Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

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mercredi 3 septembre 2008

Il était une fois (8) : Excalibur




EXCALIBUR



Les temps anciens et légendaires.
Arthur, le fils caché d'Uther Pendragon, réussit à extraire Excalibur, l'épée sacrée, de la roche où elle était plantée. Devenu roi, il rétablit l'unité et l'harmonie secondé par Merlin l'enchanteur.Une table ronde dans la grande salle d'un chateau tout d'or et d'argent autour de laquelle des chevaliers preux et fidèles scellent l'équilibre d'une mythique fraternité, parachève la cohésion de l'empire celtique.
Cependant, la passion coupable et insurmontable qui ronge Guenièvre, la reine, et Lancelot, le plus proche des vainqueurs du roi, sèmera les prémices de la discorde.
La quête d'un Graal éminament symbolique éteindra-t-elle les menaces, les intrigues et les machinations qui gangrenent le royaume ou sonnera-t-elle la fin d'Arthur et d'une époque totalement révolue ?



Des cycles légendaires des chevaliers de la table ronde et de leur adaptation cinématographique, on se remémore l'évocation holywoodienne : Robert Taylor, Ava Gardner, un technicolor éclatant, des créneaux au cordeau, des bannières sans faux plis, un côté lumineux et délicieusement propret, lisse et suranné ; l'image d'Epinal à la sauce américaine !

En 1981, John Boorman propose sa relecture des mythes anglo-saxons ; une vision éminemment plus sauvage, plus habitée, pleine de style et de fureur ... L'adaptation, habile et resserrée, centrée sur la figure d'Arthur et basée sur les écrits de Thomas Mallory, propose un regard à la fois humaniste, philosophique et symbolique sur la légende. Boorman lui restitue toute son essence celte, cette dimension mystique et barbare, religieuse et païenne tout à la fois, fantastique et réaliste, merveilleuse et cruelle ...

La cohérence est le maitre mot.
Clarté d'une intrigue pourtant foisonnante et complexe que le cinéaste parvient à simplifier, à unifier, à épurer vers l'essentiel ; cohérence totale de la forme avec le fonds ; cohérence d'un ton et d'une inspiration forcément excessifs et flamboyants et constamment superbes, en dépit d'un budget limité...

Et le cycle arthurien, puisqu'on le nomme ainsi, déploie effectivement ses boucles, déroulées sans temps mort du début à la fin - naissance, essor et déclin participant d'un grand tout amené à se répercuter, à se redéfinir inépuisablement. Les moulinets de l'épée traversant les airs, le cercle de la table emblématique, elle-même décorée d'anneaux entrelacés ... ; cercles des chevaliers, des clairières et des enchantements ; cercles des coupes, des familles et des généalogies ; boucle bouclée d'un destin mythique ...


Et aucun personnage ne manque à l'appel : Merlin, Uther, Guenièvre et Lancelot, Gauvain et Perceval, Morgane, Mordred ...

Intelligent, inspiré et servi par la fine fleur des acteurs britanniques, le scénario réussit à rendre humaines et attachantes toutes ces figures légendaires : Merlin possède l'humour et l'avance de sa spiritualité (dans tous les sens du terme !), Arthur, la vulnérabilité, la candeur et la terrible solitude des vrais héros ; Guenièvre présente ce mélange de douceur et de passion nécessairement complexe, Lancelot le charisme et l'humilité de ses embarrassants avantages ; Morgane se fait la sensualité et le venin incarnés ...

Le récit prend sa source dans un univers médiéval pétri de magie, de superstitions et d'enchantements, un monde dont les divinités multiples et ancestrales participent d'une Nature toute puissante, essentielle et omniprésente.
Les lacs et les eaux révèlent de belles dames, scintillantes gardiennes d'épées sacrées ou dernières compagnes du repos des guerriers morts ; les souterrains des chateaux abritent des cavernes multicolores où l'on peut lire le passé comme l'avenir dans les reflets de grands cristaux ; un homme est capable de chevaucher sur un brouillard magique et de prendre l'apparence d'un rival ; les sonorités guturales d'un puissant sortilège permettent l'impossible : élever une citadelle toute d'or et d'argent, invoquer le feu, l'eau ou la brume, rester jeune à jamais ou flétrir dans l'instant ...


Mais ce monde sauvage et merveilleux voit se ternir son éclat et s'émousser ses pouvoirs : les hommes assoiffés de puissance, de maitrise et d'absolu, êtres matérialistes et vaniteux, s'opposent de plus en plus fermement à l'anarchie et à l'irrationnalité des anciennes traditions. Lorsque Arthur épouse Guenièvre, c'est sous l'effigie bleutée d'un christ médiéval et suivant la liturgie d'un prêtre chrétien. En retrait de la cérémonie, Merlin et Morgane conversent. L'enchanteur déplore la prise de pouvoir de ce nouveau dieu au détriment des antiques puissances, prédisant déjà la fin de l' époque à laquelle il participe !

Le monde des hommes dénigre et gangrenne les réalités parallèles ; sa croyance égocentrique en son propre pouvoir, sa folie des grandeurs, sa rationnalité et l'intéret et la matérialité de ses aspirations, cela ajouté à la canalisation monotéïste et bien pensante d'un christianisme dépourvu de fantaisie vont ronger et anéantir la part vive et encore visible du merveilleux et de l'imaginaire. Le monde des hommes ensevelit celui des dieux comme le dieu nouveau prend la place des divinités ancestrales.
Si Uther, le père d'Arthur, croyait et servait ces entités premières, c'était davantage par souci égoïste et pour servir ses propres intérets ; et lorsque Arthur, frappé par la trahison des deux êtres les plus chers à son coeur (sa femme et son ami le plus admiré) perdra toute confiance et qu'il ne croira plus en rien, la magie disparaitra elle aussi et Merlin n'aura plus qu'à se laisser possèder et enfermer par Morgane. C'est la foi des hommes qui matérialise et qui concrétise le merveilleux ; sans elle, plus que néant et désolation !

Ainsi la part mystique de la légende est-elle ici continuellement exhaltée. Et cette quête d'un Graal de plus en plus utopique s'avère finalement toute symbolique : cette coupe, ce signe, ne représente pas tant l'intrigante preuve du miracle d'une incertaine passion christique que, surtout, le moyen, l'image, le vecteur du retour de la foi du roi Arthur ; cette foi en l'harmonie et en la cohésion de l'homme avec son environnement, cette foi en la vaillance et la fidélité de ses chevaliers, cette foi en soi -même ...

Et la coupe irradiante du Graal ramène inmanquablement à la coupe de vin de Lancelot toujours fidèlement remplie en dépit de son absence, à une fraternité perdue, à un équilibre rompu ... jusqu'au sursaut ultime !

"Excalibur" interprète intelligemment la complexité et le mysticisme de ses sources. Les symboles prévalent sur les explications et sur une imagerie féérique ; la stylisation et la violence l'emportent sur l'enluminure et le folklore ...

Ainsi l'épée se fait-elle le témoin et l'écho perpétuel du monde et des forces divines, magiques, qui régissent l'univers ; un lien, une passerelle ...
C'est Excalibur qui choisit Arthur (comme elle avait autrefois abandonné son père) et c'est elle qui le guide et l'épaule constamment.
Lorsqu'il l'invoque à tort pour vaincre Lancelot, l'épée se brise ; lorsqu'il l'abandonne plantée entre les deux amants qui l'ont trahi, il perd en même temps la foi ; quand il va mourir, la dame du lac est là pour la récupérer ...
Boorman concède une figuration littérale à cette fée des eaux blonde et blanche, au gantelet pailleté, mais c'est l'une des rares occasions où le merveilleux joue ainsi du cliché ; l'image (réitérée) est de toutes façons envoutante. Cette main argentée pointant de la surface des eaux en brandissant l'épée est désormais indissociable de l'oeuvre.

Et le dragon autrefois dompté par Merlin n'est pas mis en scène sous l'aspect reptilien d'une créature de blockbuster ; le dragon n'est autre que la terre, cet univers que l'enchanteur maitrise et comprend et qu'il peut contrôler et utiliser à loisir ...

D'ailleurs, le baton de Merlin se révèle orné de deux dragons d'argent et le parc et les remparts de Camelot sont pareillement flanqués de statues d'or à l'effigie de ce symbole fondateur. Quand la terre tremble ou fume, on parle de la colère et du souffle de la bête, et les combats vaillamment menés par les chevaliers et les soldats ne les confrontent pas à des monstres mythologiques mais représentent plutôt la volonté acharnée d'une harmonie et d'une unification, l'adversaire le plus redoutable s'avèrant finalement intime : la part enfouie, sombre et trompeuse des hommes, de ses proches et de soi-même !

Cercles, voiles et filets, pierre et feu, verts et ors ... , la dimension fantastique s'épanouit dans la célébration exacerbée des éléments, des couleurs, des textures et des formes, privilégiant la sauvagerie, la théatralité spectaculaire des cadrages et des décors et un certain "naturalisme" constamment magnifié par les éclats et les contrastes éblouissants des teintes et des lumières aux effêts spéciaux et aux ressorts trop pittoresques des clichés de l'Héroïc-Fantasy. Le conte s'inscrit en parabole et Boorman désire lui conférer une dimension résolument humaine. La magie s'incarne par la grâce, le choc et le lyrisme des icônes que le réalisateur a su recréer, par la beauté et la permanence d'une nature continuellement magnifiée, par le mélange épique et métaphysique de son inspiration, par l'adéquate et grandiose utilisation des oeuvres musicales de Wagner et de Carl Orff en contrepoint sonore ...

Et le plus pertinent, le plus fidèle symbole de cette magie, c'est Merlin en personne ! Dès les premières images, sa silhouette d'ors et déjà identifiable et familière se matérialise sur fonds de brouillards orangés ... ; son grand baton, sa cape sombre mi-guenille, mi-parure, son fin casque argenté et son faciès intelligent lui donnent l'allure attendue d'un mage, d'un pellerin, d'un ermite, sauvage autant que racé, plein de noblesse et en même temps simple, proche et paternel ... Merlin se fait l'observateur, le médium, le complice et la marque des bouleversements et du cours de l'histoire, la part originelle et irrationnelle du monde ...

Et l'oeuvre l'opposera à Morgane, sa propre Némésis. Défenseur et cofondateur de l'unité, l'enchanteur nourrira en cette magicienne l'indispensable versant sombre des forces primales. La magie sauvage de l'univers pouvant être utilisée à bon comme à mauvais escient, Morgane, rancunière, vengeresse et pleine de vanité, ne songera à exercer ses pouvoirs que pour détruire ce qui avait été construit, pour faire payer la mort de son père et le viol de sa mère et pour placer Mordred, le rejeton taré issu de son union incestueuse avec Arthur sur le trône de Camelot.

Merlin agit pour les hommes. Morgane ne songe jamais qu'à satisfaire son ivresse de pouvoir et de vengeance. Et là encore les oppositions alimentent les symboles et les répercutions :
Morgane contre Merlin, Le Mal et le Bien, l'orgueil et la fatuité d'une ère nouvelle, plus noire, plus nombriliste et plus revendicatrice aussi face à l'endormissement et à l'oubli des représentants des anciens ages ...

Et pareillement les nobles valeurs de la Chevalerie, ses rites, sa beauté, son code d'honneur, sa "noblesse" ... contrastent avec la barbarie, la brutalité et la violence dont elle se fait le bras armé ! Les combats sont mortels, les blessures profondes ; les membres et les têtes sautent, les haches, les lances et les massues cabossent et percent à grand vacarme les carapaces de métal ; les joutes et les duels perdent rapidement leur prestance, virant au pugilat et à la boucherie ; les armures malcommodes s'avèrent lourdes et étouffantes ; les alliances et les ententes sont souvent brèves et contrariées ... Les chevaliers victorieux après la bataille ou attablés dans l'imposante salle de Camelot, demeurent avant tout des guerriers ; rustres, belliqueux, ivres de vin et de combat ...

Les valeurs chevaleresques sont bien davantage illustrées par le manant que par le duc ou le baron. Il est ainsi amusant de noter que le réalisateur choisit de représenter tout d'abord ses deux personnages les plus héroïques et les plus nobles, Arthur et Perceval, comme les plus éloignés, à priori, de leur destinée (un innocent écuyer et un vagabond désireux de prouver sa bravoure !) ; l'un et l'autre se retrouveront adoubés non par la grâce de leurs titres mais par la seule démonstration de leur indiscutable grandeur.


Au final et de toutes façons, bien peu de place pour la délicatesse ou pour le chromo plein de superbe ! Du sang, des cris, des massacres et des trahisons ...

Le morceau de bravoure attendu du combat pour l'honneur de Guenièvre s'avère lui-même bien peu reluisant ! Les deux jouteurs épuisés et ensanglantés, peinant au final à soulever leurs armes, inspirent la pitié plus que l'admiration ...

Lancelot se détache néanmoins du lot ; évidemment, son statut de demi-dieu (dans la légende, il est le fils de la dame du lac) y est pour beaucoup ; sa force surhumaine, sa droiture, sa modestie et l'exemplarité de son attitude (y compris dans son amour interdit pour la reine) le figent comme le héro typique : trop parfait, trop beau, trop accompli et évidemment solitaire ...

Et à l'amour courtois, l'oeuvre préfère distiller les vénéneuses senteurs d'une passion incontrôlable ou celles d'un érotisme nettement plus explicite !
Uther prend le visage du duc de Cornouailles pour satisfaire son désir de la belle Ygraine ; elle a dansé plus que suggestivement devant lui , Merlin a éloigné son mari et fait en sorte de donner au roi l'apparence physique de celui-ci ... ; Uther ne se donne même pas la peine de se dévêtir, il se jette sur la duchesse et la possède frénétiquement ...
Plus loin, Morgane affichera continuellement sa lascivité de sorcière et, de la même manière, elle prendra magiquement l'aspect de Guenièvre pour abuser d'Arthur (son demi-frère) et pour se faire engrosser !
Si les hommes se révèlent bien souvent enclins à la rudesse, à la brutalité et à la boisson, les femmes s'avèrent dominées par leur sensualité ! Ainsi, c'est Guenièvre qui succombera la première à son amour maudit et qui ira retrouver Lancelot dans la forêt (pour le pervertir !)

L'humanité s'affirme donc une fois encore comme entachée de défauts et foncièrement imparfaite :
Uther Pendragon est bouffi de suffisance, violent et capricieux ; nobles et chevaliers s'avèrent presque systématiquement pleins de préjugés, d'entêtement, d'un esprit étroit, rétrograde et influençable ...

Arthur lui-même ne réfléchit bien souvent qu' après avoir agit et ne tient jamais compte des prédictions et des mises en garde de Merlin ; lors de sa rencontre avec Lancelot, il se laisse aveugler par la vanité, ne remportant au final leur combat que très déloyalement ! De plus, son sens trop raide des responsabilités, et le sérieux avec lequel il envisage son rôle et sa mission, le déshumanisent finissant par l'éloigner de son épouse ... Exigeant avec soi-même, Arthur a du mal à concevoir la faiblesse des autres ; ayant tout donné et constamment porté et nourri ce qui a créé l'harmonie tant attendue, le roi s'écroule à bout de forces lorsque soudain tout se délite !
Boorman montre bien l'irrémédiabilité du destin et la fragilité et la fugacité de l'équilibre de toutes choses.
La "trahison" de Guenièvre et Lancelot, tout comme cette abdication d'Arthur, sont traitées avec sensibilité et nuance, humanisant là encore la relecture du mythe.



Et la nature se fait perpétuellement le prolongement et l'écho des êtres et de leurs agissements. Incandescente et ténébreuse sous le règne d'Uther Pendragon ; verte, lumineuse et printanière lors de l'exploit et du sacre du jeune Arthur ; magique, insolente et ensoleillée durant son règne ; sombre, hostile et désolée lorsqu'il perd pied ; crépusculaire et théatralisée à sa mort ...


Forêts mouillées de ruisseaux et de torrents, clairières, vallons, lacs, falaises érigées de dolmens, rivages embrumés, arbres dans lesquels on dort, on s'aime ou l'on meurt ...

Les sous-bois luxuriants se font l'écrin magnifique de la passion charnelle de Lancelot et de Guenièvre comme ils avaient été auparavant le décor rutilant du mariage de la reine et d'Arthur ; le désarroi du héro semble avoir tout figé dans un hiver rude et stérile, mais quand revient le dernier sursaut, Boorman fait galoper ses chevaliers au rythme assorti du réveil de la nature, sous une pluie de pétales et de bourgeons éclos ...

La terre fondamentale, cette terre disputée, convoitée, divisée, unifiée enfin, belle, insolente et sauvage, exacerbe son immanence, engloutissant l'épée, fumant et tremblant, se conjugant en cavernes, en grottes, en bourbiers ...
Et l'eau sourd et court sans cesse telle une vie sauvage et magique, souvent pleine de mystère et de merveilles, constamment liée à la lutte et à la mort (douves des chateaux, cours boueux où l'on est supplicié, lacs et cascades au bord desquels on combat, noyade révélatrice de Perceval, bains ensorcelés de Mordred, rivages brumeux du chateau de Cornouailles, nef mortuaire d'Arthur ...)

Miroirs et reflets des paysages et des saisons mais également répercutions, répétitions et parallèles établis par le cinéaste dans sa mise en scène.
Le brouillard trompeur qui contribuera au début du film à servir les manigances d'Uther (et la conception d'Arthur !) se redéploiera à la fin pour le dernier challenge (et la mort de celui-ci) ;
A la danse envoutante et plus que suggestive d'Ygraine, répondra un peu plus loin, celle plus innocente de Guenièvre : dans les deux cas, le père comme le fils (Uther et Arthur) en seront subjugués ...
La copulation sauvage d'Uther révélera les mêmes conditions magiques et brutales que le "viol" d'Arthur par Morgane ( dans chacune des scènes un être est (physiquement) abusé par des apparences trompeuses ;
Le duel acharné d'Arthur et de Lancelot renvoie à la joute pour l'honneur de Guenièvre (dans l'un et l'autre le mensonge transpire : dans le premier cas, Arthur furieux abuse du pouvoir magique d'Excalibur pour venir à bout de son adversaire imbattable, dans le second, l'enjeu du combat sert à étouffer la culpabilité de la reine (elle n'a pas encore succombé, pourtant son amour pour Lancelot est plus que réel !)) ;
Excalibur plantée dans la roche par un roi moribond sera à nouveau brandie et plantée entre deux amants coupables par son descendant en fin de course ;
Le chateau onirique et son Graal symbolique apparaitront par deux fois (et figurés comme Camelot, le palais d'Arthur lui-même !) ... Cette coupe du Graal était d'ors et déjà annoncée par celle du mariage ou celles des festins de l'union de la table ronde ; elle se retrouvera dans le repaire de Morgane et de son rejeton (ces coupes trompeuses et vraisemblablement droguées) ...


Morgane, enfant déjà particulière et médium, donnera naissance à Mordred, garçonnet blond et maléfique, et le piège de cette sorcière croyant surpasser et éliminer Merlin en l'enfermant dans un cocon de cristal, trouvera sa punition inverse dans l'ultime intervention de l'enchanteur : le sortilège anonné par Morgane (ce charme suprême qui revient en boucle dans le film) lui fera cracher d'interminables fumées et toute son illusoire jeunesse ...

Et les lieux se répondent et se retrouvent : le chateau du Graal n'est autre que Camelot, la grotte fluorescente où Merlin se retrouve emprisonné correspond à l'antre caverneuse dans laquelle Morgane élève son fils, le chateau assiègé de Cornouailles introduit celui du père de Guenièvre, l'intérieur animé de Camelot, plein de marchands, de jongleurs et d'alchimistes rappelle le campement bigarré qui s'étendait autour de la pierre sacrée dans laquelle attendait Excalibur ...

Pour beaucoup de personnages, la rédemption passera par la religion : Guenièvre expiera sa faute en devenant nonne, Lancelot se métamorphosera en un prédicateur hirsute et illuminé et le Graal divin sublimera Perceval et réveillera Arthur .

Cette construction réfléchie et toute en miroir s'appuie sur l'épure et la stylisation de la mise en scène. Le spectacle émane bien davantage des cadres, des paysages, de la magie des teintes et des lumières et de détails ou d'accessoires choisis que d'une représentation démesurée d'armées de figurants et de délires architecturaux. Quelques remparts moyen-ageux, les arches d'antiques dolmens, une forteresse à flanc de falaise et l'environnement photogénique de l'Irlande suffisent à crédibiliser et à magnifier l'argument.

De Camelot on n'aperçoit guère que la verticalité métallique d'immenses murailles ; Merlin finit enchanté au milieu des délires pop d'une caverne toc et multicolore ; les mirages du Graal affectent aujourd'hui une ésthétique presque approximative ... Qu'importe !

L'arbre aux pendus, les apparitions oniriques et ricanantes de Mordred, la caverne -antre de Morgane , son auto-accouchement dépeint comme un (jouissif !) sabbat, les fluorescences plastiques de la grande salle de la table ronde, les intérieurs minéraux et trappus du chateau de Cornouailles, la chevauchée éperdue et romanesque de Guenièvre allant rejoindre son bel amant, la main d'argent de la Dame du lac, le mariage rutilant et sylvestre d'Arthur, la boucherie finale sur fonds de soleil pourpre ... tant de séquences, de détails et d'instants qui s'impriment sur la rétine et dans la mémoire !

Verts, bleus, orangés ... , la gamme chromatique rutile de couleurs encore sublimées par les flous et les scintillements réguliers des éclairages et de la photographie ; la forêt, les armures, les métaux, la nature irradient constamment ...




L'imagerie flirte sans détours avec la brutalité et la rudesse obligées de son inspiration.
La mort, la destruction, le chaos et le sang font partie intrinsèque de l'univers arthurien ; on meurt brutalement, de manière souvent spectaculaire ... ; le Duc de Cornouailles, désarçonné par son cheval effrayé, s'écrase sur des piques ; la quête du Graal réduit les chevaliers à l'état de cadavres ; les arbres croulent sous les dépouilles de pendus joyeusement picorés par les corbeaux ; Morgane et son fils supplicient à tour de bras et Mordred étranglera sans ménagement sa mère devenue vieillarde et misérable avant de s'entretuer consciencieusement avec son père Arthur ....

Mais, si la violence et l'âpreté des caractères et des situations menacent de primer, Boorman réussit cependant à insuffler un humanisme et une sensibilité bienvenus aux schémas quelque peu hiératiques de la légende.
Et l'humour requiert finalement ici toute sa place :
Merlin, mieux que n'importe quel autre personnage, possède le recul nécessaire à cette ironie. Ses savoureux échanges avec Arthur, son regard aussi affectueux que résigné sur l'engeance humaine, sa relation ambigue avec Morgane ...
L'enchanteur ponctue les morceaux d'anthologie de saillies dédramatisantes et joyeuses (parfois même presque trop systématiques et à la limite du procédé et du cabotinage !)

La mise en scène, elle-même, révèle par instant le regard malicieux du réalisateur :
Uther, par exemple, est dépeint sans nuances ; l'oeuvre en fait un despote grotesque.
Et la séquence dans laquelle il possède Ygraine, encore tout armuré, alors que le mari de la belle se fait empaler de toute autre façon, prête à rire de bon coeur.
Morgane, semblablement, est jouée tout en excès, en clichés et en grimaces ... avec bonheur !
Et les rencontres, les premières confrontations des différents protagonistes s'avèrent régulièrement traitées sur un mode humoristique :
Guenièvre aussi décontenancée que séduite en découvrant un Arthur plein de fougue lancé dans le sauvetage du chateau de son père ; Morgane, fillette déjà retorse, narguant Merlin lorsque celui-ci vient récupérer le bébé (son demi-frère) auquel Ygraine a donné naissance ; Arthur, jeune écuyer, vainqueur malgré lui de l'extraction d'Excalibur, suivant un Merlin bien inquiétant et énigmatique dans la forêt ; la rencontre de Lancelot et de Perceval ...
Les acteurs paraissent visiblement prendre plaisir à camper ces illustres figures.
On reconnait certains : Helen Mirren (qui a rarement été aussi ensorcelante (c'est le cas de le dire !)) ; Gabriel Byrne, Liam Neeson, Patrick Stewart ... sans oublier les membres du "clan" Boorman (Katherine, Charley ...)

Indissociable de l'oeuvre, l'illustration musicale permit à l'époque la (re)découverte par le grand public des hymnes wagnériens et des Carmina Burana de Carl Orff, habilement associés aux interventions bien imaginées de Trevor Jones.
"Le Crépuscule des dieux" en fil conducteur, "Tristan et Yseut" pour mieux dépeindre les tourments passionnés de Guenièvre et Lancelot, "Parsifal" lors des apparitions oniriques du Graal, "O Fortuna" pour les chevauchées épiques ...
John Boorman utilise avec brio les somptueux instrumentaux des opéras de Richard Wagner ; la musique magnifie et exacerbe à merveille les éclats inspirés de son livre d'images ...





En conclusion et pour reprendre ce qui a déjà été dit ailleurs, "Excalibur" bien qu'imparfait, bricolé et parfois presque trop grandiloquent, s'affirme comme une belle et mémorable réussite. De toutes manières, cette oeuvre indéniablement sincère demeure infiniment plus humaine, plus touchante, belle et marquante que les beaucoup plus récentes illustrations cinématographiques du genre héroic-fantasy (la trilogie du "Seigneur des anneaux "(pour commencer par le meilleur) ou "Le Roi Arthur" par exemple (voir l'atroce et trop délibérément artificiel "300" !) pour ne citer que ceux-là ...), évidemment plus adulte et autrement plus personnelle ! ...

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