Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

mercredi 3 septembre 2008

Il était une fois (9) : Legend




LEGEND


Darkness, le seigneur des ombres, envoie ses kobolds dans la forêt ; leur mission consiste à éliminer les deux licornes qui préservent depuis toujours l'équilibre entre le Bien et le Mal.
Les manigances des gnomes portent presque leurs fruits : l'un des animaux a la corne tranchée figeant soudainement le monde dans un hiver de bien mauvais augure !
Jack, le garçon sauvage, et Lili, la princesse, aidés des lutins et des fées de la forêt, vont tout faire pour empêcher l'anéantissement de la deuxième licorne qui entrainerait l'avènement du Mal.
Hélas, la créature est capturée et Lili, elle-même, se retrouve sous le joug de Darkness.
Les ténèbres règneront-elles sur le monde ?


L'occasion de reluquer les cuisses de Tom Cruise émoustillerait-elle votre curiosité ?
Les démons cornus, les licornes et les elfes participent-ils à vos rêves ?
Si vous avez répondu par l'affirmative, "Legend" est pour vous !
Monument kitsch et rutilant, cette oeuvre toute en style s'ouvre, se déroule et se visionne comme un somptueux livre d'images.
Futile et sérieux, ouvertement artificiel, tout à la fois programmé et étonnant, raide et sincère, sérieux et poseur, le film marie le chromo à l'inventivité, un mauvais gout frôlant la perfection à un sens aigu de l'effêt, du détail et de la belle image qui sombre parfois dans la joliesse, la complaisance ou une certaine vulgarité, tout en demeurant cependant constamment spectaculaire.

Jusqu'au bout, le conte est ici assumé dans sa lecture la plus littérale, la plus frontale, la plus respectueusement attendue : les lutins ont les oreilles et les chaussons pointus, les princesses une gestuelle disneyesque, la forêt est merveilleuse, le Mal rouge, musculeux, cornu et aussi monstrueux que fascinant, l'enluminure est surchargée, les images et les décors presque saturés ...

L'artificialité du propos (une légende regroupant les thèmes et les personnages récurrents de la féérie) est servie par l'artificialité irréprochable de la mise en scène ; les clichés narratifs débouchent sur de délicieux clichés visuels.

Ainsi, la référence "littéraire", cet hommage aux mythes et légendes européens, se traduit et s'épanouit dans des renvois directs aux maitres de l'illustration (Arthur Rackham ; Kay Nielsen ...) ou de l'Art (le Symbolisme) et dans des rappels aux chef-d'oeuvre de l'animation cinématographique ("Blanche-Neige" (le miroir, les nains, la forêt, le sommeil ensorcelé de la princesse ...), "Fantasia" (Darkness tel une adaptation du monstre mémorable d' "Une Nuit sur le Mont chauve") ...)

L'histoire s'octroie des allusions à Peter Pan comme à La Belle et la Bête, aux légendes moyen-ageuses et aux mythes grecs comme aux contes de Grimm ; le traitement renvoie parfois à Disney, à Jean Cocteau (la traversée du miroir !), mais surtout à Ridley Scott lui-même (les pilliers énormes et les licornes sont des emprunts directs à "Blade Runner" ; les sculptures et les matières brillantes et organiques du monde des Ténèbres ravivent le souvenir d' "Alien" ...)

La musique, elle aussi, superbe et inspirée (l'une des partitions les plus mémorables de Jerry Goldsmith), rappelle parfois le chromatisme ornementé de Maurice Ravel ("Daphnis et Chloé" notamment).



Ultraréférentielle, l'oeuvre se pose donc pour son réalisateur comme une sorte d'exercice de style ; après le Fantastique et la Science-Fiction, le cinéaste s'essaie ici à l'Héroic-Fantasy et à la féérie ; aussi professionnellement que magnifiquement !

Bien sûr, on peut reprocher à "Legend" sa préciosité, son côté folklorique et kitschissime, son aspect consensuel et figé et l'abstraction finale de ses ornements et de ses artifices ; la générosité feinte par l'emphase éblouissante de la mise en scène émeut l'oeil bien plus que le coeur ou que l'esprit : pas d'empathie ni d'identification, les archétypes et les mécanismes manquent de corps et d'originalité !
Le film n'en demeure pas moins splendide et réussi ; en tous les cas, l'une des visions les plus abouties et les plus marquantes du conte à l'écran.


Bases d'une intrigue ouvertement symbolique et manichéenne, le Bien et le Mal s'expriment et s'affrontent dans des oppositions constantes :
Noir et Blanc, Lumière et Obscurité, Jour et Nuit, Beauté et Laideur, Eté et Hiver, Candeur et Monstruosité ... ; les thématiques ne cessent de décliner ad libitum l'affrontement initial.


Le luxuriant jardin d'Eden où s'ébattent Lili et Jack va se retrouver figé sous la neige et les vents de tempête ; Aux arbres vigoureux et constamment bruissants va succéder l'énorme et infernale souche qui tient lieu de palais à Darkness ; La forêt pleine d'animaux et de fleurs sera remplacée par un labyrinthe de gigantesques piliers ; Lili, elle-même, tout d'abord blanche, rieuse, pimpante et solaire, deviendra noire, anguleuse, sombre et presque androgyne ...


Du côté du Bien : couleurs, chaleur, gaieté, abondance, une Nature épanouie, harmonie et insouciance ...
Du côté du Mal : laideur, difformité, soif de pouvoir, désolation, monstres et dévoration ...

L'Equilibre qui régit le monde et les deux partis s'avère menacé dès la première scène.
Garantes de cet équilibre, deux licornes blanches excitent la curiosité et la convoitise !


L'Equilibre, selon Ridley Scott, n'est nullement question de mesure !
Dans l'un et l'autre des deux camps, la profusion est de mise ; profusion de plantes, d'êtres et de vie au départ, profusion de menaces, de totems, de sculptures géantes, de barrières et de pièges dans l'antre de Darkness ...

En même temps, l'un et l'autre des deux adversaires, chacun des deux mondes (la forêt de Jack, l'arbre maudit de Darkness) recèlent d'étonnantes et sourdes similitudes :
les cornes frontales des licornes se retrouvent dans celles, énormes et noires, du prince des Ténèbres ; les nains et les lutins de la forêt se font le pendant bienfaisant des gnomes et des kobolds ; les ruisseaux et le bassin féériques se muent en un marais putride et dangereux ; sous les racines des arbres bienvaillants se cachent des trésors fabuleux et ancestraux, là où le Grand arbre maléfique ne couve que des cachots infernaux ...


Et finalement, rien n'est aussi attendu qu'il n'y paraitrait !
Le Bien révèle en catimini des aspects surprenants :
Lili couve des regards ambigus et mauvais ; elle défie Jack et va au devant des licornes au mépris de tout respect et de toute prudence !
On peut même se demander si elle n'a pas consciemment provoqué le désastre (après tout, elle a permis aux kobolds de neutraliser puis de capturer les cavale sacrées !) ; Gump et le peuple des nains sont tout d'abord désignés d'une manière hostile et inquiétante ; Oona, la fée, se révèle pleine de jalousie et de manigances ...
Les "gentils" ont leur part de noirceur !


De la même manière, le Mal affecte quelques défaillances :
Meg, la sorcière aquatique, s'avère d'une coqueterie ridicule (et fatale !) ; l'un des serviteurs de Darkness, faux kobold mais vrai lutin, essaie un vain attentat avant de révéler son vrai visage et de rejoindre pour finir le camps de la Lumière ; Darkness, lui-même, laisse poindre un romantisme et une vulnérabilité inattendus ...

Malgré tout, c'est bel et bien le Mal qui est à l'origine de tous les maux et les mésaventures :
les Ténèbres rêvent d'envahir et de contrôler le monde, outrepassant l'ordre des choses.
Et, tout allant dans le même sens, c'est bien de dépassement qu'il est continuellement question.
La prolifération exubérante et extraordinaire des signes, des symboles et des accessoires, les excès démesurés des décors et des images ..., tout signifiait d'emblée l'orientation choisie.

Ainsi, la répétition des épreuves rythme à intervalles réguliers la progression de l'intrigue et la progression de ses héros.
Tout comme dans un jeu vidéo, tout fonctionne par palliers :
Lili met Jack au défi de récupérer la bague qu'elle a jeté dans la source ; Gump le contraint ensuite à résoudre une énigme ; le jeune homme doit combattre et éliminer Meg, la sorcière gluante et cannibale qui hante les marais, avant l'affrontement ultime avec Darkness et toutes ses créatures.



Pour Lili, les épreuves se révèlent plus psychologiques (mais non moins terribles pour autant !) : la princesse n'a pas su dépasser sa curiosité et son mépris des règles (elle a enfreint les lois et approché (et touché !) les licornes interdites !) ; elle est submergée par la culpabilité.
Cette faille, exploitée par Darkness, la poussera à sombrer du "côté obscur" ; Lili devra lutter pour ne pas se laisser complètement contaminer par le Mal ...
Jalons progressifs d'un parcours initiatique, toutes ces épreuves poussent les héros dans leurs retranchements, les obligeant à affronter des situations et des ennemis cauchemardesques.
L'irréalité du contexte appuie encore le fonds des choses :
au bout du compte, l'onirisme et la féérie dissimulent mal la vérité qui se révèle à Jack comme à Lili ; l'ennemi véritable, c'est soi même et le but ultime du parcours et du combat résulte dans la découverte de soi et dans l'acceptation et l'harmonisation de sa bonne et de sa mauvaise part ...
Le jour n'est rien sans la nuit, le noir sans le blanc ...
Comme Darkness, revanchard, le lance à Jack avant de disparaitre : " Je fais partie de toi, tu ne peux pas m'éliminer ; nous sommes liés comme deux frères !"
La sentence sonne comme une malédiction rappelant les sublimes images de cette séquence dans laquelle Lili, séduite par les Ténèbres, danse avec la moitié sombre d'elle-même, avec cette robe qui la transformera ...


Et plus que tout, "Legend" s'affirme comme un décor.
En effêt, rien ne prime ici davantage que ces tableaux minutieusement concoctés, rien ne supplante cette forêt merveilleuse si ce n'est l'antre saisissante de Darkness ...
Ni l'action (plutôt languide !) ni l'intrigue (simplissime et redondante) ne requièrent autant de soins et d'attentions que ces décors exploités, explorés, étudiés et fouillés jusque dans leurs tréfonds !
Vivants et perpétuellement mobiles et animés (l'air saturé de pollens, de pétales, de paillettes et de bulles ; ce fauteuil maléfique et ces textures gonflées de reflets et de mouvements insidieux et reptiliens chez Darkness ...), les décors se font les échos et le prolongement des êtres qui les traversent, feignant de les humaniser.
Plus même ! : les décors se font personnages à part entière !
Jamais forêt n'a été aussi fantastique, aussi photogénique, aussi grandiose ! Plus vraie que nature (et cependant totalement artificielle et reconstituée en studios), idéale et vraiment féérique, elle parait figée dans une générosité et une magnificence presque suspectes !

Pareillement, le gigantisme et la fascinante beauté des architectures maléfiques, cette surcharge impressionnante des ornements et des sculptures dantesques, demeure inoubliable.
La mort et la désolation sont toutes empapillotées d'ors, d'atours monstrueux, de souffles, de vapeurs et de sinistres phosphorescences. Les meubles, les décorations, les accessoires se révèlent proportionnellement adaptés à l'envergure du prince de la nuit, immenses, énormes ...
Les tables sans fin croulent sous les avalanches rutilantes des mets et des boissons ; les statues se massent partout le long des murs, des portes et des plafonds ; des feux d'enfer incendient continuellement les âtres béants ... Tout est luisant, poussiéreux, ensablé et comme poudré d'or ; tout semble saisi dans une gangue, couvert d'une pellicule scintillante et mauvaise.
Démoniaquement beau !


Face à cette vénéneuse splendeur, la nature se fait l'écrin luxuriant de la Lumière.
La forêt, ivre de vie, ressemble à un paradis originel, sauvage, épanoui, innocent et naïf où plantes, hommes et animaux vivent en sympathie.
Les fleurs, les feuillages et les herbes hautes tressautent sous la brise ; les frondaisons jouent avec le soleil vif ; les oiseaux, les ours, les renards ... affectent une tranquilité docile ; un ruisseau délicat sourd entre les lys, les myosotis et les ombelles, un ruisseau dont la source creuse un bassin précieux au coeur humide et trop fleuri du bois ...

Et cette forêt enchanteresse abrite de pittoresques créatures aux faciès de jouets, des nains rubiconds, des lutins pointus et des fées clochettes ...


Mais, plus mémorable encore, c'est la course des saisons qui, en l'espace de quelques minutes, filent de la fin du printemps aux rigueurs les plus extrêmes de l'hiver !
L'obscurité gangrenne la lumière, le Mal s'insinue avec ces changements brutaux.
Le décor somptueux se transforme et subit tous les outrages dans une débauche saisissante d'effêts.
En un instant, le ciel s'assombrit, les nuages roulent, un vent de tempête malmène les crinières des arbres ... L'eau de la source gèle et se fige, les nuées charrient des pluies de pétales roses et saignants ... Et quand Jack parvient enfin à briser la surface glacée du bassin dont il explorait les profondeurs et à s'en extraire, la forêt est méconnaissable, blanche et givrée d'argent et de blizzards, engloutie sous la neige !
Le spectacle est rare et remarquable !

Le déchainement des éléments et de la Nature correspondant à la lutte et à l'éxécution de la première licorne, la splendeur hyperstylisée des images, le montage habile et la bande-son réhaussée par des choeurs dramatiques ..., tout s'exalte pour s'abandonner finalement à la nouvelle réalité de cet hiver terriblement fantastique.

Et à l'instar de ces belles images de Lili, affolée et perdue, courant hors d'haleine dans les paysages enneigés, les personnages "habitent" et vivent ces décors grandioses et hors normes, l'environnement révélant ici des résonnances et des correspondances étroites et très particulières, sensibles, viscérales, avec les êtres qui l'animent.

Justement, de quels personnages s'agit-il ?
Un jeune garçon sauvage, libre et innocent, amené malgré lui à devenir héro et vainqueur.

Une princesse finaude et curieuse, un chouia capricieuse aussi, et plus fragile et ambigue qu'il n'y paraissait.

Un monstre rouge, cornu, sexy et terrifiant ; une sorte de superbe et diabolique Minotaure aux ambitions néfastes et demesurées.

Un lutin acide aux faciès d'enfant et au regard pénétrant.
Une fée diaphane, blonde, blanche et scintillante qui révélera un caractère ombrageux.


Deux nains clownesques et trois gobelins hideux aux figures bestiales et stupides.

Des archétypes et des symboles dont les préoccupations incroyables et manichéennes n'excluent cependant pas l'humour, les caprices et les travers de tempéraments très humains.
Bien sûr, le contexte ne se prète guère à la psychologie et Tom Cruise manque d'éloquence et de charisme en dehors de sa frimousse ici encore juvénile ; bien sûr, forcément schématique, ces héros souffrent de la raideur et du côté premier degré du conte ; les dialogues parfois sentencieux et presque risibles, ne s'octroient aucune irrévérence ni aucun décalage ...
Davantage "visuels" que véritablement incarnés, les protagonistes servent ici le propos dans un travail d'acteur qui tient plus de la pantomime que de la performance.



Du coups, les héros véritables s'affirmeraient plutôt du côté des "méchants".
Darkness (incarné par un Tim Cury méconnaissable (la vedette culte du "Rocky Horror Picture show", plus que jamais travestie et étonnante, campe ici l'un des plus inoubliables monstres du 7ème art !)
Et, retrouvant la dualité permanente des thèmes et des motifs, les personnages fonctionnent souvent par paire (le héro et sa princesse ; les deux nains ; Darkness et Jack ; Darkness et son père ; les deux licornes, bien sûr ; le couple de villageois ; Gump et Oona ...)

Fidèle aux clichés du Merveilleux, Ridley Scott déploie l'attirail obligatoire des symboles et des objets magiques :
une bague (à la pierre moitié transparente et moitié noire marquant elle aussi la dualité de l'Univers) qui devra être retrouvée par le prétendant de Lili ; une corne magique ; une armure, un bouclier et une épée mythiques ; ce fauteuil maléfique, gonflé de respirations et de mouvements sournois dont le père énigmatique et démoniaque de Darkness semble faire partie intégrante ; ce globe mesureur de temps de Gump ; cette robe maudite et ensorcelée dans les bras de laquelle Lili s'abandonne ; ce grand miroir dont Darkness surgit (comme Alice ou Orphée) tel un nouveau et terrifiant reflet.


Et à cette plongée dans l'univers des légendes correspond le motif effectif de la plongée (sauts et plongeons de Jack dans la source ; chute des héros dans les souterrains et les prisons du Grand arbre ; plongée dans une crevasse infernale pour le faux kobold rebelle (une momie s'anime et l'entraine dans les profondeurs de la terre) ...) et son prolongement dans la figure répétée du sommeil (sommeil pétrifié de la nourrice de Lili (et de sa famille) ; évanouissements de Jack, de Timbré (qui se croit mortellement touché par une flèche) et de Lili face à l'apparition de Darkness ; sommeil de mort de la licorne ; sommeil enchanté de Lili ...)

Le thème classique du piège s'épanouit dans des digressions inattendues :
la nourriture est souvent associée à la contamination, à la faute et au traquenard (Lili dérobe des gateaux à sa nourrice, gateaux qu'elle offre à Jack (pour mieux le manipuler et l'utiliser ?) ; Darkness propose des boissons et des mets à Lili, mais on comprend bien qu'il s'agit de la corrompre totalement ...)
Et toutes les allusions à des repas, à des plats et à l'alimentation ont des connotations infernales ou antropophages pour culminer dans l'épisode dantesque des cuisines de Darkness.

Et pareillement, la voix, ces répercutions et ces échos caverneux dans le repaire des Ténèbres, les chants (de sirène) faussement candides de Lili, le timbre abyssal et hypnotique de Darkness, ces mugissements de cétacés émis par les licornes ...., sèment souvent le trouble, l'ambiguité et l'inquiétude.
Au final, la Lumière, mourrante, renait néanmoins.


Elle reprend sa place en se réverbérant de point en point, de surfaces réfléchissantes en grandes assiettes de métal brillantes, traçant un chemin victorieux jusqu'à Darkness et le précipitant dans un abime qui l'engloutit.

Il ne reste plus à Jack qu'à retrouver la bague de Lili et à la lui passer au doigt dans un baiser d'amour, remportant ainsi la toute dernière épreuve.
La princesse s'éveille alors : "J'ai fait un rêve terrible !" confie-t-elle, encore secouée par toutes ses mésaventures.
Tout est effectivement tel qu'au début ; c'est comme si rien ne s'était jamais passé !
Sauf que les héros ont muri d'un coups, perdant en chemin un peu de leur innocence ...
"J'ai appris quelque chose sur moi-même !" avouera et explicitera encore la princesse.
Et passant à son tour sa bague au doigt de son ami et s'offrant ainsi symboliquement à lui (comme elle le lie à elle !), elle scelle par ce geste et par leurs baisers une union qui n'a désormais plus rien d'enfantin !
Les deux licornes sont saines et sauves, la forêt belle et paisible ; le cauchemard est terminé (?) ; la vie commence !


"Legend" ne remporta pas à sa sortie les suffrages et le succès escomptés.
La faute peut-être à une production, une fois de plus fort mal inspirée, qui imposa à Ridley Scott des remaniements et plusieurs versions de l'oeuvre :
celle concoctée pour les Etats-Unis, tronquée, coupée, remontée et batarde, dotée d'une bande originale différente (et composée par le groupe Tangerine Dream) ; la version européenne, à peu près telle que l'avait envisagée son réalisateur ; une autre encore, pourvue de quelques ajouts plus ou moins pertinents et judicieux et enfin, le remaniement "director's cut" effectué sur le tard (à l'occasion d'une réédition DVD) et qui s'avère sûrement le plus heureux et le plus parlant de tous ces montages.
En dehors des accidents et des travers qui perturbèrent la réalisation du film (dont l'incendie du plateau le plus vaste et la destruction du décor de la forêt !), "Legend" ne concrétisa pas le happy end de son intrigue !
Avec le temps, l'oeuvre rassembla néanmoins un bon succès d'estime ...
Dommage !

Témoignage éclatant de la maitrise et de l'art de l'image indiscutable de son metteur en scène, artificiel et précieux objet proche de l'affèterie, "Legend" envoute malgré tout, en dépit de son manque cruel de simplicité et de d'humanité ...
La débauche de style n'empêche effectivement ni la sécheresse ni les regrets d'une vraie générosité ! Hélas !
Pourtant, inquiétude et ambiguité éraflent régulièrement l'apparente mollesse du récit :
Par le biais de plans aussi superbes qu'énigmatiques (l'étrange et inquiétante présence paternelle chez Darkness ; la rencontre des licornes ...) Ridley Scott dévie tout de même un peu de ses poseuses programmations. Un détail, un regard, la part d'ombre de ses charmantes "poupées", la fascination exercée par son splendide "méchant" ... pimentent heureusement la fadeur et la morne simplicité de son histoire.
Rétrospectivement, la conclusion va même jusqu'à sous-entendre que tout n'était peut-être qu'un cauchemard, une illusion ...
Les mythes et les vestiges ancestraux des légendes dorment sous terre, au creux des racines des arbres centenaires ; les énigmes, les monstres et les enchantements n'ont plus de réalité ... ; la seule ombre véritable couve en soi, au fond d'une personnalité complexe qui sent poindre les lachetés et les contradictions du monde réel et des accomodements, des réajustements constants de l'age adulte !
Au final, Jack et Lili se séparent (pour mieux se retrouver le lendemain et tous les jours suivants pour de nouvelles leçons sur eux-même !), filant chacun dans une direction opposée, quittant l'artificialité plus que jamais soulignée du décor pour retrouver l'ordinaire de leur vie.
Le soleil couchant tel un chromo volontairement toc, marque une dernière fois la disparition de leur innocence ...

Splendide objet filmique trop souvent zappé de la filmographie inégale de Ridley Scott, "Legend" mérite largement le détour et une juste réhabilitation au palmarès des contes cinématographiques.
Amateurs de merveilleux, d'icônes féériques et d'images (trop) lèchées, régalez-vous !


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