique à sa fuite déguisée en garçon, de son entourage exclusivement féminin (et possiblement saphique !) à sa capacité d'oubli et à ce choix d'un amour toujours empèché et quasi impossible, clame sa peur d'un engagement véritable (et des hommes ! ?))


Et cet amour en technicolor adopte les clichés les plus attendus et les plus désuets, nimbant les regards mouillés de ses interprètes d'éclats vaporeux, lachant ses violons, ses déclarations absurdement lyriques et ses poses théatralisées de roman-photo ...


A côté de ces conventions (de ces simagrées ?), vibre une sensualité nettement plus nourrie et sentie : celle de ces odalisques accueillant et entourant Ahmad dans la belle demeure de Halima, celle de ce dernier jouet absolument fatal (une idole argentée à la peau bleue, aux bras multipliés et aux caresses inoubliablement subtiles (jusqu'à la mort !)), celle d'une vie sans entraves aux côtés d'un jeune et beau compagnon ... !

Ainsi, à l'enfermement et à la raideur ennuyeuse des obligations, des conventions et des "figures imposées", "Le Voleur de Bagdad" confronte une réalité éperdument plus surprenante, plus décalée, plus épicurienne et ludique ! Le jeu des comédiens, souvent outré et schématique, résonne et se répercute dans les jeux d'une intrigue rebondissante, dans les motifs de ce palais plein de jouets, dans ceux de ces automates fantastiques, de ces voyages et de ces défis. Après tout, et au cinéma plus que jamais et qu'ailleurs, la vie n'est qu'un jeu ! C'est aussi cela que le voleur enseigne au jeune calife : jouer et jouir ... Aux statuaires funestes, aux créatures extraordinaires (et irréelles ?), aux rictus et aux poses grandiloquentes du méchant vizir, à toutes ces figures quasi abstraites, le film oppose l'humanité, la vérité, la sensualité (au sens littéral du terme) d'Abu : manger, voler, nager, aimer ... vivre !

Esthétiquement, l'oeuvre demeure de toute beauté. Michael Powell exacerbera encore davantage son art étonnant des couleurs, des cadres et des volumes dans ses productions suivantes (le magnifique "Narcisse noir" !), mais, "Le Voleur de Bagdad" s'avère d'ors et déjà un vrai régal !


Les tons rouges et bleus, roses, verts ou orangés se marient dans d'audacieuses et chaudes combinaisons : marbres et nuits bleutés de Bagdad, murailles roses de Bassora, verts sourds des passages secrets et des corniches serpentines révèlées dans les intérieurs inquiétants d'une idole sacrée, coloris artificiels d'un jardin défendu qui évoluent avec l'humeur de la princesse, orangés, bleus et roses surprenants d'un campement irréel ....

Les décors, semblablement, exaltent toujours le merveilleux du propos avec une efficacité, une stylisation et un sens de l'économie d'une élégance et d'une maitrise confondantes ! Rarement surchargés et toujours très lisibles, les cadres privilégient l'harmonie et la mise en valeur des géométries, des motifs et des couleurs.


Les palais sont vastes ; leurs intérieurs architecturés de colonnades, de voutes, de piliers majestueux ou de courbes gracieuses, sans cesse réhaussés d'ouvertures, de cloisons ajourées comme des résilles, ne croulent jamais sous l'accumulation des accessoires. Les lignes sont pures et déliées. Aux séquences d'éxtérieur riches en détails et en ornements, la direction artistique oppose le calme et la sobriété des chambres, des jardins et des appartements ...


Le vide et le plein, le grand et le petit se confrontent ainsi continuellement : à l'agitation du port succède l'intimité lascive de la maison de l'énigmatique Halima, au remue-ménage précédant le passage de la princesse de Bassora succède la torpeur un brin étouffante de son jardin ; les rues et les interpellations animées de Bagdad laissent la place à un rivage nu et abandonné, les extravagances architecturales d'un temple boudhiste débouchent sur l'immensité vide et rocailleuse d'un désert ...


Pareillement, l'espace et le gigantisme des halls et des terrasses, des nuées et des paysages constamment parcourus et survolés, répondent à l'enfermement des cachots, des navires et des alcoves ; le géant surgissant de sa bouteille contraste avec ces figurines minuscules que le sultan fait s'animer devant Jaffar. Abu, toujours affamé, se régale de saucisses installé sur l'impressionante paume du génie et le temple de l'Aurore (et ses gardiens aux tailles de puces) affecte toute sa réalité de maquette et les dimensions d'une maison de poupées ...



Salué (et récompensé d'un oscar !) pour ses effêts spéciaux et ses trucages, "Le Voleur de Bagdad" joue continuellement des caches, des surimpressions et des incrustations d'images. Bien entendu, l'artifice paraîtrait presque maladroit aujourd'hui ; les envols de génie, de tapis ou de chevaux semblent bien approximatifs lorsque les images de synthèse permettent tous les délires ! Bien sûr, ce géant planant dans les airs ou cette araignée toc et statique évoquent les limites techniques de l'époque (le film date tout de même du début des années 40 !), montrant bien tout le chemin et le progrès parcourus ... ; il n'en dégagent pas moins une poésie, une fraicheur et une naïveté qui ne dénotent en rien et contribuent même totalement à la magie touchante de l'ensemble.

Renvoyant au processus gigogne des contes dans le conte, ravivant là encore un procédé des "Mille et unes nuits", le découpage et le scénario jouent sur les flash-back et les appartés. Volontairement non chronologique, la trame préfère la surprise et les retours à une paresseuse linéairalité ; pareillement, elle ménage des zones d'ombre et des non-dits, ne montrant pas, par exemple, comment la princesse s'est retrouvée brusquement plongée dans un sommeil enchanté, ne détaillant pas davantage les tribulations d'Ahmad et Abu désormais mendiant et chien ni ce qu'il advint du royaume de Bassora après le meurtre de son sultan ...


Efficace et gentiment désuette, la musique signée Miklos Rozsa sert l'oeuvre avec une belle efficacité. Tour à tour arabisante, romantique ou purement descriptive, ponctuée d'hymnes et de chansons (l'air enlevé du jeune héro), elle s'avère en fin de compte harmonieuse et plutôt agréable (parfois tout de même presque "too much" (le chant des marins sur le port et ses aspects d'opérette pompeuse !))

"Le Voleur de Bagdad" demeure aujourd'hui encore la référence indétrônable de la fantaisie orientale et un must indémodable du Merveilleux à l'écran. Kitsch et rafraichissante, joyeuse et positive, l'oeuvre se redécouvre avec des yeux d'enfant.

Ni mièvre, ni violent, jamais gratuit ni complaisant, ce petit chef-d'oeuvre témoigne du savoir faire d'un cinéma exigeant et généreux, d'une époque où les effêts (et les effêts spéciaux) ne passaient pas au premier plan, primant presque actuellement sur l'ésthétique ou sur l'intrigue, où les prises de vues et le montage ne s'obligeaient pas à l'agitation et à l'exagération systématique pour surprendre à tout prix !

Hymne à la liberté, à la découverte, à l'ouverture et au plaisir, "Le Voleur de Bagdad" réussit à rendre attachants ses héros symboliques et peut se targuer de sa réussite, réunissant et satisfaisant tous les publics sans restriction ! Son histoire bien balancée, ses couleurs chatoyantes, son intelligente et illusoire simplicité, l'harmonie de tous ses éléments ajoutée à la classe et à la subtilité de sa mise en scène, s'impriment à jamais dans la mémoire.Un fleuron du cinéma à grand spectacle !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

I'm glad you said that!?