Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 9 août 2008

Alejandro Jodorowski : Santa Sangre





SANTA SANGRE

Fenix est le fils des directeurs d'un cirque mexicain.
Entre Orgo, son père, alcoolique et volage et Concha, sa mère, prêtresse hallucinée de l'église païenne du Santa Sangre vouée au culte d'une fillette martyre, rien ne va plus, surtout à partir du moment où une contorsionniste tatouée et provocante et sa fille muette rejoignent la troupe.
Lors d'une nouvelle scène atroce, Concha finit par émasculer son mari qui lui tranche les bras avant de s'égorger. Fénix a tout vu ; traumatisé et autiste, il est placé dans un centre d'enfants handicappés.
Les années ont passé ; Fénix est devenu un homme.
A l'occasion de sa première sortie de l'institution, il aperçoit la femme tatouée
responsable du drame de son enfance. Son passé lui revient en pleine figure d'autant que sa mère réapparait elle aussi.
Prenant la fuite et s'installant avec elle, Fénix devient les bras que Concha n'a désormais plus.
Leur numéro de pantomime sur la scène d'un cabaret ravive les souvenirs et les démons du passé.
D'ailleurs, après le crime vengeur de la mégère tatouée, ce sont plusieurs femmes qui meurent, sauvagement assassinées : Fénix, plus que jamais gouverné par sa mère folle à lier, s'est fait l'instrument de ces massacres.
Ses retrouvailles avec Alma, la jeune muette, son amie d'enfance, l'aident à affronter et à rétablir la réalité d'un monde qui n'était plus façonné que par les traumas et l'esprit malade du jeune homme.


Après le western baroque (El Topo) et la parabole mystique et hallucinatoire (La Montagne Sacrée), Jodorowsky est contacté par Claudio Argento (le frère et producteur de Dario) pour exercer une nouvelle fois son talent visionnaire et réaliser sa propre version du Giallo.
Evidemment, le résultat s'avère surprenant ; et si les figures obligées du genre sont bel et bien déclinées, le cinéaste libertaire détourne la commande initiale, relèguant à l'arrière-plan ces clichés giallesques pour façonner une oeuvre profondément chaleureuse, touchante et humaine qui brasse les registres, les regards, les atmosphères, saturée d'idées, de fulgurances et de couleurs, peut-être, pourtant, son film le plus simple d'accès, le plus "aimable".

Curieusement, le présupposé fantastique et sanglant du projet accouche au final d'une création moins ésotérique, moins engagée et moins violente que les oeuvres passées.
Moins délibérément choquant et novateur, moins bavard, moins "politique", "Santa Sangre" adopte plutôt l'allure poétique, symbolique et narrative du conte fantastique.
Renouant avec la veine magique et baroque de l'inspiration sud-américaine, le film retrouve cette alchimie si spécifique qui, d'un Garcia-Marques à un Raoul Ruiz, de Jorge Amado à Hector Babenco, sait si naturellement allier réalisme et merveilleux, cocasserie, tragédie, mysticisme et surnaturel.

Ainsi, "Santa Sangre" se fait-il tout à la fois livre d'images, comédie, film d'horreur, drame poignant, caricature et délire psychanalytique ... ; riche, complexe, généreux, symbolique et émouvant.
Du Giallo, on reconnait, pèle-mèle, ces meurtres sanglants à l'arme blanche et la mise en scène ostentatoire de la mort, l'onirisme, les contrastes, les couleurs et les références, une certaine confusion des sexes et les motifs du trauma et de la folie.


C'est d'ailleurs autour du (des) traumatisme(s) de son héro, Fénix, que Jodorowsky a bati toute son histoire.
L'oeuvre est construite en deux parties (elles-même complexes) et toutes deux exprimées du point de vue de son personnage principal :

Tout d'abord le souvenir, le passé et l'origine du problème, comme un flash-back où la magie de l'enfance se heurte à la violence et à l'horreur du monde ; puis, l'expression du trauma, son "résultat" et les dégats qu'il a occasionné.



Chacune de ces parties est liée et introduite par les scènes (initiale puis médianes) de l'institution pour jeunes handicappés.
Là où le rêve et le merveilleux faisaient partie intrinsèque d'un quotidien hors norme, celui d'un enfant du voyage, ils finissent par supplanter complètement la réalité, la seconde moitié du film se révélant non plus conforme au réel mais aux désirs et aux manques du héro et totalement déformée par son regard "malade".

Et finalement, le véritable traumatisme, exagèrément symbolisé par la mort violente des parents, c'est l'obligatoire passage à l'age adulte !
Pour Fénix, cela débouche sur le refus, l'autisme et le replis désespéré dans les mirages de l'enfance.
Face à ses responsabilités, à son désir de vengeance, à l'injustice d'un monde qui lui a brutalement enlevé ceux qu'il aimait, le héro ne sait qu'invoquer une figure maternelle tyranique et castratrice pour exprimer sa propre haine ; il se réfugie dans une reconstruction, une prolongation absurde du passé, tout en même temps conflictuelle et fantasmée où sa quète entêtée de l'invisibilité dit bien sa négation de lui-même !
L'enfant-magicien au costume de Mandrake, celui qui savait faire apparaitre et disparaitre les objets et les êtres, n'aspire plus qu'à sa propre dématérialisation !
Le film passe d'ailleurs sous silence la période intermédiaire à la fin de l'enfance et au "réveil" de Fénix, sous-entendant le sommeil, l' "absence", une sorte d'hibernation de son personnage principal ; on pourrait rétrospectivement penser que, durant tout ce temps, il a bel et bien été invisible !

Aussitôt après le carton écarlate du titre générique, l'oeuvre s'ouvre brièvement sur la vision du héro ; animal, nu, prostré au haut de son perchoir comme une espèce d'oiseau blessé.
A-t-il vécu ainsi longtemps ? On ne le saura pas. L'irruption du médecin et des infirmières qui viennent le nourrir et le vêtir amène tout de suite le retour en arrière.

Passé ce long flash-back plantant le décor, les personnages et les enjeux dramatiques, et expliquant bien l'état sauvage et malade de Fénix, on revient au présent et à la "guérison" du jeune homme.
Mais, le hasard fait que, lors même de sa première sortie, sa première confrontation avec l'extérieur, Fénix retrouve la femme tatouée, autrefois la maitresse de son père et finalement cause de ses malheurs.
La violence de l'incident se manifeste comme un nouveau choc traumatique : le monde est immédiatement vécu et subi dans ce qu'il peut avoir de plus brutal et de plus agressif.


Et, alors même que le film semble dérouler linéairement et "logiquement" les irrémédiables conséquences et le fil du destin, on ignore que le point de vue adopté, en l'occurence celui du héro, est foncièrement trompeur et déformé.
C'est désormais la réalité qui s'est alors faite invisible !

Alma, seul lien tangible et effectif à ce passé obstinément remaché, va rétablir la vérité, redonner aux choses leur vrai visage et liberer Fénix, rappelant dans un dernier flash-back que Concha était morte autrefois et que le jeune homme n'est l'instrument que de ses propres obsessions.

Si les décors nus et le regard quasi-documentaire de Jodorowsky dans les brèves scènes de l'institut plus "naturalistes", correspondent bien à une certaine idée de la réalité, tout le reste de l'oeuvre s'affirme comme un fabuleux vivier d'images, de couleurs et d'extravagances.

La vie est une fête, un spectacle continu ; barbare, gaie, sauvage, injuste, horrible et baroque, pleine d'éclats, de changements, de répétitions et d'échos, de bonheur, de douleur, de chocs et de mouvements ... ; un spectacle dont on est, tout à la fois, le figurant, l'acteur, le metteur en scène et la victime !
Le Cirque del Gringo où le héro passe son enfance se fait l'expression première de cette idée appuyée du spectacle ; ses clowns, sa funambule, sa contorsionniste, son lanceur de couteaux, sa trapéziste, son enfant-magicien, ses fauves et ses éléphants ... , sa parade bigarrée et joyeuse où les nains, les augustes barriolés, la fanfare et les girls emplumées enluminent les rues et forcent l'optimisme, en dépit des réalités parfois cruelles (Orgo, alcoolique, cherche à fuir un passé criminel ; Concha s'avère une mystique allumée et extrémiste ; Alma est le souffre-douleur de sa mère ; l'éléphant se meurt et la tristesse, la rudesse et la précarité, le mensonge et l'adultère couvent derrière la feinte gaieté.)



Spectacle du cabaret où se produisent Fénix et Concha : musiciens, sombreros, danseuses de revue, strip-teaseuse ... et le numéro surprenant de "Concha et ses mains magiques".


Spectacle de catch de "La femme la plus forte du monde" où une redoutable géante blonde terrasse tous ses partenaires.


Théatre personnel de Fénix, dans les caves de sa maison-fantasme, draperies vieux-rose et décors peints, tel un castelet macabre.


Spectacle cinématographique d'une projection de "Robinson Crusoé" à laquelle, malgré le figurant grimé alpagant le chaland, Fénix et ses camarades de l'institut n'assisteront pas ;
diffusion télévisée de "L'Homme invisible" où la séquence du "déshabillage" du héro est jouée simultanément par Fénix retirant ses bandelettes.

Le spectacle le plus passionnant, le plus permanent, le plus inventif et le plus surprenant s'avèrant finalement la rue.
Ces rues où les hommes ivres et passifs s'inscrivent assis en enfilade ou vautrés aux devantures des gargottes ; ces rues où les putes girondes défilent, royales ; ces rues toujours animées de rires, de musique, de chants et de danses ; ces quartiers mal-famés du soir où les farandoles de créatures, de travestis et de truands roulent des hanches et se répandent partout, où les rictus, les costumes de Carnaval, les mendiants et les monstres, les maquillages outrés, la beauté et la difformité cohabitent ; leurs trottoirs jonchés de squelettes de papier, de diables rouges, de couleurs fatigantes et d'un foule encore plus déchainée lors de la fête des morts .... et, justement, la mort et la violence qui se noient dans les rondes et les danses frénétiques ; le sexe, les agressions, les meurtres et les larcins, la dépendance et l'ivresse qui s'oublient sous les fanfreluches et les fards trop voyants.

Barbare et décomplexée, chaleureuse et pleine de dangers, la rue se fait le décor infernal dans lequel la vie s'éreinte et se joue jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la mort.

Figurés sans cesse, que ce soit par ce héro prestidigitateur, ses tours poétiques et ses visions hallucinées, par cette enfance hors du commun dans l'univers fantastique du cirque, ou par le regard et l'inspiration inclassables du cinéaste, la magie et le merveilleux parcourent également toute cette oeuvre.

La "chute" finale (et son retour à la normale) n'enlève finalement rien à l'onirisme et aux chatoiements constants du film.

Apparitions, hypnose, pouvoirs et escamotages, ces cadavres nus et voilés et ce cheval tatoué surgissant de leurs tombes; ce cortège funèbre pour la mort de l'éléphant ; ce serpent énorme qui sort du pantalon de Fénix et menace de l'étouffer ; les expériences sur l'invisibilité de l'apprenti-sorcier ; cet homme impassible qui s'arrache l'oreille et veut la faire manger à Alma ; cette catcheuse colossale et omasse, surprise au sortir de sa douche ; ces meurtres sanglants et spectaculaires aux teintes saturées, aux aspects aussi absurdes que cauchemardesques ; ce bassin sanglant au centre de l'église du "Santa Sangre" ...


Et le merveilleux allie et détourne sans cesse sacré et païen, imagerie religieuse, folklore et superstitions :
La dévotion excessive de Concha s'attache au culte d'une improbable martyre, une fillette agressée par des malfrats, violée et massacrée, dont les bras ont été tranchés et dont le sang n'aurait jamais tari ... ; ces autels brillants de cierges et d'ornements et leurs effigies dépourvues de bras ; ces fidèles, ces adeptes du "Santa Sangre" aux robes rouges toutes marquées du losange blanc de deux bras entrecroisés ; la petite église de carton et de tolle ondulée, son sanctuaire vermeil et doré et son bassin sacré .... ; la survenue de cet évèque violet flanqué de son mignon. Réfractaire puis ulcéré, il entérine pour finir la destruction du temple du "Santa Sangre" ...

La prestation de Fénix et Concha sur les planches qui s'avère une version mimée et fascinante de la Genèse et du Paradis perdu ;

La vision quasi-christique de Fénix qui se rêve, les bras en croix, demi-nu et stigmatisé dans une pièce étonnament remplie de poules blanches ;



Le poids rituel des sacrements et des symboles (le rite du tatouage comme un passage à l'age adulte ; les funérailles de l'éléphant ; la permanence signifiante du monde animal (et notamment des oiseaux (le héro se prénomme "Fénix" et arbore sur sa poitrine un aigle aux ailes grandes ouvertes ( son père avait un tatouage similaire) ; au commencement, la mémoire, le passé du héro figuré par le vol subjectif de ce rapace au dessus de la ville, jusqu'au chapiteau du cirque ; poules, cygne, pigeons ...))
Et la trivialité, la crudité des rapports et de certains détails et situations ne dessert jamais la magie de l'ensemble ; tout au contraire !
Les contorsions plus que suggestives de la femme tatouée et son jeu ouvertement érotique avec Orgo ;

Ce cercueil gigantesque renfermant la dépouille de l'éléphant, jeté dans le ravin qui borde les favelas : la ruée des miséreux comme une nuée d'insectes voraces, qui se jette sur l'animal, le dépece et se partage ses morceaux ;




Les silhouettes grotesques et redondantes du jeune maquereau et de la prostituée obèse ;
L'ivrognerie générale, ces hommes complètement saouls, qui titubent dans les rues, vomissent et s'écroulent ; ces petits truands, toujours à l'affut du moindre mauvais coups ... ;
Le groupe des handicappés détourné par un malfrat qui les prend en charge, leur fait inhaler de la cocaïne et les laisse aux bons soins d'une énorme prostituée ; les militaires émèchés chez la femme tatouée qui vit désormais de ses charmes opulents ; la nudité grotesque de la catcheuse (interpretée par un homme pourvu de (faux) seins !) ;

La séquence de la mort des parents, elle aussi à cheval entre l'horreur et le ridicule (la nudité impressionante puis pitoyable d'Orgo (dans sa lutte avec sa femme, il perd sa perruque), les postures explicites de la tatouée, les bras tranchés de Concha et les jeysers de sang, le membre encore vivant, picoré par les poules ...)












Et, toujours sur le fil de l' "hénaurme", Jodorowsky force volontairement son trait dans les scènes de meurtre.
Le sang pisse et arrose les murs, ruisselle de la trompe de l'éléphant condamné et du nez de Fénix ; ce sang "sacré" qui n'appelle finalement que sa perpétuation et de nouvelles effusions meurtrières ; ce sang lappé par les chiens errants ...




Le meurtre de la marâtre tatouée ravive les souvenirs de Dario Argento : ses couleurs et ses éclairages contrastés, les blessures irréalistes, les déchirures des chairs et des tentures, l'assassin mystérieux, l'agonie interminable de la victime, l'ambiance de cauchemard ...

Comme ces oiseaux symboliques et récurents, ce n'est pas tant la vie qui s'échappe sous la forme d'un cygne blanc de la fosse où Fénix vient de déposer un cadavre, c'est bel et bien la Mort qui plane constamment !
C'est la Mort qui s'imprime sur le torse des hommes, la Mort que l'on célèbre à coups de parades endeuillées et de fêtes traditionnelles, la Mort qui fait du héro son serviteur, son fidèle pourvoyeur en victimes, alors qu'il refuse de la regarder en face, la Mort qui le métamorphose en animal blessé puis en tueur ...

Et, comme un avant-gout de cette fatalité, de cette condition évidemment mortelle, le handicap est continuellement figuré : le mutisme d'Alma, le mongolisme et les affections psychiques et mentales, l'insistance de ces représentations humaines monstrueuses (Concha, étonnante femme sans bras ; hommes-tronc ou sans oreilles ; nains, géants (le militaire, la catcheuse phénoménale), obèses ...).
L'humanité est invariablement décrite comme avilie, rongée, corrompue, malade ou difforme !

Et exploitant et prolongeant ses expériences théatrales, évoquant les actions spectaculaires de son mouvement "Panique" ou ses collaborations avec le mime Marceau, Jodorowsky joue davantage sur les corps, la gestuelle et l'apparence que sur les dialogues.
Ses comédiens s'avèrent plutôt des performers, des silhouettes, des symboles, en même temps danseurs, acrobates, musiciens ...
Leur jeu appuyé et presque caricatural passe par l'expression corporelle bien plus que par le verbe.
D'où l'importance de ces archétypes ramenant autant au théatre qu'au conte, celle de ces visages grimaçants et surtout le leitmotiv de ces bras et de ces mains qui ponctue toute l'oeuvre.

Fénix se persuade que Concha est réapparue et venue le chercher.
Il devient les mains que sa mère n'a plus et cela, non seulement pour les besoins de leur spectacle de mime mais continuellement.
Collé à elle, formant une entité siamoise et fusionnelle, Fénix lègue ses mains pour tous les gestes et les actes les plus banals du quotidien (une séquence nous restitue la situation presque surréaliste, saisissant le couple étrange dès son réveil : Concha baille, se gratte, prend son petit-déjeuner, lève les bras au ciel, joue du piano ... par l'intermédiaire de son fils !)

Mais la marionnette, s'il en est une, c'est indiscutablement Fénix ; soumis, dirigé, manipulé, écrasé par cette mère qui lui doit pourtant tout !
Ce motif de la femme sans bras avait été introduit dès les premières scènes : cette sainte dont la triste histoire était relatée sur les fresques naïves et violentes de l'église du "Santa Sangre" ; son effigie totemique et finalement maléfique, inévitablement liée à Concha et partout présente (à l'église, au cirque, dans la maison ...)


La vision de ces bras coupés, encore agités de spasmes ; les bras souvent levés, tendus et écartés des protagonistes : des adeptes, des artistes du cirque, de la femme la plus forte du monde, de Fénix comme un Christ dévoyé, de ces femmes attachées à la cible du lanceur de couteaux, des victimes spectrales et ressuscitées ...


Ces mains aux longs ongles rouges qui massacrent et supplicient ; ces bras levés vers le ciel comme les ailes déployées des aigles tatoués ; ces mains levées sur les sommations des forces de Police et finalement libérées, récupérées, siennes ...

Rejoignant le thème classique des mains tueuses ("La Main du diable" ; "Les Mains d'Orlac"ou plus récemment "La Main qui tue"...), Jodorowsky explore cette thématique familière d'une façon éminament personnelle.
Et si le corps (les mains) et l'esprit sont indissociables, le poids de la culpabilité et les dérèglements psychiques ébranlent l'unité et la cohésion de l'ensemble.



Malgré lui, Fénix refuse de façonner sa vie de ses propres mains ; il ne se permet pas d'être lui-même, prisonnier du passé et de souvenirs qu'il ne peut pas réellement affronter, il se fait, tour à tour, le sosie de son père (la même blondeur, le même costume rutilant, le même art du lancer du couteaux ...) et la moitié manquante de sa mère ; la famille étant représentée comme une partie intégrante (et exagérément visible !) de soi-même !

Dans "Santa Sangre", Alejandro Jodorowsky exprime particulièrement les bases psychanalytiques travaillées lors de ses "masterclass" : l'individu n'est finalement que la résultante de toute sa généalogie, sa famille, trainant avec lui les conflits, les chocs, les inconscients de tous ses parents.
La Famille se fait donc la clé de voute de tout le film.
Famille chaleureuse, dure et fantasque du Cirque ; famille sectaire et païenne du "Santa Sangre"; famille détruite et obsessionnelle de Fénix ; famille monoparentale d'Alma ; famille de l'Institut d'orphelins handicappés ... auxquelles viennent se greffer ces clans, ces groupes, ces tribus (les truands, les prostituées et les travestis, les militaires, les affamés malheureux des favelas ...)

Et si la figure paternelle d'Orgo, traditionnellement virile et légatrice des responsabilités masculines (le rituel de passage à l'état d'homme ; l'apprentissage du lancer de couteaux et de l'hypnose ...) est finalement supplantée par celle d'une mère (et des mères) définitivement féminine, castratrice, exclusive, égoïste, violente et cruelle (la femme tatouée se révèle, de son côté, une véritable marâtre pour la pauvre Alma ; elle n'hésite même pas à vendre sa fille à ses clients !), la cellule familiale, toute imparfaite, dure et déstabilisante qu'elle puisse être, structure et conditionne tout et toute l'histoire.
L'hypnose, l'endormissement et la soumission de l'autre s'y font le mode de régulation des conflits (Orgo fascine sa femme, jalouse, pour la contenir et la posseder ; Fénix perpétuera cela avec ses victimes).

Explicitée par la permanence des tatouages (Orgo, Fénix, la contorsionniste), l'empreinte de la famille est comme une marque indélébile.
Marqué dans sa chair et dans sa tête, Fénix ne réussira à se libérer de ses entraves qu'en détruisant les symboles, les poupées et les marionnettes qui représentaient sa mère et en affrontant enfin le souvenir enfoui de sa mort.


"Santa Sangre", ouvertement barriolé, fellinien et théatral, se pose avant tout comme une aventure éminament humaine, émouvante et nostalgique, comme une sorte de psychanalyse.
Si grandir c'est accepter d'abandonner les illusions de l'enfance, l'oeuvre s'en fait la parfaite et dramatique démonstration.
L'humanité est monstrueuse, nombriliste et changeante, mais également inversement chaleureuse, solidaire, fraternelle.
Accepter de s'affranchir, accepter sa propre complexité, son individualité, ses manques et ses différences, accepter le temps perdu comme celui qui court et qui mène inexorablement à la mort ... , tel est le défi, la leçon, qui se profile derrière la fable.

Moins immédiatement démonstratif, moins virulent, moins philosophique et poseur que les oeuvres précédentes, "Santa Sangre" parle aux yeux, aux tripes et au coeur.
L'exercice de style a accouché d'une parabole !

Ni outrageusement sanglante, ni gratuitement gore, pas plus mystique qu'illuminée, l'oeuvre conjugue les termes illusoirement emblématiques de son titre d'une manière beaucoup plus intériorisée et touchante que l'on aurait pu le croire : la quète dont il était question n'avait rien à voir avec une quelconque relecture du Graal ; la recherche était, avant tout, personnelle et constructive, et le "Sang sacré", celui d'une histoire, d'une descendance, celui d'une transmission finalement apaisée, celui de la vie !


1 commentaire:

Anonyme a dit…

y a des choses qui fon peure dotre nn