



TOURIST TRAP


"L'Oasis de Mr. Slausen" est une étrange aire de repos pour touristes : un bar, un poste d'essence et surtout un drôle de musée dédié au western et plein d'automates et de mannequins de cire.
Malheureusement, avec la construction des voies rapides, la circulation a été détournée et Slausen n'accueille plus de visiteurs, hormis les malchanceux égarés ou tombés en panne.
C'est ce qui arrive justement à un groupe d'amis.
Secourus par le vieux cow-boy et immobilisés dans son curieux repaire, les jeunes gens vont comprendre, évidemment trop tard, qu'ils sont désormais les jouets d'un dégénéré et promis à grossir l'inquiétante collection de ses mannequins sinistres !

C'est en 79 que David Schmoeller, futur tâcheron de la série B horrifique, inaugure son passage à la réalisation avec "Tourist trap" (sous la houlette de Charles Band, également à ses débuts dans la production).
Ce coups d'essai mélangeant les influences du slasher, alors en plein essor et celles d'une épouvante plus suggestive et atmosphérique que viscéralement sauvage, s'avère plutôt original.
Avec peu de moyens et malgré son style basique et dépourvu d'afféteries, le film impose une ambiance cauchemardesque et mémorable.

Relecture eighties du thème du musée de cire et des poupées humaines, "Tourist trap" se démarque des oeuvres plus ou moins similaires par son étrangeté constante.
Ainsi toute explication, toute logique, tout détail trop concret sont-ils éludés au profit d'un onirisme continuel et d'autant plus percutant qu'il utilise le minimum (un décor réaliste, des accessoires assez anodins, des mannequins et des masques, un aspect et une photographie télévisuel ...) pour un maximum d'effêt.

Morbide et inquiétante, l'oeuvre doit beaucoup à ce parti-pris irréel et franchement fantastique.
Ancré dans la banalité et la réalité de l'Amérique profonde, son décor unique, ce piège à touristes insignifiant, bricolé et à l'abandon, suffit à maintenir l'intéret et l'inquiétude.
Ses mannequins murmurants, ses figures et ses masques aux bouches décrochées, aux faciès angoissants, aux rictus atroces, ses pantins figés et pourtant animés, ses automates et ses poupées aux yeux vides et aux mentons dérobés, ces membres et ces têtes de cire et de plastique qui s'agitent et ricanent ..., ces déguisements sinistres du tueur ...








L'horreur joue constamment sur la confusion entre le vivant et l'inerte, le faux et le vrai, les humains et des figures inanimées ... avec un indéniable talent.
Tous sont semblablement manipulés et utilisés, se heurtent et se subtilisent les uns aux autres pour finalement servir les poussées délirantes et macabres d'un vieux fou !




Classique dans sa trame, son découpage et le déroulement des figures imposées du piège, de la traque et de l'élimination, "Tourist trap" préfère cependant les non-dits, l'ombre, les incohérences et les répétitions du rêve aux réponses et aux explications, une fin ouverte et sans concession à l'habituel côté "revival".

Les premières scènes instaurent le climat effrayant et absurde qui perdurera finalement tout du long :
Un jeune homme sur la route avec sa roue crevée. Son arrivée dans une aire de repos sinistre et désaffectée.
Le bar est désert ; le garçon appelle, cherche de l'aide pour dépanner sa voiture ...
Il entre dans une pièce ; là, il aperçoit une forme étendue sur un lit.
Il s'approche. La silhouette se redresse : c'est un vilain mannequin qui se met à ricaner.
La porte se verrouille brusquement ; les fenêtres, narquoises, s'ouvrent et se ferment surnaturellement. Une poupée vient percuter un carreau et brise le vitrage ; sa tête atroce , tombée par terre, se fend d'un rire sardonique en même temps que la porte d'une armoire s'ouvre d'un coups et qu'un nouveau mannequin au faciès hideux de sorcière chauve surgit comme un diable hors de sa boite.
Les automates ne cessent de tressauter et de glousser lugubrement ; la chambre est saturée de leurs spasmes mécaniques et de leurs rires épouvantables.
Et les meubles et les objets s'animent à leur tour ...
Le garçon essaie de s'enfuir ; il a fait un trou dans la porte mais son bras, visiblement retenu à l'extérieur par quelqu'un ou quelque chose, le maintient prisonnier.
Mu par une force invisible et mauvaise, le contenu de l'armoire est projeté contre lui.
Finalement, un tube de métal, manipulé par la même force irrationnelle, se propulse et l'empale contre la porte !
Le vacarme et les rires s'arrêtent ; on n'entend plus que le bruit du sang qui coule par le tuyau jusqu'à terre ...









Et de la même manière, le film déclinera les versions répétées de cette séquence initiale où, contradictoirement, les êtres s'avèreront immobilisés (par la peur, l'enfermement ou par des liens ...), figés et impuissants et où ils se trouveront confrontés à l'animation, aux mouvements et aux assauts hostiles et désordonnés de poupées, de mannequins et d'objets d'ordinaire inertes et dépourvus de vie !

Garantissant un minimum d'explication par la révélation des pouvoirs télékinésiques de son tueur vraiment particulier, l'oeuvre ne cherche pas pour autant à crédibiliser ni à solutionner en apportant au final des éclaircissements lourdingues à l'aspect surnaturel et magique des événements.
Ainsi la métamorphose des jeunes gens en mannequins et les passages successifs d'un état à un autre (apparement humain puis figé et désarticulé l'instant suivant), pas plus que ces voix, ces rires et ces chuchotements incessants ... : rien n'est réellement logique ni élucidé.
A la recherche de leur ami disparu, les protagonistes vont être détournés et immobilisés dans le repaire du maniaque.
L'endroit se fait tout d'abord accueillant : une cascade et un plan d'eau dans lequel les jeunes femmes barbotent illico !
Mais l'endroit grouille de serpents, le moteur de la jeep ne veut plus redémarer et le propriétaire des lieux surgit : Slausen, un vieux cow-boy solitaire dont l'amabilité et les sourires grimaçants dissimulent mal une sourde menace !






Affable, Slausen propose cependant d'aider les jeunes gens.
Il vit dans son musée du western, étrange et rudimentaire galerie d'automates aux célèbres faciès (Custer, Buffalo Bill, Geronimo ...)



La nuit tombe ; les véritables ennuis vont commencer et l'horreur dévoiler son (ses) visage(s) ...
Reclu dans un passé traumatique et fantasmé, le vieux fou, symbole vivant d'une Amérique passéïste, réactionnaire et dégénérée, va user de subterfuges et de ses pouvoirs paranormaux pour isoler et éliminer tour à tour les jeunes imprudents représentants d'un monde qui l'a trahi et abandonné (le développement du réseau routier a dévié la circulation loin de son domaine ; ses projets et ses ambitions touristiques ont capotés ; sa femme et son frère, amants, l'ont trompé et humilié ...)
Et ce frère qu'il invoque comme la menace qui se dessine au fur et à mesure que les jeunes gens disparaissent, comme ce personnage effrayant au visage caché derrière d'horribles masques qui semble les poursuivre, ce frère malade et fou ... n'est autre que Slausen lui-même !



Le replis sur soi (et sur le passé) se confirme dans l'impact et les motifs affirmés de l'Enfance et de la Famille :
ce frère, donc, jalousé et haï ; cette épouse, idéalisée sous les traits du mannequin troublant de vérité d'une mariée trônant dans une alcove, à laquelle la force d'un univers qui a définitivement basculé dans l'onirisme parvient finalement à redonner vie ; les figures parentales dans le salon de la demeure familiale au pieds desquelles, affublé d'affreux masques poupins, Slausen revit la comédie de l'Enfance ...
Molly, rescapée, devra son seul salut au fait qu'elle rappelait au maniaque sa femme défunte.
Il l'entraine au final dans la chambre du frère félon où, l'embrassant au travers du masque de l'épouse, il voudrait la soumettre et se laisser croire qu'il a enfin reconquis celle qui l'avait trompé.
Le jeune couple, fraichement marié, formé par Becky et Jerry parait, en revanche, vraisemblablement uni.
Slausen, finalement respectueux et moral, les épargnera un moment, se contentant de les ligotter et de les enfermer dans sa cave.







Et, comme dans un mauvais rêve dont on ne parviendrait pas à se réveiller, le piège inexorable emprisonne ses héros dérisoires.
Jeunes américains pur jus, les futures victimes avaient déjà tout de l'archétype : jeunes gars musclés, pépées bien roulées aux proportions parfaites ... ; la taille mannequin en somme !
Il ne restait plus qu'à figer à jamais leur apparence caricaturale.



Et décliné à l'envi par ces portes brusquement refermées, ces grillages et ces palissades, cette cave où on est attaché, ces liens et ces chaines, ces sangles que l'on cloue à un établi pour maintenir immobile un visage que l'on va couvrir de plâtre, ces fuites vaines et avortées qui ramènent inexorablement au même point de départ, jusqu'à ce châle, comme un filet prémonitoire, sur les épaules d'Eileen ..., l'enfermement obligatoire se fait une nouvelle fois la condition sine qua non, la constante, de cette incursion cauchemardesque.


Le spectateur, lui-même, a été piègé.
Le léger flou des images, la fausse réalité des choses tout comme l'enchainement programmé et répétitif des événements ..., ce soulignement pernicieux de l'artifice et de l'absurde ..., tout pouvait lui indiquer la totale absence de réalisme et de véracité de la fable.
Les dernières images confirment absolument le parti-pris délibérément onirique : Molly, seule survivante, parait s'être échappée ; elle roule au volant de la jeep avec à son bord les manequins inertes de ses amis. Son sourire halluciné, son visage possédé et grimaçant indiquent cependant que rien n'est terminé !

Le rêve a définitivement révélé ses contours et a remplacé la réalité :
les panneaux d'interdiction semblent vouloir dire d'entrer ; les automobiles tombent en panne sans raison ; les foulards trop seyants se font garrots et étouffent ; un téléphone dont le fil est coupé sonne malgré tout ; les tirs du fusil ne tuent plus personne ; on est poursuivi par des têtes ricanantes dans des sous-bois bleutés ; les demeures sont uniquement habitées par des mannequins dont les yeux voient tout, dont les bouches béantes glapissent des plaintes et des rires ; des voix venues d'on ne sait où sussurent sans cesse votre prénom, doucereuses et menaçantes ; les automates fusillent et poignardent, les objets s'animent et se dérobent ; des figures amies et possiblement secourables se démembrent brusquement sous vos yeux révélant leur réalité factice ...





Le rêve dirige tout d'une manière finalement surprenante et alléatoire ; plus étouffant encore que la chaleur estivale de la Californie, que ce plâtre obturant les orifices respiratoires d'une malheureuse, que ces mannequins tombant en amas sur Becky ...








Et la mort arrive souvent en traitre, par derrière, masquée, lente et silencieuse.
Les couteaux, les haches et les projectiles mus par des pouvoirs surnaturels se plantent dans les nuques et les dos.
Immobilisés, fichés, épinglés comme des insectes, les cadavres auront peut-être le privilège de connaître une seconde vie en devenant les marionnettes actionnées à distance par l'esprit désaxé de Slausen.

Les aptitudes télékinésiques du malade ajoutées à sa schizophrénie et à un don d'ubiquité faisant qu'il peut être partout à la fois, le révèlent comme un monstre redoutable, imprévisible et d'autant plus fantastique et inquiétant qu'il affecte la normalité anodine et paternaliste d'un vieux cow-boy sur le retour !

Déclinant la farce yankee à coups de bière, de drapeaux, de musée folklorique, de whisky, de chapeau et de fusil, jusque dans ce masque grotesque d'Elvis dont il s'affuble pour supplicier une jeune femme sous les regards impuissants de Jerry et de Becky, Slausen se fait la face cachée, sombre (et honteuse ?) d'une nation qui n'admet que la réussite, un symbole narquois et pathétique du cauchemard américain.



Schmoeller manie avec brio modernité, références, efficacité et angoisse.
L'apparente simplicité de son style, le refus de la violence brute au profit de l'Etrange, les clés et les réponses tronquées qu'il a le flair de nous proposer pour mieux souligner le mystère ... : tout confère à désigner l'originalité et l'impact de cette première réalisation.
Le choix éclairé de Pino Donaggio pour l'illustration musicale et sonore sert encore davantage les aspects fantasmatiques du film.
Tour à tour ironique (une relecture syncopée et incertaine de la fameuse "Marche funèbre d'une marionnette" de Gounod (immortalisée comme générique d' "Alfred Hitchcock présente ...")) ou angoissante, la partition utilise au mieux la prédilection du compositeur pour les feulements féminins, les cordes dramatiques et les boucles orchestrales.
Les miaulements sinistres des mannequins résonnent sous sa houlette comme d'inquiétants chants de sirènes et la musique ne cesse de renforcer la menace sourde de leurs silhouettes faussement inertes.






Davantage centrée sur ses personnages féminins (et explicitée par les figures essentiellement féminines des mannequins), l'intrigue dépourvue de mysoginie ne se prête pas aux clichés habituels : ici ni poitrines nues, ni scream-queens, ni battifolages d'adolescents obsédés ...
Si Eileen est dépeinte comme une incurable coquette, Becky, pourtant provocante (Tanya Roberts qui n'abuse pas, ici, de son potentiel de séduction), s'affirme avant tout intrépide, pleine de ressources et de sang froid ; et c'est au final Molly, la plus conciliante, la plus sage des trois, qui se tire (métamorphosée !) du piège.

Schmoeller utilise le motif du relais pour sa conclusion en forme de pied de nez ...
Mort (?), Slausen semble s'être réincarné dans le corps de Molly.
L'incursion aura viré à l'initiation.
La fadeur mièvre du personnage contaminée par l'emprise maléfique et totalement surnaturelle des lieux aura débouché sur une découverte occulte et désinhibée (monstrueuse ?) d'un autre soi-même.
Série B sans prétention, première oeuvre originale, "Tourist trap" mérite absolument le détour !
Sa violence retenue, l'harmonie de son registre, son surréalisme "à l'américaine", son adaptation singulière et songeuse des moules et des lieux communs du Fantastique, l'inscrivent finalement dans le meilleur des productions horrifiques des années 80 ; peut-être même davantage que certaines oeuvres qui, elles, ont eu le privilège (pas toujours "mérité" !) de traverser le temps ...
A redécouvrir donc, et sans modération !

3 commentaires:
What a great resource!
Great information! I’ve been looking for something like this for a while now. Thanks!
this post is very usefull thx!
Enregistrer un commentaire