Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

lundi 4 août 2008

Michele Soavi 4 : Dellamorte dellamore




DELLAMORTE DELLAMORE


Francesco Dellamorte est le gardien du curieux cimetière de Bufalora.
Confronté au réveil quotidien de morts affamés et vindicatifs, il a pour charge de les éliminer définitivement.
Mais la folie et l'anarchie ne vont pas tarder à franchir les grilles du cimetière, créant des situations aussi terribles que désopilantes, où morts-vivants et vivants-morts se recherchent, s'aiment, se repoussent et se retrouvent sans cesse !
En effêt, l'amour et la Mort elle-même sont intervenus pour tout compliquer encore ...
Il ne reste finalement plus qu'une solution : fuir ... ; à moins que cela ne s'avère impossible !


Inspiré d'une bande dessinée italienne à succès de Tiziano Sclavi, "Dellamorte Dellamore" prolonge les thématiques récurentes de l'oeuvre de Michele Soavi tout en se démarquant des films précédents.
Effectivement, si la Mort (et les morts (vivants !)), l'enfermement et l'onirisme s'affirment ici plus que jamais, le réalisateur révise ses obsessions sur un mode décalé, nonsensique, et ne se départ jamais d'un humour (noir !) qui n'évite aucun excès et qui se soucie aussi peu du ridicule que de la légèreté.
Au final, "Dellamorte Dellamore" combine outrances gores, flamboiements nécrophiles, mystère et romance, déployant un style plus que jamais maitrisé, offrant des images aussi splendides et mémorables que trivialement brutales et crues : tout le lyrisme, l'absurde et la vulgarité du meilleur de l'épouvante à l'italienne !
Exit, les conspirations sataniques et ténébreuses, la raideur et le sérieux de "Sanctuaire" ou de "La Secte" ; l'étrangeté et l'irrationnel sont désormais établis comme base et point de départ d'une réalité d'autant plus étonnante qu'elle ne réclame ni n'invoque aucune justification.
Soit une ville comme un univers distinct (le final et cette route qui ne peut mener nulle part ailleurs, démontre bien le cloisonnement et la symbolique de Bufalora : à la fois décor, lieu, ville, monde, référence, rêve (?) de toute cette histoire), soit son cimetière frappé d'une sorte de malédiction : au bout du 7ème jour de leur mise en terre, les morts ressuscitent ...
Ce présupposé marqué dès le début par la voix-off du héro-récitant et par la première scène qui le confronte d'entrée aux assauts des morts-vivants, s'affiche comme la (surprenante) réalité dans laquelle va se dérouler toute l'intrigue.
Pas de recherches ni d'explications ; l'anormalité et l'horreur font partie intégrante d'un quotidien pourtant tout aussi routinier que n'importe quel autre.
Ainsi jours et nuits sont-ils invariablement déclinés suivant la même "banale" succession d'évènements : l'entretien du cimetière, la lecture du journal local (ou de l'annuaire !), les incursions en ville, et, la nuit venue, le combat contre les zombies et leur éradication, le tout rythmé par les douches (purificatrices ?) du héro, par ses coups de téléphone et par la laborieuse (et ludique) reconstitution d'un crâne-puzzle ...


Francesco éclate la tête des morts-vivants avec la même nonchalante froideur que s'il s'agissait d'objets ou d'animaux ; sans dégout ni effroi, sans efforts ni sentiments, juste celui du travail correctement effectué.
La Mort, thème premier de l'oeuvre, déclinée sur tous les modes et jusque dans sa personnification, s'avère une constante aussi irrémédiable que d'une affligeante banalité.
Sous le regard irrévérencieux du cinéaste, elle est même constament tournée en dérision ; l'horreur et le drame sont toujours désamorçés par une ironie cinglante et le Grand-guignol vire presque à la pantalonnade !
















Francesco Dellamorte, serviteur détaché et sexy de cette comédie d'outre-tombe, trouve en Ruppert Everett, icône gay, dandy de pacotille à la silhouette dégingandée et à la moue mélancolique, un judicieux choix de casting (Tiziano Sclavi se serait, au départ, inspiré de l'acteur pour la représentation de son Dylan Dog ; Soavi pouvait donc difficilement passer outre ce détail !).
L'hystérie et les gesticulations de son environnement contrastent heureusement avec le flegme juvénile et le romantisme moderne de l'acteur.











Anti-héro par excellence, Francesco ne maitrise rien :
Employé par la municipalité pour garder (et "nettoyer") le cimetière, puis mandaté par la Mort elle-même pour s'attaquer aux vivants plutôt qu'aux morts, protégé malgré lui par une Police invariablement aveugle et bornée et même finalement dépossédé de ses actes (ses meurtres) par son ami d'enfance, il s'avère continuellement le jouet d'un univers où l'absurde a pris le pas sur tout !
C'est un peu comme si, de par sa mission ingrate, cette tâche confidentielle et presque honteuse, les habitants de la ville ne pouvaient qu'ignorer Francesco ; l'ignorer en prenant sa place, en refusant de l'inculper en dépit de preuves flagrantes ou en colportant à son sujet des informations aussi infamantes qu'erronées (la rumeur de son impuissance le réduit à l'état méprisable d'un sous-homme, d'un rien !)
Le héro est une sorte de paria.














Sali, dévalorisé, raillé, utilisé, trompé, déçu ... il va néanmoins rencontrer l'amour.
Là encore, rien ne se passera simplement et l'aimée, incarnée successivement dans trois femmes au même troublant visage, demeurera à jamais insaisissable.

La perte accidentelle puis le meurtre délibéré (Francesco tue malencontreusement celle qu'il aime alors qu'elle était contre toute attente encore vivante ; à la fin, il met le feu au lit de l'étudiante (qui voulait monayer leurs ébats !)) révèlent une nouvelle fois la prééminence de la mort ; toute-puissante, inéluctable !


















Cimetière, ossuaire, cercueils et enterrements, morts-vivants et squelettes, nécrophilie,


Cliché canonique de cette Mort telle un squelette ailé, décharné et sinistre aux vêtements en lambeaux (figure d'ailleurs retrouvée dans "Les Aventures du Baron de Munschausen" de Terry Gilliam, sur lequel Soavi dirigea la seconde équipe de réalisation !), exécutions, accidents, meurtres ... ;


La mort s'exprime aussi par le motif répété de la stérilité (l'impuissance supposée (puis désirée) de Francesco (son recours à un médecin pour une castration clownesque !) par ceux de la mort des enfants (la fille du maire et ses copains motards, le car de boys-scouts ...)) et de l'isolement insurmontable et de la représentation de Bufalora comme un univers clos, littéralement coupé du reste du monde (la route s'arrête sur un précipice !) sans communication avec un quelconque extérieur...
















Un monde malade (les outrances et les incongruités des réactions des personnages ; l'impuissance du héro ; Gnaghi, amoindri et simple d'esprit, qui vomit sous le coups d'un trop forte émotion ; cette épidémie qui fait ressusciter les morts ; les séquences aussi grotesques que délirantes se déroulant chez le médecin et à l'hopital ...) ; un monde fou où les vivants et les morts se débattent et s'agitent avec la même inutile frénésie.



















A la corruption des corps mis en terre et ressurgis passée une semaine, correspond la corruption de la société (prostitution, meurtre, viol, inconstance, mensonge, intéret ...) Et les pulsions de vie, le corps, la chair et la sexualité ne trouvent pour finir comme écho que le rejet, l'empêchement, la frigidité ou la perversion ...

On fait l'amour sur la tombe d'un époux défunt ;


















on s'embrasse au travers de linceuls sous le jus dégoulinant des squelettes fongeux d'un ossuaire ;

on est dévoré vivant par ses amants ou amantes ;
Une jeune femme frigide pousse le héro à la castration avant de finalement l'abandonner pour celui qui l'a violée et sauvagement initiée à la sexualité la plus extrême ;



















L'étudiante passionnée avec laquelle on a passé une nuit brulante s'avère une prostituée ...

La figure de la femme aimée se révèle derrière chaque nouvelle rencontre pour mieux disparaitre encore et faire languir l'amoureux ...






























Et le désir est supplanté par cette faim qui réduit la chair à l'état de nourriture et qui fait claquer les machoires avides des zombies pitoyables.


Les couples, de la même façon, sont représentés d'une manière monstrueuse et grotesque (Gnaghi et Valentina ; Claudio et la fille qui l'aime ...) ou irrémédiablement voués à l'échec et à la séparation (Francesco et son (ses) amante(s))
Le sacrement du mariage est semblablement passé à la moulinette lorsque sont évoquées les unions d'une tête coupée et parlante avec un autiste (Valentina et Gnaghi) ou celle d'une jeune femme aussi déséquilibrée qu'inconstante avec son violeur (Le nouveau maire et sa belle secrétaire).

Comme pouvait le suggérer ce mouvement de caméra introductif du générique qui pénétrait à l'intérieur d'un crâne, la tête, l'esprit (quand bien même dérangé !), prévaut sur tout le reste. C'est le cerveau et non plus le coeur qui dirige, réanime, mène et (dés)organise.
Ce sont ces cervelles qu'il convient de faire sauter, ces boites craniennes qu'il faut défoncer pour venir à bout des morts revenus à la vie.

Les têtes éclatent, volent, vivent séparées de leurs corps. Gnaghi, amoureux de Valentina, se contente de sa tête arrachée, placée dans l'habitacle d'un poste de télévision explosé.


















Le casse-tête (c'est le cas de le dire !) préféré du héro se révèle un crâne en morceaux, qu'il s'échine à reconstituer (Gnaghi, pourtant handicappé, y parvient aisément, lui !) Les photographies des visages des défunts ornent les pierres tombales, et, tout comme les figures des anges et des statues du cimetière, semblent tout surveiller.















Et le visage de l'actrice Anna Falci, beau et sensuel, revient, comme un rêve de moins en moins idyllique, derrière chaque nouvelle représentation d'un amour impossible !




























Observée et racontée du point de vue de Francesco, l'histoire pourrait être considérée comme le songe ou la divaguation de l'esprit du personnage principal.
Michele Soavi brode, ici, une nouvelle variation du parcours initiatique (correspondant donc en même temps à l'évolution et à la découverte de soi.)



Francesco Dellamorte apprend les désillusions de la vie et de l'amour ; il acquiert son indépendance en s'affranchissant des jougs successifs de son employeur, de la société et des femmes ...
Sa fugue finale le ramène à l'enfermement de sa condition d'être humain et à la conscience de sa solitude.
Car, dans cette oeuvre comme dans les précédentes, l'idée du piège et de la réclusion couve continuellement, jusqu'au dénouement explicite.

Après le théatre de "Bloody Bird", la cathédrale de "Sanctuaire" et la maison infernale de "La Secte", Bufalora se fait la nouvelle prison imaginée par le cinéaste (et par ses héros).






















































Ce cimetière, ces fosses, ces portes qu'il faut ouvrir, cette chambre d'hopital comme une astéroïde, perdue dans le vide de l'univers, cette reproduction sculptée de "L'Ile des morts" de Boecklin, décorant un bassin du cimetière qui se fait le symbole avant-coureur de la ville elle-même (tout comme les deux petits personnages du globe "boule de neige" annonçaient, en amont, la conclusion de l'oeuvre : Francesco et Gnaghi "prisonniers" au bord du précipice sous une pluie de flocons ...), cette route qui débouche sur ... rien .... ; autant d'images de l'enfermement des protagonistes, de l'enfermement de la condition humaine et de l'esprit.

Et même si les frontières entre la vie et la mort paraissent plus que jamais poreuses, floues et finalement sans importance, tout n'est, en fait, qu'éternel recommencement.
L'air semble perpétuellement animé, vivant, marqué par la pluie et le vol continuel de particules, de feuilles mortes, de liquides, de cendres, de neige ... (figure encore répercutée par ces douches répétées du héro). Cette matérialisation systématique du vide et de l'élément aérien , humide, venteux, sec, brulant ..., fait le lien entre les thématiques ici convoquées du feu et de l'eau.





Comme toujours chez Michele Soavi, la Nature est constamment présente, associée aux êtres qui en font partie intégrante, et les éléments, aussi fréquemment représentés que très symboliques, s'affirment pour le réalisateur comme un nouveau moyen d'exprimer son gout des ornementations et des poses stylistiques : ces chevelures qui se dénouent sensuellement, ces foulards qui s'échappent, cet ossuaire dégoulinant, cette scène d'amour à la lueur des feux follets, ces oiseaux nichant dans les cyprès, ces reflets, ce cimetière merveilleux, comme une nouvelle version de l'Eden, parcouru d'ombres, de souffles et de signes aussi contradictoires que complémentaires ... autant d'images et d'instants à la beauté ensorcelante où la vie et la mort, l'invisible et le sensitif, l'homme et les forces supérieures de la Nature et de l'univers se conjuguent et se mélangent.














































La poésie macabre et symboliste est confrontée au gore le plus grandguignolesque, Soavi rejoignant dans les assauts de ses morts-vivants les figures imposées du genre.
Ses créatures bleuâtres, terreuses et toutes bouffées de racines permettent cependant des séquences-culte aussi atroces que véritablement savoureuses :
Le réveil de Claudio, le motard (et le clin d'oeil à "E-T") ;

Celui du mari jaloux d'Anna Falci ;

Ceux, successifs, de cette belle veuve, finalement ressuscitée, monstrueuse et vorace ;















L'invasion des scouts, hagards, maladroits et affamés, dont Gnaghi ne se rend pas compte, branché à sa télévision ;













Cet atroce accident de la route qui amène à la resurrection attendue de Valentina (métamorphosée en une sorte de mix de Blanche-Neige et de la Fiancée de Frankenstein) et son idylle avec Gnaghi ... autant de relectures finalement inédites, surprenantes et souvent drôles du mythe du zombie.








































Et l'alchimie, autrefois plus incertaine, ce mélange assumé de courants assez divers (la comédie, l'horreur, le fantastique, l'absurde, la farce et la romance ...) aboutit ici à une cohérence plus immédiate que par les oeuvres passées.
L'aspect comique appuyé et faussement satirique appelle directement le spectateur, créant une conivence plus aisée, prémachée ; même si, à mon sens, l'oeuvre demeure foncièrement noire et désespérée.
La formule s'est avérée concluante puisque "Dellamorte Dellamore" a remporté le Grand prix du public au Festival de Gerardmer en 1995.
Comme naguère pour "Bloody Bird", lui aussi primé, Soavi acquiert à nouveau éloges et reconnaissance.
Atypique et brillante, décomplexée, mais surtout noire et grinçante, cette oeuvre mérite tous ces honneurs et sa réputation qui permettra peut-être toujours la redécouverte des films précédents de son auteur, injustement méconnus et, à mon sens, tout aussi méritoires.



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