Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 4 août 2008

La Féline : dans les profondeurs du fantasme



LA FELINE



Irena, retrouvée par un frère qu'elle a à peine connu, arrive à la Nouvelle-Orléans.
La jeune femme ne va pas tarder à découvrir qu'ils sont les derniers descendants d'une lignée d'hommes-panthères condamnés à vivre l'amour et leur sexualité de manière incestueuse pour éviter leur transformation en félins mangeurs d'hommes et le massacre de leurs partenaires.
Effectivement, Irena va sentir de déconcertants changements en elle, d'autant qu'elle est tombée amoureuse d'Oliver, le directeur du parc zoologique de la ville.
Tentant de refouler son désir tout en refusant son destin et les assauts de plus en plus pressants de son frère, la Féline pourra-t-elle surmonter les pulsions sauvages de sa monstrueuse réalité ?
L'amour aura-t-il raison de la malédiction ?



Faux remake, cauchemard langoureux et fluorescent, "La Féline" ne conserve guère d'autre véritable lien avec son illustre et superbe homonyme que son argument de base : cette femme-panthère du titre.
Ici, tout s'étale, se montre, s'explique et éclate de couleurs, d'excès et de rutilances.
Clinquant, sensuel, putassier et voyant, ce film de Paul Schrader s'avère l'antithèse de son prédécesseur.

Erotique, sanglante, démonstrative et aussi somptueuse que vulgaire, cette oeuvre se révèle le témoignage inspiré d'une époque (les années 80) dans ce qu'elle pouvait créer de meilleur, une relecture inédite, chic et toc, lascive et poseuse du film d'horreur, une sorte d'Ovni magnifique aussi prétentieux et inutile que finalement inoubliable !
Les puristes ne jurent que par la version initiale, les ombres, la suggestion, les contrastes et l'élégance si efficace de Jacques Tourneur ... ; je préfère nettement les flamboyances de pacotille, les inondations saumonées et citron vert, le sexe omniprésent, la moiteur et la perversion très artificielles de cette nouvelle vision.

Nastassia Kinski a rarement été aussi belle ; et cette production, toute américaine et calibrée qu'elle soit, s'avère justement étonnament différente, bancale : trop peu explicite et trop étrange pour être cataloguée comme franchement érotique, trop lente, trop féminine et décorative pour satisfaire pleinement les fans de film d'horreur ; belle, vaniteuse, creuse et gratuite : un régal !

S'inspirant de la veine des films "de transformation", du loup-garou et de toute une tradition "légendaire" du Fantastique, "La Féline" retrouve la dimension du Conte (pour adultes).

Schrader aurait consulté Dario Argento et revisionné "Suspiria" lors de sa préparation de l'oeuvre ; et, en effêt, les deux films présentent la même subtile (?) alchimie d'horreur et de merveilleux et le même épanouissement délibéré et débridé de la couleur (L'arrivée des deux héroïnes à l'aéroport, la scène de la piscine, l'enfermement et le côté éthéré d'Irena et de Suzy, les femmes panthères contre les sorcières ... : autant de similitudes et de résonnances ...)


Le beau prologue plante le décor et l'origine du mythe : une peuplade d'Afrique, des terres rougeâtres et craquelées, des hommes peints, et le sacrifice d'une vierge, attachée à un arbre et offerte aux félins.
Au matin, la jeune fille saine et sauve est amenée dans l'antre de la bête fauve qui l'a épargnée, adoptée (et engrossée ?).


Vers la fin du film, Irena vivra un rêve la retransportant dans le même décor, auprès de l'arbre immense noyé dans un désert orange, où son frère la présentera à sa famille panthère.


Rêve, fantasmes, onirisme ... mais "La Féline" revendique et exacerbe les aspects sexuels de son intrigue : zoophilie, inceste, sado-masochisme ..., le sexe est forcément bestial et la passion et l'accouplement ne peuvent déboucher que sur le sang, l'horreur, la dévoration.
Car c'est le sexe qui est l'ennui ! C'est lui qui soutend toute la problématique de l'histoire.
Le peuple-panthère ne peut aimer charnellement sans redevenir animal et dévorer ses compagnons ; l'acte physique libère réellement la part sauvage, secrète et primitive, au sens le plus extrême du terme.

Face à ce dilemne, le réalisateur confronte et oppose Paul et Irena, tous deux prisonniers de leur étonnante condition.
Plus agé, pragmatique, plus froid et désespérément cynique, le frère vit sa sexualité de mâle dans l'anonymat, la violence, la honte et le carnage. Les prostituées, les filles légères et écervelées semblent son gibier coutumier ; il dissimule leurs restes dans les caves cauchemardesques de sa demeure comme il cache sa monstruosité derrière la respectable façade d'une mission protestante. Pour lui, pas d'amour, seulement les pulsions de la chair, les élans du sexe ... et les effusions de sang.


Comme l'avaient fait leurs géniteurs, il a enfin retrouvé son alter-ego, la soeur qui pourrait lui garantir une existence moins marginale, un "équilibre" et la perpétuation de leur espèce : il n'y a pas à pinailler, elle sera sa compagne et son amante.

Irena, de son côté, découvre l'amour en même temps que sa terrible destinée. Elle est demeurée vierge et paraît décontenancée par l'éveil perturbant de ses sens.
Romantique, douce et innocente, elle lutte contre son désir tout comme elle se débat contre les pulsions de plus en plus embarrassantes de sa seconde nature.
Epargnant son amant, elle préférera au final la captivité et la triste condition d'une bête de zoo afin de continuer à vivre auprès de celui qu'elle aime.


Toute cette histoire comme un bouillant concentré de désir ; les liens tissés entre les différents personnages s'avèrant essentiellement de l'ordre de l'attraction, de l'attirance sexuelle.
C'est le désir qui meut, anime, amène, complique et dramatise ...
Paul désire Irena qui désire Oliver ...
Alice désire Oliver qui désire Irena ...


Et la chaleur et la moiteur des corps et des peaux nues ravive l'idée, le gout d'un sang brûlant versé d'un coups de griffe et goulument lappé ...
Le désir, le sexe ... et la mort.
Paul "lève" une blonde nunuche dans un cimetière (présage tout indiqué de la destinée de la fille!) ; les scènes "d'amour" (la prostituée, la touriste blonde, les assauts de Paul, la perte de la virginité d'Irena ...) sont toujours chargées d'angoisse, de terreur, et évoluent souvent en scènes de crimes ; Oliver est inconsciemment fasciné par cette part animale, dangereuse et possiblement mortelle d'Irena ....
La chair n'exhulte finalement jamais vraiment que dans ses métamorphoses et ses élans carnivores.


A la nudité des corps, à la trivialité ou la perversité bon-enfant de leurs ébats (le sexe rance, sec et monnayé des prostituées, la fellation entreprise par la blonde, le bondage et les liens sado-maso du final ...) succèdent invariablement leur explosion (la transformation d'Irena) ou leur démembrement.




Aimer c'est soumettre, annihiler, éliminer ou bouffer l'autre.
Et les lits se font les couches mortuaires où les râles se muent en rugissements et en cris d'horreur, où le sang de la défloration inaugure ceux de la dévoration, où s'épanche la part la plus bestiale de l'être.

Et à ses monstres mi-fauves mi-humains, le réalisateur associe des personnages proches des animaux, puisqu'il choisit de planter une partie de l'action dans un grand et beau parc zoologique : Oliver, Alice, bien des protagonistes exercent leur activité en son sein.
Au peuple "magique" des félins sont confrontés des hommes qui fréquentent, soignent et connaissent le monde animal.
Et si Irena se voit rapidement proposer un travail au zoo, elle est néanmoins relèguée à la boutique de souvenirs (il serait immoral, et encore plus absurde, de voir une femme-panthère soigner d'autres animaux !)
Eléphants, singes, pythons, perroquet ... , l'animal soigné et docile mais enfermé et presque domestiqué, d'une certaine façon, contraste avec ces apparitions presque surnaturelles des panthères noires (Paul puis Irena), sauvages, libres, semant le chaos dans la ville, menaçant, attaquant, massacrant et se volatilisant, ne laissant finalement derrière elles que d'étranges flaques gélatineuses.
Aux fauves résignés du zoo, Schrader oppose l'insaisissabilité de ses panthères-sorcières, les bonds, la souplesse, les pouvoirs d'Irena et de son frère, la beauté ensorcelante et les yeux de chat de Nastassia Kinski.


Et les motifs de l'enfermement, ceux des liens et des attaches sont sans cesse évoqués.
Enfermement dans un lieu, une famille, un destin hors du commun et une problématique ; enfermement de ces cages du zoo, de ces chambres où hommes et monstres se retrouvent souvent captifs ; enfermement de cette ile dans le Bayou de Louisiane sur laquelle Oliver a bati son cabanon ; barreaux de la prison où échoue Fumelle ; prison de cette piscine déserte dans laquelle Alice se retrouve à la merci d'Irena ; chaines dans la cave de la demeure des Gallier ; cordes dont Oliver entrave la féline avant de la posséder une dernière fois ; cordages et rubans rouges sang que la peuplade ancienne utilisait pour attacher ses jeunes vierges à l'arbre du sacrifice .


Irena, avant même la conclusion qui la désigne encore superbe et rugissante dans sa cage, est continuellement figurée derrière des lignes et des barreaux plus ou moins symboliques (Grillages, branchages, rambardes, vitrages, parois, ombres ...) : contrepoint visuel de sa condition hybride et maligne et écho révélateur du destin qu'elle se choisira (un enclos dans un zoo !)



Au final, donc, rien que du très classique, même si la dernière scène est toute en demi-teinte : le dilemne vieux comme le monde de l'amour impossible et le choix de la passivité et de la réclusion au lieu des excès et de la mort. Le réalisateur d' "American Gigolo" livre ici une oeuvre faussement amorale ; l'homme et la femme-panthère vivront côte à côte mais ils renieront leurs pulsions. La passion ne mène qu'au refus, à l'abstinence et à l'abnégation. La bête fauve se laisse donc enfermer, choisissant son incarnation animale, autrement dit la moins tentante et, contradictoirement, la moins dangereuse. On peut même supposer qu'Irena ira jusqu'à accepter de laisser son amant vivre sa vie d'homme auprès d'Alice sa semblable. La référence à Dante et à sa Béatrice (statue de Béatrice chez les Gallier, enregistrement des sonnets galants de Dante qu'Oliver se passe en boucle au travail ...) allait dans la même direction : celle d'un amour absolu mais malheureux et d'une femme exceptionnelle, idolâtrée comme une déesse ...

La caution littéraire, la pose artistique (David Bailey à la photographie ; Fernandino Scarfiotti à la déco. ; la permanence ostensible des statues ; les allusions au dessin (le coup de crayon d'Irena) et à la photographie (le "hobby" d'Oliver) ; les références au Surréalisme, au Pop-Art, au Symbolisme et à l'Hyperréalisme américain ...), le choix de la Nouvelle-Orléans pour décor et celui d'acteurs d'origines et de types volontairement européens (Kinski, McDowell) ... gomment l'identité américaine de l'oeuvre et accentuent encore son aspect foncièrement atypique.


De même que le film d'horreur se révèle, avant tout, une histoire d'amour gentiment perverse, l'onirisme, les effêts de style, la lenteur hypnotique des plans et des séquences et le souci constant de l'atmosphère priment sur l'action et les rebondissements ; la belle image, les symboles, tous les ressorts d'un manièrisme abouti, supplantent les scènes-choc et des effêts spéciaux plutôt limités et assez laids.


Côté B.O, Giorgio Moroder (avec lequel Schrader avait déjà travaillé) grave les images léchées et envoutantes de son empreinte reconnaissable. Les harmonies et les rythmes synthétiques nappent les sables orangés, les bayous coassants, les trottoirs bleutés et les ambiances contrastées d'une New-Orleans étrangement vide et irréelle.
Certaines séquences, peut-être les plus marquantes, presque autonomes et comme détachées du reste du film, fonctionnent d'ailleurs comme des sortes de clips envoutants dans lesquels la musique joue un rôle primordial :
La sublime et inquiétante scène où Irena se laisse dominer pour la première fois par l'appel de ses instincts, où sauvage, nue et à l'unisson de la forêt nocturne, elle s'abandonne à son côté félin ... ;
La séquence du rêve, dans laquelle, symboliquement, le couloir d'arrivée de l'aéroport débouche sur le désert africain de ses ancêtres, où elle retrouve son frère défunt et acquiert la révélation de ses origines ...
A chaque fois les artifices magnificents de la mise en scène s'harmonisent idéalement avec une bande-son et une musique également très travaillées.
Ne serait-ce que pour ces sommets de ravissement kitsch, l'oeuvre vaut déjà le détour !


La double personnalité fantastique et terrible de l'héroïne amène en répercution le thème du double (du duo, du couple ...) :
Deux incarnations (humaine et animale) ; deux panthères (Paul puis Irena) ; Oliver est aimé par deux femmes (Alice et Irena) comme Irena se fait l'objet obsédant du désir de deux hommes (Paul et Oliver) ; le couple (celui "exemplaire"et idéalisé des parents des héros, ceux réels ou fantasmés qui se forment ou s'imaginent) se trouvant inévitablement au coeur du dilemne et s'avèrant à la fois le hic et la clé de toute l'histoire ... (dans la chambre d'Irena on peut noter une peinture étrange représentant une créature en pleine phase de transformation, semblable à une paire de siamois tentant de s'entredéchirer : encore une fois deux êtres en un seul !)
Semblablement, les scènes-clé fonctionnent souvent en binôme, par un système d'échos et de redondances :
l'aéroport et l'arrivée d'Irena au début se retrouveront lors de son rêve, signifiant alors son acceptation et la compréhension de cette condition hybride et magique et son retour, non plus auprès d'une famille (l'ouverture du film) mais sur elle-même ; le bras arraché du gardien de zoo, collègue d'Oliver, se répète avec le bras arraché de la fille blonde (mais aussi avec l'atroce révélation de ce bras, agité d'un dernier spasme, surgissant de l'abdomen de la panthère autopsiée (unique vestige de la part humaine de Paul !)) ; à la première scène d'amour entre Oliver et Irena en succèdera une seconde, ultime, décisive et contrôlée où les liens de l'héroïne rappelleront ceux de la jeune indigène de l'introduction (sauf que la combinaison homme/animal s'avèrera alors inversée : femme/félin au départ, homme/féline au final)

Et, marqué par ce prologue beau et muet, par l'apparition spectrale et surprenante d'une étrangère étonnament familère dans un bar (hommage direct et isolé (avec la séquence de la piscine) au film de Tourneur), par l'évocation d'une enfance finalement trompeuse et méconnue puis par cette chasse incontrôlable dans le bayou nocturne et par la force d'un songe résumant à lui seul la fuite inutile et cependant décisive de la féline, le destin s'imprime inéluctablement, martellant de ses signes inquiétants et énigmatiques le quotidien hors normes de ses victimes.

A la moiteur des atmosphères, à cette Nouvelle-Orléans humide et rêvée, à la sensualité torride qui tourmente et bouleverse ses personnages, l'oeuvre associe tout du long la thématique aussi photogénique que pleine de symboles, de l'Eau et des liquides : pavés et bitume luisants, pluie et larmes mèlées, marais poisseux du bayou, arrosage des éléphants, piscine ténébreuse, partie de pêche amoureuse, orage, salle de bain et lavabo, plongeon de la panthère dans le fleuve ... auxquels on peut rajouter ces substances et ces gelées placentaires préludant aux apparitions et aux disparitions des monstres, ce sang qui vient gicler sur les souliers clairs d'Irena, celui qu'elle a pris entre ses cuisses, senti et gouté ou ce magmas verdâtre et fumant, résultat de la combustion spontanée de la dépouille de Paul ...

Tout se fond, se mèle et se dissout ; le sang pisse comme les larmes et la pluie ...

Sueur, sperme, humeurs et sécrétions ..., tout suinte et tout se liquéfie, ramenant inmanquablement aux motifs du corps et de la chair à la fois si pesants, si dangereux et si dérisoires, si fragiles et, justement, corruptibles !

L'horreur et l'impitoyable fatalité des griffures, des morsures et des démembrements carnassiers des félins se répercutent dans la douleur et la violence des métamorphoses, sortes de secondes naissances et d'accouchements atroces d'un autre soi-même où le corps souffre, craque, se distend et se déchire ...

Le cinéaste aurait presque pu se dispenser de ces scènes de transformation plutôt mal balancées en regard des réussites de l'époque ("Hurlements" ou "Le Loup-garou de Londres" par exemple) ; la nudité savamment cadrée de son actrice, son regard dévorant et l'onirisme des moments les plus réussis suffisaient à nous faire croire à l'invraisemblable.
En même temps, Paul Schrader ne s'appesantit jamais sur ces métamorphoses qu'il sait possiblement ridicules et trop approximatives. Pas de débauche de latex, donc .... ; quelques plans suggestifs et des maquillages suffisament efficaces bien que sans grande surprise (et aujourd'hui plutôt datés !)


Toute rutilante et "burnée" qu'elle soit, cette réalisation demeure très personnelle et bien plus intériorisée qu'elle ne le suggérerait au premier abord !
Exacerbant les aspects irréels et passionnés de l'oeuvre, les couleurs éblouissent et marquent durablement la mémoire. Alternant les tons chauds et froids, illuminant d'éclats expressionnistes les ambiances souvent nocturnes, la palette choisie insiste sur les orangés, les rouges, les verts citronnés et les bleus intenses tissant des combinaisons audacieuses et changeantes entre les coloris ; et les décors les plus neutres (la prison, le restaurant où dinent les amoureux, la piscine ou certains intérieurs du zoo ...) sont malgré tout toujours réhaussés du surlignage coloré d'un vêtement ou d'un accessoire.















Et si l'éclat des couleurs correspond bien à la violence du propos, celle de ces pulsions mélangées de sexe et de mort, le principal, l'essentiel, demeure bien plus caché et subtil qu'on ne l'aurait cru.

Ce côté illusoirement tappageur, artificiel et clinquant rejoint le jeu d'une dicchotomie constante entre l'intérieur et l'extérieur, ce qui est montré et ce qui ne l'est pas et demeure enfouit.
Là où l'extérieur et l'apparence des choses et des êtres s'affirme souvent aussi séduisant que mensonger (respectabilité et "religiosité" de Paul ; destin faussement idéal des parents incestueux qui ont néanmoins fini par se suicider ; retrouvailles chaleureuses et accueillantes dissimulant la réalité calculée de l'intéret et la nécessité d'une union contre nature ...), c'est à l'intérieur qu'il faut toujours chercher la vérité (souvent dérangeante) et l'ultime solution.


Les panthères noires sommeillent à l'intérieur des corps, les fétiches et les souvenirs du passé derrière les portes vitrées d'une grande armoire ; les animaux dorment (et regardent la télévision !) dans leurs cages ; et les secrets sont enfouis dans les caves et derrière les délires multicolores des rêves ...
Ces créatures fantastiques cachant sous leur enveloppe humaine une bête fauve ne renvoient après tout qu'à l'animalité tapie en chaque homme.
En dépit des apparences, le véritable dilemne d'Irena ne réside pas dans ses déboires amoureux mais dans la découverte de sa part sauvage et dans la connaissance et l'acceptation d'elle-même !

Sous le joug constant des désirs masculins, l'héroîne vit pratiquement toute l'histoire d'une façon étrangement passive (c'est Paul puis Oliver qui l'ont choisie, chacun à leur manière, ne lui proposant pour finir l'un et l'autre que les miroirs de leurs propres besoins (la perversion et les tares d'une union consanguine chez Paul, une soif d'absolu et une vision déréalisée de l'amour chez Oliver))

Vers la fin, son éloignement salutaire, son recul et son introspection marquent enfin l'expression de sa personnalité et la naissance (attendue !) de la "Féline" annoncée.
Enfin libre, émancipée, affranchie et révélée à elle-même, Irena ira carrément au fond, au bout des choses : elle optera pour la solution la plus extrême en privilégiant sa forme animale, en choisissant de demeurer panthère et définitivement sauvage, captive mais pourtant victorieuse : détachée, libérée des conventions du jeu aliénant des relations humaines et de ces hommes égoïstes qui l'auront trop tardivement comprise.

La communication n'est qu'un mirage, un leurre ; les portes et les ouvertures se referment tôt ou tard et emprisonnent ; les escaliers qu'il faut gravir sans cesse et partout ne mènent jamais qu'à des simulacres et de faux espoirs (et certainement ni au "7eme ciel" ni à une éventuelle "rédemption") ; les téléphones restent muets, les coups de fil sont empèchés, inutiles (à l'aéroport, dans la chambre d'hotel où Paul a réduit une femme en charpie ...) ; la télévision est relèguée dans l'enclos de l'orang-outan ...


Les hommes traquent (les interventions finalement stériles des forces de l'ordre, le contrepoint obligé de l'enquête policière), ils refusent, cachent, méprisent, tentent vainement de contrôler et de barricader ce qui est différent, ce qui leur échappe ...

Aveuglés par leurs existences dérisoires, leurs obsessions sinistres ou irréalistes, leurs désirs ou leurs travers, les êtres ne réussissent plus à se comprendre ; ils souffrent presque davantage que les bêtes en cage du parc zoologique.
Les animaux, en fin de compte plus simples, règlés et prévisibles, affectent des comportements inversement plus "humains" que ceux des hommes eux-même (singe "télévore", tigre qui vomit sa pizza, python enrhumé ou perroquet bavard ...)


Entre les squelettes rongés par les sables rougeâtres du générique de début et le rugissement rageur et superbe de la panthère captive de la dernière image, "La Féline" aura joué en boucle la quête identitaire de sa belle héroïne.
Roublard, trompeur et merveilleusement toc, le film a simulé bien des registres et bien des choses ; faussement choquant, faussement horrifique, spectaculaire là où on ne l'attendait pas, et finalement aussi peu pervers que romantique, il se déroule, étrange, funèbre et mélancolique, cérébral et ouvragé comme un bel et curieux objet.
Le réalisateur et son actrice principale ont connu lors du tournage une liaison aussi forte et sérieuse que perturbante.
La beauté, la tristesse et la singularité de l'oeuvre ont sans doute été nourries et influencées par l'importance et l'exhaltation de leur vécu ...

Relecture psychanalytique des mythes fantastiques traditionnels, manifeste manièriste, hymne à la beauté de son interprète, dragée poivrée ou bonbon amer, "La Féline" restera l'une des plus enivrantes réalisations de Paul Schrader ; curieusement, l'abstraction, le schématisme et les clichés inhérents au genre et au sujet du film , le fait qu'il ait été, au départ, une "commande" de studio, un scénario pratiquement "clé en main" à mettre en scène et un remake, ont généré à contrario une réussite éminament personnelle et emblématique de son auteur et une oeuvre d'autant plus mystérieuse, complexe et déroutante qu'elle pouvait paraître, à priori, grandiloquente, "extravertie" et presque grotesque.
Et si ses éclats chatoyants demeurent indélébiles et mémorables, c'est néanmoins sa noirceur et tous ses non-dits qui l'emportent au final ...








Aucun commentaire: