Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

jeudi 8 mai 2008

Le Cinéma de Dario Argento 17 : Le Syndrôme de Stendhal




LE SYNDRÔME DE STENDHAL






La traque d'un violeur assassin conduit Anna Mani, une jeune inspectrice, jusqu'à Florence. Aux musée des Offices, elle est profondément bouleversée par les oeuvres d'Art, au point d'avoir l'impression de pénétrer en elles. Le choc est si violent qu'Anna perd connaissance.
A son retour à l'hotel, elle est encore si secouée que le maniaque, qui s'est introduit dans sa chambre, n'a aucune peine à la soumettre. Il la viole et la brutalise mais lui laisse la vie sauve, préférant lui infliger le spectacle d'un nouveau meurtre avant qu'elle ne s'échappe.
Anna regagne Rome profondément traumatisée : Ses malaises face aux représentations artistiques, identifiés comme "syndrôme de Stendhal", ne cessent de la tourmenter et le viol qu'elle a subi affecte son comportement.
Sur les conseils de son patron, Anna retourne en convalescence dans la petite ville de son enfance.
Elle sait que le psychopathe est lié à elle par une sorte d'attraction et, effectivement, celui-ci ne tarde pas à la retrouver. Il la séquestre pour la soumettre totalement à sa passion déviante et extrême, mais Anna finit tout de même par l'éliminer et jette son corps dans une rivière.
La disparition du meurtrier entraine la disparition des troubles sensoriels et du syndrôme de la jeune femme.
De retour à Rome, elle tente de reconstruire sa vie ; mais, le corps du criminel n'ayant pas été retrouvé, Anna est sans cesse inquiétée par sa réapparition.
Celle-ci semblerait, hélas, confirmée lorsque le nouveau petit-ami de l'inspectrice est brutalement assassiné !
De plus en plus angoissée, Anna sent que les violences et les traumatismes vont à nouveau recommencer.
Comment ne pas sombrer dans la folie ?
A moins que cela ne soit déjà fait !...




Après l'Amérique et "Le Chat noir" puis "Trauma", deux oeuvres, à mon sens, tout à fait interessantes mais boudées par la critique et par les afficionados, Dario Argento retrouve l'Italie et y réalise ce déroutant et superbe "Syndrôme de Stendhal".

Cette oeuvre s'affirme comme totalement inclassable ; folle, dure, magique, réellement à part dans la filmographie du cinéaste, en même temps complètement représentative de son auteur et très novatrice.
Elle s'inscrit comme le deuxième film de "la trilogie d'Asia" et, finalement, comme un magnifique cadeau du réalisateur à sa fille, à laquelle il offre, une nouvelle fois, le rôle principal.

Dans ce film, très personnel et différent, à la fois cru, désesperé et somptueux, Argento se montre beaucoup plus grave, plus direct, beaucoup plus proche de ses personnages, que de coutume.
Exit les préciosités giallesques ; au revoir les énigmes et les circonvolutions ludiques d'intrigues alambiquées ; ici, Dario Argento livre, avant tout, un troublant portrait de femme et l'histoire implaccable d'une folie.
Cette folie s'exprime, au départ, dans ces troubles spectaculaires provoqués par une sorte de sensibilité exacerbée à l'Art, autrement appelée "Syndrôme de Stendhal".
Anna et le maniaque partagent tous deux cet amour de la peinture et les mêmes perturbations, ces dérangements, parfois vertigineux et déstabilisants, face aux créations artistiques.



Et, plus que jamais, l'Art est, ici, sans cesse explicité, utilisé, integré et mis en scène.


Dès le début, le générique propose une sorte de déambulation au travers des chef-d'oeuvres de l'Histoire de l'Art :
Au son de la musique hypnotique d'Ennio Morricone, le côté droit de l'écran déroule tranquillement toutes ses beautés, passant de Rembrandt à Turner, de Lautrec à Chagall ... Matisse, Degas, Monet, Manet, Wharoll, Renoir ... Les détails des peintures se succèdent, mélangeant les styles, les ambiances et les époques ; des oeuvres, pour la plupart, très célèbres et imprimées dans la culture visuelle collective.


Puis, sans que la mélodie ne cesse, à ces déambulations plastiques, au déroulement image par image de cette "exposition", idéale et choisie, succèdent celui de la pellicule et du film, dans lequel on pénètre finalement, et les déambulations de l'héroïne dans les rues animées de Florence.


Ce parcours s'avère, lui aussi, sans cesse souligné par la permanence artistique des statues et des édifices anciens ou par celle, moins noble, des batteleurs et des caricaturistes saisis par la caméra.


Ensuite, vient le cheminement d'Anna à l'intérieur de la Galerie des Offices :
Botticelli succède à Paolo Ucello ; puis viennent Le Caravage, la Salle des cartes géographiques et finalement "La Chute d'Icare" de Brueghel.



















Anna est tout d'abord fixée comme une sorte de pièce rajoutée des oeuvres (saisie de face entre les deux profils peints d'un homme et d'une femme, puis refletée dans "Le Printemps" de Botticelli ...).






Elle finit par plonger carrément, comme Icare, dans la mer du tableau de Brueghel où, sombrant dans une réalité autre, elle heurte avec son visage non plus un guéridon mais le sable des fonds sous-marins.

Un poisson énorme, à la fois placide et inquiétant, surgit, un poisson au faciès presque humain, que la jeune femme étreint et qu'elle embrasse sur la bouche.
































Toute la magie, l'étrangeté et la beauté de la création artistique et picturale trouve ici son reflet, son pendant cinématographique. Le ton est donné dès cette première scène sublime : l'Art, non plus uniquement exprimé (voir tous ces environnements, ces personnages, ces références dont fourmille l'Oeuvre d'Argento; voir aussi "l'Art de tuer", le meurtre, toujours tellement lié, chez lui, à la création), mais réellement vécu et senti au plus profond de soi.





La démonstration continue lorsque Anna regagne son hotel.
Dans sa chambre, c'est la reproduction de "La Ronde de nuit" de Rembrandt qui réactive le syndrôme, ouvrant, cette fois, une porte (réelle ?) sur la mémoire momentanément perdue de la jeune femme.
Le tableau se fait l'écho d'un passé proche et permet à Anna (et au spectateur) de resituer l'action et de prendre connaissance des enjeux et de l'intrigue (la jeune inspectrice se révèle sur les traces d'un violeur récidiviste qui a désormais pris la fâcheuse habitude de trucider ses victimes).


Plus loin, on fait connaissance avec l'appartement romain d'Anna, plein de reproductions. Puis, c'est dans la grande (et laide) peinture d'une fontaine italienne que la jeune fille pénètre, alors qu'elle patientait dans les locaux de la Police.




A Vitterbo, Anna exprime son désespoir en se mettant à peindre à son tour ; à peindre inlassablement le même terrible visage, hurlant, rouge et noir, rappelant autant "Le Cri" de Munch que le dessin morbide et enfantin des "Frissons de l'angoisse".




Un flash-back, situé dans le Musée étrusque de la ville, rappelle une Anna enfant, déjà en proie à un trouble intense et pratiquement en état de choc devant les sculptures à la fois belles et effrayantes.



Enfin, c'est au travers des murs taggés et graffités du réservoir où le maniaque la retient prisonnière, qu'Anna éprouve pour la dernière fois les terreurs engendrées par son affection : une seringue se matérialise, menaçante, puis les murs se mettent à transpirer du sperme et, finalement, c'est une créature démoniaque, et monstrueusement membrée et priapique, qui prend vie et s'extrait du mur peint.



On peut d'ailleurs noter que la dernière manifestation du syndrôme est également la plus terrible et la plus agressive ! Ce n'est plus l'héroïne qui pénètre à l'intérieur du cadre mais la représentation, l'image elle-même, qui acquiert une dimension matérielle, qui s'anime et qui pénètre le monde réel.
L'Art, encore, au Musée où travaille (et meurt !) Marie, l'amoureux : ces plâtres, ces bustes, ces têtes énormes et antiques, cette main gigantesque, ce cheval qui se cabre et Persée tenant la tête de Méduse .... ; le sang qui vient gicler, rouge sur la pierre blanche.



Ces reproductions qu'Anna achète et dont elle redécore son appartement : Delvaux, Ernst, Klimt ...; celle qu'elle retrouve au domicile de l'assassin avec la note où il faisait allusion à leur lien .
Cette évocation de Jackson Pollock (et de "Ténèbres") dans l'image de ce mur tout éclaboussé du sang du psychiatre.



Ce globe de verre contenant la miniature du "David" de Michel-Ange qu'Alfredo (le malade) vole à Anna et qu'elle retrouve chez lui.
Ces représentations quasi-christiques d'Anna, attachée (crucifiée) sur un matelas crasseux ou, à la fin, prostrée dans les bras des policiers pour la version contemporaine d'une Pièta ...



L'Art est donc cité et utilisé du début à la fin du film ; sous toutes ses formes, de la plus noble à la plus vulgaire, de la plus directe à la plus figurée...
L'Art dans tous ses styles et de toutes les époques...
Sculpture, peinture, architecture, dessin, graffitis ...
Musées, ateliers, boutiques, intérieurs...
Art antique, étrusque, baroque, symboliste, surréaliste ou contemporain...
L'Art est ici la fenêtre de l'esprit, l'endroit où s'exprime et se libère le Subconscient ; une nouvelle réalité de soi-même et du monde, mais aussi l'expression des angoisses, des sentiments, des sensations, non seulement d'un créateur, mais de l'esprit (trop) réceptif de celui qui sait le regarder.



Les oeuvres parlent (littéralement ! : Aux Offices, Anna perçoit le brouhaha des voix et des bruits des peintures, tout comme s'il s'agissait de scènes réelles !) ; ce sont des ouvertures, des passages, sur une dimension autre, mais cette fois réelle, d'elles-même où l'on vient s'inscrire, se perdre, s'immerger ou se retrouver.
L'hypersensibilité d'Anna, confrontée aux beautés monstrueuses des oeuvres, débouche sur cette perte de conscience, cet abandon d'une réalité pour une autre, sur cet état qui confine en même temps à l'hypnose, à la transe et à un retour sur soi presque psychanalytique !


( à suivre...)

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